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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 22 novembre 2012, n° 12-00672

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Roto Consulting (SA)

Défendeur :

Maury Imprimeur (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Raffejeaud

Conseillers :

MM. Garnier, Monge

Avocats :

Selarl Celce-Vilain, Mes de La Taste, Deviers

T. com. Orléans, du 19 janv. 2012

19 janvier 2012

Par contrat du 17 juillet 2002, la société Maury Imprimeur (la société Maury) a confié à Madame Karin Locatelli un mandat d'agent commercial en vue du démarchage de la clientèle d'éditeurs européens de langue allemande pour des travaux d'impression de livres. Prétendant que la société Maury ne respectait pas ses engagements financiers en matière de paiement de frais et de commissions, la société Roto Consulting, dont Madame Locatelli est la gérante, a pris acte de la rupture du contrat par lettre recommandée du 28 décembre 2009, puis a assigné la société mandante, par acte du 24 juin 2010, en paiement de rappels de frais et commissions et de diverses indemnités.

Par jugement du 19 janvier 2012, le Tribunal de commerce d'Orléans a déclaré irrecevable en son assignation la société Roto Consulting.

La société Roto Consulting a relevé appel et Madame Locatelli intervient volontairement à l'instance à ses côtés.

Par ses dernières conclusions signifiées le 2 octobre 2012, la société Roto Consulting fait valoir que son action est recevable dans la mesure où il n'y a pas eu violation de la clause d'intuitu personae incluse à l'article 10 du contrat puisque Madame Locatelli, qui a créé la société Roto Consulting en juillet 2002, en détient la totalité des parts et exécute le contrat litigieux sous la forme d'une personne morale. Elle considère que la société Maury a donné un accord écrit tacite à la substitution opérée en lui écrivant à plusieurs reprises et en lui réglant les commissions sans soulever d'objections. Subsidiairement, elle demande le prononcé des condamnations au profit de Madame Locatelli, intervenante volontaire. Elle déclare avoir mis fin au contrat en raison du non-paiement de sommes d'argent, de la modification unilatérale des termes du contrat et de l'atteinte portée à sa réputation. Elle sollicite la condamnation de la société Maury en paiement des sommes de 40 000 euros au titre des majorations des frais fixes au-dessus d'un million d'euros de chiffre d'affaires annuel, 3 361,39 euros de frais de déplacements, 13 480,94 euros de rappels de commissions pour le compte de Brodard Graphique, 30 000 euros correspondant à une indemnité de préavis de douze mois et 60 000 euros à raison de l'indemnité de rupture sur le base de deux années de commissions, ainsi que 15 000 euros au titre de la clause de non-concurrence, outre 2 500 euros pour résistance abusive. Elle fait observer qu'aucune prescription n'est acquise et qu'elle n'est pas déchue du droit à indemnité sur le fondement de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Par ses dernières écritures du 3 octobre 2012, la société Maury relève que la société Roto Consulting est tiers au contrat qui exigeait un accord écrit pour une cession ou un transfert à quiconque et que son défaut de qualité à agir est donc manifeste, peu important la circonstance que Madame Locatelli en soit la gérante. Elle prend acte de l'intervention de Madame Locatelli. Subsidiairement, elle indique que les commissions de l'année 2004 sont prescrites par application de l'article L. 110-4 du Code de commerce. Pour les années ultérieures, elle affirme que Madame Locatelli ne justifie pas du dépassement de chiffre d'affaires permettant le versement d'un complément de commissions, ce d'autant plus que le quotidien Metro a été imprimé par la société Brodard Graphique, indépendante de Maury et qu'il s'agit de commandes étrangères au contrat. Elle dénie avoir jamais reconnu être débitrice de sommes au titre de ce quotidien. Elle ajoute que les factures de frais de voyage ne sont pas produites. Elle souligne que Madame Locatelli n'ayant passé aucune commande au cours de l'année 2009, la cessation des relations remonte à la fin de l'année 2008, de sorte qu'elle est déchue de son droit à réparation tant au titre du préavis que de la rupture, en vertu des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Sur quoi

