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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 novembre 2012, n° 09-20869

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Le Seuil (SARL)

Défendeur :

Malinowski

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Elbaz, Bellichach, Ginhoux

T. com. Paris, du 17 sept. 2009

17 septembre 2009

La société Le Seuil, exerçant sous l'enseigne "Etude Le Seuil", créée en juillet 2002, exerce une activité d'agence immobilière et travaille avec des agents indépendants, chargés, d'une part de rechercher des mandats de vente, d'autre part, de trouver des acquéreurs ou des locataires pour les biens qui lui sont confiés.

Elle a conclu le 26 juillet 2006 avec M. Malinowski, qui avait déjà précédemment travaillé pour son compte, un contrat d'agent commercial à effet du 27 juillet 2006 pour une durée indéterminée.

Le 2 avril 2007, la société Le Seuil a informé M. Malinowski de ce qu'il ne pourrait plus désormais exercer son mandat dans les locaux de l'agence, décision que ce dernier a contesté, notamment par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 avril 2007. Le 31 mai 2007, M. Malinowski a rendu son jeu de clés de l'agence.

Par lettre recommandée avec AR du 18 juin 2007, M. Malinowski a pris acte de la rupture des relations estimant que celle-ci résultait de la modification unilatérale des conditions d'exercice de son mandat.

La société Le Seuil a contesté être à l'initiative de cette rupture.

Par acte du 19 novembre 2007, M. Malinowski a assigné la société Le Seuil pour le paiement d'indemnités de fin de contrat, de dommages et intérêts et d'arriérés de commissions.

Par jugement du 17 septembre 2009, non assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- constaté que la rupture du contrat d'agent commercial de M. Malinowski est due à la SARL Le Seuil exerçant sous l'enseigne "Étude Le Seuil" ;

- condamné la SARL Le Seuil à payer à M. Malinowski les sommes de :

* 6 996,21 euro à titre d'arriérés de commissions,

* 103 485 euro à titre d'indemnité de fin de contrat,

* 5 544,42 euro à titre d'indemnité de préavis,

outre les intérêts au taux légal à compter du 19 novembre 2007 ;

- dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions définies par les dispositions de l'article 1154 du Code civil ;

- condamné la société Le Seuil, à payer à M. Malinowski une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du CPC ;

- débouté les parties en leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné la SARL Le Seuil aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe.

Vu l'appel interjeté le 9 octobre 2009 par la SARL Le Seuil, à l'encontre de M. Malinowski.

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 septembre 2012 par lesquelles la société Le Seuil demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau :

- dire et juger que la responsabilité de la rupture du contrat d'agent commercial signé le 28 juillet 2006 est exclusivement imputable à M. Malinowski,

- dire et juger que M. Malinowski ne saurait prétendre au paiement d'une commission au titre des mandats de vente signés avec Mme Lorrain et M. Petit, et de l'en débouter,

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus, et en conséquence, de débouter purement et simplement M. Malinowski de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- déclarer la société Le Seuil recevable et bien fondée en ses demandes reconventionnelles et y faisant droit, de condamner M. Malinowski au paiement de la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du CPC,

La société Le Seuil soutient qu'elle n'est en aucun cas à l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial dans la mesure où elle n'aurait pas interdit à M. Malinowski l'accès à l'agence, celui-ci ayant toujours pu travailler dans les mêmes conditions que les autres agents.

Elle avance qu'au contraire celui-ci souhaitait mettre fin à leurs relations, que la rupture lui est imputable, et que par conséquent il ne peut bénéficier de l'indemnité de fin de contrat.

Elle ajoute que M. Malinowski ne justifie d'aucun travail dans l'obtention des mandats de vente de Mme Lorrain et M. Petit, anciens clients de l'agence, et par conséquent il ne peut prétendre à commission pour ces cas.

