CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 14 novembre 2012, n° 12-15494
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
I-Gen Healthcare Corporation Ltd (Sté)
Défendeur :
Deshayes, Aexxdis (Sté), Laboratoires Iprad Santé (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roche
Conseillers :
M. Vert, Mme Luc
Avocats :
SCP Regnier-Bequet-Moisan, Mes Baechlin, Christiaen, Pamart, Rodrigue Moriconi, Samyn, Levy
Vu le jugement du 19 juin 2012 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a :
- prononcé la résiliation du contrat du 6 février 2009 liant les sociétés I-Gen Healthcare Corporation Ltd et Laboratoires Iprad Santé, aux torts de la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd et à la date du 9 février 2010, débouté la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd de toutes ses demandes en paiement,
- condamné la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd à payer à la société Laboratoires Iprad Santé la somme de 3 722 266 euro, déboutant du surplus des demandes,
- condamné la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd à payer à la société Laboratoires Iprad Santé 60 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,
- condamné la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd aux dépens.
Vu la déclaration d'appel formée le 16 août 2012 par la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd,
Vu l'ordonnance du 16 août 2012 par laquelle le délégataire du Premier Président de la Cour d'appel de Paris a autorisé la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd à interjeter appel à jour fixe de la décision susvisée ;
Vu les conclusions de la société I-Gen Healthcare Corporation Ltd du 19 septembre 2012,
Vu les conclusions de la société Laboratoire Iprad Santé du 18 septembre 2012,
Vu les conclusions de la société Aexxdis et de Mme Deshayes du 19 septembre 2012,
Sur ce
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société I-Gen Healthcare Corporation Ltd (ci-après I-Gen) constituée sous les lois de Hong-Kong, développe et fabrique des produits dans le domaine de la biotechnologie, notamment un dispositif médical destiné à la rééducation périnéale de l'incontinence urinaire féminine, dénommé "Gynfii".
La société Laboratoire Iprad Santé (ci-après Iprad) développe et commercialise pour sa part des médicaments et des produits de santé et de bien-être distribués en pharmacies et parapharmacies. Fin 2008, Mme Marie-José Deshayes, alors vice-présidente de la société Aexxdis, société spécialisée dans la fabrication de dispositifs médicaux et le commerce de gros de produits pharmaceutiques, informe Iprad de la mise au point d'un nouveau produit, le "Gynfii", mis au point par I-Gen.
Début 2009, Iprad décide de pénétrer ce marché et entre en relation avec I-Gen.
Par contrat du 6 février 2009, I-Gen confie à Iprad la distribution exclusive du "Gynfii" pour une durée de dix ans.
Ne remplissant toutefois pas les critères requis pour obtenir la certification technique du produit en tant que fabricant, Iprad fait appel à la société Aexxdis, spécialisée dans la fabrication de dispositifs médicaux et le commerce de gros de produits pharmaceutiques pour obtenir ladite certification.
En juin 2009, conformément aux termes du contrat, Iprad paie à I-Gen 300 000 euro représentant le tiers des droits de commercialiser le Gynfii à titre exclusif, et elle passe une première commande pour 1 489 050 euro dont elle règle 40 %, comme prévu au contrat.
En conséquent dès le mois de juillet 2009, Iprad avait déjà réglé à I-Gen la somme de 895 620 euro.
Le 1er juillet 2009, Iprad signe avec Aexxdis pour le même produit un contrat de distribution et de dépôt, d'une durée d'un an renouvelable.
La plupart des produits livrés par I-Gen s'avérant non conformes, Iprad les réexpédie à I-Gen.
A partir de septembre 2009 sont apparues des anomalies tenant à la présence de courants monophasiques, confirmées par des rapports scientifiques et contraignant Iprad à retirer le Gynfii du marché. I-Gen rapatrie les produits en usine.
En février 2010, I-Gen livre trois prototypes d'un Gynfii de remplacement ; les courants monophasiques ont quasiment disparu, mais des problèmes majeurs apparaissent rendant les produits non fonctionnels et donc non commercialisables
La commercialisation qui devait débuter en septembre 2009 est donc reportée sine die. Iprad souhaite alors renégocier le contrat avec I-Gen.
Sur ce est rendue le 23 mars 2010 une ordonnance du président du Tribunal de commerce de Paris, à la demande d'Akontis, propriétaire d'un brevet portant sur le "Keat", produit concurrent du Gynfii et de Codepharma, à laquelle Akontis a accordé une licence de commercialisation exclusive du Keat.
