CA Orléans, ch. soc., 20 novembre 2012, n° 11-03334
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Valomet
Défendeur :
Tradition du Terroir de Sologne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Velly
Conseillers :
M. Lebrun, Mme Paffenhoff
Avocats :
Mes Baron, Bouget
Résumé des faits et de la procédure
La SAS Tradition du Terroir de Sologne a saisi le Conseil de prud'hommes de Blois de plusieurs demandes à l'encontre de Monsieur Olivier Valomet, pour le détail desquelles il est renvoyé au jugement du 19 octobre 2011, la cour se référant aussi à cette décision pour l'exposé des demandes reconventionnelles et des moyens initiaux.
Le conseil de prud'hommes a :
- annulé la clause de non-concurrence
- condamné Monsieur Valomet à payer 14 400 euro de remboursement des indemnités compensatrices perçues
- condamné la société à payer 6 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Le jugement a été notifié à Monsieur Valomet le 5 novembre 2011.
Il en a fait appel le 10 novembre 2011.
Demandes et moyens des parties
Il demande la confirmation en ce qui concerne la nullité de la clause et les 6 000 euro.
Pour le surplus, il offre de régler les sommes versées à tort depuis la rupture du contrat, soit le 1er juin 2010, au titre de l'indemnisation de cette clause, soit 300 euro par mois et 4 500 euro à la date du jugement.
Il réclame aussi 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour l'exposé de son argumentation, la cour se réfère à ses conclusions, soutenues oralement.
La SAS Tradition du Terroir de Sologne fait appel incident pour obtenir :
- la confirmation des 14 400 euro
- 1 200 euro pour le remboursement des indemnités du premier juin au 30 septembre 2011
- 100 000 euro de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence ou subsidiairement pour concurrence déloyale
- le rejet des autres réclamations
- 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour l'exposé de son argumentation, la cour se réfère à ses conclusions, soutenues oralement.
Motifs de la décision
Eu égard aux dates ci-dessus, les appels, principal et incident, sont recevables.
La SAS Tradition du Terroir de Sologne vend des produits de salaison à la grande distribution.
Elle engage Monsieur Valomet, le 13 juin 2007, comme chef de secteur.
Il est chargé de prospecter et de suivre une clientèle, ainsi que de faire des animations commerciales au sein d'un secteur de 10 départements.
Il donne sa démission le 30 avril 2010, à effet du 31 mai 2010.
Il s'engage immédiatement auprès de la SAS SOLOGNE FRAIS, une société concurrente.
La validité de la clause
Le litige repose sur la validité de la clause de non-concurrence qui, en résumé :
- lui interdit de travailler pour une entreprise concurrente, ou de s'intéresser, directement ou indirectement, à tout procédé ou fabrication ou vente susceptible de concurrencer l'activité de l'employeur
- pendant 2 ans
- sur 30 départements, au nombre desquels les 10 de son secteur
- moyennant une indemnité de 300 euro par mois.
Cette clause n'est valable que si elle remplit les conditions cumulatives suivantes :
- être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise
- être limitée dans le temps et dans l'espace
- tenir compte des spécificités de l'emploi
- être assortie d'une contrepartie financière.
Il faut examiner celles qui sont contestées.
Le caractère excessif des actes interdits
Le salarié conteste l'interdiction de s'intéresser directement ou indirectement à tout procédé ou fabrication ou vente susceptible de concurrencer l'activité de l'employeur.
Pour son activité de vente et d'animation commerciale, il devait nécessairement connaître les procédés de fabrication et les modes de commercialisation des produits qu'il proposait afin de pouvoir répondre aux questions des grandes surfaces et de leurs clients.
Dès lors lui interdire de s'intéresser à de tels procédés de fabrication et à de telles méthodes de commercialisation dans un autre cadre n'avait rien d'excessif et était nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur.
Le curriculum vitae de l'intéressé démontre qu'il a été commercial dans divers secteurs et cette interdiction ne l'empêchait pas de mettre en œuvre sa formation et son expérience, soit dans d'autres domaines, soit dans un autre secteur géographique.
Ce moyen est infondé.
Le caractère excessif de l'interdiction géographique
Celle d'origine
Elle était limitée dans l'espace puisqu'elle l'était à 30 départements (dont tous ceux de la région parisienne).
Ce périmètre correspond à l'activité géographique de la société et ne peut être critiqué dès lors :
- qu'il ne concerne pas la France entière
- que son secteur comprenait à l'origine 10 de ces départements
- qu'il était convenu que ce secteur n'était pas définitif et que la société se réservait le droit de le modifier.
Celle réduite
A réception de la démission, la société, le 4 mai 2010, l'informe qu'elle limite la clause à 5 départements (18, 36, 37, 41 45), qui étaient ceux dans lesquels il prospectait réellement en dernier lieu.
Le salarié soutient qu'elle ne pouvait le faire unilatéralement.
Même si une clause de non-concurrence est surtout conclue en faveur de l'employeur, elle comporte aussi un avantage au bénéfice du salarié : la contrepartie financière.
C'est ce qui explique que, sauf si cela est prévu par le contrat ou la convention collective, il ne peut y renoncer ou en raccourcir la durée de façon unilatérale, car cela lui permettrait de s'exonérer de sommes dues au salarié.
En revanche, cela n'interdit pas à l'employeur d'en réduire unilatéralement l'étendue géographique puisque le salarié y trouve un avantage sans contrepartie de sa part puisque l'indemnité compensatrice lui reste dûe dans les termes initiaux.
