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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 25 octobre 2012, n° 11-10525

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Créations et Parfums SAS

Défendeur :

Argeville (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

SCP Ermeneux-Champly - Levaique, SCP Tollinchi Perret Vigneron, Mes Magnan, Campestrini, Fehlmann, Bruguier

T. com. Grasse, du 14 février 2011

14 février 2011

La SAS Créations et Parfums et la SA Argeville exercent une activité concurrente à Grasse (06), tournée pour partie vers l'export : fabrication et négoce d'essences, de matières aromatiques et de composants pour la parfumerie.

Par jugement contradictoire en date du 14 février 2011, le Tribunal de commerce de Grasse a débouté la SAS Créations et Parfums de sa demande indemnitaire dirigée contre la SA Argeville et fondée sur la concurrence déloyale et l'a condamnée à payer à la SA Argeville la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Créations et Parfums a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret N° 98-1231 du 28 décembre 1998.

Vu les prétentions et moyens de la SAS Créations et Parfums dans ses conclusions en date du 9 septembre 2011 tendant à faire juger :

Vu les prétentions et moyens de dans ses conclusions récapitulatives en date du tendant à faire juger :

- que la SA Argeville s'est livrée à des actes de concurrence déloyale en débauchant et en embauchant six de ses salariés occupant pour cinq d'entre eux des fonctions commerciales, le sixième étant un technicien (Laurent Cosimi), "formé aux secrets de fabrication", ce qui a entraîné une désorganisation de l'entreprise (pertes de clients au Moyen Orient et en Asie suivis par les salariés occupant des fonctions commerciales et secteur commercial de la SAS Créations et Parfums affecté à 70 % par tous ces départs), avec les circonstances suivantes que * pour certains des salariés l'embauche a été précédée d'une promesse d'embauche de la SA Argeville signée alors qu'ils étaient encore dans un lien de subordination juridique, * que pour Monsieur Eric Bussotti, commercial sur le secteur du Moyen Orient a commencé son activité pour le compte de la SA Argeville alors qu'il était toujours salarié de la SAS Créations et Parfums, * que trois débauchages/embauchages ont eu lieu en juillet 2009, Jérémy Akoum, Véronique Wittling, dirigeant le service marketing pour l'Asie et Claude Cavallaro,

- que les débauchages ciblés procèdent d'une "stratégie mûrement réfléchie" sur un laps de temps court sans que la SA Argeville puisse justifier qu'il s'agit de candidatures spontanées ou répondant à une offre d'emploi relayée par Pôle Emploi ou la presse régionale,

- que le préjudice le préjudice résultant des actes de concurrence déloyale s'élève à 1 200 000 euro et est représenté * par la perte de clients et des chiffres d'affaires qui auraient été réalisés (650 000 euro pour la seule année suivant le départ de Jérémy Akoum et de Véronique Wittling affectés sur le secteur Asie et notamment Thaïlande) et * par la perte des investissements en formation qui avaient été consacrés aux salariés ;

Vu les prétentions et moyens de la SA Argeville dans ses conclusions en date du 14 novembre 2012 tendant à faire juger :

- qu'il appartient à la SAS Créations et Parfums de prouver ou d'objectiver l'existence de manœuvres déloyales ayant entraîné une désorganisation de son activité, sans pouvoir la déduire de la réunion d'éléments,

- que les actes positifs de débauchage ne sont pas avérés, la jurisprudence se montrant à cet égard "assez libérale et favorable à la liberté de création des entreprises et à la liberté d'embauche", en l'espèce aucune initiative en vue d'approcher les salariés et/ou de les "séduire" par des promesses de rémunération plus élevée ou de meilleures conditions de travail,

- que les actes incriminés se sont déroulés entre 2003 et 2009, sans connaissance de la situation de salarié d'Éric Bussotti, l'initiative de changer d'employeur revient aux six salariés en cause non tenus par une clause de non-concurrence, la promesse d'embauche faite par un futur employeur à un salarié toujours en poste chez un autre est licite, comme constituant une garantie pour le salarié,

- que toutes les embauches ont été effectuées sans manœuvres à la suite de la volonté des salariés de changer d'employeur, aucune faute n'est dès lors caractérisée,

- qu'en outre, l'étendue du préjudice censé résulter des fautes alléguées n'est pas démontrée ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 7 septembre 2012.

