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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 27 septembre 2012, n° 11-02489

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Naudet Sapins de Noël (SARL)

Défendeur :

Castorama (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Parenty

Conseillers :

M. Brunel, Mme Delattre

Avocats :

Mes Laurent, Ballorin, Sarce, SCP Deleforge-Franchi, Renaudier

T. com. Lille, du 3 mars 2011

3 mars 2011

Vu le jugement contradictoire du 3 mars 2011 du Tribunal de commerce de Lille ayant dit que la SAS Castorama n'a pas commis de rupture brutale à l'égard de la SARL Naudet, débouté la SARL Naudet, condamné la SARL Naudet à payer 5 000 euro à la SAS Castorama sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile, débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

Vu l'appel interjeté le 8 avril 2011 par la société Naudet Sapins de Noël ;

Vu les conclusions déposées le 20 février 2012 pour la société Castorama ;

Vu les conclusions déposées le 26 mars 2012 pour la société Naudet ;

Vu l'ordonnance de clôture du 14 juin 2012 ;

La société Naudet a interjeté appel aux fins de réformation du jugement ; elle demande à la cour au visa des articles L. 442-6 5° du Code de commerce, des articles 1134 et 1147 du Code civil de dire et juger que la société Castorama a résilié brutalement et abusivement la relation commerciale établie avec elle, de la condamner à lui payer 2 110 000 euro de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial et financier avec intérêts légaux depuis l'assignation du 19 décembre 2008, et 10 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile ;

L'intimée sollicite la confirmation, à titre subsidiaire la constatation que la demande d'indemnisation est fantaisiste ; elle sollicite le débouté de la société Naudet et sa condamnation à lui payer 10 000 euro sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Naudet est référencée en tant que fournisseur de sapins de Noël à Castorama, selon elle depuis 1993 ; elle affirme que son chiffre d'affaires a été de 180 114 euro avec cette société en 1993 pour atteindre 847 900 euro en 2007. Elle expose qu'elle est devenue le fournisseur exclusif des magasins Castorama en 2001, qu'en 2007 a été signé un contrat pour 2008 de coopération commerciale et services distincts, renouvelé tous les ans, qui prenant effet le 1er janvier 2008 devait s'achever le 31 décembre 2008, avec application des conditions générales de Castorama, que le 10 avril 2008, elle a adressé ses tarifs puis a reçu le 19 mai 2008 un courrier recommandé de Castorama lui indiquant ne pas travailler avec elle pour 2008 ; elle répondait le 6 juin 2008 en demandant à Castorama, sans préjudice des conséquences de la rupture abusive, de solder les comptes et de lui restituer les machines à emballer les sapins. Puis elle l'a assignée sur le fondement de la rupture abusive.

Elle affirme qu'elle bénéficie depuis l'année 2001 d'une exclusivité sans aucune mise en concurrence, plaide que la relation dure depuis 15 ans, qu'il n'y a eu aucun préavis, que le chiffre d'affaires réalisé avec Castorama représente 16 % de son chiffre d'affaire global, que la résiliation a engendré pour elle une perte importante de chiffre d'affaire et une perte de marge brute de 2 110 K euro sur les 5 prochaines années, sur la base d'une marge brute annuelle de 422 K euro.

Elle estime que le préavis donné en mai pour Noël est insuffisant compte tenu de la saisonnalité des produits, la relation se nouant en janvier pour les sapins de la fin de l'année, et que la société Castorama aurait dû respecter un préavis de 12 mois compte tenu de cette spécificité.

