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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 20 novembre 2012, n° 09-01486

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mora

Défendeur :

France Elévateurs (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarede

Conseillers :

Mmes Cocchiello, André

Avocats :

SCP Guillou Renaudin, SCP Castres Colleu Perot Le Couls Bouvet, Mes Quinio, Catry

TGI Guingamp, du 4 févr. 2009

4 février 2009

EXPOSE DU LITIGE

Invoquant l'existence d'un contrat d'agent commercial, et la violation par la société France Elévateurs (société FE) de ses obligations, Jean Mora a assigné cette société devant le Tribunal de grande instance de Guigamp statuant en matière commerciale en réparation du préjudice qu'il disait subir et en paiement de commissions restées selon lui impayées.

Par jugement du 4 février 2009, le Tribunal de grande instance de Guigamp statuant en matière commerciale a :

prononcé la résiliation du contrat d'agent commercial en date du 7 novembre 2000 aux torts de la société FE,

condamné la société FE à payer à Jean Mora la somme de 102 198 euros,

débouté les parties du surplus de leurs demandes,

ordonné l'exécution provisoire,

condamné la société FE à payer à Jean Mora la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles,

condamné la société FE aux dépens.

Jean Mora et la société FE ont interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 19 janvier 2010, la Cour d'appel de Rennes a :

Constaté que la rupture du contrat est imputable à Jean Mora en raison de sa faute grave,

Débouté Jean Mora de sa demande d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,

Débouté la société FE de ses demandes de dommages-intérêts,

Ordonné la restitution à la société FE par Jean Mora des documents suivants :

les liasses de devis vierges,

les copies des devis émis,

les bons de commande en sa possession,

les chèques ou règlements en sa possession,

les papiers-en-tête, documentation, tampons et tout autre support ou outil commercial en sa possession,

Ordonné une expertise :

Commis Marc Dherbey, expert-comptable, <coordonnées>, avec mission de :

Convoquer et entendre en leurs dires et observations les parties et leurs conseils,

Se faire remettre tous documents et pièces utiles à sa mission, en particulier tous documents et pièces comptables de la société FE,

arrêter le chiffre d'affaires réalisé par la société FE directement et indirectement, sur le territoire confié à Jean Mora, le département du Finistère à partir de l'année 2000 et le département des Côtes d'Armor du mois d'avril 2006,

calculer les commissions restant dues à Jean Mora au titre de ce chiffre d'affaires, conformément aux méthodes de calcul des commissions retenues par les parties, calculer les commissions dues au titre des ventes Thyssen honorées par la société Etna Fapel dont le principe de paiement au profit de Monsieur Mora a été reconnu par la société Etna par courrier du 22 février 2007,

mettre en temps utile, au terme des opérations d'expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations qui seront annexées au rapport,

Fixé à 4 000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être versée par Monsieur Mora au greffe de la cour,

Imparti à l'expert, pour le dépôt du rapport d'expertise, un délai de 4 mois à compter de l'avertissement qui lui sera donné par le greffe du versement de la provision,

Sursis à statuer sur le montant des commissions restant dues par la société FE à Monsieur Mora,

Débouté la société FE de ses demandes de dommages-intérêts,

Sursis à statuer sur l'indemnité pour frais irrépétibles et pour les dépens.

Le pourvoi interjeté par Monsieur Mora contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation selon arrêt du 29 novembre 2011.

L'expert a déposé son rapport le 10 novembre 2011.

Par conclusions du 28 juin 2012, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, Jean Mora demande à la cour de :

débouter la société FE de ses demandes,

condamner la société FE à lui payer la somme de 134 000 euros au titre des commissions restant dues,

condamner la société FE au paiement de la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

condamner la société FE aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et dire que les dépens d'appel avec le bénéfice du recouvrement direct.

