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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 septembre 2012, n° 09-00202

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cautru

Défendeur :

De Cherade de Montbron

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roche

Conseillers :

M. Vert, Mme Luc

Avocats :

SCP Ribaut, Mes Ben Soussen, Bernabe, Meyung-Marchand

T. com. Paris, du 19 sept. 2003

19 septembre 2003

Vu le jugement en date du 19 septembre 2003 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a condamné M. Cautru, exploitant en nom propre sous l'enseigne "Westcom", à payer à M. De Cherade de Montbron, les sommes de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts pour agissements trompeurs, de 5 000 euro pour violation des obligations de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 et du décret n° 91-337 du 4 avril 1991 et enfin celle de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel interjeté le 18 mai 2004 par M. Cautru et ses conclusions du 16 octobre 2007, dans lesquelles il sollicite l'infirmation de ce jugement, le débouté de M. De Cherade de Montbron, pour irrecevabilité de ses demandes et pour absence de faute, et sa condamnation à lui payer la somme de 5 000 euro pour procédure abusive, outre celle de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions de M. De Cherade de Montbron enregistrées le 30 mars 2012, tendant à voir confirmer le jugement entrepris, sauf sur le quantum du préjudice dont il sollicite qu'il soit porté à la somme de 150 000 euro, et demandant à la cour de condamner l'appelant au paiement de cette somme, outre celle de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Sur ce

Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :

M. Christophe Cautru a créé et développé un concept original de magazines contenant des programmes de télévision, distribués gratuitement, dont il a conçu le format, le contenu, l'identité graphique ainsi que les modalités d'édition et de commercialisation.

Le magazine "Le P'tit Zappeur" est un gratuit financé par des annonceurs à travers la vente d'espaces publicitaires, de dimension 15 X 23 et de 32 pages en couleur. La marque éponyme a été déposée à l'INPI le 26 juin 1998.

M. Cautru a créé ce concept en 1995 et l'exploite en son nom personnel à Vannes.

M. De Cherade de Montbron (ci-après M. De Montbron) exploitait jusqu'en 1999 un cabinet de conseil en développement des ventes et de management d'équipes de ventes, implanté dans la région parisienne, à Chaville.

La société Westcom, "SAS en cours ayant son siège social [...], inscrite au RCS Vannes depuis le 26 avril 1995 sous le N° Siret 40065324200018-Ape 744 B représenté par M. Christophe Cautru" a conclu avec M. De Montbron le 17 mars 2000 un avant-contrat de partenariat concernant le magazine "Le P'tit Zappeur".

Le 8 avril 2000, la société Westcom, "entreprise en nom personnel ayant son siège social [...] inscrite au RCS Vannes depuis le 19 avril 1995 sous le N° Siret 40065324200018-Ape 744 B représenté par M. Christophe Cautru, en sa qualité de gérant. (...) SAS en cours", signait avec M. De Montbron un "contrat de partenariat exclusif", pour une durée de cinq ans renouvelable, mettant "à la disposition du partenaire son savoir-faire secret et substantiel, et ses signes distinctifs, notamment sa marque "P'tit Zappeur", pour la commercialisation optimale du magazine et des produits d'édition", sur la ville de la Rochelle et sa périphérie, son territoire de distribution exclusive. Un droit d'entrée de 59 800 F TTC était acquitté par le partenaire.

De Montbron a ensuite créé, le 26 avril 2000, la société Atlanticom à laquelle il a apporté son contrat de franchise et a engagé deux commerciaux.

Dès le mois de septembre 2000, M. De Montbron, privé de toute rémunération depuis mai 2000 en raison de l'absence de rentabilité de sa société, a démissionné de ses fonctions de gérant de la société Atlanticom, qui a cessé toute activité en décembre 2000 et a été placée en liquidation judiciaire.