Ainsi, à supposer même que les 30 départements d'origine aient été trop nombreux, ce qui n'est pas le cas, cette réduction à 5 départements est valable et mettrait totalement à néant le grief.
Ce moyen ne sera pas retenu.
La contrepartie financière
Elle est critiquée à 2 titres.
Son paiement avant la rupture
Son montant ne peut dépendre " uniquement " de la durée d'exécution du contrat et son paiement ne peut intervenir avant la rupture.
En d'autres termes, si elle n'est payée que pendant la durée d'exécution du contrat et pas après, la clause est nulle.
Il reste à déterminer si c'est le cas.
Il est prévu une indemnité compensatrice de 300 euro par mois, et qu'elle " sera compensée (') sur le bulletin de salaire ".
Le terme " compensée " est totalement inapproprié et il faut comprendre qu'elle sera mentionnée sur ce bulletin.
De fait, ces bulletins mentionnent tous les mois, depuis l'embauche, et jusqu'en juin 2010, une somme de 300 euro intitulée prime (puis indemnité) de non-concurrence.
A compter de juillet 2010, la société a continué de payer ces 300 euro et a émis les bulletins de paies correspondants.
La clause litigieuse (" une indemnité de non-concurrence de 300 euro par mois qui sera compensée sur le bulletin de salaire ") est très générale.
Rien ne permet de dire qu'elle n'était prévue que jusqu'à la rupture et que son paiement ultérieur est une manœuvre de la société pour se prémunir d'une éventuelle action en nullité.
Au contraire, l'annonce de son règlement pendant les 2 ans d'application de la clause, et ce dès le 4 mai 2010, à une date où il n'existait pas encore de litige (la lettre faisant état d'une méconnaissance de la clause n'étant que du 10 mai 2010) constitue un indice en sens contraire.
La contrepartie étant prévue pendant la durée d'exécution du contrat mais aussi après, pendant la durée de l'interdiction, la clause ne peut être annulée pour ce motif.
Son caractère dérisoire
Elle serait dérisoire car elle représenterait moins de 11 % du salaire.
La comparaison sera faite à 2 égards.
Le salaire convenu était de 1 400 euro plus prime d'objectifs.
On ne prenant en compte que les 1 400 euro le taux est de 21,4 %.
Si l'on prend en compte le salaire de la dernière année complète (2009), il est de 31 541 euro dont il convient de retirer les 300 X 12 = 3 600 euro d'indemnités ; il reste 27 941 euro, soit une moyenne de 27 941/12 = 2 328 euro ; le taux est de 12,88 %.
Celui de la dernière période (janvier à mai 2010) est de 13 313 euro dont il convient de déduire 300 X 5 = 1 500 euro ; il reste 11 813 euro soit une moyenne de 11 813 / 5 = 2 362 euro ; le taux est de 12,70 %.
De tels taux ne sont pas dérisoires, surtout par rapport à la réduction de l'interdiction à 5 départements qui permettait au salarié d'exercer une activité semblable dans un secteur géographique assez proche.
En conclusion la clause n'est pas nulle.
Les conséquences
La restitution de la contrepartie
Depuis le premier juin 2010
Elle a été payée jusqu'au 30 septembre 2011 inclus, soit pendant 16 mois.
Le salarié accepte de la restituer et de toute façon il a violé la clause dès son départ, la contrepartie n'étant donc pas dûe.
Il devra restituer 300 X 16 = 4 800 euro.
Pendant l'exécution du contrat
Dès lors que son paiement ne peut intervenir avant la rupture, les 300 euro ne constituaient plus une telle contrepartie, mais un complément de salaire qui ne peut donner lieu à restitution.
Le préjudice découlant de la violation
Le nouvel employeur du salarié est à Blois.
Le tableau comparant le chiffre d'affaires de divers magasins situés principalement dans le Loir-et-Cher et comparant le chiffre des mois de mai et juin 2010 par rapport à mai et juin 2009, ainsi que celui de 2010 par rapport à 2009, pour en déduire une baisse n'est pas convaincant car :
- Monsieur Valomet a demandé des explications sur 2 d'entre eux ; la société a reconnu s'être trompée
- les extraits du grand livre des recettes ne concernent que les chiffres jusqu'au 30 juin 2009, et qu'une petite partie des clients mentionnés sur le tableau
- d'autres facteurs ont pu contribuer à ces baisses de chiffre d'affaires.
Il n'en reste pas moins que cette violation de la clause lui a causé par elle-même un préjudice et, de façon certaine, a porté atteinte à son chiffre d'affaires, en particulier dans le Loir-et-Cher.
Le préjudice subi sera évalué à 10 000 euro.
Les dommages-intérêts pour procédure abusive
La procédure de la société n'était pas abusive mais fondée en son principe.
L'article 700 du Code de procédure civile
Il est inéquitable que la société supporte la totalité de ses frais irrépétibles.
Il lui sera alloué 1 000 euro.
Les dépens
Monsieur Valomet les supportera.
Par ces motifs : LA COUR, statuant par mise à disposition au greffe et contradictoirement, Déclare recevables les appels, principal et incident, Infirme le jugement, et, statuant à nouveau, Condamne Monsieur Olivier Valomet à payer à la SAS Tradition du Terroir de Sologne : - 4 800 euro de contrepartie financière à la clause de non-concurrence de juin 2010 à septembre 2011 - 10 000 euro de dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence - 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes demandes plus amples ou contraires, Condamne Monsieur Olivier Valomet aux dépens de première instance et d'appel.