CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 septembre 2012, n° 10-22276
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Electronique Occitane (SARL)
Défendeur :
SFR (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roche
Conseillers :
Mme Luc, M. Vert
Avocats :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Mes Michel, Fertier, de Lammerville
Vu le jugement du 28 octobre 2010 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a débouté la société Electronique Occitane de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société SFR et l'a condamnée à payer à cette dernière la somme de 7 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté par la société Electronique Occitane et ses conclusions du 28 mars 2012 ;
Vu les conclusions de la société SFR du 27 avril 2012 ;
SUR CE
Considérant qu'il résulte de l'instruction des faits suivants :
La société SFR (ci-après SFR) a pour activité l'établissement et l'exploitation d'un réseau de communication électronique et notamment de radiotéléphonie publique numérique.
Dans ce cadre, elle diffuse et commercialise différentes formules d'abonnements à son réseau, associées ou non à la revente d'un téléphone mobile, tant auprès du grand public que des entreprises.
La commercialisation des produits et abonnements SFR est effectuée soit directement par SFR elle-même, soit par différentes catégories de points de vente indépendants, spécialisés dans la vente d'appareils et de matériels de téléphonie mobile.
Elle a par ailleurs développé, sur la base de contrats de distribution similaires, un réseau plus spécifiquement destiné aux entreprises, composé de commerçants indépendants exerçant leur activité sous l'enseigne "Espace SFR Entreprise".
La société Electronique Occitane a, pour sa part, été créée en 1990 et a pour objet: "toutes activités concernant la communication en général, notamment toutes activités de négoce, installation, location, entretien, dépannage de matériel et installation de téléphonie, péritéléphonie, radiocommunication (prise en location-gérance) réalisation de tous travaux d'installation de réparation ou d'entretien électrique chauffage climatisation".
Après avoir successivement conclu avec SFR plusieurs contrats de distribution lui permettant de diffuser les offres d'abonnement de SFR dans son point de vente de Béziers, la société Electronique Occitane a passé le 30 décembre 2005 avec l'intéressée un nouvel engagement prévoyant notamment, que, dans son point de vente <adresse>, elle diffuserait une gamme de produits et services SFR dont l'étendue était strictement définie par le Contrat (les gammes Pro, Essentiel, Forfait Accès, Le Compte, VMCC 3 G et 2,5 G des produits Grand Public et la seule gamme Entreprise Voix des produits Entreprise) et assurerait les tâches liées à l'enregistrement des demandes d'abonnements.
En contrepartie, la société Electronique Occitane s'engageait à ce que 50 % au moins des abonnements souscrits par son intermédiaire soient des abonnements au réseau SFR, comme stipulé à l'article 1er de l'avenant.
L'article 5.6 du contrat prévoyait également que le distributeur s'engageait à réaliser un nombre minimum d'abonnements bruts par mois appelé "quota". Ce quota, fixé à l'Annexe 1 du Contrat, était de 60 abonnements bruts par mois.
Aux termes de l'article 14 du contrat, Electronique Occitane s'engageait aussi, en cas de résiliation, "à ne pas démarcher ou solliciter par des actions de marketing direct les abonnés titulaires d'un contrat d'abonnement souscrit et validé pendant la durée du présent contrat, pour le compte d'une société, d'un groupement ou toute autre entité morale concurrente de SFR dans le domaine de la téléphonie mobile, sur le territoire français, et ce, pendant une durée de douze (12) mois à compter de la résiliation du présent contrat".
Par ailleurs, le contrat n'accordait aucune exclusivité territoriale à la société Electronique Occitane.
L'article 12 du contrat prévoyait que celui-ci était conclu pour une déterminée de trois ans (outre la période allant de la signature du Contrat à la fin de l'année civile en cours) soit jusqu'au 31 décembre 2008, étant précisé que les parties avaient expressément prévu que :
"En aucun cas, le présent contrat ne peut être prorogé ou renouvelé par tacite reconduction."
Enfin, l'article 2 de l'avenant prévoyait que :
"En contrepartie de son engagement de part de marché tel que défini à l'article 1 ci-dessus, le Distributeur perçoit une rémunération mensuelle complémentaire de :
- un euro et vingt centimes (1,20) HT par mois sur son Parc d'abonnés tel que défini à l'article 3 ci-dessous à compter de l'entrée en vigueur du Contrat et pendant toute sa durée.
Toutefois, cette rémunération cesse d'être exigible dans les cas suivants :
- en cas de cessation définitive d'activité du Distributeur ;
- en cas de résiliation du Contrat à l'initiative de l'une ou l'autre partie et quelle qu'en soit la cause."
Le 16 juillet 2008 (soit plus de cinq mois avant le terme contractuellement prévu), SFR a adressé à la société Electronique Occitane un courrier lui rappelant que le contrat prendrait fin le 31 décembre 2008 conformément à son article 12.
A cette occasion, elle lui demandait, ainsi que le prévoyait l'article 13.5 du contrat, de bien vouloir dans les trente jours suivant cette date :
- "restituer à SFR tous les documents, supports de commercialisation et matériel de publicité et de promotion mis à votre disposition par SFR.