En effet, par contrat du 19 décembre 2006, Codepharma, sous la signature de sa dirigeante de l'époque, Mme Deshayes, avait confié la distribution du Keat à Aexxdis en sa qualité de dépositaire pharmaceutique agréé, pour une durée de trois ans, renouvelable. Codepharma n'avait pas renouvelé le contrat, qui avait donc expiré en décembre 2009. Or, le 1er juillet 2009 était signé le contrat entre Aexxdis et Iprad alors que Mme Deshayes, qui était présidente de Codepharma, avait quitté cette société sur une rupture transactionnelle et était devenue entre-temps vice-présidente d'Aexxdis. Alors que Mme Deshayes et Aexxdis étaient liées à Codepharma par une obligation de secret professionnel, Codepharma et Akontis, leur reprochant la violation de leur obligation, demandent en référé la suspension du contrat liant Iprad et Aexxdis et l'interdiction de poursuivre la commercialisation du Gynfii.
Par ordonnance de référé rendue par le président du Tribunal de commerce de Paris le 23 mars 2010, et confirmée par arrêté du 24 novembre suivant, il était notamment fait interdiction à Aexxdis et Iprad de commercialiser le Gynfii.
Par lettre recommandée AR du 20 avril 2010, Iprad demande à Aexxdis, compte tenu de ce qui précède, la résiliation du contrat de distribution conclu entre elles le 1er juillet 2009. De son côté, I-Gen réclame paiement à Iprad de sommes qu'elle estime lui être dues.
C'est ainsi qu'est née la présente instance et qu'est intervenu le jugement susvisé présentement déféré.
Sur la recevabilité des demandes de condamnations formées en cause d'appel par I-Gen à l'encontre de la société Aexxdis et de Mme Deshayes :
Considérant que dans ses dernières conclusions récapitulatives régularisées à l'audience du 26 septembre 2011 et rappelées dans le jugement du 19 juin 2012, I-Gen ne formule que des demandes à l'encontre d'Iprad sur le fondement des articles 1134 et 1184 du Code civil et n'émet aucune prétention à l'égard d'Aexxdis et de Mme Deshayes ; qu'il sera rappelé que le droit d'intimer en appel tous ceux qui ont été parties en première instance n'emporte pas celui de présenter des prétentions à l'encontre des parties contre lesquelles l'appelant n'avait pas conclu en première instance ; que, par suite, et en application de l'article 564 du Code de procédure civile, ne peuvent qu'être déclarées irrecevables comme nouvelles les prétentions soumises à la cour par I-Gen à l'encontre des intimées susvisées ;
Sur la recevabilité de la demande de résiliation judiciaire du contrat de distribution exclusive en date du 6 février 2009 présentée par Iprad :
Considérant que dans ses conclusions récapitulatives régularisées à l'audience du 27 juin 2011 Iprad sollicite du Tribunal de commerce de Paris qu'il prononce "la résolution judiciaire du contrat de distribution exclusive du 6 février 2009" ; que si, aux termes du dispositif des écritures d'Iprad communiquées devant la Cour d'appel de Paris, il est, désormais, demandé à la cour de "prononcer la résiliation judiciaire du contrat de distribution exclusive du 6 février 2009 à compter du 23 mars 2010", cette demande présentée pour la première fois en cause d'appel doit être regardée comme la conséquence ou le complément de la résolution initialement sollicitée ; qu'elle sera ainsi déclarée comme étant recevable ;
Au fond
Sur la demande de résiliation du contrat du 6 février 2009 :
Considérant qu'il sera liminairement rappelé que le fait générateur entraînant la responsabilité contractuelle du vendeur consiste dans l'inexécution, l'exécution tardive, incomplète ou défectueuse de l'obligation de délivrance ;
Considérant en l'espèce, qu'I-Gen, fabricant du produit Gynfii, a confié à Iprad la commercialisation exclusive de ce produit par contrat de distribution du 6 février 2009 ; que le contrat entrait en vigueur aux termes de l'article 1.2 auquel renvoie l'article 3.1 (durée du contrat), à "compter de la notification par I-Gen... à Iprad de l'obtention officielle de la certification de Gynfii ouvrant droit à la prise en charge ou au remboursement du prix du Gynfii par les organismes sociaux" ; que I-Gen s'engageait, aux termes de l'article 5.4 dudit contrat, à "livrer un Produit conforme, notamment aux Caractéristiques, aux Améliorations, à l'accord technique conclu entre les Parties figurant à l'annexe 3 du Contrat, et au marquage CE 0434 répondant aux critères de la classe Ha des dispositifs médicaux, et dans les conditions plus généralement écrites à l'article 8 et à l'article 15 ci-dessous" ; que l'article 8.3 précisait : "Iprad vérifiera l'état des Produits à leur arrivée au lieu de livraison et devra notifier sans délai à I-Gen... tout défaut apparent"; que l'article 8.4 ajoutait : "dans l'hypothèse où Iprad constaterait ultérieurement qu'un Produit n'est pas conforme aux garanties prévues à l'article 5 ci-dessous, elle devra notifier les défauts constatés à I-Gen... dans un délai de soixante (60) jours à compter de la découverte du défaut";