M. De Montbron, exposant qu'il aurait été trompé délibérément par son partenaire, lors des pourparlers, par la présentation d'un budget prévisionnel et une simulation d'exploitation "fantaisistes", tant sur la personne même de la société cocontractante que sur les éléments essentiels du contrat, a, par acte du 1er février 2002, assigné M. Cautru en dommages-intérêts pour des fautes précontractuelles relatives à des informations erronées sur la société cocontractante et l'absence d'informations relatives à la loi Doubin.

Le tribunal de commerce a jugé trompeurs les agissements de M. Cautru, car ce dernier a contracté avec M. De Montbron en qualité de gérant de sociétés inexistantes. Il souligne en outre que des éléments essentiels du Dip, tels "l'étude de marché, les bilans des deux dernières années, l'état des dépenses et investissements spécifiques avant début d'exploitation, l'expérience professionnelle du franchiseur, le réseau des franchisés ', étaient absents, erronés ou incomplets", mais que, toutefois, "ce défaut d'information n'(avait) pas eu pour effet de vicier le consentement de M. De Montbron, qui, de plus, a bénéficié d'un délai pré-contractuel de 25 jours pour exiger de M. Cautru tout renseignement complémentaire". Il a alloué à M. De Montbron les sommes de 15 000 euro pour ces agissements trompeurs et celle de 5 000 euro pour le défaut d'information.

Sur l'exception d'irrecevabilité

Considérant que si M. Cautru soulève l'irrecevabilité de la demande de M. De Montbron, qui aurait dû, selon lui, diriger celle-ci contre la société Westcom, il convient de souligner que, comme M. Cautru le soutient lui-même, cette société n'était pas encore constituée au moment de la signature du Dip et du contrat de partenariat ; que cette "entreprise en nom personnel ayant son siège social [...] inscrite au RCS Vannes depuis le 19 avril 1995 sous le N° Siret 40065324200018-Ape 744 B représenté par M. Christophe Cautru, en sa qualité de gérant. (...) SAS en cours" ne saurait, en effet, être confondue ni avec la société Westcom Europe Limited, qui a existé de 2001 à 2003, ni avec la SAS Westcom immatriculée le 6 mars 2001 et dont le siège était initialement situé [...] ; que si une société SAS Westcom existe aujourd'hui, la preuve n'est pas rapportée qu'elle serait la société mentionnée dans le document précontractuel du 17 mars 2000 ni dans le contrat de partenariat du 8 avril 2000, ni qu'elle en assumerait la continuité juridique ; que cette société semble être la société Westcom France, créée le 6 mars 2001, dont le numéro RCS était 434 608 972 ; que la société SAS Westcom n'a pas davantage repris les dettes délictuelles de M. Cautru, n'ayant repris que les contrats de franchise en cours au 6 juin 2002, lors de l'achat du fond de commerce de M. Cautru ; que l'acte de cession du 6 juin 2002, qui fait d'ailleurs apparaître qu'aucune société Westcom ne gérait les contrats de franchise avant cette date, mais M. Cautru à titre d'exploitant indépendant, mentionne en effet que "l'acquéreur déclare reprendre lesdits contrats de franchise, relatifs au magazine publicitaire "Le P'tit Zappeur" et faire son affaire personnelle de leur exécution" ; qu'ainsi, la demande de M. De Montbron est à juste titre dirigée contre M. Cautru, d'ailleurs responsable en qualité de gérant "en nom personnel", comme mentionné dans le contrat, en l'absence de preuve, qui lui incombe, de l'identité de ce projet de société et de la société SAS Westcom, constituée bien après les faits litigieux et sous un numéro de RCS différent ; qu'il convient donc d'écarter son exception d'irrecevabilité ;

Considérant que l'intimé fait grief à M. Cautru d'avoir méconnu son obligation pré-contractuelle d'information en fournissant des informations erronées ou incomplètes et aussi de ne pas avoir correctement exécuté ses obligations contractuelles en ne le mettant pas en relation avec des annonceurs nationaux ;