Attendu que les embauches concomitantes de Jérémy Akoum, de Véronique Wittling et de Claude Cavallaro occupant, tous, des fonctions commerciales au sein de la SAS Créations et Parfums par la SA Argeville exerçant une activité tournée essentiellement en direction de l'export qui est directement concurrente à celle de la SAS Créations et Parfums, ont entraîné la désorganisation de cette dernière société et notamment celle de son service commercial divisé en deux secteurs : Asie et Moyen Orient, comptant au total 6 personnes, selon un organigramme produit au débat ; que les trois salariés chacun en possession d'une "promesse d'embauche pour un contrat de travail à durée indéterminée" de la part de la SA Argeville valable jusqu'au 31 octobre 2009, consentie antérieurement à la cessation de leur contrat de travail les liant à la SAS Créations et Parfums, ont donné leur démission respectivement les 11 juillet 2009, 24 juin 2009 et "courant juillet" pour entrer au service de la SA Argeville le 22 juillet 2009 pour Jérémy Akoum, et le 1er septembre 2009 pour Véronique Wittling et Claude Cavallaro ; que ces salariés ont occupés au sein de la SA Argeville des fonctions commerciales similaires à celles qu'ils avaient occupées au sein de la SAS Créations et Parfums et sur des secteurs géographiques similaires ; que cette "migration" simultanée de trois salariés avait été précédée * par l'embauche au sein de la SA Argeville, le 1er décembre 2003, de Bernard Fruitier ayant occupé jusqu'au mois de mai 2000 une fonction de "commercial export" à la tête du service commercial de la SAS Créations et Parfums et * par le "transfert" d'Éric Bussotti qui occupait au sein de la SAS Créations et Parfums la même fonction de "commercial export" que celle précédemment occupée par Bernard Fruitier ; que Éric Bussotti a démissionné de ses fonctions exercées au sein de la SAS Créations et Parfums, le 16 mars 2006, pour rejoindre la SA Argeville, le 5 avril 2006, en qualité de "délégué commercial" ;

Attendu que ces mouvements de personnels qui ne sont dictés par aucun motif objectif d'insatisfaction exprimé par les salariés envers leur ancien employeur ont permis à la SA Argeville d'exploiter les connaissances commerciales desdits salariés et d'obtenir un transfert à son profit de clients de la SAS Créations et Parfums notamment de clients du secteur du Moyen Orient dont certains anciens salariés étaient précisément en charge ; que la SAS Créations et Parfums rapporte suffisamment la preuve à partir d'indices concordants que la migration des salariés est le résultant d'une action concertée et de manœuvres déloyales visant volontairement à la désorganiser et à s'approprier une partie de sa clientèle ; qu'un tel comportement par sa répétition, par son caractère systématique et constant et par son importance eu égard à la taille du service commercial de la SAS Créations et Parfums qui était sa cible, est délibérément contraire à la loyauté devant présider aux relations entre deux entreprises concurrentes ;

Attendu que l'existence de manœuvres déloyales implique nécessairement la réalisation d'un préjudice de nature commerciale et morale par celui qui le subit ; qu'il convient, au vu des éléments produits au débat par la SAS Créations et Parfums, de lui allouer une somme de 90 000 euro à titre de dommages-et-intérêts en réparation de son préjudice commercial et moral constitué pour partie par la perte subite de clients et par la privation corrélative des chiffres d'affaire qui pouvaient être escomptés de la poursuite des relations commerciales pendant une durée raisonnable ;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre une somme de 5 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Reçoit l'appel de la SAS Créations et Parfums comme régulier en la forme. Réforme le jugement attaqué dans toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, condamne la SA Argeville à porter et payer à la SAS Créations et Parfums la somme de 90 000 euro, à titre de dommages-et-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SA Argeville aux entiers dépens de l'instance, conformément aux articles 696 et 699 du Code de procédure civile, avec, le cas échéant, s'ils en ont fait la demande, le droit pour les représentants des parties de recouvrer directement contre la (ou les) partie(s) condamnée (s) ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.