Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch., 6 novembre 2012, n° 11-03566

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gima (SA)

Défendeur :

Hachette Filippacchi Associés (SNC), Hachette Filippacchi Presse (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rosenthal

Conseillers :

Mmes Brylinski, Poinseaux

Avocats :

Mes Jullien, Della Vittoria, Lissarrague, Bine Fischer

T. com. Nanterre, 9e ch., du 5 avr. 2011

5 avril 2011

Vu l'appel interjeté par la société Gima d'un jugement contradictoire rendu le 5 avril 2011 par le Tribunal de commerce de Nanterre lequel, refusant le bénéfice de l'exécution provisoire :

* a dit ses demandes recevables,

* a débouté la société Hachette Filipacchi Presse de sa demande d'être mise hors de cause,

* a débouté la société Gima de ses demandes indemnitaires à l'encontre des sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse,

* a condamné la société Gima à verser aux sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse in solidum la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les a déboutées du surplus de leurs demandes,

* a condamné la société Gima aux dépens ;

Vu les dernières écritures en date du 21 octobre 2011 par lesquelles la société Gima demande à la cour, outre divers Constater et Dire et juger, d'infirmer cette décision et :

* de condamner in solidum les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse à lui verser la somme 97 235 euro au titre du préjudice économique résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies,

* de condamner in solidum les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse à lui verser la somme de 30 000 euro au titre du préjudice moral résultant des conditions de la rupture des relations commerciales établies,

* de condamner in solidum les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse à lui verser la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel avec distraction ;

Vu les dernières écritures en date du 31 août 2011 par lesquelles les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse prient la cour, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, de recevoir leur appel incident, de réformer le jugement déféré et :

* de déclarer irrecevables et mal fondées les demandes formées à l'encontre de la société Hachette Filipacchi Presse,

* de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Gima de toutes ses demandes formulées à l'encontre de la société Hachette Filipacchi Associés et l'a condamnée à leur verser la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

* y ajoutant, de condamner la société Gima à leur verser la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en ce qui concerne la procédure d'appel, et aux dépens avec distraction ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :

* Les 10 juin 1994 et 1er janvier 2000, la société Gima, régie publicitaire spécialisée dans la commercialisation d'espaces publicitaires auprès d'annonceurs, a conclu successivement avec la société EDI 7, aux droits de laquelle vient la société Hachette Filipacchi Associés, deux contrats de régie publicitaire pour l'exploitation exclusive des espaces publicitaires du magazine "Elle Décoration" ;

* le 1er septembre 1999, la société Gima a conclu avec la société Hachette Filipacchi Associés, un contrat de régie publicitaire exclusive pour le magazine "Elle à Table" ;

* le 19 mars 2001, la société Gima a conclu avec la société Bonnier Hachette Publications, aux droits de laquelle vient la société Hachette Filipacchi Presse, un contrat de régie publicitaire exclusive pour le magazine "Journal de la Maison", à effet du 1er janvier 2001 ;

* ces contrats étaient conclus pour une durée de deux ans, renouvelables par tacite reconduction sauf dénonciation, par lettre recommandée avec accusé de réception, respectant un préavis de six mois ;

* la société Gima gérait la vente des espaces publicitaires, encaissait le montant total des ventes puis le reversait aux éditeurs des titres, déduction faite de sa commission ;

* le 2 février 2004, la société Gima a déposé le bilan et, par ordonnance du 25 novembre 2004, le Tribunal de commerce de Nanterre a admis les créances déclarées par les sociétés Hachette Filipacchi Associés, Hachette Filipacchi Presse et Hachette Déco Publications, pour un montant global de 664 574 euro ;

* par avenants du 11 février 2004, les clauses de renouvellement des trois contrats de régie publicitaire ont été modifiées et ramenées à un an, sauf dénonciation avec préavis de trois mois, et les encaissements des ventes, sauf la rémunération de la société Gima, ont été confiés à une société tierce ;