Par conclusions du 17 janvier 2012 auxquelles il est expressément référence pour l'exposé complet de son argumentation, la société France Elévateurs demande à la cour notamment de :

réformer le jugement,

débouter Monsieur Mora de ses demandes de condamnations pour commissions,

à titre subsidiaire et avant dire droit,

dire que les commissions nées avant le 15 mai 2002 se trouvent prescrites et juger que Monsieur Mora ne peut prétendre au paiement de commissions à ce titre à hauteur de 22 281,79 euros HT,

juger que le taux de commission se décompose à part égale en une partie rémunérant la commercialisation des produits et une seconde en rémunération du suivi des chantiers, juger que Monsieur Mora n'est fondé à percevoir que la quote-part de commission directement liée à la commercialisation des appareils sur ses secteurs et non celle relative au suivi des installations, soit la somme de 44 542,05 euros.

le débouter de toutes ses demandes,

le condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE

Sur la demande en paiement de la somme de 111 123 euros

1) Sur le droit à commission :

Considérant que Monsieur Mora soutient que la cour a dans l'arrêt mixte du 19 janvier 2010 reconnu qu'il avait une exclusivité sur depuis l'année 2000 sur le département du Finistère et depuis avril 2006 sur celui des Côtes d'Armor et que la Cour de cassation a validé son analyse par le rejet du pourvoi incident de la société FE ; que la société FE le conteste et remarque que Monsieur Mora n'a jamais réclamé quoi que ce soit au titre de cette "pseudo-exclusivité" au cours de la période 2000 à 2006, alors qu'il savait parfaitement que d'autres intervenaient sur ces secteurs géographiques, et qu'au surplus, le faux contrat d'agent commercial avait pour seul objet de conforter cette "exclusivité" sectorielle,

Considérant que si la Cour d'appel de Rennes a dans l'arrêt du 19 janvier 2010 précisé dans les motifs que Monsieur Mora avait des secteurs d'exclusivité, elle ne l'a pas tranché dans le dispositif de sorte que la question ne pouvait être soumise à la censure de la Cour de cassation en l'état ; qu'il y a lieu par conséquent de statuer sur le contenu du contrat à cet égard, au vu des moyens et pièces produites par les parties,

Considérant que selon les éléments du dossier, courriers adressées par la société FE à Monsieur Mora à partir de 2006 ainsi que l'assignation en référé qu'elle lui a délivrée le 27 août 2007, Monsieur Mora bénéficiait de secteurs géographiques déterminés, soit le département du Finistère dès l'année 2000 et celui des Côtes d'Armor depuis le mois d'avril 2006,

Considérant alors que Monsieur Mora chargé des départements du Finistère et des Côtes d'Armor avait droit, en application de l'article L. 134-6 du Code de commerce à commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur, peu important l'existence ou non d'une exclusivité territoriale, qu'aucune convention n'est intervenue entre les parties pour restreindre son droit à commission lorsque l'opération a eu lieu sans son intermédiaire,

2) Sur le montant des commissions dues :

Considérant que la société FE invoque la prescription quinquennale du droit à commission pour les commissions nées avant le 15 mai 2007, date de sa réclamation, que Monsieur Mora invoque l'autorité de la chose jugée par la cour dans son arrêt du 19 janvier 2010 et soutient également que la prescription ne peut être invoquée,

Considérant que la cour n'a pas statué dans le dispositif de l'arrêt du 19 janvier 2010 sur ce qui était dû à Monsieur Mora de sorte que la société FE est recevable à invoquer la prescription ; que cependant, comme le rappelle Monsieur Mora, dès lors que sa créance est assise sur des éléments qu'il ignorait et qui sont connus du seul débiteur, la prescription de l'action en paiement de sa dette, de nature périodique, ne peut être encourue,

Considérant que l'expert a déterminé compte tenu des informations en sa possession que "le chiffre d'affaires hors taxes réalisé par France Elévateurs par l'intermédiaire d'autres vendeurs sur les secteurs confiés à Monsieur Mora, et ce jusqu'en mai 2007, correspondant à la fin du contrat entre Monsieur Mora et la société France Elévateurs, s'élève à un montant total de 446 163 euro", se décomposant en une somme de 382 242 euro pour le département du Finistère, en une somme de 63 921 pour le département des Côtes d'Armor ; qu'il a considéré que "les opérations pour lesquelles le bon de commande a été accepté par le client avant la fin de l'activité de Monsieur Mora sur le secteur de Monsieur Mora, doivent être comprises dans le chiffre d'affaires réalisé par FE du fait de l'activité des autres vendeurs", qu'ainsi deux affaires conclues par Monsieur Vincler devaient être intégrées dans le chiffre d'affaires, à savoir les commandes de Monsieur et Madame Boussard d'un montant de 15 633 euro et de Monsieur et Madame Fleury d'un montant de 11 269,56 euro, soit un montant total de 26 902,56 euro ; que le chiffre d'affaires ainsi déterminé par l'expert sera repris par la cour,

