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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 2, 20 novembre 2012, n° 11-03716

AMIENS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rinuy

Conseillers :

Mmes Lorphelin, Dubaele

Avocats :

Mes Castelotte, Contant

TI Senlis, du 6 juill. 2011

6 juillet 2011

Rappel des faits et de la procédure :

Le 14 octobre 2010, M. Régis X a acquis de Mme Angélique Y un véhicule automobile Renault Laguna immatriculé AT 182 FN pour le prix de quatre mille euro.

M. Régis X a fait assigner Mme Angélique Y, le 30 mars 2011, aux fins de voir prononcer l'annulation de cette vente, voir ordonner l'enlèvement du véhicule sous astreinte et voir condamner la venderesse à lui restituer le prix de vente, lui rembourser le coût d'une facture de travaux et lui régler une somme de 1 500 euro au titre du préjudice de jouissance et des frais d'assurance.

Mme Y s'est opposée à ces demandes en invoquant l'information de l'acquéreur avant la vente d'un changement de moteur et l'absence de vices cachés.

Par un jugement du 6 juillet 2011, le Tribunal d'instance de Senlis a débouté M. X de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.

Le premier juge a retenu que l'ancienneté du véhicule et son fort kilométrage étaient des éléments de nature à susciter l'attention du futur acquéreur, que l'expertise a fait apparaître que les différentes anomalies présentées par le véhicule étaient à mettre en relation avec son fort kilométrage et que Mme Y a établi par la production de deux attestations qu'elle avait averti M. X du changement de moteur avant la vente.

M. Régis X a formé appel de ce jugement le 19 septembre 2011.

Aux termes d'ultimes conclusions du 19 décembre 2011, M. Régis X prie la cour d'infirmer le jugement et de :

- prononcer l'annulation de la vente ;

- en conséquence, voir condamner Mme Y à lui payer la somme de 4 000 euro avec intérêts de retard aux taux légal à compter de la date de la vente, en tant que de besoin à titre de supplément de dommages et intérêts ;

- condamner Mme Y à lui payer la somme de 1 000 euro en réparation de son préjudice de jouissance ;

- débouter Mme Y de sa demande de délais de paiement ;

- condamner Mme Y à supporter les dépens de première instance et d'appel et à lui payer une somme de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Aux termes d'ultimes conclusions en réponse du 27 décembre 2011, Mme Y prie la cour, à titre principal, de confirmer le jugement, à titre subsidiaire, de lui accorder des délais de paiement, en tout état de cause, de condamner M. X à supporter les entiers dépens et à lui régler une indemnité de procédure de 2 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties citées ci-dessus pour l'exposé de leurs moyens et de leurs prétentions.

L'appelant, qui vise dans ses écritures d'appel les dispositions des articles 1109, 1116 et 1641 du Code civil et les dispositions des articles L. 121-1, L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation, soutient que Mme Y a fait preuve de réticence dans l'annonce parue sur un site de vente par Internet en ne précisant ni le changement du moteur, ni le kilométrage exact du véhicule. Il conteste la valeur probante des attestations produites par Mme Y aux motifs que M. Z est son compagnon et que les faits rapportés par M. A sont anecdotiques. Il produit lui-même une attestation qui vient contredire les affirmations de Mme Y concernant l'information qui lui aurait été donnée sur le changement de moteur.

Il fait encore observer qu'à supposer retenu qu'il ait été informé du changement de moteur, il appartiendrait encore à Mme Y d'établir la preuve que le véhicule et le moteur avaient 110 000 kilomètres lors de la vente pour être en conformité avec l'annonce, laquelle ne précisait pas que le kilométrage n'était pas garanti.

Il souligne enfin que Mme Y n'a fourni ni en cours d'expertise, ni dans le cadre de l'instance, d'élément sur les conditions dans lesquelles le moteur aurait été remplacé, notamment la provenance du moteur, la qualification de la personne ayant procédé au changement du moteur et le kilométrage du moteur.

Pour s'opposer aux délais de paiement sollicités par Mme Y, il fait valoir que celle-ci n'a produit aucune pièce sur sa situation économique.

Mme Angélique Y admet une mauvaise rédaction de l'annonce, mais conteste avoir trompé l'acheteur sur l'état du véhicule. Elle soutient que M. X a longuement essayé le véhicule avec M. B qu'il a présenté comme étant un ami mécanicien, qu'elle l'a informé du changement de moteur, que le contrôle technique faisait ressortir que le véhicule ne présentait pas de défaut à corriger et que M. X a négocié le prix, obtenant une baisse de 600 euro par rapport au prix demandé.

Elle conteste la sincérité du témoignage de M. B, produit tardivement par M. X en cause d'appel.

Ceci expose :

- Sur le défaut de conformité :

La cour relève que M. X n'est pas fondé à invoquer les dispositions des articles L. 121-1, L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation, lesquels sanctionnent pénalement les pratiques commerciales trompeuses des professionnels de la vente et ne sont pas applicables aux contrats conclus entre de simples particuliers.