* le 19 février 2004, le Tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Gima et a nommé Maître Gay comme administrateur judiciaire et la société Hachette Filipacchi Associés comme contrôleur de la procédure ;

* le 14 février 2005, le fonds de commerce de la société Hachette Filipacchi Presse exploitant la publication Le Journal de la Maison a été donné en location-gérance à la société Hachette Filipacchi Associés ;

* par jugement du 21 avril 2005, le Tribunal de commerce Nanterre a homologué un plan de continuation et désigné Maître Gay en tant que commissaire à l'exécution du plan ; suivant leur choix, les éditeurs ont perçu 25 % de leur créance par jugements des 21 avril 2005 et 5 avril 2007 ;

* par trois courriers recommandés avec accusé de réception en date du 29 septembre 2009, expédiés le 30 septembre 2009 et reçus par la société Gima le 5 octobre 2009, la société Hachette Filipacchi Associés a notifié à la société Gima la résiliation des trois contrats de régie publicitaire à leur prochaine échéance, soit le 31 décembre 2009, refusée comme tardive par la société Gima ;

* par acte d'huissier de justice du 2 mars 2010, la société Gima a assigné les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse devant le Tribunal de commerce de Nanterre en réparation des préjudices subis du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales ;

Sur la mise hors de cause de la société Hachette Filipacchi Presse :

Considérant que les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse, rappelant que la société Gima recherche la responsabilité délictuelle et non contractuelle de la société Hachette Filipacchi Presse, soulignent que cette dernière n'exerçait plus aucun rôle dans la gestion du Journal de la Maison depuis 2005, à la suite de la mise en location-gérance de son fonds de commerce, dans le cadre de laquelle la société Hachette Filipacchi Associés s'était engagée à assumer la responsabilité de la résiliation à venir des contrats ;

qu'elles font valoir qu'en application des articles L. 144-1 et suivants du Code de commerce, les risques et périls de l'exploitation ont été transférés au locataire, passé le délai de six mois de responsabilité solidaire avec le loueur ;

Considérant que la société Gima leur oppose les dispositions de l'article 1165 du Code civil et l'absence de transfert des contrats opéré par la mise en location-gérance ;

Considérant que la société Gima recherche, sur l'unique fondement de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, la responsabilité délictuelle de l'auteur de la rupture des relations commerciales ; que seule la société Hachette Filipacchi Associés, assumant la responsabilité du transfert des contrats, lui en a notifié la résiliation ; que la demande formée à l'encontre de la société Hachette Filipacchi Presse sera rejetée ;

Sur la brutalité de la rupture des relations commerciales :

Considérant que la société Gima soutient la brutalité de cette rupture et le défaut de prise en compte de la durée, supérieure à quinze ans, de la relation commerciale, par le préavis de trois mois, et non d'un an ainsi qu'il aurait dû être fixé, eu égard à l'importance de la marge dégagée par ces contrats, de l'image liée au renom des publications, de la fragilité de sa situation financière et de l'absence de reproche sur ses performances ;

qu'elle souligne le défaut de respect du préavis contractuel de trois mois, les notifications de résiliation en date du 30 septembre 2009 ayant été reçues le 5 octobre 2009, soit moins de trois mois avant l'expiration de la période en cours, le 31 décembre 2009 ;

Considérant que les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse lui opposent le respect du cadre contractuel de la rupture, dont la notification a été expédiée dans le délai, soit le 30 septembre 2009, date d'expression de la volonté de rupture ;

qu'elles contestent la brutalité de la rupture, prévisible en raison du désintérêt croissant de la société Gima dans le traitement des dossiers de la société Hachette Filipacchi Associés, dont les ventes ont chuté de 50 % entre 2006 et 2009, alors que le chiffre d'affaires de la société Gima croissait et que ses charges de personnel régressaient, signes d'un redéploiement de ses activités en direction d'autres clients ;

qu'elles font valoir l'exercice de son droit de suite par la société Gima durant l'année 2010, lui permettant de percevoir des commissions de l'ordre de 39 454 euro, correspondant à plus d'un trimestre d'activité, ainsi que l'absence de mention de la rupture à son rapport de gestion, et demandent subsidiairement à voir limiter le délai de préavis réclamé à six mois ;