- restituer à SFR le stock de cartes SIM restant le cas échéant, en [sa] possession,
- cesser d'utiliser les marques et logos de SFR et, d'une manière générale, tout signe distinctif dont vous avez pu vous prévaloir dans le cadre de l'exécution du contrat."
Enfin, SFR informait la société Electronique Occitane, dans ce même courrier, de ce qu'elle la dispensait de l'obligation, prévue à l'article 14 du Contrat, de ne pas démarcher les abonnés SFR pendant un an.
C'est dans ces circonstances que, par acte en date du 26 février 2009, la société Electronique Occitane a assigné SFR devant le Tribunal de commerce de Paris afin de juger que le délai de préavis octroyé par SFR n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, que SFR aurait détourné la clientèle attachée à son fonds de commerce, et qu'elle aurait été dépossédée de sa clientèle du fait de cette dernière.
Elle demandait ainsi au tribunal de :
- condamner SFR au paiement de la somme de 150 000 euro au titre de la rupture brutale alléguée,
- condamner SFR au paiement de la somme de 600 000 euro à titre de dommages et intérêts pour détournement de clientèle,
- ordonner une expertise judiciaire "pour évaluer la valeur de la perte de la clientèle rattachée au fonds de commerce."
Le jugement susvisé présentement entrepris a été rendu le 28 octobre 2010.
Considérant que si l'appelante soutient que les relations commerciales qu'elle avait entretenues avec SFR avaient été rompues de manière brutale du fait d'une durée de préavis insuffisante et si elle réclame de ce chef le versement de la somme de 150 000 euro "au titre de la marge brute sur 12 mois", il convient de rappeler que l'article 12 précité prévoyait que le contrat en cause était conclu pour une durée déterminée de trois ans et qu'il ne pouvait être prorogé ou renouvelé par tacite reconduction ; que, par ailleurs, SFR a pris soin, par courrier du 16 juillet 2008, de rappeler à la société Electronique Occitane, laquelle avait une connaissance obligée du terme de son engagement, que celui-ci prendrait fin le 31 décembre de cette même année ; qu'il sera également souligné que le non-renouvellement d'un contrat à son échéance est un droit dont la société SFR n'a fait qu'user dans le cadre de l'exercice de sa liberté contractuelle ; qu'en l'occurrence ce non-renouvellement a eu lieu en stricte application des stipulations contractuelles et après que SFR eut rappelé l'intervention de cette échéance près de 6 mois avant sa survenance, laissant ainsi à l'appelante toute liberté pour réorienter utilement son activité ; que cette dernière était ainsi en mesure d'anticiper la fin de ses relations avec SFR dans un délai permettant de tenir compte de la durée de la relation commerciale entretenue par les parties et dont la mise en œuvre exclut que la société Electronique Occitane puisse désormais exciper à l'encontre de son partenaire des dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce et solliciter des dommages-intérêts au titre d'une prétendue brutalité dans la cessation de leurs relations ;
Considérant que l'appelante soutient, en deuxième lieu, qu'elle aurait été dépossédée de sa clientèle par SFR après la survenance du terme du contrat, ce qui lui ouvrirait droit à indemnisation sur le fondement de la théorie de l'enrichissement sans cause ; que, toutefois, il sera relevé que la société Electronique Occitane n'était liée par aucune clause de non-concurrence qui lui aurait interdit d'exploiter sa clientèle après l'arrivée du terme du contrat ; qu'à ce sujet il convient, tout d'abord, de souligner que l'article 14 du contrat liant les parties et aux termes duquel :
"Le distributeur s'engage en cas de résiliation du présent contrat à ne pas démarcher ou solliciter par des actions de marketing direct les abonnés titulaires d'un contrat d'abonnement souscrit et validé pendant la durée du présent contrat, pour le compte d'une société, d'un groupement ou toute autres entité morale concurrente de SFR dans le domaine de la téléphonie mobile, sur le territoire français et ce pendant une durée de douze mois à compter de la résiliation du présent contrat" ne constitue aucunement une clause de non-concurrence qui interdirait à l'appelante de poursuivre l'exploitation de son fonds mais une simple stipulation prohibant pendant une durée de 12 mois un éventuel démarchage des abonnés SFR par "marketing direct" ; qu'au surplus, par courrier du 16 juillet 2008, l'intimée avait expressément dispensé la société Electronique Occitane de toute obligation liée à ladite clause et ce dès l'arrivée du terme du contrat ; que si l'appelante prétend, néanmoins, que les articles 13-5 et 13-6 dudit contrat constitueraient des clauses de non-concurrence déguisées, il échet de rappeler que ne sont de telles clauses que celles par lesquelles un contractant se prive de la faculté d'exercer pendant une certaine période et dans une aire géographique déterminée une activité professionnelle susceptible de concurrencer celle de l'autre ; que tel n'est pas le cas des articles litigieux qui se bornent à définir les conséquences et les modalités pratiques de l'arrivée du terme du contrat en matière de cessation d'accès au serveur de prise d'abonnement et de restitution à SFR des éléments mis à disposition de son cocontractant en vue de la commercialisation de ses abonnements ; que la société Electronique Occitane ne saurait davantage