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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 1, 23 octobre 2012, n° 11-10023

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Michel A. Chalhoub Inc. (Sté)

Défendeur :

Daum (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Acquaviva

Conseillers :

Mmes Guihal, Dallery

Avocats :

Mes Olivier, Augendre, Vatier, Lesénéchal, Jourde

T. arb. Paris, du 8 févr. 2011

8 février 2011

Par convention du 5 février 1976, la société Cristallerie Daum (ci-après dénommée la société Daum) a confié, pour une durée indéterminée, à Monsieur Michel A. Chalhoub, enregistré au registre du commerce de Beyrouth, la représentation exclusive et le contrôle des ventes de tous les articles fabriqués et vendus par elle, cette représentation devant s'exercer auprès des revendeurs qualifiés de différents pays du Proche et du Moyen Orient (Koweit, Bahrein, Quatar, Abu Dhabi, Dubaï, Muscat, Aden, Yémen, Arabie Saoudite, Irak, Egypte, Syrie, Jordanie et Liban).

Cet accord, soumis de convention expresse entre les parties au droit français, prévoyait une faculté de résiliation par chacune des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception, moyennant un préavis de six mois et comportait une clause compromissoire en cas de différend dans l'exécution du contrat.

Ce contrat qui a été ensuite transféré à la société Michel A. Chalhoub Inc. (ci-après dénommée la société Chalhoub), société de droit libérien dont le siège social initialement fixé à Monrovia (Liberia) a été successivement transféré à Koweit puis à Dubaï, s'est, sous réserve de divers aménagements intervenus d'un commun accord, poursuivi jusqu'à sa résiliation à effet du 31 décembre 2009, notifiée par lettre recommandée du 8 juillet 2009 par la société Daum à la société Michel A. Chalhoub Inc.

Après différents échanges, la société Michel A. Chalhoub Inc., prenant acte de la résiliation du contrat, a mis en demeure la société Daum de lui verser diverses sommes en réparation du préjudice consécutif à la rupture des relations contractuelles, outre le paiement d'un solde de commissions et le remboursement de dépenses marketing.

Cette demande étant demeurée vaine, c'est, dans ces conditions, que la société Chalhoub a soumis le différend à l'arbitrage en application de la clause compromissoire stipulée par l'article 12 du contrat.

Le tribunal arbitral composé de Monsieur Jean-Louis Delvové, Monsieur Xavier Boucobza arbitres et de Monsieur Jean-Claude Magendie, président, a rendu sa sentence à Paris le 8 février 2011 aux termes de laquelle elle a essentiellement :

- condamné la société Daum à payer à la société Chalhoub la somme de 140 912,20 euro au titre de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 134-[12] du Code de commerce,

- condamné la société Daum à payer à la société Chalhoub la somme de 229 031,02 euro au titre des commissions facturées et non réglées,

- dit que lesdites sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 janvier 2010,

- condamné la société Daum à payer à la société Chalhoub la somme de 7 000 euro à titre d'indemnité compensatrice d'insuffisance de préavis,

- débouté la société Chalhoub de ses autres demandes,

- débouté la société Daum de sa demande reconventionnelle,

- dit que chaque partie doit participer pour moitié au règlement des honoraires des arbitres,

- laissé à la charge de chaque partie le paiement des honoraires de son avocat,

- dit n'y avoir lieu au paiement de sommes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Chalhoub a formé un recours contre cette décision, demandant à la cour, par conclusions du 22 juin 2012, d'en prononcer l'annulation et de condamner la société Daum à lui verser une somme de 80 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Daum a conclu le 31 mai 2012 au rejet du recours et à la condamnation de la société Chalhoub au paiement d'une somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur quoi

- Sur le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public international (article 1520, 5° du Code de procédure civile)

La recourante fait valoir que la reconnaissance et l'exécution de la sentence serait contraire à l'ordre public international dès lors qu'en considérant que le contrat liant les parties pouvait s'analyser en un contrat d'agence commerciale et accessoirement en un contrat de fourniture et en faisant pour fixer l'indemnité compensatrice du préjudice subi une application distributive du régime applicable, le tribunal arbitral a violé l'ordre public du statut d'agent commercial, constitutif d'une loi de police qui commandait que l'indemnisation fût calculée sur la totalité des ordres transmis par la société Chalhoub à la société Daum.

Considérant que si le contrat d'agent commercial liant les parties est expressément soumis au droit français, les dispositions de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 portant statut des agents commerciaux, codifiée aux articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, transposition dans l'ordre juridique interne de la directive CE 86-653-CEE du Conseil du 18 décembre 1986 ne peuvent être regardées comme constitutives d'une loi de police applicable dans l'ordre international au sens de l'article 1520-5° du Code de procédure civile qu'autant que leur méconnaissance heurterait la conception française de l'ordre public international qui s'entendant de l'ensemble des règles et des valeurs dont l'ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance, même dans des matières internationales, n'est susceptible d'être atteinte qu'autant que l'agent commercial exerce son activité sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne ;

Qu'en effet, si tel n'est pas le cas, ces dispositions relèvent exclusivement de l'ordre public interne sans pouvoir être opposées à une sentence internationale ;

Considérant qu'est, dès lors, inopérant, nonobstant le fait que la loi française a été choisie par les cocontractants pour régir leurs relations, le moyen invoqué par la société Chalhoub qui a été désignée par la société Daum, commettant français, en qualité d'agent commercial pour le Koweit, Bahrein, le Quatar, Abu Dhabi, Dubaï, Muscat, Aden, le Yémen, l'Arabie Saoudite, l'Irak, l'Egypte, la Syrie, la Jordanie et le Liban.

- Sur le moyen tiré de la méconnaissance par les arbitres de leur mission (article 1520, 3° du Code de procédure civile)

La recourante fait grief aux arbitres d'avoir méconnu leur mission en fixant 'souverainement' le montant de l'indemnité due à l'agent commercial en fin de contrat et en ne motivant pas en droit le montant de l'indemnité complémentaire de préavis alors même qu'ils n'avaient pas reçu mission de statuer en amiable composition.

Considérant en premier lieu que pour fixer le montant de l'indemnité due en fin de contrat à l'agent commercial en application de l'article L. [134]-12 du Code de commerce, le tribunal arbitral a examiné, dans les limites du périmètre qu'il avait fixé au contrat d'agence commercial, les chiffres d'affaires réalisés au cours des trois dernières années, a exclu les chiffres d'affaires réalisé avec des acheteurs dont il a considéré qu'ayant disparu de la clientèle Daum après la rupture du contrat, ils avaient pu se reporter sur les sociétés du groupe Chalhoub et n'a retenu en définitive que ceux réalisés avec quatre clients ;

Considérant qu'après avoir rappelé que le chiffre d'affaires réalisé avec ces derniers s'était établi à une moyenne annuelle de 469 708 euro sur les trois dernières années, le tribunal arbitral qui, après avoir fait état des critères déterminants de son estimation, a fixé "souverainement" à 140 822,20 euro le montant de l'indemnité due par la société Daum à la société Chalhoub, s'est prononcé en droit en exerçant le pouvoir dévolu au juge de fixer, de manière souveraine, en fonction des éléments d'appréciation qui lui paraissent pertinents, la réparation du préjudice dont il a reconnu le principe.

Considérant en second lieu que si le tribunal arbitral après avoir rappelé que l'article 3 du contrat du 15 février 1976 stipule que "le contrat pourra être résilié de part et d'autre par lettre recommandée avec avis de réception, mise à la poste six mois avant la susdite résiliation", et relevé que le courrier de résiliation adressé par la société Daum à la société Chalhoub à effet du 31 décembre 2009 avait été expédié le 8 juillet 2009 ce dont il résultait que la société Chalhoub était "fondée à réclamer le paiement d'une somme pour insuffisance du préavis d'une durée de 10 jours", a estimé "compte tenu de cette courte période... équitable de fixer à 7 000 euro la somme réparant le préjudice causé de ce fait à la société demanderesse", la référence des arbitres à l'équité, pour impropre que soit le terme utilisé et la confusion qu'il peut induire, ne peut être regardée comme signifiant que ceux-ci ont entendu statuer en amiables compositeurs alors qu'ils n'en avaient pas reçu la mission, mais doit être regardée comme l'expression de l'appréciation souveraine des arbitres, conformément aux règles de droit, du préjudice subi par la société Chalhoub à raison d'un délai de préavis amputé de 10 jours.

Considérant que le grief, pris en ses deux branches, doit être écarté et le recours rejeté.

Considérant que la société Chalhoub qui succombe doit être condamnée aux dépens et au paiement d'une somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Rejette le recours en annulation de la sentence rendue entre les parties le 8 février 2011. Condamne la société Michel A. Chalhoub Inc. aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile et au paiement d'une somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.