CA Colmar, 1re ch. civ. A, 31 octobre 2012, n° 12-03657
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Berchex (SARL)
Défendeur :
Socar (SA), Volkswagen Group France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Vallens
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Mes Cahn, Henry, Wetzel, Muller, Crovisier, Louvier
Attendu que se plaignant d'un refus de livraison de 201 véhicules de marque Volkswagen, la SARL Berchex a assigné la SAS Socar en référé pour en obtenir la délivrance sous astreinte ;
Attendu que la société Socar a appelé en garantie la SA Volkswagen Group France, qui lui avait fait interdiction de livrer les véhicules à la société Berchex au motif que celle-ci ne faisait pas partie du groupe des distributeurs agréés ;
Attendu que par ordonnance du 3 juillet 2012, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Mulhouse a condamné sous astreinte la société Socar à livrer à la SARL Berchex les véhicules commandés par elle, et qu'il a condamné la société Volkswagen Group France à garantir la société Socar en lui livrant les véhicules commandés sous astreinte de 100 euro par véhicule et par jour de retard ;
Qu'il a condamné la société Socar à payer à la SARL Berchex une compensation de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société Volkswagen Group France a relevé appel de cette ordonnance le 12 juillet 2012, dans des conditions de recevabilité non contestées ;
Attendu qu'au soutien de son recours, la société Volkswagen Group France fait essentiellement valoir que le contrat passé avec la société Socar interdisait bien à celle-ci de vendre des véhicules hors réseau ou à destination de l'étranger, et que la société Socar a violé délibérément cette interdiction ;
Qu'elle précise en substance qu'elle pouvait difficilement percevoir immédiatement la destination des véhicules, et que c'est un audit du 13 octobre 2011 qui lui a confirmé l'irrégularité de livraison à une société qui ne faisait pas partie de son réseau ;
Qu'elle explique que la détection d'une telle irrégularité peut surtout se faire par la voie de contrôles a posteriori ;
Qu'elle rappelle en droit les dispositions du sixièmement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, lequel prohibe la participation à la violation d'une interdiction de revente faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables au droit de la concurrence ;
Qu'elle conteste avoir toléré des ventes hors réseau ;
Qu'elle estime en conséquence que l'action contre elle est sérieusement contestable, en l'absence de trouble illicite ou de dommage imminent ;
Qu'elle rappelle en fait qu'elle a tenté d'exécuter cependant l'ordonnance entreprise, mais qu'elle a rencontré des obstacles factuels insurmontables, tels que la cessation de fabrication de certains véhicules du modèle Golf ;
Qu'elle conteste par ailleurs la réalité du préjudice invoqué par la société Berchex, et qu'elle reproche en outre à celle-ci d'avoir sciemment recherché un approvisionnement en violation des règles de son réseau de distribution ;
Qu'elle déclare prendre acte de ce que la société Berchex renonce actuellement à sa demande de livraison des véhicules en cause ;
Qu'elle conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise et au rejet des demandes de la société Socar ;
Qu'elle demande une compensation de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société Socar estime que la situation actuelle n'a plus aucun caractère d'urgence, dans La mesure où la société Berchex a renoncé à sa demande de livraison ;
Qu'il fait valoir qu'aucune provision ne peut être accordée avant que la question des responsabilités ne soit tranchée, et qu'elle indique que l'adage selon lequel nul ne peut invoquer sa propre turpitude se retourne également contre la société Berchex, qui connaissait les clauses restrictives existant dans les contrats de distribution de la société Volkswagen ;
Qu'elle demande subsidiairement la garantie de la société Volkswagen Group France, qui a toléré les pratiques qu'elle affecte de lui reprocher, et qui a refusé irrégulièrement des livraisons alors qu'elle ne pouvait le faire qu'après une mise en demeure ;
Qu'elle demande en définitive le rejet de la demande de provision présentée par la société Berchex, ou la garantie de son fournisseur, la société Volkswagen France ;
Qu'elle demande une compensation de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société Berchex demande de lui donner acte de ce qu'elle renonce à sa demande de livraison sous astreinte des véhicules commandés, mais qu'elle sollicite aux lieu et place de cette condamnation en nature la condamnation solidaire des sociétés Socar et Volkswagen Group France à lui payer une indemnité provisionnelle de 613 000 euro à valoir sur son préjudice commercial ;
Qu'elle indique que la société Socar ne pouvait pas annuler des commandes qu'elle avait régulièrement acceptées, d'autant qu'elle avait parfaitement conscience qu'elle méconnaissait ses obligations contractuelles, de sorte que le risque d'un refus de livraison opposé par le constructeur était pour le moins prévisible, surtout au vu des volumes commandés ;
Qu'elle conclut assez longuement contre la société Volkswagen Group France, qui a toléré des pratiques de vente hors réseau, au point d'ailleurs que neuf des véhicules qui lui étaient destinés ont bien été exportés finalement en Algérie ;
Qu'elle évalue à 3 000 euro environ sa marge sur la revente des véhicules ;
Qu'elle s'estime recevable à demander subsidiairement que la société Volkswagen Group France garantisse la société Socar ;
Qu'elle sollicite une compensation de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que cette cour observe tout d'abord qu'en la forme, la SARL Berchex, qui avait présenté en première instance une demande de condamnation de la société Socar sous astreinte à lui livrer des véhicules commandés, et subsidiairement à lui payer une indemnité provisionnelle de 613 000 euro, présente en cause d'appel une demande directe contre la société Volkswagen Group France, et que cette demande nouvelle est irrecevable conformément à l'article 564 du Code de procédure civile ;
Que la cour a rappelé le principe au cours des débats et que pour le compte de la société Berchex, il a été indiqué que ce moyen n'avait pas été soulevé par la société Volkswagen France, et qu'il serait en définitive équivalent de conclure à la garantie de cette société ;
Attendu cependant que cette irrecevabilité des prétentions nouvelles doit être actuellement relevée d'office conformément à la nouvelle rédaction de l'article 564 du Code de procédure civile, et que l'on ne voit pas ce qui permet au demandeur de solliciter la garantie d'un tiers aux lieu et place du défendeur ;
Attendu que la cour constate donc l'irrecevabilité de la demande nouvelle de provision présentée par la société Berchex contre la société Volkswagen Group France ;
Attendu qu'au fond, il est constant que la société Berchex, qui revend des véhicules haut de gamme en Algérie, a commandé en mai 2011 à la société Socar cinq véhicules qui lui ont été livrés sans difficultés ;
Attendu que dans les suites de cette affaire, elle a passé tout au long de l'année 2011 un nombre important de commandes, dont 58 le 23 mai 2011, et 59 le 2 juillet 2001 ;
Qu'elle a passé ensuite des commandes plus ponctuelles, mais que le 1er octobre 2011, elle a commandé encore 40 nouveaux véhicules ;
Qu'elle a commandé encore des véhicules le 4 novembre 2011 ;
Attendu qu'au total, elle a commandé 201 véhicules à la société Socar et que la plupart des bons de commande précisaient effectivement que les véhicules étaient destinés à l'exportation ;
Attendu cependant que la société Volkswagen Group France s'est rendue compte d'une anomalie, et qu'elle a annoncé son intention d'effectuer un contrôle qui a eu lieu le 13 octobre 2011 ;
Attendu que les conventions passées en effet entre la société Volkswagen Group France et la société Socar stipulaient dans un article 2.6 et 2.7 l'interdiction d'exporter les produits contractuels, et l'interdiction de vendre à des distributeurs qui n'appartiennent pas au réseau de distribution de la marque Volkswagen ;
Attendu que par courrier du 16 novembre 2011, la société Volkswagen Group France a demandé la cessation immédiate de la vente de véhicules neufs aux revendeurs hors réseau tels que la société Berchex et l'exportation des véhicules neufs en dehors de l'Union européenne ;
Attendu que par la suite, elle a annulé la commande des véhicules non encore fabriqués, mais qu'elle a demandé à la société Socar de prendre néanmoins livraison de ceux qui étaient d'ores et déjà disponibles ;
Attendu que dans les suites de cette injonction, une sorte d'arrangement partiel entre les parties a permis à la société Volkswagen Group France de reprendre les véhicules destinés à la société Berchex pour les faire écouler par d'autres membres de son réseau ;
Attendu que pour sa défense, la société Socar a invoqué essentiellement et continue d'invoquer une tolérance ou un accord tacite de la société Volkswagen Group France pour les ventes hors réseau ;