Vu les dernières conclusions signifiées le 21 septembre 2010, par lesquelles M. Malinowski demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a été jugé que la rupture du contrat d'agent commercial était due à la société Étude Le Seuil et que M. Malinowski avait droit à la somme de 103 485 euro à titre d'indemnité de fin de contrat et a condamné la société Étude Le Seuil à lui payer cette somme,

- de l'infirmer en ce qu'il a débouté M. Malinowski de sa demande d'indemnité de réemploi, et statuant à nouveau de condamner la société Étude Le Seuil à payer à M. Malinowski la somme de 27 940 euro à titre d'indemnité de réemploi,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Malinowski de sa demande de paiement de la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts, et statuant à nouveau de condamner la société Étude Le Seuil à payer à M. Malinowski la somme de 20 000 euro à titre de dommage et intérêts pour rupture abusive de son contrat,

- de le confirmer en ce qu'il a été jugé que M. Malinowski avait droit à une indemnité compensatrice de préavis, mais de le réformer en ce qu'il a fixé cette indemnité à un mois de commissions, et, statuant à nouveau de condamner la société Étude Le Seuil à payer à M. Malinowski 8 623 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- de le confirmer en ce qu'il a fait droit aux demandes de M. Malinowski relatives aux dossiers Petit et Lorrain et, pour les six autres dossiers de le réformer en ce qu'il a rejeté les demandes formées par M. Malinowski au titre de ces six dossiers, et statuant à nouveau de condamner la société Étude Le Seuil à payer à M. Malinowski la somme de 23 198,57 euro à titre d'arriérés de commissions,

le tout avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts à compter de l'acte introductif de première instance,

- de débouter la société Étude Le Seuil de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner Étude Le Seuil à payer, sauf à parfaire, 7 500 euro à M. Malinowski sur le fondement de l'article 700 du CPC et aux dépens

M. Malinowski prétend que la rupture du contrat est imputable au mandant. Il invoque notamment l'article L. 134-4 du Code de commerce, disposant que "le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat", et un arrêt de la Cour d'appel de Paris visant cet article, qui a jugé que l'agence immobilière qui retire à son agent commercial les clés du lieu de travail manque gravement à son obligation de loyauté et rend impossible la poursuite du lien contractuel.

M. Malinowski allègue que la société l'Étude Le Seuil lui a interdit l'accès à l'agence, et a procédé unilatéralement à plusieurs modifications de ses conditions de travail, et en conclut que la rupture est imputable à cette dernière. Il précise de plus que les attestations allant en sens contraire et prétendant que ses conditions de travail étaient toujours similaires à celles des autres agents doivent être écartées du fait du lien entre les auteurs de ces attestations et la société l'Étude Le Seuil, l'un serait en effet en relation d'affaire avec celle-ci, tandis que l'autre est parent de son gérant ;

M. Malinowski s'oppose ensuite aux allégations adverses selon lesquelles il souhaitait mettre fin à leurs relations. Il émet ainsi des doutes sur la véracité du document émanant de Miami Investment Bookers, qui ne répondrait pas aux exigences de l'article 202 du CPC et dont l'auteur serait lui aussi un proche de la gérante de l'Étude Le Seuil. De plus, il soutient avoir quelques mois avant la rupture précisé à son mandant qu'il désirait poursuivre leurs relations.

Il avance ensuite qu'il serait bien établi en jurisprudence qu'une telle rupture doit également donner lieu à une "indemnité de réemploi", afin de compenser la charge fiscale pesant sur l'agent au titre de l'indemnité de fin de contrat et faire en sorte que le montant de cette indemnité soit net d'impôt. Il soutient ensuite que l'indemnité de fin de contrat n'est pas privative de dommages et intérêts en cas de rupture abusive, et qu'en l'espèce, les circonstances relèvent bien d'un comportement fautif de l'Étude Le Seuil. Selon lui, en vertu de l'article L. 134-1 du Code de commerce, il devait disposer d'un préavis de deux mois. Son mandant ne lui ayant pas permis d'effectuer celui-ci, il est fondé à demander une indemnité compensatrice de préavis.

Enfin, M. Malinowski allègue de huit dossiers pour lesquels il aurait dû être commissionné.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Considérant que les premiers juges ont considéré que la rupture du contrat d'agent commercial était due à la société Le Seuil au motif qu'elle aurait interdit à M. Malinowski l'accès des locaux de l'agence.