Considérant encore que l'expert a ensuite déterminé le montant des commissions qu'il a fixé à la somme de 111 123 euros en appliquant un taux moyen de commissions (23,49 %) que la société FE conteste ; que toutefois l'expert a retenu avec pertinence, en l'absence de contrat écrit, un taux moyen qu'il a établi en référence aux pratiques des parties et que cette méthode ne saurait être critiquée raisonnablement ; qu'en outre, il n'y a pas lieu, comme le soutient la société FE, de distinguer dans la commission la part rémunérant la commercialisation et celle qui rémunère le suivi des travaux d'installation ; qu'en effet, sauf à remettre en cause le principe du droit à commissions sur les ventes réalisées par un tiers sur le secteur qui lui était confié, Monsieur Mora ne saurait être privé de la part de commission correspondant à la maîtrise de l'ouvrage qui était la suite des ventes qu'il n'a pas faites, qu'il ne s'agit pas d'un enrichissement sans cause mais du bénéfice de l'application des principes régissant les relations mandant-agent commercial,

Considérant alors que le montant dû des commissions est fixé à 111 123 euros,

Sur la demande en paiement de la somme de 22 877 euros :

Considérant que cette somme correspond aux commissions demandées pour les commandes que Monsieur Mora a lui-même passées dans ces mêmes départements jusqu'à la date de la rupture du contrat du 2 mai 2007 et qui n'ont pas été payées ;

Considérant que l'expert précise à cet égard, que doit être pris en compte le chiffre d'affaires global hors taxe réalisé directement par l'activité de Monsieur Mora sur les deux départements sur les périodes précisées s'élève à 892 498 euros (737 805 + 154 693 euros) ; que l'expert rappelle que Monsieur Mora a perçu 215 027 euros à titre de commissions sur ces ventes, soit un taux moyen de 23,49 %, et que compte tenu de ces données et de la non prise en compte des affaires Le Bras et Buanec sur lesquelles les parties s'opposaient et sur lesquelles, selon l'expert, seule la cour devait se prononcer, il restait du à Monsieur Mora la somme de 22 877 euros ; qu'il apparaît que Monsieur Mora s'en tient désormais à la demande en paiement de la somme de 22 877 euros, de sorte que la prise en compte de ces deux affaires n'a pas à être examinée par la cour,

Considérant que la société FE rappelle que le droit à commission se décompose en une rémunération de deux prestations, la commercialisation à proprement parler et le suivi de l'installation "maîtrise d'ouvrage" et qu'en l'espèce, Monsieur Mora n'a pas effectué la seconde ; que Monsieur Mora se borne à rappeler que la commission est due pour toute commande passée donnant lieu à une vente effective,

Considérant que la lecture du tableau d'inventaire des ventes du pré-rapport auquel se réfère la société FE ne permet pas de constater que la commission est décomposée en deux prestations chacune assortie d'un pourcentage ; qu'au surplus, faute par les parties d'avoir antérieurement exprimé leur volonté de pratiquer ainsi, il n'y a pas lieu de décomposer la commission en fonction de ces deux éléments ; que par conséquent, il y a lieu d'appliquer le taux moyen de 23,49 % pour déterminer le montant dû à Monsieur Mora,

Considérant que la demande en paiement de la somme de 22 877 euros est justifiée,

Sur l'indemnité pour frais irrépétibles et sur les dépens :

Considérant que la société FE versera à Monsieur Mora la somme de 5 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles,

et supportera les dépens comprenant les frais d'expertise,

Par ces motifs : LA COUR, Infirmant le jugement, Condamne la société FE à payer à Monsieur Mora la somme de 134 000 euros, Condamne la société FE à payer à Monsieur Mora la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, Déboute la société FE de toutes ses demandes, Condamne la société FE aux entiers dépens qui comprendront les frais de l'expertise.