Sur les irrecevabilités soulevées

Attendu, selon l'article 10 de la convention conclue le 17 juillet 2002 entre les parties, que " le présent contrat étant conclu intuitu personae avec Madame Karin Locatelli, il ne pourra être cédé ou transféré en tout ou partie d'une manière quelconque à quelque personne physique ou morale que ce soit, notamment par voie d'apport partiel d'actifs, de cession ou de mise en location-gérance du fonds de commerce constitué par l'activité objet des présentes, sans l'accord écrit de la société Maury " ;

Que lorsque les clauses d'un contrat sont claires et dépourvues d'ambiguïté, il n'y a pas lieu, sous peine de dénaturation, de les interpréter ; que la clause litigieuse n'interdit pas le transfert du bénéfice du contrat à un tiers mais exige simplement l'accord écrit de la société Maury, inexistant en l'espèce ; qu'en effet, les factures alléguées émises par la société Roto Consulting portent la mention " comme prévu dans les accords signés en date du 17/07/2002, selon contrat entre Mme Karin Locatelli et Maury Imprimeur SA " ; que la domiciliation bancaire pour une demande de virement est un compte à numéro ouvert dans une banque suisse sans indication du nom du titulaire ; que la création de la société Roto Consulting par Madame Locatelli est contemporaine de la signature du contrat d'agent commercial puisque les statuts sont en date du 25 avril 2002 et il était loisible à l'intéressée de l'indiquer à son cocontractant ; que l'existence de propositions de prix ou de quelques courriers électroniques envoyés par la société Maury à des personnes physiques disposant d'une adresse Internet chez la société Roto Consulting ne suffit pas à démontrer l'accord de la société intimée au transfert du contrat ; qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société Roto Consulting ;

Attendu, en revanche, que Madame Locatelli intervient volontairement devant la cour ; qu'en vertu de l'article 554 du Code de procédure civile, les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance peuvent intervenir en cause d'appel, dès lors qu'elles y ont intérêt et qu'elles ne soumettent pas à la cour d'appel un litige nouveau ; que la demande de Madame Locatelli porte sur les mêmes réclamations que celles qui avaient été présentées par la société Roto Consulting et procède de la demande originaire sans instituer un litige nouveau ; que l'intervention de Madame Locatelli est donc recevable, ce qui n'est d'ailleurs pas discuté par la société Maury ;

Sur les frais et commissions impayés

Attendu que le contrat prévoit le versement d'une somme fixe mensuelle correspondant à la participation aux frais de bureau et secrétariat, ainsi que des commissions sur le montant des ventes d'impression et de brochage, les montants dépendant des seuils de chiffre d'affaires réalisés ;

Que Madame Locatelli réclame d'abord un supplément de 18 000 euros de remboursements forfaitaires de frais mensuels pour les années 2004, 2007, et 2008, en raison du dépassement de un million d'euros de chiffre d'affaires pour ces trois années, le montant forfaitaire devant passer dans cette circonstance de 1 000 euros à 1 500 euros ; que toutefois, malgré le fait que la demande pour 2004 n'est pas prescrite, au regard des dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 qui a réduit la prescription commerciale à cinq années, Madame Locatelli ne justifie pas des chiffres d'affaires invoqués, ce d'autant plus que les opérations concernant le quotidien gratuit Metro ont été traitées avec la société Brodard Graphique et sont étrangères au contrat d'agent commercial, même si cette dernière société appartient au même groupe que la société Maury ; que la société Maury reste néanmoins redevable des 10 factures mensuelles de 1 000 euros de mars à décembre 2009, soit 10 000 euros ; que les justificatifs de frais de voyage pour 3 361,39 euros ne sont pas fournis et Madame Locatelli sera déboutée de ce chef ; que la facturation à la société Brodard Graphique concernant la client Metro n'a pas à être supportée par la société Maury en raison de l'indépendance des personnes morales dans un groupe de sociétés et les messages de Monsieur Jean-Paul Maury, président du groupe Maury, reconnaissant une dette de " commissions sur Brodard ", n'impliquent pas un engagement de la société Maury de les régler à la place de la débitrice ; qu'il en résulte également que la demande de Madame Locatelli de production des bases des commissions Metro sera rejetée ;

