CA Aix-en-Provence, 2e ch., 15 novembre 2012, n° 11-11057
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Le Clémenceau (SARL), Castenetto
Défendeur :
Brasserie Mauro Antibes (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Fohlen, Prieur
Avocats :
Selarl Boulan-Cherfils-Imperatore, Mes Ferran, Jauffres, Berdah, Bensaid
FAITS - PROCEDURE - DEMANDES :
Le 28 février 2007 Monsieur Jean-Marie Castenetto propriétaire d'un fonds de commerce de café-hôtel-restaurant à l'enseigne Le Clémenceau a conclu avec la SA Brasserie Mauro Antibes un "contrat d'achat exclusif de boissons" stipulant notamment :
- la fourniture par la seconde d'avantages économiques et financiers : subvention publicitaire de 11 960 euros TTC, divers travaux (installation électrique, remplacement plancher) et une terrasse pour 7 342,72 euros TTC ;
- l'achat exclusif par les premiers de diverses boissons avec des quantités déterminées ;
- une durée de 7 ans ;
- en cas d'inexécution de cette exclusivité "à titre de clause pénale le paiement d'une indemnité forfaitaire de 20 % du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat".
La SARL Le Clémenceau a par lettre du 9 mars 2010 invoqué la nullité de ce contrat pour défaut de cause.
Le 21 mai suivant la Brasserie Mauro a assigné la société Le Clémenceau et Monsieur Castenetto en paiement devant le Tribunal de commerce de Grasse, qui par jugement du 4 avril 2011 a :
* condamné solidairement ceux-ci à payer à celle-là les sommes de :
- 1 020,67 euros au titre des marchandises non réglées au 13 avril 2010 ;
- 79 731,89 euros au titre de l'indemnité contractuelle de rupture ;
* condamné solidairement la société Le Clémenceau et Monsieur Castenetto à restituer le matériel de pression "selon mis en dépôt" du 1er juin 2007, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification ;
* débouté la Brasserie Mauro de sa demande de dommages et intérêts ;
* condamné la société Le Clémenceau et Monsieur Castenetto à payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL Le Clémenceau et Monsieur Jean-Marie Castenetto ont régulièrement interjeté appel le 23 juin 2011. Par conclusions du 27 août 2012 ils soutiennent notamment que :
- l'engagement de la Brasserie Mauro à hauteur de 11 960 euros + 7 342,72 euros c'est-à-dire 16 139 euros HT est dérisoire au regard des obligations imposées à eux (achats pour 490 707 euros, et clause pénale pour 79 731,89 euros), et par suite le contrat d'approvisionnement est annulable pour absence de cause ; les quantités contractuelles d'achats de boissons sont irréalisables et n'ont jamais été atteintes ;
- cet approvisionnement est total et donc supérieur à 80 % ce qui fait que sa durée doit être limitée à 5 ans ;
- cette clause pénale est excessive au regard de leur engagement, d'autant qu'ils ont partiellement exécuté celui-ci.
Les appelants demandent à la cour de réformer le jugement et de :
- vu le règlement d'exemption n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 et les lignes directrices du 13 octobre 2000 :
* constater que le contrat d'approvisionnement exclusif du 28 février 2007 prévoit une durée de 7 années ;
* constater que le droit communautaire fixe la durée maximale des contrats de distribution à 5 années ;
* constater que les dispositions anti-concurrentielles sont inapplicables auxdits accords de fourniture de bière et de boissons ;
* dire et juger inapplicables ces dispositions ;
* dire et juger que la durée du contrat précité sera ramenée à 5 années ;
* dire et juger que ledit contrat a été conclu du 28 février 2007 au 28 février 2012 ;
- vu l'article 1131 du Code civil :
* constater que la Brasserie Mauro a consenti des avantages économiques et financiers à la société Le Clémenceau pour un montant total de 16 139 euros HT ;
* constater que le contrat prévoit des quotas très importants de boissons de gammes diverses d'une somme totale annuelle de 70 101 euros HT selon les conclusions adverses soit 490 707 euros pour 7 ans ;
* constater que la Brasserie Mauro sollicite la condamnation au paiement d'une pénalité de 79 731,89 euros évaluée sur une durée de 7 années visée irrégulièrement au contrat ;
* constater que l'engagement est disproportionné ;
* prononcer la nullité de la convention pour absence de cause ;
* dire et juger que l'engagement d'approvisionnement exclusif est nul pour défaut de cause ;
* rejeter la demande de condamnation au paiement de pénalités formulées par la Brasserie Mauro ;
- à titre subsidiaire vu les articles 1152 et 1231 du Code civil :
* constater que la contrepartie de la Brasserie Mauro était dérisoire ;
* constater que cette pénalité de 494 % est excessive ;
* dire et juger que ce montant est excessif eu égard à l'engagement de la Brasserie Mauro ;
* dire et juger que la modération de l'indemnité sera ordonnée ;
- condamner la Brasserie Mauro au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Concluant le 18 octobre 2011 la SA Brasserie Mauro Antibes répond notamment que :
- ses adversaires ont attendu 3 années d'exécution loyale par eux du contrat pour le décrier et le dénoncer unilatéralement ;
- l'obligation de ceux-ci a pour contrepartie les avantages consentis par elle ;
- la société Le Clémenceau n'a pas rencontré de difficulté économique, mais a voulu ne pas respecter ses obligations contractuelles ;
- la fixation à 7 années de la durée du contrat est parfaitement licite vu la contrepartie économique et financière précitée ;
- la clause pénale n'est pas excessive même après 2 ans d'exécution du contrat.