La société Castorama lui objecte que chaque année, elle procède par appels d'offres, ce qui donne une précarité aux relations puisque les fournisseurs n'ont pas la garantie d'être sélectionnés d'une année sur l'autre ni de maintenir ou d'accroître leur volume d'activité, que si la société Naudet a été son fournisseur, elle a aussi signé le 19 février 2007 ses conditions générales d'achat qui précisent qu'elle ne prend aucun engagement d'achat, que si elle a été souvent sélectionnée, cela n'a pas été le cas en 2000 sans que cela remette en cause sa participation les années suivantes, qu'en ce qui concerne l'année 2008, l'appel d'offres a été lancé le 11 mars 2008, auquel la société Naudet a répondu le 10 avril 2008 par une proposition tarifaire qui n'a pas eu son agrément, au vu des propositions concurrentes, qu'elle a respecté la procédure d'appel d'offres en informant son interlocutrice en mai de ce qu'elles ne collaboreraient pas, ce qu'elle ne pouvait matériellement pas faire avant ; elle ajoute qu'elle a contesté le compte entre les parties réclamé par son adversaire et que si un contrat a été signé avant la phase de sélection, c'est pour répondre aux dispositions de l'article L. 441-7 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à 2008.

Elle conteste le caractère établi de la relation commerciale puisque celle-ci était remise en cause chaque année, par le biais de l'appel d'offres, ce qui lui donne un caractère de précarité incompatible avec la notion exigée par le texte de l'article L. 442-6-I 5°, que l'existence de cet appel d'offres ne peut être contestée au vu des pièces qu'elle verse qui prouvent bien qu'elle avait mis les sociétés fournisseurs en concurrence et au vu des pièces versées par la société Naudet elle-même qui communiquait chaque année ses offres en réponse à ses demandes, en tous cas entre 2003 et 2008.

Outre cette absence d'exclusivité, la société Castorama souligne qu'elle n'a commis aucune faute puisqu'elle a répondu le 19 mai à une proposition du 10 avril 2008, que le délai d'un an sollicité n'a aucune raison d'être, est incompatible avec la procédure d'appels d'offres, que le code de bonnes pratiques commerciales entre professionnels du jardin n'est pas applicable, qui exclut les producteurs de végétaux du type Naudet et ne concerne pas une centrale d'achat dont l'activité principale n'est pas le jardin mais le bricolage, qui n'était pas applicable avant le 1er janvier 2009, qui ne reprend pas les usages du commerce visés par l'article L. 442-6-I 5°. Elle ajoute que les relations commerciales ne durent pas tout au long de l'année mais un mois à la fin, la partie négociation concernant la période de mars à mai et le marché étant remis en compétition tous les ans, que la société Naudet, qui a au demeurant augmenté son chiffre d'affaires en 2008 avec d'autres clients, avait le temps d'en rechercher de nouveaux.

Elle précise également que la part du chiffre d'affaires réalisé par la société Naudet avec elle est faible, que les produits sans spécificité peuvent être vendus à d'autres, que Naudet se présente comme le premier producteur, preuve de sa notoriété, que son défaut de sélection s'explique par son mauvais positionnement et ses conditionnements en trop grosse quantité qui étaient préjudiciables aux magasins Castorama et qu'elle n'a pas changés.

Sur le plan contractuel, la société Castorama plaide qu'il n'y a pas non plus de faute puisqu'il n' y avait pas d'engagement ; sur le préjudice, elle rappelle que la perte éventuelle n'est pas celle des 5 années à venir mais celle relative à la période de préavis manquante, que la demande basée sur la perte de chiffre d'affaire sur 2008 n'est pas mieux étayée.

La société Naudet affirme qu'il n'y avait aucune précarité dans la relation, qui a duré 15 ans avec une exclusivité à son profit, sans appel d'offres, le document de demande émanant de Castorama n'étant qu'une demande de prix, les documents produits par Castorama comportant des ajouts par rapport aux siens, preuve que ce sont des faux. Elle plaide que le volume d'affaires était constant, sans sélection de fournisseurs, que son adversaire est incapable de produire des consultations et les offres des concurrents malgré sommation, injonction et ordonnance du conseiller de la mise en état. Elle précise que chaque année, elle avait pour habitude en avril mai d'envoyer ses tarifs, le principe de l'accord commercial étant acquis et la discussion ne concernant que des ajustements, cet accord trouvant sa preuve dans l'envoi préalable chaque année du contrat fournisseur et ce avant la discussion des prix, accord rompu le 19 mai 2008 sous un prétexte fallacieux. Elle plaide que les relations ont duré 15 ans avec juste une interruption en 2000, que le volume d'achat a été en augmentation constante, qu'elle se devait d'anticiper les plantations de sapins sur 6 ans pour répondre aux commandes de Castorama, que le délai de prévenance n'a pas été respecté, que la rupture est brutale, et abusive compte tenu de l'ancienneté de la relation, de l'exclusivité, de l'absence de motif légitime.

