CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 31 octobre 2012, n° 10-07041
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Berge
Défendeur :
Gerca France Import (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
Mme Salmeron, M. Delmotte
Avocats :
SCP Boyer, Gorrias, SCP Rives Podesta, ASS Vacarie-Duverneuil, SCP Grange Lafontaine Valenti, Associés
Faits et procédure
Suivant contrat en date du 6 mai 2008, M. Eric Berge a conclu avec la SA Gerca France Import une mission d'agent commercial à durée indéterminée pour la distribution de ses produits (jouets, fleurs, articles de décoration pour le jardin et cadeaux) auprès d'une clientèle de grossistes, bazars, solderies et forains, situés sur un secteur géographique composé de 21 départements du grand Sud-Ouest.
Par lettre du 7 mai 2009, la SA Gerca France Import a notifié la rupture du contrat au motif qu'il n'avait pas atteint les objectifs prévus dans sa mission.
Par acte d'huissier en date du 1er octobre 2009, M. Eric Berge a assigné la SA Gerca France Import devant le Tribunal de grande instance de Toulouse pour faire juger que la rupture est abusive car il n'a commis aucune faute d'une gravité suffisante et la faire condamner à réparer l'entier préjudice subi et a demandé les sommes suivantes :
- 17 000 euro à titre d'indemnité compensatrice représentant 24 mois de commissions,
- 2 125 euro au titre de l'indemnité de préavis de trois mois,
- le solde des commissions qui lui sont dues,
outre les intérêts au taux légal à compter de la rupture du contrat intervenue le 7 mai 2009.
Il a sollicité également de condamner la SA Gerca France Import à produire, sous astreinte, les documents comptables lui permettant de vérifier le montant des commissions qui lui sont dues et de lui allouer 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, le tout avec exécution provisoire.
Par jugement du 14 janvier 2010, le Tribunal de grande instance de Toulouse a débouté M. Eric Berge de ses demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile et laissé les dépens à la charge de M. Eric Berge.
M. Eric Berge, bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, a interjeté appel le 23 décembre 2010.
M. Eric Berge a déposé des écritures le 21 avril 2011.
La SA Gerca France Import a déposé des écritures le 9 août 2011.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 juin 2012.
Moyens et prétentions des parties
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles 1134 et suivants, 1184 du Code civil, L. 134-1 et suivants, R. 134-1 du Code de commerce, M. Eric Berge conclut à l'infirmation de la décision de première instance. Il sollicite :
- la condamnation de la SA Gerca France Import à lui payer les sommes suivantes :
- 17 000 euro à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi,
- 2 125 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- le solde des commissions qui lui sont dues,
- 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la majoration de ces sommes au taux légal à compter de la rupture intervenue le 7 mai 2009,
- la condamnation de la SA Gerca France Import à produire, sous astreinte, les documents comptables lui permettant de vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.
L'appelant développe les moyens suivants :
- les premiers juges n'ont nullement caractérisé une faute grave dans l'exécution du contrat d'agent commercial, justifiant la privation de l'indemnité de rupture,
- le seul véritable grief invoqué par la SA Gerca France Import est l'insuffisance de résultats qui ne constitue pas la preuve d'une faute grave,
- la comparaison avec deux autres agents commerciaux n'est pas probante en étant dans l'ignorance de leurs conditions exactes d'activité,
- la carte géographique censée illustrer la localisation des interventions de M. Eric Berge sur son secteur est erronée, d'autant que l'absence de prise de commandes ne signifie pas absence de prospection et que la SA Gerca France Import est responsable de la baisse d'activités,
- la non-atteinte d'un objectif contractuel ne peut pas davantage constituer cette preuve alors même qu'en l'espèce l'objectif n'était pas raisonnable, son successeur ayant réalisé en cinq mois un volume d'activité légèrement supérieur au tiers de l'objectif assigné à l'appelant,
- sur le montant de l'indemnité compensatrice, le calcul habituellement pratiqué prenant en compte 24 mois de commissions aboutit à la somme de 14 664 euro qui doit être portée à 17 000 euro en raison du rachat du contrat à son prédécesseur, rachat pour lequel il s'est endetté,
- l'indemnité compensatrice de préavis correspond à trois mois contractuellement prévu.
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles, la SA Gerca France Import sollicite la confirmation du jugement entrepris ainsi que la condamnation de M. Eric Berge à lui payer la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée développe les moyens suivants :
- se prévalant d'une solide expérience et d'une parfaite connaissance des produits et du marché ainsi que du secteur géographique, M. Eric Berge avait lui-même évalué son objectif de chiffre d'affaires pour la première année à 750 000 euro HT, chiffre d'affaires dont il n'a jamais demandé la révision prévue contractuellement,
- il n'a réalisé que 10 % du chiffre d'affaires qu'il s'était fixé,
- en dépit d'une mise en demeure adressée le 10 février 2009, M. Eric Berge n'a pas modifié son comportement,
- en raison de l'exclusivité dont il bénéficiait, la situation était gravement préjudiciable pour la SA Gerca France Import, notamment par le risque créé,
- en travaillant sur l'intégralité du secteur, son prédécesseur et son successeur ont réalisé des chiffres d'affaires très supérieurs,
- les demandes indemnitaires, injustifiées dans leur principe, le sont dans le quantum, le contrat n'ayant reçu exécution que 11 mois pour un montant total de commissions perçues de 5 600 euro,
- la demande relative au solde des commissions est irrecevable n'étant pas chiffrée.