Sur les obligations précontractuelles

Considérant que si M. De Montbron ne demande pas l'annulation du contrat et demande simplement la réparation de son préjudice, il soutient avoir été trompé par son cocontractant ; qu'il convient, à cet égard, de rappeler que la méconnaissance, par un franchiseur, de son obligation pré-contractuelle d'information peut être constitutive d'un dol et d'une réticence dolosive de nature à vicier le consentement du franchisé ;

Considérant qu'il convient de rappeler, tout d'abord, que l'article L. 330-3 du Code commerce dispose que "toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause" ;

Considérant que, selon les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, le document d'information pré contractuelle (ci-après Dip), "dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités" ; qu'en vertu du 5° de l'article R. 330-1 du Code commerce, le Dip doit contenir "une présentation du réseau d'exploitants qui comporte : a) la liste des entreprises qui en font partie (...) ; b) l'adresse des entreprises établies en France (...) c) le nombre d'entreprises qui (...) ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédent celle de la délivrance du document, (...) ; (...)" ;

Considérant, en l'espèce, qu'en premier lieu, l'information donnée dans le document précontractuel comportait des indications fausses sur le réseau, des prévisions de rentabilité qui se sont avérées inexactes et ne contenait aucune indication utile sur le marché concerné ;

Considérant que M. Cautru a fait croire à M. De Montbron qu'il contractait avec une société Westcom au capital de 1 million de F, existant depuis 1995 (page 6 de l'avant-contrat), tous ces éléments s'étant avérés inexacts, comme vu plus haut ; qu'il convient d'approuver la motivation des premiers juges sur ce point, et, notamment, d'avoir souligné que "ces ambiguïtés sciemment entretenues par M. Cautru laissent à un tiers croire qu'il contracte avec un partenaire de qualité à surface financière appréciable et c'est bien cette apparence qui a mis en confiance M. De Montbron et l'a décidé à contracter, à déménager sur la Rochelle et à créer la société Atlanticom" ; que M. Cautru n'a, au surplus, communiqué que son chiffre d'affaires du 1/1/99 au 31/10/99, bien qu'exploitant, selon ses propres assertions, le concept "Le P'tit Zappeur", depuis 1995 ;

Considérant que les informations données sur le réseau sont lacunaires ou erronées ; qu'il ressort en effet des constatations faites par M. De Montbron à partir de la liste des franchisés figurant dans l'annexe 9 de l'avant-contrat, que le réseau avait une existence d'à peine six mois au moment de la conclusion du contrat litigieux et que la moitié des franchisés ont été désignés en janvier et février 2000 ; qu'ainsi, le franchiseur ne pouvait faire état d'aucun retour d'expérience des autres franchisés ; que les maigres données sur le chiffre d'affaires et la rentabilité prévisionnels ne pouvaient qu'être affectées par cette circonstance, volontairement cachée au partenaire ;

Considérant qu'aucune information n'a été donnée sur l'état général du marché (annexe 7) et sur la concurrence des magazines gratuits édités localement par la Chambre de Commerce et d'Industrie, solidement implantés sur le marché local ;

Considérant que s'il appartient au franchisé, sur la base des éléments communiqués par le franchiseur, de réaliser lui-même une analyse d'implantation précise, encore faut-il que les éléments essentiels fournis par celui-ci pour éclairer son cocontractant soient exacts et complets et lui permettent de se déterminer en toute connaissance de cause ; que la présentation sincère du marché local constitue une obligation déterminante et essentielle du franchiseur, dont la méconnaissance a trompé M. De Montbron ;

Considérant encore que si le franchiseur n'est pas tenu de remettre un compte d'exploitation prévisionnel au candidat à la franchise, aux termes du 6° de l'article R. 330-1 du Code de commerce, le document d'information précontractuelle doit contenir "la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l'enseigne ou à la marque que la personne destinataire du projet de contrat engage avant de commencer l'exploitation" ; qu'il appartient ensuite à chaque franchisé d'établir son compte prévisionnel à partir de ces données ; qu'en l'espèce, aucune de ces informations n'a été communiquée par le franchiseur ;

Considérant qu'aucun grief ne peut être formulé à l'égard du franchisé, de nature à atténuer la responsabilité du franchiseur ; que M. Cautru ne démontre pas que M. De Montbron aurait eu une connaissance "parfaite" du monde de la publicité en presse gratuite, "en particulier sur la façade atlantique" ; qu'en effet, ses activités passées d'enseignant spécialisé dans la formation d'adultes à la vente et au management d'équipes de vente ne le préparaient nullement à la distribution de magazines gratuits financés par la publicité ; que l'édition, par ses soins, en 1984, d'un annuaire gratuit des entreprises de bâtiments et travaux publics n'a rien à voir avec cette activité spécialisée ; qu'il n'avait aucune connaissance particulière du marché de la Rochelle, exerçant dans la région parisienne ; qu'il n'avait pas à suppléer la carence de son cocontractant en recherchant lui-même les informations cruciales sur le réseau, son rôle ne pouvant consister qu'à compléter les informations essentielles données par le franchiseur ; que la cour confirmera donc le jugement présentement déféré en ce qu'il a estimé fautif le comportement de M. Cautru, aux termes d'une motivation qu'elle adopte ;

Sur les obligations contractuelles

Considérant qu'une des obligations essentielles du contrat consistait dans "la mise à disposition des contrats nationaux de l'enseigne" et "de campagnes multi villes au travers d'une régie nationale" (articles 3-4-7 et 3-4-8 de l'avant-contrat et brochure de présentation du réseau) ; que par cet engagement, M. Cautru garantissait à son partenaire un chiffre d'affaires de base avec les grandes enseignes nationales, qui peuvent difficilement être démarchées au niveau local ; que M. Cautru n'a versé aux débats aucun de ces prétendus contrats de publicité nationale ni n'a démontré avoir mis en place des campagnes multi villes, à l'exception d'une opération unique avec Carrefour et Hypermarchés U ; que l'inexécution de cette obligation essentielle du contrat, non relevée par les premiers juges, a nécessairement aggravé les difficultés de gestion de M De Montbron et sera prise en compte dans la fixation du quantum des préjudices ;

Sur les demandes indemnitaires

Considérant que M. De Montbron ne demandant pas l'annulation du contrat litigieux, il ne saurait réclamer la restitution du droit d'entrée ;

Considérant que M. De Montbron demande encore que lui soient remboursés le montant des avances en compte courant consenties à sa société Atlanticom et ses pertes de revenus sur six mois de 2000 ainsi que sur l'année 2001 ;

Considérant que s'il existe un lien de causalité entre la faute du franchiseur et le préjudice de M. De Montbron, la responsabilité ne lui en incombe pas entièrement, même s'il résulte des pièces du dossier que beaucoup de franchisés ont été placés en liquidation judiciaire, dans l'année suivant leur adhésion au réseau "Le P'tit Zappeur", ce qui témoigne d'une activité foncièrement et structurellement peu rentable ; qu'ainsi, sa contribution ne saurait couvrir l'intégralité du dommage subi par M. De Montbron ; que, compte tenu des éléments en possession de la cour, ce préjudice sera évalué à la somme de 35 000 euro, que M. Cautru sera condamné à payer à M. De Montbron et le jugement entrepris sera réformé sur ce point ;

Sur la demande de M. Cautru pour procédure abusive

Considérant que M. Cautru, succombant, ne saurait prétendre à une indemnité pour une procédure à juste titre intentée contre lui par M. De Montbron ;

Par ces motifs : - Confirme le jugement entrepris, sauf sur le quantum des dommages-intérêts alloués à M. De Cherade de Montbron, statuant à nouveau, - Condamne M. Cautru à payer à M. De Cherade de Montbron la somme de 35 000 euro, y ajoutant, - Déboute les parties du surplus de leurs demandes, - Condamne M. Cautru aux dépens exposés en appel, avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, - Le Condamne à payer à M. De Cherade de Montbron la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile