CA Douai, 2e ch. sect. 2, 27 novembre 2012, n° 12-00899
DOUAI
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Alliance Optique (SA)
Défendeur :
Luxottica Belgium NV (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Valay-Briere, Barbot
Avocats :
Mes Congos, Segard, Deleforge, Radtke
La SA Alliance Optique, qui exploite en France et en Belgique un réseau de revendeurs indépendants d'optiques adhérents à sa centrale d'achat, et la société Luxottica Belgium NV, qui a pour activité la vente de montures de lunettes de marque, sont en relations commerciales sous forme de contrat à durée déterminée d'une année depuis 2005.
Le 15 septembre 2011, elles ont régularisé un contrat d'approvisionnement pour l'année 2011 dont l'article 5 stipule "Le présent contrat est conclu pour l'année civile 2011, et prend donc fin au 31 décembre 2011. Les parties sont toutefois convenues qu'en cas de besoin, le présent contrat sera automatiquement prorogé jusqu'au 1er mars de l'année 2012 au plus tard, date limite prévue par l'article L. 441-7 du Code de commerce pour la négociation et la conclusion d'un nouveau contrat".
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 24 octobre 2011, la société Luxottica Belgium NV a porté à la connaissance de la SA Alliance Optique que le contrat ne serait pas prolongé.
Considérant que la société belge avait mis fin brutalement à leurs relations commerciales, la SA Alliance Optique a saisi le président du Tribunal de commerce de Lille, statuant en référé, sur le fondement des articles 873 du Code de procédure civile et L. 442-6-5° du Code de commerce, afin que la relation contractuelle soit prolongée jusqu'au 31 décembre 2012.
Par ordonnance du 19 janvier 2012, cette juridiction a dit n'y avoir lieu à référé et a condamné la SA Alliance Optique au paiement d'une indemnité procédurale de 2 500 euro.
Par déclaration reçue au greffe le 13 février 2012, la SA Alliance Optique a interjeté appel de cette décision.
Dans ses conclusions en date du 14 mai 2012, elle demande à la cour de dire que la société Luxottica Belgium NV devra maintenir les conditions de l'accord commercial régularisé entre les parties le 15 septembre 2011 et ce jusqu'au 31 décembre 2012, dernière date de commande, de dire que cette injonction se fera sous astreinte de 10 000 euro par jour de retard entre la notification de l'ordonnance à intervenir et une manifestation de volonté claire et non équivoque de Luxottica Belgium NV d'exécuter ses engagements, de dire que la même astreinte courra à l'encontre de la société Luxottica Belgium NV en cas de refus explicite ou implicite d'exécuter une commande conforme aux conditions commerciales précitées et qu'il en sera référé à Monsieur le Président de la cour d'appel en cas de difficulté, de condamner l'intimée à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle soutient que le juge des référés a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et l'économie générale des relations contractuelles existantes entre les parties. Elle rappelle l'importance du partenariat négocié entre elles, précisant que l'exécution de ce contrat représente 17 % de la marge réalisée en Belgique et que le chiffre d'affaires net réalisé par les opticiens via les produits Luxottica représente 48 % de leur chiffre d'affaires en lunetterie. Elle explique que l'attitude de la société belge, qui a rompu brutalement leurs relations commerciales, vise à capter sa clientèle au moyen d'un procédé déloyal et sollicite, au visa de l'article 873 du Code de procédure civile qui permet au juge des référés de prendre des mesures conservatoires pour prévenir un dommage imminent, le bénéfice d'un délai de préavis de 12 mois au regard de l'ancienneté des relations commerciales de façon à lui permettre de se réorganiser.
Dans ses dernières conclusions en date du 10 juillet 2012, la société Luxottica Belgium NV demande à la cour, à titre principal de déclarer l'appel irrecevable, de débouter la SA Alliance Optique de ses demandes, à titre subsidiaire, de confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions, à titre infiniment subsidiaire de rejeter toutes les demandes de la SA Alliance Optique, en toute occurrence, de condamner l'appelante à lui payer la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'appel est irrecevable car seule la voie du contredit était admissible s'agissant d'une question de compétence. Elle prétend que le juge des référés a, à juste titre, décliné sa compétence tant en sa qualité de juge de l'évidence, en ce qu'il s'agit d'une demande de dommages et intérêts assortie d'une obligation de faire, qu'en sa qualité de juge de l'urgence en ce que le non-renouvellement du contrat n'est pas un trouble illicite et ne cause aucun dommage imminent. Elle ajoute que la relation commerciale étant limitée par son objet et dans sa durée, elle a rempli ses obligations loyalement en informant son cocontractant du non-renouvellement du contrat. Elle conclut à l'absence de brutalité de la rupture laquelle n'est que l'application d'un droit légitime ainsi qu'à l'absence de preuve du préjudice invoqué et précise que l'article L. 442-6-5° du Code de commerce n'autorise pas le juge à forcer le contrat.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens et prétentions, selon ce qu'autorise l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce
La voie de recours ouverte à l'encontre des décisions du juge des référés statuant sur l'étendue de son pouvoir juridictionnel est l'appel et non le contredit.
L'appel de la SA Alliance Optique est donc recevable de ce chef.
En revanche, la cour, si elle se reporte au jugement déféré et aux conclusions prises dans le cadre de la procédure d'appel, constate que la société SA Alliance Optique a entendu invoquer, outre l'article 873 du Code de procédure civile, l'article L. 442-6-5° du Code de commerce, à l'appui de sa demande de maintien de l'accord commercial pour une durée d'un an.
Or, en vertu de l'article D. 442-3 du même code, dans sa version issue du décret du 11 novembre 2009, entrée en vigueur le 1er décembre 2009, soit antérieurement à l'assignation en date des 9 et 21 décembre 2011, le contentieux relatif à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce est exclusivement réservé à la compétence d'ordre public de juridictions spécialisées.
Les règles de spécialisation des juridictions issues de ce texte s'appliquent au juge des référés.
L'article 125 du Code de procédure civile dispose que les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public.
En conséquence, il convient de relever d'office le moyen tiré de la compétence de la Cour d'appel de Paris pour le litige dont s'agit, et d'ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties de faire valoir leurs arguments, par voie de conclusions, sur le problème de la recevabilité de l'appel interjeté par la société SA Alliance Optique devant la Cour d'appel de Douai, au regard de la compétence exclusive et d'ordre public de la Cour d'appel de Paris, pour le contentieux relatif à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt avant dire droit, mis à disposition au greffe, Ordonne la réouverture des débats à l'audience du 15 janvier 2013 à 9h30 ; Invite les parties à conclure sur la fin de non-recevoir soulevée d'office tirée de l'incompétence de la Cour d'appel de Douai au regard de la compétence exclusive et d'ordre public de la Cour d'appel de Paris pour le litige dont s'agit, et, par voie de conséquence, sur la recevabilité de l'appel interjeté par la société SA Alliance Optique devant la Cour d'appel de Douai ; Réserve les dépens.