Motifs de la décision
Aux termes des articles 134-12 et 134-13 du Code du commerce : "En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi."
"La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :
1° La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;
2° La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée."
M. Eric Berge reprend intégralement les demandes présentées en première instance. Les premiers juges ont procédé à une analyse exacte et complète des éléments de la cause et ont au terme de cette analyse considéré par des motifs pertinents, que la cour adopte, que M. Eric Berge a commis une faute grave au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce constituée par une négligence dans la prospection de la clientèle pour laquelle il avait une exclusivité et une insuffisance d'activité.
Le contrat signé par les parties le 6 mai 2008 prévoyait dans son article V qu'il pourra être mis fin au contrat sans indemnité, si la non-réalisation des objectifs a pour cause une faute grave de l'agent commercial. Ce contrat listait 21 départements, dans le Sud-ouest de la France dans lesquels M. Eric Berge bénéficiait d'une exclusivité auprès de grossistes, bazars, solderies et forains, à l'exception de centrales d'achat et de quelques clients situés sur son secteur. L'objectif initial fixé dans le contrat était la réalisation d'un chiffre d'affaires minimum de 750 000 euro HT, avec possibilité d'une révision, qui n'a pas été sollicitée par M. Eric Berge, chaque année en début d'année civile.
La non-réalisation du chiffre d'affaires n'est pas contestée par M. Eric Berge qui soutient cependant à juste titre qu'elle ne suffit pas à caractériser une faute grave.
Mais, la lettre de résiliation envoyée le 7 mai 2009 vise expressément l'inexécution des obligations contractuelles de visites et de prospection de la clientèle sur l'intégralité des territoires géographique et de clientèle concédés à titre exclusif, tout en relevant que sur plusieurs semaines le chiffre d'affaires était nul. Cette correspondance faisait suite à deux envoyées les 10 février et 3 avril 2009.
Dans celle de février 2009, la SA Gerca France Import mettait en exergue la faiblesse du chiffre d'affaires réalisé tant par rapport à l'engagement mentionné dans le contrat que par rapport à son prédécesseur qui intervenait sur le même secteur, tout en demandant à l'appelant de préciser la stratégie qu'il comptait mettre en œuvre pour développer son activité.
Dans celle d'avril 2009, la SA Gerca France Import relevait que le carnet de commandes étant quasiment nul, leur fréquence conduisait le mandant à s'interroger sur le contenu de son activité.
L'article II du contrat d'agent commercial disposait que celui-ci a pour mandat de provoquer les commandes des produits qui vont générer un chiffre d'affaires à l'intérieur du secteur géographique défini et de les transmettre immédiatement au mandant.
Les réponses données par M. Eric Berge, par courriers des 15 février, 10 mai 14 mai 2009 ne fournissent pas d'éléments contraires à ceux apportés par le mandant qui a la charge de la preuve de la faute grave reprochée à son agent commercial, pas plus au demeurant que les attestations versées aux débats par l'appelant qui, au contraire, confortent les assertions de l'intimée sur le fait qu'il privilégiait les départements les plus proches de son domicile et négligeait les plus éloignés.
De plus, le relevé des commandes traduit à lui seul un défaut d'activité manifeste, étant constaté que pendant plusieurs semaines, certaines d'affilée, aucune commande n'a été passée. Si la perte de référencement des magasins Foir'Fouille et la rupture des relations avec une centrale d'achats espagnole ont eu un impact sur son chiffre d'affaires, elles ne peuvent pas expliquer la faiblesse de l'activité de prospection de l'appelant qui aurait dû être, au contraire, accrue pour compenser ces pertes de relations contractuelles. Il est à relever que M. Eric Berge s'est gardé, comme il le lui avait été demandé dans le premier courrier du 10 février 2009, de préciser sa stratégie commerciale.
Le manque de prospection, ainsi établi, doit être qualifié de faute grave, justifiant la rupture dans la mesure où elle entraîne des conséquences préjudiciables pour la société mandante, où elle a fait l'objet de reproches avant même la rupture et où elle ne pouvait que susciter une perte de confiance dans les capacités de l'agent. Or la première obligation de l'agent commercial est de provoquer des commandes.
En conséquence, M. Eric Berge n'a pas droit aux indemnités réclamées, peu important dès lors leur mode de calcul.
Par ailleurs, M. Eric Berge doit également être débouté de sa demande en paiement du solde des commissions qui lui sont dues, demande non chiffrée d'une part et pour laquelle les pièces fournies par l'intimée, notamment l'attestation comptable en date du 1er décembre 2009, établissent que les règlements sont à jour alors que l'appelant n'en fournit strictement aucune laissant présumer le contraire. Dès lors, il y a lieu également de rejeter la demande de production de justificatifs sous astreinte.
Enfin, M. Eric Berge qui n'obtient pas satisfaction, sera condamné aux dépens d'appel.
Par ces motifs : Confirme le jugement du tribunal de grande instance du 14 janvier 2010, Y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute M. Eric Berge et la SA Gerca France Import de leurs demandes de ce chef, Condamne M. Eric Berge aux dépens d'appel dont distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile.