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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 novembre 2012, n° 12-03131

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Infovista (SA)

Défendeur :

Rodriguez

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Bettinger, Bussy, Bellichach, Ginhoux

TGI Evry, prés., du 19 janv. 2012

19 janvier 2012

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Par acte du 13 novembre 2008, la société Infovista et M. Rodriguez ont conclu un contrat dit d'agent commercial à durée indéterminée.

Par courrier recommandé avec avis de réception du 12 novembre 2009, la société Infovista a mis fin à ce contrat en dispensant M. Rodriguez de ses obligations contractuelles envers elle, à compter du 30 novembre 2009.

Par acte du 19 mars 2010, M. Rodriguez a assigné la société Infovista devant le Tribunal de grande instance d'Evry en paiement de diverses indemnités dues à la suite de la rupture de son contrat.

Par une ordonnance de mise en état en date du 19 janvier 2012, le Tribunal d'Évry a :

- dit n'y avoir lieu à requalification du contrat d'agent commercial conclu le 13 novembre 2008 entre les parties en contrat de courtage

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Infovista.

Vu l'appel interjeté le 20 février 2012 par la société Infovista contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 18 septembre 2012, par lesquelles la société Infovista demande à la cour de :

- dire et juger la société Infovista recevable en son appel, l'ordonnance ayant statué sur une exception de procédure,

- qualifier le contrat du 13 novembre 2008 entre la société Infovista et M. Rodriguez de contrat de courtage,

- dire et juger le TGI d'Évry incompétent,

- dire et juger le Tribunal de commerce de Paris compétent,

- en conséquence, renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Paris.

La société Infovista estime que le contrat litigieux n'est pas un mandat. Selon elle, M. Rodriguez n'avait pas le pouvoir de conclure des contrats et ne disposait d'aucun pouvoir de négociation.

La société Infovista fait également valoir que le contrat litigieux n'est pas un mandat d'intérêt commun. Selon elle, la structure de la rémunération octroyée à M. Rodriguez n'a pas été conçue dans l'intérêt commun des parties, mais dans son seul intérêt personnel, de plus, le contrat ne stipulait aucune clause d'exclusivité.

Par ailleurs, la société Infovista affirme que M. Rodriguez n'est pas inscrit au registre des agents commerciaux mais au registre du commerce en tant qu'entrepreneur individuel courtier, ainsi qu'en qualité de gérant de société. Elle fait valoir que les factures mensuelles émises par lui envers elle s'intitulent "Prestations des services", terminologie qui s'applique au statut du courtier. En outre, la société Infovista souligne le manque d'implication de M. Rodriguez à la création et au développement de la clientèle.

Enfin, la société Infovista conclut que le contrat litigieux et son exécution répondent à la définition même du contrat de courtage et de courtier, à savoir, un intermédiaire de commerce indépendant qui agit en son nom propre et qui met en relation des personnes désireuses de traiter directement entre elles.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 4 juin 2012, par lesquelles M. Rodriguez demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue le 19 janvier 2012 dans toutes ses dispositions,

En conséquence,

- renvoyer l'affaire devant le TGI d'Évry,

- débouter la société Infovista de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Infovista à payer, sauf à parfaire, 5 000 euros à M. Rodriguez au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Rodriguez fait valoir que le contrat conclu le 13 novembre était intitulé "contrat d'agent commercial", que celui-ci stipulait de façon très claire les larges pouvoirs de représentation dont il était investi et que l'exécution du contrat confirme qu'il négociait bien les contrats avec la clientèle.

M. Rodriguez soutient ensuite que l'agent commercial a un rôle de promoteur des ventes de son mandant et que ni le fait de ne pas avoir eu d'exclusivité sur son territoire ni que son contrat ne comprenne pas de clause de non-concurrence post-contractuelle ne sont des éléments de nature à remettre en cause son rôle d'agent commercial.

Il ajoute que le défaut d'inscription au registre spécial des agents commerciaux n'a aucune incidence sur la qualification du contrat. De même, il affirme que le fait qu'il ait été inscrit en qualité d'entrepreneur individuel au registre du commerce et des sociétés est sans incidence sur sa qualité d'agent commercial. Il oppose encore que le contrat d'agent commercial est bien un contrat de prestation de services, ce qui justifie l'intitulé de ses factures.

Enfin, l'intimé soutient que la clause attributive de compétence figurant au contrat est nulle et qu'exerçant une activité de nature civile, l'agent commercial peut choisir à son gré de saisir le TGI ou le tribunal de commerce.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Considérant que la société Infovista n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause l'ordonnance attaquée laquelle repose sur des motifs pertinents que la cour adopte.