Considérant qu'en droit, aux termes de l'article L. 442-6-I du Code de commerce, Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, (...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;

que chacun des contrats se renouvelait par tacite reconduction, aux termes de leur article 9, pour des périodes de un an sauf dénonciation préalable, par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception au moins trois mois avant l'expiration de la période en cours, sans indemnité ;

que les lettres de résiliation ayant été adressées le 30 septembre 2009, ainsi que l'établit le cachet de La Poste, à la société Gima, celle-ci ne peut se prévaloir, à l'appui d'une demande fondée sur l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, d'une violation des dispositions contractuelles, étant observé que la dénonciation est intervenue dans le délai prévu, les contrats expirant le 31 décembre 2009 ; que la société Gima a bénéficié durant l'année 2010 du droit de suite attaché aux contrats précédemment conclus ;

qu'en l'espèce, il est acquis que les relations commerciales continues des parties sont établies à compter de l'année 1994 pour le magazine Elle Déco, 1999 pour le titre Elle à table et 2001 pour le Journal de la Maison ;

que leur ancienneté n'étant pas contestée, il convient également d'apprécier la durée du préavis et la brutalité de la rupture au regard de ces relations commerciales ; qu'à cet égard, le tribunal de commerce a justement relevé que les difficultés financières de la société Gima en 2004, caractérisées par son dépôt de bilan, ont occasionné aux sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse un préjudice, par l'abandon des deux-tiers de leur créance d'un montant total de 664 574 euro ;

que les relations commerciales des parties ont alors évolué, la méfiance des sociétés Hachette Filipacchi se traduisant par le retrait de l'encaissement du produit des ventes, la durée des contrats étant ramenée de deux à un an et le délai de préavis de six à trois mois ;

que, cependant, le maintien des relations entre les parties a contribué à la mise en place du plan de continuation de la société Gima, dont l'évolution positive du chiffre d'affaires témoigne de la diversification de la clientèle, en dépit de la chute de son volume d'activité avec les sociétés Hachette Filipacchi ;

qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments constituant les relations commerciales entre les parties, la durée du préavis accordé ne caractérise pas la brutalité de la rupture alléguée ;

Sur les circonstances de la rupture :

Considérant que la société Gima soutient le caractère abusif de la rupture, en l'absence de grief et de motif, et au vu du courrier adressé par les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse à l'ensemble des annonceurs et les informant de la rupture, sans attendre sa réponse aux courriers de résiliation ;

qu'elle reproche, sur ce point, aux premiers juges, la prise en compte de l'absence de mention de la perte d'un client important, à son rapport de gestion sur les comptes 2009, alors que le commissaire à l'exécution du plan l'avait assurée de l'irrégularité des résiliations et que le rapport de gestion n'était que formel, en raison du caractère familial de la société ;

Considérant que les sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse concluent au rejet des demandes ;

Considérant qu'en usant de la faculté de résiliation contractuellement prévue, la société Hachette Filipacchi Associés n'a commis aucun abus et que l'avertissement de reprise de la commercialisation des publicités, adressé le 20 novembre 2009 aux annonceurs, ne constitue pas une circonstance permettant à elle seule la réparation d'un préjudice moral ; que la demande sur ce point de la société Gima sera rejetée ;

Sur les autres demandes :

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser aux sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse la charge de leurs frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, - Confirme la décision déférée, sauf sur le rejet de la demande de mise hors de cause de la société Hachette Filipacchi Presse, - Statuant à nouveau sur ce point, Rejette les demandes formées à l'encontre de la société Hachette Filipacchi Presse, - Y Ajoutant, Condamne la société Gima à payer aux sociétés Hachette Filipacchi Associés et Hachette Filipacchi Presse ensemble la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - Condamne la société Gima aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile, - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.