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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 6 décembre 2012, n° 12-00066

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Barre

Défendeur :

Paini France (SAS), Paini Spa Rubinetterie (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farina

Conseillers :

Mmes Prudhomme, Bertoux

Avocats :

SCP Lenglet Malbesin & Associes, Mes Enault, Girard

T. com. Rouen, du 24 oct. 2011

24 octobre 2011

Exposé du litige

Suivant acte sous seing privé en date du 28 avril 2000, la société Porta France a donné mandat à M. Alain Barre, en qualité d'agent commercial, de vendre à titre exclusif au nom et pour son compte, ses produits de robinetterie sanitaire et articles de douche dans les départements 14, 27, 28, 50, 61, 72 et 76, secteur dit "Normandie". M. Barré suivait également le secteur "Nord".

Par acte du 1er septembre 2008, la société Paini SPA Rubinetterie (société de droit italien) a également donné mandat à M. Barre de vendre les produits sous la marque Paini sur la même zone géographique dite "Normandie".

Le 1er mars 2009, le suivi commercial du secteur Nord a été retiré à M. Barre par la société Porta France qui l'a confié à M. Philippe Quero.

Le 5 février 2010 un protocole d'accord est signé entre M. Barre et M. Quero en vue de la cession, par le premier au second, du mandat de représentation de PF Robinetterie - Paini pour la région Normandie, et ce à compter du 1er janvier 2012 moyennant un prix de 100 000 euro, revêtu également de la signature de M. Callejon, directeur général de la société PF Robinetterie.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 juillet 2010, les sociétés Porta France et Paini Italie informent M. Barre de la résiliation des deux contrats d'agent commercial à l'expiration d'un délai de préavis de 3 mois, en raison de "la baisse significative du chiffre d'affaire" sur le secteur de Normandie.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 août 2010, M. Barre a contesté cette résiliation, la considérant comme abusive.

Aucun accord n'étant trouvé concernant l'indemnisation de M. Barre, ce dernier a, par acte extra-judiciaire en date du 13 janvier 2011, fait assigner la société Porta France et la société Paini SPA Rubinetterie en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation unilatérale par ces sociétés des mandats de représentation qu'elles lui avaient confié.

Par jugement du 24 octobre 2011, le Tribunal de commerce de Rouen a :

- dit que la résiliation des mandats de représentation confiés par les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie à M. Alain Barre ouvre droit à indemnisation du préjudice subi par le mandataire,

- constaté que les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie ont formulé, dans le courrier recommandé du 26 août 2010, une offre de règlement amiable auquel M. Alain Barre a estimé ne pas devoir donner suite,

- condamné in solidum les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie à payer à M. Alain Barre la somme totale de 77 513 euro avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné in solidum les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie aux dépens.

M. Alain Barre a interjeté appel de ce jugement. Les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie ont fait appel incident.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 2 juillet 2012 pour l'appelant, et du 3 septembre 2012 pour les intimées.

M. Barre conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que la résiliation des mandats de représentation confiés par les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie ouvraient droit à indemnisation du préjudice subi par le mandataire, à l'infirmation pour le surplus, à la condamnation in solidum de la société Paini France venant aux droits de Porta France et de la société Paini SPA Rubinetterie à lui verser la somme de 158 333 euro correspondant au préjudice subi du fait de la résiliation unilatérale des mandats de représentation qui lui avaient été confiés, assortie des intérêts de droit à compter du 13 janvier 2011, date de l'assignation, outre les sommes de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de leur mauvaise foi et 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens de première instance et d'appel en sus.

La société Paini France venant aux droits de Porta France et la société Paini SPA Rubinetterie concluent à la réformation du jugement, au débouté de M. Barre de l'intégralité de ses demandes, à la fixation à la somme de 61 000 euro HT le montant maximum de l'indemnité compensatrice due par elles, assortie des intérêts à compter de l'arrêt à intervenir.

Elles sollicitent également la condamnation de M. Barre au paiement de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Sur ce

L'article L. 134-12 alinéa 1 du Code de commerce dispose qu' "en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ".

En cause d'appel, le principe du droit à indemnisation de M. Barre admis par les premiers juges qui ont estimé que les sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie ne pouvaient invoquer la faute grave, n'est plus contesté par elles.

La discussion porte sur le montant de l'indemnisation due à M. Barre.

La loi ne fournissant aucune méthode de calcul du montant de l'indemnité compensatrice, la jurisprudence fixe généralement l'indemnité revenant à l'agent commercial à la valeur de deux années de commissions perçues par lui, à moins que ne soit rapportée la preuve que le préjudice subi a été plus élevé ou moindre.

- sur le montant de l'indemnité compensatrice

En l'espèce, pour M. Barre, si la jurisprudence a d'une façon dominante et très régulière adopté un mode de calcul de l'indemnité fixant la valeur de l'indemnité à deux années de commissions nettes perçues par l'agent, ce n'est qu'à défaut d'autres justifications fournies par l'agent du préjudice subi.

Selon lui son préjudice est constitué à minima du prix de cession librement convenu et arrêté avec M. Quero et entériné par M. Callejon sur la base des commissions perçues sur les années civiles 2008 et 2009, soit 100 000 euro, à laquelle il convient d'ajouter les commissions qu'il n'a pu percevoir du 1er novembre 2010 à fin décembre 2011, soit 58 303 euro, conformément au protocole d'accord de cession, du fait de la résiliation unilatérale prononcée par M. Calejon au 31 octobre 2010.