Considérant, toutefois, que des défauts de conformité et diverses anomalies sont apparus sur les produits livrés par I-Gen rendant impossible leur commercialisation par Iprad et nécessitant plusieurs retours chez I-Gen ; que, par ailleurs, cette dernière ne peut utilement reprocher à Iprad de ne l'avoir avisée qu'en septembre 2009 d'un défaut qui n'était pas apparent, en l'espèce l'existence de courants monophasiques qui ont nécessité des expertises techniques de professionnels pour les relever, le délai pour aviser I-Gen dans ce cas étant alors de "soixante (60) jours à compter de la découverte du défaut", comme le prévoit le contrat ; que si l'appelante soutient, néanmoins, que le "prototype n° 1 de septembre 2009 n'était pas atteint d'un défaut de conformité au sens du contrat" et que tel était également le cas "du prototype final de février 2010" et qu' "aucune stipulation contractuelle n'imposait l'usage de courants biphasiques et non monophasiques", il ressort des pièces du dossier, et notamment du rapport effectué par le professeur Pigne et des tests effectués dans le laboratoire de l'Inserm le 23 février 2010, que les produits considérés étaient alors non fonctionnels et, donc non commercialisables ; que la dangerosité du produit, liée notamment à la présence de courants monophasiques pouvant menacer gravement l'intégrité physique des utilisatrices fut au demeurant confirmée par la doctrine médicale dominante et le professeur Cappeletti a d'ailleurs remis à Iprad le 25 décembre 2009 un rapport rappelant les différents défauts qui ont frappé les versions successives du produit livré par I-Gen à Iprad ; que le 11 février 2010, soit près de 120 jours après la notification des défauts, soit avec 30 jours de retard et après plusieurs essais ultérieurs infructueux, I-Gen devait livrer à Iprad trois prototypes du Gynfii de remplacement ; que si les courants monophasiques avaient effectivement disparu sur les nouveaux modèles, ceux-ci présentaient néanmoins des défauts les rendant non fonctionnels et non commercialisables ; qu'Iprad a acté lesdits défauts dans un rapport d'évaluation synthétique du 23 février 2010 et I-Gen reconnaît ces non-conformités à l'usage envisagé dans un courriel du 1er mars 2010 émanant de M. Hagege ; que, par suite, le contrat devant être résilié à la date où le débiteur de l'obligation a manqué à l'exécution lui incombant, c'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résiliation du contrat susvisé aux torts de I-Gen qui n'a pas rempli son obligation de délivrance et ont retenu à cet effet la date du 9 février 2010, date à laquelle Iprad a refusé de prendre livraison de la dernière version proposée ; que ne saurait être retenue une date ultérieure dès lors que le fondement même de la résiliation est le manquement contractuel ci-dessus analysé et l'ordonnance de référé du 23 mars 2010 dont excipe désormais Iprad ne sanctionne aucunement une telle inexécution conventionnelle ;
Sur les montants respectivement réclamés par I-Gen et Iprad :
Considérant que la résiliation étant intervenue aux torts de I-Gen, celle-ci ne peut qu'être déboutée de l'ensemble de ses prétentions formées tant à titre principal que subsidiaire ;
Considérant que s'agissant des demandes indemnitaires présentées par Iprad la cour fait siens les motifs et le mode de calcul retenus par les Premiers Juges pour prononcer les condamnations énoncées par le jugement entrepris ; que la société Iprad sera ainsi déboutée du surplus de ses prétentions de ce chef ;
Sur la mise en cause de la société Aexxdis et de Mme Deshayes par Iprad :
Considérant que la société Aexxdis et Mme Deshayes n'ont été mises en cause que sur le fondement de l'interdiction faite à Iprad par l'ordonnance de référé du 23 mars 2010 de poursuivre la commercialisation du produit, interdiction postérieure à la résiliation du contrat et donc sans effet sur la relation contractuelle entre I-Gen et Iprad, laquelle a trouvé son terme antérieurement ; qu'il y a ainsi nécessairement lieu de rejeter les demandes de condamnation solidaire sollicitées à l'encontre des intéressées par Iprad ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il convient de dire I-Gen irrecevable en ses demandes nouvelles à l'encontre de la société Aexxdis et de Mme Deshayes et de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, les parties étant déboutées du surplus de leurs prétentions respectives.
Par ces motifs : Dit la société I-Gen irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Aexxdis et de Mme Deshayes, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions respectives, Condamne la société I-Gen aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, les dépens d'appel exposés par la société Aexxdis et Mme Deshayes étant mis à la charge in solidum de la société I-Gen et de la société Iprad, Condamne la société I-Gen à verser à la société Iprad la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne enfin in solidum la société I-Gen et la société Iprad à verser à la société Aexxdis et à Mme Deshayes la somme de 6 000 euro au titre des frais hors dépens.