Considérant qu'il n'est pas contesté entre les parties que la qualification du contrat liant un mandataire à une entreprise dont il représente les intérêts auprès de la clientèle doit se faire au regard de l'activité réellement développée par la personne qui revendique le statut d'agent commercial ; qu'aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce "L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale" ; que cette définition conditionne la qualification d'agent commercial à l'exercice de la négociation des contrats liant ensuite le donneur d'ordres au client.

Considérant que le contrat signé entre la société Infovista et M. Rodriguez est intitulé "contrat d'agent commercial" et que dans sa lettre de rupture, cette société a indiqué à M. Rodriguez sa décision "(...) de mettre fin au contrat d'agent commercial en date du 13 novembre 2008 (...)" ; que les termes de ce contrat ne prévoient pas que M. Rodriguez aurait la possibilité de négocier les contrats, mais précise que les commandes sont passées par l'agent et que "pour la négociation et la vente des produits", l'agent ne bénéficie pas d'une exclusivité territoriale ; que par ailleurs, il n'est pas contesté que M. Rodriguez avait la possibilité d'accorder des remises à concurrence de 30 % des prix fixés au sein de la société Infovista et qu'au-delà, il devait obtenir l'accord de la direction commerciale et, le cas échéant de la direction générale de la société.

Considérant que M. Rodriguez apporte de nombreux éléments démontrant que durant les douze mois de son activité développée pour la société Infovista, il a, à de nombreuses reprises, accordé des remises ; qu'il en a été ainsi, notamment, de la société Aventis, à laquelle il a fait savoir par un mail du 25 mars 2009, qu'il ne pourrait maintenir au-delà du 31 mars "les conditions exceptionnelles qu'[il] lui [avait] accordées", pour laquelle il a négocié un "prix spécial" le 11 mars 2009 et accordé une remise de 20 % le 28 avril suivant, de la société Nextiraone, au sujet de laquelle, M. Menjaud lui a demandé quelle remise il avait "contractualisé" le 23 avril 2009, de La Poste, pour laquelle il lui a été demandé de "valider la raison de discount" le 23 décembre 2008, et pour laquelle M. Acosta, directeur des ventes Europe, Afrique, Moyen-Orient de la société Infovista, lui a demandé "quel pourcentage, [il souhaitait ] leur donner" le 20 mai 2009, de la société BNP-Paribas, pour laquelle il lui a été demandé le 23 mars 2009 de préciser la raison du rabais accordé, de la société Orange Business Switzerland, à laquelle il a accordé des remises de 36 % et de 20 %, selon facture du 23 avril 2009.

Considérant que s'il résulte de certaines pièces produites par la société Infovista qu'il a été demandé à M. Rodriguez de faire "valider" des remises ou de les justifier, il n'est pas démontré que la validation lui ait été refusée ; que, de plus, M. Rodriguez produit la copie d'un e-mail du 30 septembre 2009, par lequel M. Acosta, précité, lui demande de "réétudier un prix plus adapté aux demandes" de la Poste, afin de ne pas perdre ce client, ce qui démontre qu'il avait un incontestable pouvoir de décision sur les prix et remises facturés aux clients.

Considérant que si, dans certains cas, ainsi que le soutient la société Infovista, le mandataire, était accompagné d'un ingénieur de la société pour définir les composantes des besoins et des offres, en raison de la technicité des produits et services, il n'en demeure pas moins que M. Rodriguez, dont le curriculum vitae met en évidence une expérience certaine dans le secteur commercial informatique, démontre être intervenu, à de multiples reprises, auprès de clients pour définir les besoins et l'offre, notamment, auprès de Bouygues Télécom, de Nextiraone, d'Orange ou encore de BNP Paribas ; qu'ainsi que l'a relevé l'ordonnance, la présence de l'ingénieur "avant-vente" n'est pas de nature à remettre en cause le pouvoir de négociation de M. Rodriguez dès lors qu'ainsi qu'il résulte de l'attestation de l'un d'entre eux que "(...) l'ingénieur a un rôle de conseil auprès du commercial. Son analyse de la force et de la faiblesse de la concurrence permet au commercial d'évaluer la force de la position d'Infovista. Cela lui permet d'ajuster correctement le prix final proposé au client".

Considérant, par ailleurs, qu'il n'est pas contesté, d'une part, que M. Rodriguez disposait d'une adresse e-mail comportant la terminaison "infovista.com" à partir de laquelle et à laquelle il adressait et recevait tous les messages relatifs à son activité développée pour la société Infovista, d'autre part, qu'il disposait aussi d'un bureau dans ses locaux.