L'intimée demande à la cour de confirmer le jugement et en outre de condamner solidairement ses adversaires à lui payer les sommes de :
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour leur résistance abusive et injustifiée ;
- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 septembre 2012.
MOTIFS DE L'ARRET :
Les avantages économiques et financiers consentis par la Brasserie Mauro pour un total de 19 302,72 euros TTC selon le contrat, auxquels doit s'ajouter le dépôt de matériel pour 1 978,30 euros TTC soit au total 21 281,02 euros TTC, ont pour contrepartie l'engagement de la société Le Clémenceau et de Monsieur Castenetto d'acheter des boissons à titre exclusif pendant 7 années pour 70 101 euros HT soit 83 8407,80 euros TTC par an ; cependant cette contrepartie bien que modeste n'est pas dérisoire ni suffisamment disproportionnée pour caractériser une absence de cause de cet engagement ; ne sera donc pas prononcée la nullité de la convention du 28 février 2007, d'autant que la Brasserie Mauro n'a jamais reproché à ses co-contractants de n'avoir que partiellement réalisé leur engagement :
- 57 684,55 euros HT en 2007,
- 54 562,82 euros HT en 2008,
- 42 735,14 euros HT en 2009,
- 2 397,19 euros HT en 2010.
La date de la convention liant les parties (28 février 2007) soumet celle-ci non au règlement européen n° 1984-83 du 22 juin 1983 comme l'a retenu le Tribunal de commerce, mais à celui n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 en vigueur du 1er janvier 2000 au 31 mai 2010. L'article 1er-b de ce texte qualifie "obligation de non-concurrence" "toute obligation (...) imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur (...) plus de 80 % de ses achats annuels", ce qui est le cas en l'espèce puisque la société Le Clémenceau et Monsieur Castenetto se sont engagés à acheter la totalité soit 100 % de leurs boissons à la Brasserie Mauro ; et l'article 5-a précise que l'exemption c'est-à-dire l'inapplicabilité de ce règlement ne s'applique pas à "toute obligation (...) de non-concurrence dont la durée (...) dépasse cinq ans". C'est donc à juste titre que les appelants demandent à la cour de réduire à 5 ans soit jusqu'au 28 février 2012 la durée de la convention fixée à 7 ans.
La clause pénale de 20 % du chiffre d'affaires restant à réaliser jusqu'au terme du contrat est à calculer, vu la réduction précitée, sur les deux années de la période de mars 2010 à février 2012, soit en principe 70 101 euros x 2 x 20 % = 28 040,40 euros ; le tribunal de commerce ne pouvait décider de soumettre cette somme à la TVA puisqu'il s'agit non d'une prestation mais d'une indemnité ; en outre le fait que la Brasserie Mauro ait implicitement mais nécessairement accepté que la société Le Clémenceau et Monsieur Castenetto achètent moins que ce à quoi ils s'étaient engagés permet à la cour de juger que la somme précitée est manifestement excessive au sens de l'article 1152 alinéa 2 du Code civil, et de la diminuer de moitié soit un solde de 14 020,20 euros.
Le bien-fondé partiel de la contestation des appelants exclut de faire droit à la demande de l'intimée en dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée.
Enfin l'équité fait obstacle à la demande de la Brasserie Mauro au titre des frais irrépétibles d'appel.
Décision : LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Infirme le jugement du 4 avril 2011 sur le montant de l'indemnité contractuelle de rupture, et réduit celle-ci à la somme de 14 020,20 euros. Confirme tout le reste du jugement. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SARL Le Clémenceau et Monsieur Jean-Marie Castenetto aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.