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Décisions

Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-14.588

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

SMEG (Sté)

Défendeur :

Rothelec (SAS), Ego France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Wallon

Avocat général :

M. Le Mesle

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Bénabent, SCP Boullez

Colmar, 1re ch. A, du 23 nov. 2010

23 novembre 2010

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société SMEG que sur le pourvoi incident relevé par la société Rothelec ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 23 novembre 2010), que la société Rothelec, fabricant de plaques de cuisson électriques, a vendu des tables à induction à la société SMEG entre 2003 et 2005 ; que certaines d'entre elles s'étant révélées défectueuses, la société SMEG a notifié le 13 janvier 2006 à la société Rothelec la rupture de leurs relations commerciales et, le 20 février 2007, l'a assignée en résolution de la vente pour vices cachés, subsidiairement pour erreur sur les qualités substantielles et non-conformité ; que la société Rothelec a formé contre la société SMEG une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale de relations commerciales et a appelé en garantie la société Ego France, fabricant de composants électroniques ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal : - Attendu que la société SMEG reproche à l'arrêt d'avoir constaté qu'elle était déchue de son droit de se prévaloir d'un défaut de conformité en application de l'article 39.2° de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises (CVIM) et d'avoir rejeté ses demandes, alors, selon le moyen : 1°) que dans ses écritures d'appel, la société Rothelec se bornait à soutenir que la société SMEG avait méconnu les dispositions de l'article 39.1 de la CVIM et, subsidiairement, l'article 1648 du Code civil, en exerçant son action au-delà d'un " délai raisonnable ", courant à compter du jour où elle avait eu connaissance du vice ; que la cour d'appel, qui, rejetant ce moyen, estime néanmoins que la société SMEG devait être déchue de son droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, faute d'avoir agi dans un délai de deux ans à compter de la livraison des marchandises, en application de l'article 39.2 de la Convention de Vienne, a méconnu les termes du litige, et violé les articles 4, 5 et 7 du Code de procédure civile ; 2°) que la société Rothelec n'a jamais soutenu que l'action aurait été forclose pour avoir été introduite à l'expiration du délai de deux ans fixé par l'article 39.2 de la CVIM, ce qui eût impliqué qu'elle rapporte la preuve, pour chacune des marchandises atteinte d'un vice, de la date de livraison de celle-ci, question sur laquelle elle ne prenait pas parti dans ses écritures ; que l'arrêt attaqué, qui relève d'office le moyen tiré de la méconnaissance par la société SMEG de l'article 39.2 de la CVIM, texte dont la société Rothelec ne se prévalait pas pour faire juger tardive ou prescrite l'action de l'exposante, sans inviter les parties à s'expliquer sur les conditions, en fait, de l'application de ce texte en l'espèce, a violé les articles 12 et 16 du Code de procédure civile ; 3°) que dans ses écritures d'appel, la société SMEG faisait valoir que les tables de cuisson étaient toutes atteintes du même vice, ayant pour origine la même panne technique, commune à l'ensemble des tables de cuisson, qui avaient été livrées successivement dans le temps ; qu'elle en déduisait que le délai de l'article 39.2 de la Convention, devait commencer à courir à compter des premières livraisons, intervenues à partir d'octobre 2003, et que la dénonciation à la société Rothelec du défaut de conformité, intervenue en décembre 2004 valait pour toutes les autres livraisons affectées du même vice ; que la cour d'appel, qui omet de répondre à ce moyen déterminant des écritures de la société SMEG, établissant qu'elle avait agi à l'intérieur du délai de deux ans prévu par le texte susvisé, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 4°) que celui qui se prétend libéré d'une obligation doit justifier le fait qui a produit l'extinction de l'obligation ; que la société Rothelec, qui se prétendait libérée par l'expiration du délai butoir de l'article 39.2 de la Convention de Vienne, avait la charge de prouver qu'un délai de deux ans s'était écoulé depuis la livraison sans que la société SMEG dénonce à son fournisseur le défaut de conformité des marchandises livrées, ce qui supposait que soit rapportée la preuve de la date à laquelle les marchandises lui avaient été remises ; que la société Rothelec n'a ni prouvé cette date ou ces dates s'agissant d'un contrat à exécution échelonnée ni offert de les prouver ; que la cour d'appel, qui a rejeté les demandes de la société SMEG au prétexte que la société SMEG n'apportait pas les éléments probants établissant qu'elle avait respecté le délai butoir de deux ans pour chaque table à induction litigieuse, de sorte qu'elle était déchue du droit de dénoncer un défaut de conformité des marchandises au sens de la CVIM, lorsqu'il incombait à la société Rothelec, demanderesse à l'exception de déchéance de l'article 39.2, d'établir que les conditions d'application de cette règle étaient réunies en prouvant les dates des livraison successives qui constituaient le point de départ du délai de déchéance, a inversé la charge de la preuve en violation des articles 1315 du Code civil et 39.2 de la Convention ; 5°) qu'aux termes de l'article 39.2 de la CVIM, dans tous les cas, l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d'une garantie contractuelle ; que ce délai dit délai butoir de l'article 39.2 n'est pas un délai de prescription mais le délai dans lequel se trouve enfermée la dénonciation du défaut de conformité de l'article 39.1 ; qu'en jugeant que ce délai était un délai de prescription susceptible d'être interrompu par une demande en référé, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu, en premier lieu, que dans ses conclusions d'appel, la société Rothelec invoquait l'expiration du délai de deux ans prévu par l'article 39.2 de la CVIM, de sorte que la cour d'appel n'a ni méconnu les termes du litige ni violé le principe de la contradiction ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir énoncé que le délai de l'article 39.2 de la CVIM court à compter de la date à laquelle les marchandises ont été effectivement remises à l'acheteur, ce qui suppose de connaître précisément la date de chaque vente Rothelec intervenue auprès de la société SMEG, notamment celle à laquelle la première a livré chaque table à induction, identifiable par son numéro de série, à la seconde, et qu'il n'est pas possible de se référer globalement aux livraisons au cours des années considérées, l'arrêt constate que la société SMEG, qui a la charge de prouver qu'elle a dénoncé le défaut de conformité dans le délai, omet de préciser et de justifier des différentes dates auxquelles elle a précisément obtenu livraison de chaque table litigieuse ; qu'en l'état de ces constatations, appréciations et énonciations, la cour d'appel, qui a répondu au grief de la troisième branche, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué à la cinquième branche, légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli dans ses première et deuxième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche : - Vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par la société Rothelec contre la société SMEG pour rupture brutale de relations commerciales établies, l'arrêt retient que même si la société SMEG se trouve déchue du droit de se prévaloir des défauts de conformité en application de l'article 39.2 de la CVIM, il est constant entre les parties qu'un nombre non négligeable de tables à induction, vendues par la société Rothelec à cette société, était atteint de vices cachés qui les rendaient inutilisables, et que la société venderesse a accepté, après examen des tables retournées, de procéder au remboursement de plusieurs dizaines d'entre elles et de dédommager la société SMEG pour les frais exposés, allant jusqu'à présenter ses excuses pour l'ensemble des désagréments subis, et que ces manquements paraissent suffisamment graves pour que la société Rothelec ne puisse prétendre obtenir le bénéfice d'un préavis, fût-il limité à trois mois ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les réparations réalisées par la société Rothelec n'avaient pas retiré toute gravité aux défauts invoqués par la société SMEG, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle formée par la société Rothelec contre la société SMEG en dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, l'arrêt rendu le 23 novembre 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Colmar, autrement composée.