Considérant que l'article L. 134-4 du Code de commerce dispose que "le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat" ;

Que M. Malinowski prétend que par courrier du 21 juin 2007, la société Le Seuil lui a interdit sans préavis l'accès à ses locaux et l'a empêché d'exécuter son mandat, indiquant avoir eu également la disposition d'un trousseau de clés dans la mesure où il assurait fréquemment l'ouverture et la fermeture de l'agence et qu'il assurait une permanence le samedi matin ;

Considérant que les articles 2 et 3 du contrat stipulent que "l'agent commercial organise son activité comme il l'entend, il n'a pas à informer l'agence de ses absences, il n'est pas tenu à une obligation de présence, d'horaire (...)."

Que, si l'article 3 prévoit que "l'agence pourra mettre à sa disposition un bureau dans ses locaux sans que ce bureau lui soit exclusivement affecté", il s'agit donc d'une simple faculté ;

Que les termes du courrier du 21 juin 2007 adressé par la société Le Seuil à son agent sont les suivants "Je vous rappelle toutefois que votre qualité d'agent commercial est subordonnée à l'exercice d'une activité en totale indépendance et qu'à ce titre vous ne sauriez prétendre à exercer votre activité dans les bureaux de mon entreprise" ; qu'il ne peut en être déduit une rupture à l'initiative de la société Le Seuil, s'agissant d'un rappel des conditions d'exercice de son activité par son agent.

Que la société Le Seuil produit deux attestations pour établir que ses commerciaux ne disposaient pas librement des clés ; que, si M. Malinowski met en doute l'objectivité de leurs auteurs en raison de liens avec son mandant, ce dernier a aussi produit les attestations de deux commerçants installés près de l'agence qui attestaient que les clés étaient déposées chez eux en cas de fermeture de l'agence et mises à la disposition des agents ;

Que M. Malinowski ne démontre pas avoir été empêché de se rendre dans les locaux de la société Le Seuil et d'exercer son activité, laquelle a vocation à s'exercer en dehors des locaux de l'agence ;

Qu'il n'est pas contesté que les relations entre les deux parties ont cessé à partir du 18 juin 2007, M. Malinowski ayant pris acte de la rupture par un courrier recommandé sauf pour la cour à constater qu'il a ainsi mis fin à sa relation commerciale avec la société Le Seuil ; que dès lors peu importe que M. Malinowski ait proposé le 10 novembre 2006 ses services à la compagnie Miami Invest comme le soutient la société Le Seuil, ce qu'il conteste, ou qu'il ait exprimé son souhait en mars 2007 de continuer à travailler avec l'agence ;

Qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de débouter M. Malinowski de l'ensemble de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture de son contrat d'agent commercial ;

Sur le rappel des commissions

Considérant que M. Malinowski affirme être intervenu sur huit dossiers pour lesquels il aurait dû percevoir une commission ;

Considérant que l'article 8 du contrat d'agent commercial fixe un taux de commission de 20 ou 25 % d'une part, à l'entrée d'un client, d'autre part, lors de la vente ou de la location ;

Que M. Malinowski prétend que cette commission est due à la suite de la signature du mandat de vente et ce quel que soit le client :

Considérant que l'article 3 du contrat précise son objet "comme étant la prospection" ; que l'article 8 sur les honoraires stipule "l'agent commercial percevra des honoraires dont le montant est fixé à vingt pour cent (20 %) calculés sur les honoraires TTC de l'agence sur la démarche (sauf cas exceptionnel vingt-cinq pour cent) et vingt pour cent (20 %) calculés sur les honoraires TTC de l'agence sur la vente" ; qu'il résulte de ces dispositions que l'agent n'a droit à une commission d'entrée que dans l'hypothèse où il a prospecté la clientèle et qu'il ne saurait revendiquer cette commission au titre d'un ancien client de l'agence qui se présente dans les locaux de celle-ci où il est alors seul présent ;

Qu'il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et de le débouter de ses demandes de commissions au titre des mandats de vente Lorrain et Petit.

