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Décisions

CA Caen, 2e ch. soc., 9 novembre 2012, n° 10-03785

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Schuhmann

Défendeur :

KPMG (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisseau

Conseillers :

Mmes Guenier-Lefevre, Lebas-Liabeuf

Avocats :

Mes Levet, Pouchin Rebmann

Cons. prud'h. Caen, du 25 juin 2009

25 juin 2009

FAITS ET PROCEDURE

Le 1er septembre 1983, monsieur Alain Schuhmann était embauché en qualité d'expert-comptable par la société KPMG Fiduciaire de France, aux droits de laquelle se présente la société KPMG.

A compter du 1er octobre 1992, il était promu au rang de chef de mission, indice 140 de la convention collective.

Le 12 octobre 1998, monsieur Schuhmann était licencié pour insuffisance professionnelle.

Le 19 octobre 1998, était signé un accord transactionnel entre l'employeur et l'ancien salarié, aux termes duquel était versée à ce dernier une indemnité de 125 000 francs.

Le 1er février 2008, monsieur Schuhmann saisissait le Conseil de prud'hommes de Caen en vue d'obtenir le paiement de la somme de "60 000 euro à titre de dommages et intérêts en raison du non versement d'une contrepartie financière suite à l'application de la clause de non-concurrence", outre 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 25 juin 2009, le Conseil de prud'hommes rejetait l'ensemble des demandes formées contre la société KPMG, ainsi que la demande reconventionnelle présentée par cette dernière au titre du caractère abusif de la procédure.

Vu le jugement du 25 juin 2009 dont le dispositif est le suivant :

"Déboute Monsieur Alain Schuhmann de l'ensemble de ses demandes,

Déboute la société KPMG de sa demande reconventionnelle,

Condamne Monsieur Alain Schuhmann aux dépens."

Vu les conclusions de monsieur Alain Schuhmann, appelant, déposées et soutenues à l'audience,

Vu les conclusions de la société KPMG, appelante incidente, déposées le 31 août 2012 et soutenues à l'audience,

MOTIFS

L'article 6 du contrat de travail signé entre les parties le 25 mai 1993 prévoit qu'"en cas de cessation de sa collaboration, à quelque époque et pour quelque cause que ce soit, l'associé s'interdit (...)

4° d'apporter sous quelque forme que ce soit sans autorisation préalable écrite de la société, sa collaboration à l'un des clients de celle-ci, en qualité d'expert-comptable, comptable agrée, commissaire aux comptes, comptable indépendant, expert-fiscal, juridique ou économique, organisateur conseil ou prestataire de services informatiques ou sous toute autre dénomination correspondant en fait à l'exercice de l'une de ces professions ou activités, (...)

5° de s'installer ou de travailler au titre d'une profession citée au 4° ci-dessus dans le ou les secteurs où il aura exercé ses fonctions au cours des trois dernières années précédant la date de son départ et, de toute manière, dans un rayon de cent kilomètres à partir de chacune de ses résidences professionnelles au cours de cette même période.

Les interdictions visées au 4° et 5° auront effet, que l'associé exerce personnellement ou en société ou qu'il entre au service d'un tiers. Elles portent sur une durée de trois ans à dater de la cessation de ses fonctions."

Pour sa part, l'accord transactionnel du 19 octobre 1998 stipule en premier lieu, que :

"1. sans que cela puisse être considéré comme la reconnaissance du bien fondé des critiques de monsieur Alain Schuhmann sur la mesure dont il fait l'objet, la société KPMG fiduciaire de France accepte de reconnaître que compte tenu de son ancienneté et de sa situation personnelle, que son licenciement lui fait subir un préjudice de nature particulière dont il accepte d'en assurer la réparation en lui versant une indemnité transactionnelle et irrévocable de 125 000 francs. (...),"

En second lieu, il est précisé :

"5. La société KPMG Fiduciaire de France s'est refusée d'accéder à la demande de monsieur Alain Schuhmann relative à la levée de son obligation de non-concurrence. Il demeure néanmoins que dans le cas où il viendrait à s'installer dans la zone géographique où l'interdiction lui en est faite, ou à trouver un emploi chez un client, la société KPMG Fiduciaire de France ne lui opposerait les dispositions du contrat de travail de monsieur Alain Schuhmann que dans le seul cas d'un comportement déloyal (...)."

Alors que monsieur Schuhmann considère que les dispositions de l'accord transactionnel n'ont pas remis en cause la clause de non-concurrence à laquelle il s'est d'ailleurs soumis conformément aux demandes expresses de la société KPMG fiduciaire de France, cette dernière soutient au contraire, que l'accord transactionnel a expressément mis fin à la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail et qu'à tout le moins, l'indemnisation versée dans le cadre de la transaction indemnisait aussi le préjudice né pour monsieur Schuhmann de l'obligation de s'y soumettre.

Sur ce,

La clause de non-concurrence est traditionnellement reconnue comme ayant pour objet d'interdire au salarié d'exercer une activité professionnelle concurrente après la rupture du contrat de travail.

Elle ne se confond pas avec l'obligation générale de loyauté à laquelle le salarié est soumis pendant l'exécution de son contrat de travail.

Il est désormais admis que pour être valable, elle doit être justifiée par les intérêts légitimes de l'entreprise, être limitée dans le temps et dans l'espace, et, quelle que soit sa date de conclusion, comporter une contrepartie financière.