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations que M. Rodriguez était bien mandataire de la société Infovista qui était chargé, de façon indépendante et permanente, de négocier des contrats de vente et/ou de services au nom de la société Infovista, que s'il n'était pas inscrit au registre des agents commerciaux, mais l'était, en revanche, au registre du commerce et des sociétés en qualité de "courtier apporteur d'affaire dans le domaine des nouvelles technologies de l'information", il convient de relever que cette dernière formalité n'a été accomplie qu'en avril 2009, postérieurement à la conclusion de son contrat avec la société Infovista et qu'il n'est pas démontré qu'il aurait, durant l'année 2009, effectué des prestations pour un autre donneur d'ordre ou qu'il en aurait sollicité ; que, dès lors, tant cette démarche que son absence d'inscription au registre précité ne sauraient avoir d'incidence sur le constat résultant de la réalité des activités de M. Rodriguez pour la société Infovista ; qu'il en est de même de la création par M. Rodriguez des sociétés Capital Senior et Capital Senior Groupe, immatriculées respectivement en 2006 et 2010, soit, pour cette dernière postérieurement à la rupture du contrat par la société Infovista, dès lors qu'il n'est, là encore, en rien démontré que M. Rodriguez aurait développé une activité pour ces sociétés et que cette activité viendrait contredire la réalité de l'accomplissement de ses missions pour la société Infovista ;

Considérant par ailleurs que le contrat prévoit que M. Rodriguez recevra en rémunération de ses fonctions des "honoraires forfaitaires fixes d'un montant global annuel de 105 000 euros, ainsi qu'une commission variable d'un montant pivot de 83 000 euros sur la base d'objectifs atteints à 100 % et fonction du montant annuel des commandes de produits reçues par le mandant" ; que le fait que la part fixe soit d'un niveau élevé ne peut établir à lui seul que le mandat ne serait pas d'intérêt commun, d'autant que la part proportionnelle à la réalisation des objectifs est presqu'aussi élevée que le fixe prévu et comporte un caractère incitatif ; que de surcroît l'ensemble des messages produits par M. Rodriguez démontre qu'il n'a pas ménagé ses efforts dans l'accomplissement de sa mission et s'est visiblement soucié du développement de la clientèle ; qu'il ne peut être soutenu que la structure de la rémunération n'était pas incitative à l'intérêt commun des parties ;

Considérant encore que le fait que le contrat ne comporte pas de clause de non-concurrence, laquelle n'est envisagée par l'article L. 134-14 du Code de commerce que comme une possibilité, est inopérant à lui donner une autre qualification que celle qui résulte de la réalité de l'activité de M. Rodriguez ;

Considérant que l'intitulé des factures comme étant relatives à des "prestations de services" ne renvoie pas, contrairement à ce que soutient l'appelante, automatiquement au statut des courtiers et n'est pas de nature, lui non plus, à modifier la qualification de son contrat telle qu'elle résulte de l'examen de la réalité de l'activité de M. Rodriguez ; qu'enfin, il est sans effet que M. Rodriguez ne rapporte pas la preuve de ce que les revenus tirés de son contrat auraient été encaissés sur un compte bancaire ouvert à son nom en qualité d'entrepreneur individuel dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit précédemment, il n'a pas été démontré que celui-ci aurait travaillé pour d'autres entreprises que celle de la société Infovista ;

Considérant, de surcroît, que le manque d'implication de M. Rodriguez à la création et au développement de la clientèle, invoqué par la société Infovista, repose essentiellement sur une attestation délivrée par M. Acosta son directeur des ventes Europe, Afrique, Moyen-Orient, lié à elle par un lien de subordination, lequel a pourtant loué l'esprit d'initiative et l'attitude positive de M. Rodriguez et son expérience dans un e-mail du 30 avril 2009, soit 5 mois et demi après le commencement de ses missions ; qu'en outre, aucun élément démontrant qu'un quelconque reproche aurait été formulé auprès de M. Rodriguez durant l'exercice de ses missions pour la société Infovista n'est produit ; que dans ces conditions ces griefs non démontrés et contredits par de nombreux e-mails démontrant l'implication continue de M. Rodriguez dans la négociation des contrats pour la société Infovista durant le cours de sa collaboration, ne sauraient conduire à une qualification de la convention différente de celle déjà démontrée.

Considérant, enfin, que la clause attributive de compétence figurant au contrat au profit du Tribunal de commerce de Paris, qui déroge aux règles de compétence territoriale, est, ainsi que l'a justement relevé l'ordonnance, inopposable, en application de l'article 48 du Code de procédure civile, à M. Rodriguez qui n'a pas contracté en qualité de commerçant et se trouvait en conséquence fondé à saisir le tribunal de grande instance du lieu de siège de la partie défenderesse.

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ordonnance a exactement rejeté la demande de requalification du contrat, ainsi que l'exception d'incompétence soulevée par la société Infovista ; qu'il n'y a dès lors pas lieu de la réformer.

Considérant que l'équité commande d'allouer à M. Rodriguez une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Renvoie l'affaire devant le Tribunal de grande instance d'Evry ; Rejette les plus amples demandes des parties ; Condamne la société Infovista à payer à M. Rodriguez la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Infovista aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.