Attendu que les conséquences ont été relativement graves pour elle, puisque l'organisme de financement de la société Volkswagen, qui avait reçu des cessions de factures, lui a demandé un règlement de celles-ci, et que la possibilité de payer à terme lui a été au moins un temps supprimée ;
Attendu qu'à l'heure actuelle, il est constant que la plupart des véhicules commandés par la société Berchex ont été repris et écoulés par ailleurs ou ne sont plus disponibles à la fabrication ;
Que la société Berchex renonce donc à sa demande principale pour revenir à sa demande subsidiaire de paiement d'une provision ;
Attendu qu'il a déjà été indiqué que la demande présentée directement de ce chef contre la société Volkswagen Group France n'était pas recevable ;
Attendu qu'en ce qui concerne la demande présentée contre la société Socar, la cour observe que la société Berchex ne justifie actuellement d'aucune perte directe, même si elle a naturellement un manque à gagner non dénué d'importance, puisqu'elle avait prévu de livrer 68 véhicules en Algérie, où le destinataire avait déjà obtenu deux crédits documentaires de 1,3 million de dollars chacun ;
Attendu cependant que le responsable de la société Berchex savait naturellement que le réseau Volkswagen devait être en principe étanche, et que la commercialisation auprès d'intermédiaires non agréés était normalement prohibée ;
Qu'il a donc pris le risque de participer à la violation de l'interdiction d'une revente hors réseau contrairement aux dispositions du sixièmement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Que lui-même paraît admettre qu'il était bien conscient de ce risque, puisqu'il indique en page 10 de ses conclusions que le risque d'un refus de livrer opposé par le constructeur était pour le moins prévisible, surtout au vu des volumes commandés ;
Attendu que la société Socar est évidemment en défaut lorsqu'elle ne livre pas les commandes qu'elle a acceptées en dépit de l'interdiction de vendre hors réseau ;
Quelle invoque une tolérance de la société Volkswagen, mais que les éléments qu'elle produit sont actuellement des plus légers ;
Que la personne qui reçoit et traite une commande ne vérifie pas automatiquement sa destination finale, et que des tolérances occasionnelles pourraient difficilement légitimer une infraction qui concerne 200 véhicules ;
Attendu que la condamnation de la société Socar et celle de la société Volkswagen Group France paraissent relativement liées dans les souhaits et les prétentions de la société Berchex, qui verrait moins d'intérêt à obtenir une condamnation de la seule société Socar ;
Attendu que quoi qu'il en soit, il paraît nécessaire que le problème des responsabilités respectives soit traité globalement, et que la cour juge inopportune et partiellement contestable au moins la demande de provision présentée par la société Berchex dans les conditions précédemment retracées ;
qu'il convient de rappeler qu'en référé, l'octroi d'une provision n'est jamais qu'une faculté ;
Attendu que cette cour rejette par conséquent la demande provisionnelle présentée par la société Berchex ;
Que toutes les autres demandes plus amples émises de part et d'autre sont également rejetées, à l'exception de la demande présentée par la société Volkswagen Group France sur le fondement de l'article de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que cette cour met de ce chef à la charge de la société Socar une compensation de 1 500 euro ;
Que la société Socar est condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel de la société Volkswagen Group France contre l'ordonnance du 3 juillet 2012 du juge des référés du Tribunal de grande instance de Mulhouse ; Au fond, Donne acte à la SARL Berchex de ce qu'elle renonce à sa demande principale de condamnation sous astreinte à livrer les véhicules commandés en 2011 à la société Socar ; Declare irrecevable en appel la demande de provision présentée par la SARL Berchex contre la société Volkswagen Group France ; Reforme l'ordonnance entreprise, et statuant à nouveau, Rejette la demande de provision présentée par la SARL Berchex contre la société Socar, et Declare sans objet l'appel en garantie de la société Socar contre la société Volkswagen Group France ; Condamne la société Socar à payer à la société Volkswagen Group France une compensation de 1 500 euro (mille cinq cents euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes les autres demandes plus amples émise en première instance et en cause d'appel, en ce compris les demandes présentées par les autres parties sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Socar aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris ceux exposés par la SARL Berchex.