La clause figurant au contrat de monsieur Schumann ne comportait pas de contrepartie financière, ce que les parties ne contestent pas, la nullité de cette dernière devant dès lors être considérée comme acquise.

L'accord transactionnel quant à lui, fait expressément référence au refus d'accepter la levée de la clause de non-concurrence de la part de la société KPMG Fiduciaire de France, laquelle se donne notamment pour fonction de prodiguer du conseil juridique, et se trouve donc particulièrement au fait des conséquences de ses engagements dans ce domaine.

Le fait que ce même accord prévoit que ne seront opposées les dispositions du contrat de travail (ce qui sous-entend justement, la clause de non-concurrence), qu'en cas de comportement déloyal de monsieur Schuhmann, ne peut cependant conduire à considérer que l'employeur a renoncé à ladite clause, alors même que le paragraphe en cause, fait expressément référence à "l'interdiction [qui] lui est faite" de s'installer dans une zone géographique ou de trouver un emploi chez un client.

Et, l'interprétation en référence à la commune intention des parties, ne permet pas d'attacher à la notion de "comportement déloyal", la même signification que la notion de concurrence déloyale.

En effet, outre que le terme "concurrence" n'est pas employé, la société KPMG démontre elle-même que son interprétation n'était pas celle-ci, puisqu'elle a adressé le 15 juillet 1999, puis le 22 novembre suivant, un courrier à son ancien salarié, dans lequel, elle lui rappelait justement par référence à la clause de non-concurrence, son obligation de "ne conserver aucune relation professionnelle directe ou indirecte avec les (ou l'une des), sociétés du groupe Perurena", aucune référence n'étant faite à ce stade à des actes de concurrence déloyale, que la société KPMG continue d'ailleurs, dans le cadre du présent contentieux, à ne pas caractériser.

Dès lors, il ne peut être considéré que les dispositions de l'accord transactionnel conduisaient à l'abandon pur et simple, par l'employeur de toute clause de non-concurrence, laquelle, faute de toute contrepartie financière prévue, ne peut qu'être reconnue comme nulle.

Par ailleurs, les modalités de rédaction de l'accord transactionnel ci-dessus rappelé, permettent d'exclure que l'indemnité versée au salarié dans le cadre de l'accord intervenu, englobait une éventuelle contrepartie financière aux interdictions résultant de la clause de non-concurrence.

En effet, l'accord précise dans un premier temps, et sous un alinéa premier, que les 125 000 francs sont versés en réparation du préjudice qui résulte pour le salarié de son licenciement, et dans un deuxième temps, sous un deuxième alinéa qu'"en contrepartie de l'indemnité transactionnelle, monsieur Alain Schuhmann renonce à toute action prud'homale", la question de la clause de non-concurrence à laquelle l'employeur se refuse de renoncer n'étant évoquée qu'après.

En outre, la formulation générale selon laquelle "les parties entendent se désister (...) et renoncer expressément à toutes instances et actions qui trouveraient leur fondement dans la formation, l'exécution et la rupture des relations de travail ayant existé entre elles ainsi que sur les faits et décisions mentionnés dans la présente convention" ne peut impliquer de conséquences sur l'action que le salarié a mis en œuvre relativement à la clause de non-concurrence, alors que l'application de cette dernière et les conséquences qui ont sont résultées pour lui ne relève ni de la formation ni de l'exécution, ni à proprement parler de la rupture du contrat de travail.

S'agissant "des faits et décisions mentionnés dans la présente convention", le maintien de la clause de non-concurrence sans contrepartie ne peut être considérée comme une décision objet de la transaction, aucun désistement ou aucune renonciation aux instances concernant ladite clause ne pouvant dès lors être opposé.

En conséquence, la clause de non-concurrence telle que prévue au contrat de travail, et telle que maintenue dans le cadre de l'accord transactionnel du 19 octobre 1998, effectivement mise en œuvre par la société KPMG, bien qu'atteinte de nullité à raison de l'absence de toute contrepartie financière au bénéfice du salarié, a nécessairement causé un préjudice à ce dernier, qu'il appartient à la société KPMG d'indemniser.

Le courrier de la société Perurena en date du 20 juillet 1999 (pièce N° 4 de monsieur Schuhmann), démontre que s'agissant au moins des clients pour lesquels monsieur Schuhmann avait travaillé au sein de KPMG, il s'est contraint à respecter une clause de non-concurrence nulle.

Sans que puisse être fait un parallèle avec la sanction pécuniaire prévue au profit de l'employeur dans le cadre de la clause, alors que la nullité de cette dernière est justement reconnue, et alors que la référence à l'article 1152 du Code civil est ici inopérante, aucune clause pénale n'ayant été prévue au profit de monsieur Schuhmann, il convient de fixer l'indemnisation due en réparation du dommage subi à hauteur de 15 000 euro, la société KPMG devant être condamnée au paiement de cette somme et le jugement entrepris infirmé de ce chef.

En raison de l'issue du litige, la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée, le jugement devant être confirmé sur ce seul point. En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à monsieur Alain Schuhmann, une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.

Par ces motifs : LA COUR, par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande formée par la société KPMG, tendant au paiement de dommages et intérêts à raison du caractère abusif de la procédure, Infirme le jugement pour le surplus, Statuant à nouveau : Condamne la société KPMG à verser à monsieur Alain Schuhmann la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts, et 1 800 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes. Condamne la société KPMG aux dépens.