- Sur la nullité du contrat de vente pour dol :

M. X invoque en cause d'appel les dispositions des articles 1109 et 1116 du Code civil.

La cour relève que la circonstance que Mme Y ait précisé dans son annonce diffusée le 14 octobre 2010 sur un site de vente par Internet que son véhicule Renault Laguna, mis en circulation en 2001, présentait un kilométrage de 110 000 kilomètres, alors que l'expertise diligentée contradictoirement par le Cabinet C établit que le compteur kilométrique présentait une anomalie, que le véhicule avait déjà parcouru 118 000 kilomètres lors d'une précédente intervention réalisée par le garage Lisi en 2003 et qu'il avait subi, à une date et dans des conditions techniques non précisées par Mme Y, un changement de moteur par un échange avec un moteur d'occasion présentant un kilométrage de 153 000 kilomètres, constitue incontestablement une manœuvre pratiquée par la venderesse pour parvenir à la vente dans des conditions de prix favorables.

La contradiction flagrante entre les témoignages produits par les parties sous la forme d'attestations ne permet pas à la cour de se forger une opinion sur l'information donnée par Mme Y à M. X au moment de la transaction sur le changement de moteur.

Cependant, à supposer retenue la version rapportée par MM. Z et X selon laquelle Mme Y a informé M. X que le véhicule avait subi un changement de moteur, une telle information était incomplète et trompeuse.

La cour relève en effet qu'il est communément admis qu'un échange standard de moteur consiste à remplacer un moteur usé et ses accessoires, notamment la courroie de distribution et les filtres, par un moteur neuf usiné par le constructeur du véhicule et posé par un professionnel de l'automobile.

Or, les éléments recueillis au cours de l'expertise ont permis d'établir que le moteur de remplacement était un moteur d'occasion ayant déjà parcouru un fort kilométrage, 153 000 kilomètres, et il se déduit tant des constatations de l'expert que des éléments débattus dans le cadre de la présente instance que Mme Y n'a fourni à M. X aucune facture correspondant à la fourniture et à la pose de ce moteur.

Cette manœuvre frauduleuse a été déterminante dans la vente, tant il apparaît manifeste que M. X n'aurait pas acquis ce véhicule d'occasion s'il avait eu connaissance du kilométrage réellement parcouru au jour de la vente tant par le véhicule que par le moteur, étant rappelé que, d'après le rapport d'expertise, ce véhicule a présenté, dès les premiers jours d'utilisation par l'acquéreur, de graves anomalies qui ont conduit M. X à renoncer à le remettre en état. Dans le corps du rapport d'expertise, l'expert a confirmé que l'évaluation de la remise en état ne peut être envisagée car elle conduirait à des frais inconsidérés.

En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de répondre à l'argumentation surabondamment développée par M. X sur la nullité de la vente pour vice caché et sur le manquement de la venderesse à son obligation de délivrance, il convient de prononcer la nullité de la vente pour dol et de dire que Mme Y devra restituer à M. X le prix de vente, soit la somme de 4 000 euro, et que M. X sera tenu de restituer le véhicule vendu.

Aucun élément de la cause ne justifiant de faire rétroagir les intérêts moratoires au jour de la vente, il convient de rejeter cette demande formée par M. X à titre de complément de dommages et intérêts et de prévoir que cette somme sera productive d'intérêts moratoires au taux légal à compter du jour de l'acte introductif d'instance valant mise en demeure, soit du 30 mars 2011.

- Sur les autres demandes indemnitaires :

M. X n'a pas produit la facture de travaux dont il réclame le remboursement, de sorte qu'il doit être débouté de cette demande.

La cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 1 000 euro la réparation du préjudice résultant de l'immobilisation du véhicule, lequel s'est rapidement révélé impropre à son usage.

- Sur la demande de délais de paiement :

Les articles 1244 et 1244-1 alinéa 1er du Code civil disposent que le débiteur ne peut forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette même divisible, que, toutefois, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.

La cour relève que Mme Y, qui a fournit le montant des prestations qui lui sont versées par la Caisse d'Allocations Familiales, n'a pas précisé les revenus de son foyer, étant relevé qu'elle vit maritalement avec M. Frédéric Z lequel a établi, dans le cadre du présent litige, une attestation qui ne mentionne pas cette communauté d'intérêts, mais qui fait apparaître qu'ils sont domiciliés à la même adresse.

Il convient également de prendre en considération les besoins de M. X, simple particulier qui se trouve privé depuis de nombreux mois de l'usage auquel il destinait le véhicule et qui n'a pas reçu une juste réparation de son dommage en raison du refus opposé par Mme Y à tout arrangement amiable, ainsi que le mentionne le rapport d'expertise.

Ces éléments justifient le débouté de la demande de délais de paiement formée par Mme Y

- Sur les dépens :

Le jugement doit être réformé en ce qu'il condamne M. X à supporter les dépens de première instance.

Succombant en ses prétentions, Mme Y doit être condamnée à supporter les dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité formée par M. X en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 6 juillet 2011 par le Tribunal d'instance de Senlis ; Statuant à nouveau, Prononce la nullité de la vente du véhicule automobile Renault Laguna immatriculé AT 182 FN conclue le 14 octobre 2010 entre Mme Angélique Y et M. Régis X ; Condamne Mme Angélique Y à restituer à M. Régis X la somme de 4 000 euro reçue au titre du prix de vente ; Dit que cette somme sera productive d'intérêts moratoires au taux légal à compter du 30 mars 2011, date de la délivrance de l'acte introductif d'instance ; Dit M. Régis X tenu de restituer le véhicule à Mme Angélique Y, dans le délai de cinq jours suivant la date de l'encaissement effectif des sommes mises à la charge de celle-ci au titre de la restitution du prix de vente et des intérêts moratoires ; Condamne Mme Angélique Y à régler à M. Régis X une somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance et une indemnité de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel et condamne Mme Angélique Y à les supporter intégralement.