invoquer une quelconque perte de clientèle induite par le non-renouvellement du contrat conclu dès lors que celui-ci est sans incidence sur la clientèle propre directement attachée au fond et que l'appelante pouvait, de toute façon, continuer à gérer et à développer et que, par ailleurs, la clientèle distincte composée des abonnés SFR est et demeure exclusivement attachée aux prestations offertes par l'intimée, telles que les offres de service, les promotions ou la couverture géographique du réseau, fruits des investissements réalisés par l'intéressée, étant observé que les souscripteurs d'abonnements auprès de cette dernière n'ont eux-mêmes aucun lien juridique avec la société Electronique Occitane même si le contrat lui-même a été conclu dans les locaux de celle-ci et par son intermédiaire ; que, par suite, aucune perte ou détournement de clientèle ne saurait être utilement invoqué à ce titre par l'appelante ; qu'il n'y a eu non plus ni appauvrissement (l'appelante conservant sa clientèle propre) ni enrichissement corrélatif (SFR ne bénéficiant d'aucune clientèle supplémentaire ou nouvelle) lors de la survenance du terme du contrat ;
Considérant que si la société Electronique Occitane prétend encore que "la perte non justifiée de air time ouvre droit à indemnisation, car cette perte de air time est en réalité la perte de la valeur de clientèle rattachée à l'exploitation du fonds de commerce" et si l'"Air Time" constitue effectivement une rémunération récurrente versée par SFR à chacun de ses distributeurs, correspondant à un pourcentage du montant des factures mensuelles payé par les abonnés qui ont souscrit leur forfait par l'intermédiaire du distributeur en question, il échet de relever que la non-reconduction de l'engagement ne peut, en l'espèce, qu'être assimilée à la résiliation de celui-ci quant à ses effets sur l'exigibilité de la partie variable de la rémunération de la société partenaire sauf à laisser perdurer à la charge de la société SFR une obligation qui ne trouverait sa cause dans aucun engagement d'un distributeur désormais dépourvu de tout lien avec cette dernière ;
que, par suite, l'appelante n'est nullement fondée à se prévaloir d'un droit à une telle rémunération et, dès lors, à l'indemnisation de cette prétendue perte consécutive à la fin des relations contractuelles entre les parties ;
Considérant, en troisième lieu, que l'appelante indique que SFR aurait "délibérément empêché son partenaire de fournir les offres et services de SFR à la clientèle rattachée au point de vente de Béziers" et verse à cet effet aux débats deux constats d'huissiers concernant deux abonnés de SFR : la Mairie de la Grande Motte et la Mairie de Canet en Roussillon ; qu'elle soutient également que SFR aurait démarché la clientèle de la société Electronique Occitane, "ce qui constitue[rait] une violation de l'obligation légale de bonne foi et de loyauté en vertu de l'article 1134 du Code civil" ;
Considérant, cependant, que les offres que pouvait commercialiser la société Electronique Occitane étaient expressément précisées dans le contrat et l'impossibilité pour l'intéressée de vendre l'intégralité des produits de la gamme entreprise n'était que le résultat de la stricte application des stipulations contractuelles liant les parties et aucunement la conséquence de manœuvres de la part de l'intimée ; que, de même, aucun "démarchage" fautif de clientèle ne saurait être imputé à cette dernière ; que les courriers produits à cet effet par l'appelante ne sont aucunement démonstratifs de la réalité d'un semblable démarchage alors surtout que la société SFR, qui réalise des campagnes promotionnelles auprès de ses abonnés, n'utilise ni le nom ni la réputation ni le savoir-faire ni les fichiers de la société appelante puisqu'il s'agit du fichier des abonnés de la société SFR elle-même ; que de surcroît, la société Electronique Occitane ne bénéficiait d'aucune exclusivité et ne peut reprocher à la société SFR de diffuser certains de ses propres services de radiotéléphonie mobile ; qu'en tout état de cause la clientèle que prétend s'attribuer l'appelante est en réalité une clientèle d'abonnés à l'opérateur SFR sur laquelle elle ne peut justifier d'aucun droit privatif ; qu'enfin, les campagnes de publicité réalisées au niveau national et local par la société SFR profitent nécessairement aux distributeurs tels que la société Electronique Occitane puisqu'elles font connaître au public la marque et les services proposés dans les Espaces SFR ; qu'il s'ensuit qu'aucune indemnisation ne saurait être ainsi allouée à l'appelante au titre du démarchage et du détournement de clientèle ainsi allégués ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il y a lieu de débouter la société Electronique Occitane de l'ensemble de ses prétentions en l'absence de toute preuve de l'existence des fautes reprochées à la société SFR et ce, sans qu'il soit besoin de rechercher la réalité des préjudices invoqués ou d'ordonner une quelconque expertise pour évaluer la valeur de la perte de clientèle rattachée au fonds de commerce ; qu'il convient, en conséquence, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Déboute la société Electronique Occitane de l'ensemble de ses demandes, La condamne aux dépens d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, La condamne également à payer à SFR la somme de 4 000 euro au titre des frais hors dépens.