Il conteste par ailleurs la baisse d'activité et l'abandon de son secteur géographique qui lui est reprochée par les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie qu'il considère de mauvaise foi.

Les sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie soutiennent que l'indemnité à laquelle M. Barre peut prétendre ne peut être supérieure à deux ans de commissions, qu'en réalité son préjudice est moindre, le chiffre d'affaires de M. Barre étant en diminution constante depuis 2008, qu'elle doit être fixée à la somme de 61 000 euro HT correspondant au prix de revente par la société Porta France du secteur d'activité de M. Barre à M. Bigot en date du 1er décembre 2010.

Aux termes du protocole d'accord de cession signé le 5 février 2010, dont se prévaut M. Barre pour revendiquer une indemnité de 158 303 euro, "le rachat de cette région [Normandie] est fixée pour un montant de 100 000 euro basé sur les années 2008 - 2009", la représentation par M. Quero prenant effet à compter du 1er janvier 2012, M. Barre restant l'agent commercial pendant la période 2010-2011; il y est prévu qu'il sera définitif par le règlement de ladite somme le 30 septembre 2011.

Par suite de la résiliation des contrats par les sociétés mandantes, M. Barre a certes perdu la possibilité de percevoir le prix de cession.

Cependant, quand bien même les sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie auraient-elles été associées aux négociations entre M. Barre et M. Quero qui ont précédé la signature du protocole de vente, et bien que celui-ci soit revêtu de la signature de M. Calejon, Directeur général de la société mandante, M. Barre ne dispose pas d'un droit acquis à la perception de la somme de 100 000 euro ainsi qu'à celle des commissions pour les années 2010 et 2011, en sus, qui ne sont dus qu'à la condition que le contrat de représentation soit mené à bon terme jusqu'à la date d'effet du protocole de cession, le 1er janvier 2012.

Or, malgré l'existence de ce protocole de cession, les sociétés mandantes disposent toujours de la faculté de mettre un terme au contrat d'agent commercial qui les lie à M. Barre, dans le respect des stipulations des contrats d'agent commercial conclus entre eux.

Dès lors, le préjudice de M. Barre ne peut correspondre au prix de cession augmenté des commissions qu'il aurait perçues en 2010 et 2011 jusqu'à la date d'effet du protocole de cession.

Par ailleurs, le prix de la cession, intervenue en décembre 2010, par la société Porta France du secteur d'activité à M. Bigot, à hauteur de 61 000 euro ne peut davantage servir de base pour fixer le préjudice subi, dès lors que la valeur du mandat s'est trouvée dévalorisée du fait du préavis et des délais de reprise, comme l'ont justement observé les premiers juges.

Dans ces conditions, l'indemnité compensatrice à laquelle peut prétendre M. Barre tant en application des dispositions d'ordre public de l'article L. 134-12 du Code de commerce qu'en exécution de l'article 9 du contrat du 28 avril 2000, sera calculée selon les usages de la profession d'agent commercial, soit la base de deux années de commissions antérieures à la dénonciation, comme l'a décidé le tribunal.

En l'espèce, pour fixer l'indemnité compensatrice à la somme de 77 513 euro, le tribunal a retenu le décompte initial figurant à la lettre recommandée avec accusé de réception des sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie du 26 août 2010, soit 71 343 euro pour la société Porta et 6 170 euro pour la société Paini, correspondant à deux ans de commission du 25 juillet 2008 au 25 juillet 2010, déduction faite des avoirs de bonification.

Aucune des pièces versées par M. Barre ne vient contredire le calcul ainsi effectué pour la période considérée, étant observé qu'il ne verse aucun justificatif des commissions qu'il aurait perçues alors que les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie produisent d'une part les factures concernant les commissions versées par Porta France de janvier à octobre 2009 dont le montant est identique à celui repris dans le tableau joint au protocole de cession, et d'autre part celles versées de janvier à octobre 2010.

Il convient, dans ces conditions, de fixer l'indemnité compensatrice à la somme de 77 513 euro au paiement de laquelle seront condamnées in solidum les sociétés Porta France et Paini SPA Rubinetterie et de confirmer le jugement entrepris.

- Sur le point de départ des intérêts

Les sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie soutiennent qu'il est anormal de leur faire supporter des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation dans la mesure où elles ont offert le 16 août 2010 le versement d'une indemnité compensatrice, qui aurait été réglée immédiatement si elle avait été acceptée par M. Barre.

Cependant, il ne peut être reproché à M. Barre d'avoir refusé la proposition offerte et d'avoir sollicité la fixation en justice de l'indemnité compensatrice de la cessation du contrat en l'absence d'accord.

Dès lors, les intérêts courent à compter de la demande, en application de l'article 1153 du Code civil, soit en l'espèce à compter du 13 janvier 2011 date de l'assignation valant mise en demeure.

Le jugement sera par conséquent également confirmé sur ce point.

- Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie, débitrices de l'indemnité, aux dépens.

En revanche, M. Barre qui succombe en cause d'appel, sera condamné aux dépens d'appel.

La mauvaise foi des sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie n'étant pas démontrée par M. Barre, qui succombe dans son appel, il convient de le débouter de sa demande de dommages et intérêts.

L'équité commande d'allouer aux sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie une indemnité de procédure telle qu'indiquée au dispositif.

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Déboute M. Barre de sa demande de dommages et intérêts, Condamne M. Barre à payer aux sociétés Paini France et Paini SPA Rubinetterie la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne M. Barre aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.