Que, par contre, une facture de 2 405,10 euros relative à des travaux " Redblue " 2007 sur livres de poche n'est pas contestable et doit être imputée à la société Maury ;

Sur l'imputabilité de la rupture

Attendu que, par application des dispositions des articles L. 134-12 et 134-13 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, mais que cette réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent, ou qu'elle résulte de son initiative, à moins que cette cessation ne soit justifiée par les circonstances imputables au mandant ;

Qu'en l'espèce, la lettre de rupture du 28 décembre 2009, sous la signature commune de la société Roto Consulting et de Madame Locatelli, invoque l'absence de règlement de commissions et indemnités, la modification unilatérale du taux des commissions et l'atteinte portée au crédit auprès de la clientèle ; que, certes, la société Maury ne réglait plus depuis le début de 2009 les remboursements de frais fixes mensuels, mais Madame Locatelli reconnait elle-même dans ses écritures (page 5) que l'impression de livres de poche était tombée à 36 000 euros en 2007 avant de cesser totalement, ce qui est confirmé dans une lettre de Maury du 31 mars 2010 indiquant " qu'à ce jour, les ventes faites ou contacts ou études sont inexistantes " ; qu'à supposer même que le défaut de paiement des frais fixes ait pu créer les circonstances rendant imputable à la société Maury la rupture du contrat à l'initiative de Madame Locatelli, il n'en reste pas moins que le préjudice subi par elle se limite à la perte pour l'avenir de ces remboursements de frais fixes et qu'il ne saurait y avoir lieu à paiement d'une indemnité de 60 000 euros correspondant à deux années de commissions ;

Attendu que le contrat avait été conclu pour une durée indéterminée avec possibilité de résiliation à tout moment sous réserve du respect d'un préavis de douze mois ; que le délai d'un an prévu à l'article L. 134-12 du Code de commerce pour solliciter réparation, dont il n'est pas établi qu'il était expiré le 28 décembre 2009, ne s'applique pas, en tout état de cause, à l'indemnité visant à compenser le non-respect du préavis prévu par l'article L. 134-11 du même code, de sorte que la société Maury sera condamnée à payer à Madame Locatelli la somme de 12 000 euros à ce titre, correspondant à douze mois de remboursement forfaitaire, ce qui excède largement la durée du préavis de trois mois fixée par l'article L. 134-11 précité et couvre suffisamment le préjudice subi du fait de la rupture ;

Attendu, enfin, qu'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence n'est pas imposée par l'article L. 134-14 du Code de commerce et Madame Locatelli sera déboutée de sa demande à ce titre ; que la résistance de la société Maury ne peut être qualifiée d'abusive, et la demande de dommages et intérêts sur ce point sera rejetée ;

Attendu que la société Maury supportera les dépens de première instance et d'appel et versera, en outre, à Madame Locatelli la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable la société Roto Consulting ; Déclare recevable l'intervention volontaire de Madame Locatelli ; Condamne la société Maury Imprimeur à payer à Madame Locatelli les sommes de 10 000 euros au titre du remboursement mensuel forfaitaire des frais 2009, 2 405,10 euros à raison de commissions " Readblue " et 12 000 euros à titre d'indemnité de préavis et de rupture ; Rejette les autres demandes de paiement ou de production de pièces formées par Madame Locatelli ; Condamne la société Maury Imprimeur aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Madame Locatelli la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.