Considérant que, s'agissant de la transaction Deschamps/Estryn, M. Malinowski affirme avoir trouvé l'acquéreur ce qui n'est pas contesté par la société Le Seuil qui expose que le mandat avait été apporté par un autre agent qui avait aussi trouvé un acquéreur mais que la vente s'est faite au profit de l'acquéreur proposé par M. Malinowski, qui n'envisageait pas de recourir à un emprunt et que les deux agents commerciaux ont alors accepté un partage de commission ;

Que la société Le Seuil verse une attestation de Mme Sarah Boujnah, l'autre agent commercial et fait observer que M. Malinowski a établi une facture correspondant à ce partage.

Que ces éléments démontrent l'accord de M. Malinowski sur ce paiement comme le remplissant de l'intégralité de ses droits ; qu'il y a lieu de le débouter de sa demande de commission complémentaire sur cette vente ;

Que s'agissant de l'affaire Demoy, M. Malinowski prétend à un complément de commission au motif que le vendeur a signé un mandat non exclusif alors qu'il aurait eu l'intention de signer un mandat exclusif ; sans rapporter la preuve de cette affirmation ;

Que s'agissant de l'affaire Gini/Bartholomeusz, il revendique un complément de commission de 5 % prévu contractuellement à titre exceptionnel au motif qu'il a le même jour apporté l'affaire et trouvé un acquéreur ;

Que la société Le Seuil fait observer, à juste titre, que le mandat de vente non exclusif a été consenti le 28 février 2006 et que la vente a été réalisée suivant acte du 18 mai 2006 soit avant la prise d'effet du contrat d'agent commercial de M. Malinovski ;

Que celui-ci n'est donc pas fondé à réclamer cette commission complémentaire ;

Que s'agissant du dossier Albou, la société Le Seuil démontre que la vente a été réalisée par une autre agence à l'expiration de la période d'exclusivité ;

Que s'agissant de l'affaire Deguy/Flam, il reproche à l'agence de ne pas avoir fait signer un compromis de vente en juin 2006, affirmant qu'un autre commercial avait trouvé un acquéreur alors que la société Le Seuil fait observer que le vendeur n'a consenti le mandat de vente que le 13 décembre 2006 soit 6 mois après ;

Que s'agissant du dossier Vitellius/Zbilli, M. Malinowski affirme qu'il avait un client en la personne de Madame Vitellius pour louer le bien des consorts Zbilli et que la société Le Seuil aurait refusé de transmettre à celle-ci leur dossier en raison de considérations racistes ;

Que la société Le Seuil justifie qu'elle avait un mandat de vente du bien des consorts Zbilli et non de location ;

Que si M. Malinowski prétend que ceux-ci ont renoncé à la vente de leur bien, il n'apporte aucune justification de cette affirmation ; que de plus il prétend avoir trouvé un locataire en avril 2006 alors qu'il n'avait pas encore signé son contrat d'agent commercial avec la société Le Seuil.

Considérant que les demandes d'arriérés de commissions au titre de ces six affaires ne sont pas justifiées par M. Malinowski et qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses demandes à ce titre.

Sur la demande de la société Le Seuil pour procédure abusive

Considérant que la société Le Seuil ne démontre pas que M. Malinowski a engagé la procédure avec une légèreté blâmable, constitutive d'un abus de son droit d'ester en justice ; qu'il y a lieu de rejeter sa demande de dommages et intérêts.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Le Seuil a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reforme partiellement le jugement déféré en ce qu'il a constaté que la rupture du contrat d'agent commercial de M. Malinowski est due à la SARL Le Seuil exerçant sous l'enseigne "Étude Le Seuil" et condamné la SARL Le Seuil à payer à M. Malinowski les sommes de : 6 996,21 euro à titre d'arriérés de commissions, 103 485 euro à titre d'indemnité de fin de contrat, 5 544,42 euro à titre d'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 19 novembre 2007 et capitalisation de ceux-ci, Et statuant à nouveau, Dit et juge que la responsabilité de la rupture du contrat d'agent commercial signé le 28 juillet 2006 est exclusivement imputable à M. Malinowski, Rejette ses demandes indemnitaires au titre de la rupture, Rejette la demande de paiements d'arriérés de commissions au titre des mandats de vente signés avec Madame Lorrain et Monsieur Petit, Rejette toute autre demande plus ample, Condamne M. Malinowski à payer à la société Le Seuil la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. Malinowski aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.