Sur le préjudice, il doit être apprécié dans sa globalité et sa réalité incluant le non-respect du préavis et la perte économique, soit le préavis de 12 mois,la perte de deux ans, le préjudice économique sur 5 ans.

Sur ce

A l'audience, la cour a soulevé d'office le problème de la recevabilité de l'appel en considération du décret du 11 novembre 2009 relatif aux règles de compétence territoriale imposées par ce texte qui a instauré des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives de concurrence prévues par l'article L. 442-6 du Code de commerce. Elle a invité les parties à conclure sur ce sujet, qui ont proposé une note en délibéré sur ce problème de procédure soulevé d'office, proposition acceptée par la cour.

La société Naudet, par note du 5 juillet 2012 s'en rapporte à justice sur ce point mais précise qu'elle a saisi la juridiction indiquée par la société Castorama dans l'acte de notification du 5 mai 2012 du jugement du 3 mars 2012 ; elle s'estime non responsable en cas de déclaration d'irrecevabilité et sollicite l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et la mise des dépens à la charge de la société Castorama.

La société Castorama, par note du 12 juillet 2012, souligne que la question posée est de savoir si la cour d'appel compétente est celle de Douai ou celle de Paris, puisque la procédure a été introduite avant l'entrée en vigueur du décret, le jugement rendu après de même que l'appel diligenté dans la présente affaire est postérieur à l'entrée en vigueur du décret, que des décisions de cour d'appel ont été rendues qui n'ont pas abouti au même résultat mais que deux arrêts transposables au cas d'espèce désignent la Cour d'appel de Paris comme exclusivement compétente ; elle s'oppose aux demandes formulées par la société Naudet Sapins qui a interjeté appel spontanément et qui doit être condamnée à lui payer une indemnité sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens. La société Naudet Sapins maintient sa demande ou au moins demande à la cour de réserver les dépens.

L'article D. 442-3 du Code de commerce issu du décret dispose que pour l'application de l'article L. 442-6-1 5° du Code de commerce, 8 juridictions commerciales sont compétentes pour en connaître avec pour degré d'appel la Cour d'appel de Paris ; le décret a prévu, dans ses dispositions transitoires, que la juridiction primitivement saisie le demeure pour les procédures antérieures, a fortiori que comme au cas d'espèce, elle est juridiction désignée ; mais les procédures de première instance et d'appel sont distinctes, introduites devant des juridictions différentes et par des actes différents. La Cour d'appel de Douai a été saisie le 8 avril 2011, soit après l'entrée en vigueur du décret donnant compétence exclusive à la Cour d'appel de Paris. Il s'en suit qu'elle est incompétente pour statuer sur l'appel interjeté et dépourvue de tout pouvoir juridictionnel à l'égard du litige qui lui est soumis, que l'appel doit être déclaré irrecevable.

La société Naudet Sapins a pris l'initiative spontanée de saisir une juridiction incompétente : il est justifié de la condamner à payer 2 000 euro à la société Castorama sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'indemniser des frais irrépétibles exposés et de mettre les dépens de la présente procédure à sa charge.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe vu les articles L. 442-6-I 5°, D. 442-3 du Code de commerce : Déclare irrecevable l'appel interjeté devant elle le 8 avril 2011 par la société Naudet Sapins ; Déboute la société Naudet Sapins de sa demande relative à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile à son profit et aux dépens ; Condamne la société Naudet Sapins à payer 2 000 euro à la société Castorama sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de la présente instance qui pourront être recouvrés directement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.