CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 12 décembre 2012, n° 11-02819
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Transports Trevisan (SARL)
Défendeur :
Prelab (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
Mmes Pellarin, Salmeron
Avocats :
SCP Nidecker Prieu Jeusset, Selarl Grosbois, SCP Malet, SCP Clamens Conseil
Faits et procédure
Le 8 mars 1972, M. Louis Trevisan et la SA Entreprise Guiraudie Auffeve ont signé un contrat à durée déterminée pour une durée de 12 mois, sans clause de reconduction, qui a pris fin le 7 décembre 1973. Par la suite, malgré l'absence d'un nouveau contrat écrit, les parties ont poursuivi une relation contractuelle, la SARL Transports Trevisan ayant été créée pour intégrer l'activité de M. Louis Trevisan et la SAS Prelab ayant été créée pour gérer l'activité préfabriqués de la SA Entreprise Guiraudie Auffeve dont elle est une filiale.
Un tracteur routier, une benne et six remorques plateaux sont mis à la disposition exclusive de la SAS Prelab par la SARL Transports Trevisan.
Fin 2009, la SAS Denjean Granulats devenait fournisseur principal d'agrégats (graviers et sables) de la SAS Prelab aux lieux et place de Midi Pyrénées Granulats.
En avril 2010, le transport des agrégats à la SAS Prelab est confié à une entreprise tierce, le marché ayant été conclu pour un prix global franco usine, le coût du transport étant inclus dans le prix de fourniture des matériaux facturés à la SAS Prelab.
Par acte du 1er juin 2010, la SARL Transports Trevisan a fait assigner la SAS Prelab en paiement de la somme de 440 000 euros HT, ramenée à 239 000 euros dans ses dernières écritures devant la juridiction de première instance, à titre de dommages et intérêts à la suite de la rupture brutale de leurs relations commerciales particulièrement anciennes sans préavis.
Par jugement du 12 mai 2011, le Tribunal de commerce de Toulouse a :
- débouté la SAS Prelab de ses demandes,
- condamné la SAS Prelab à payer à la SARL Transports Trevisan les sommes suivantes :
* 36 134,50 euros,
* 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamné la SAS Prelab aux dépens.
La SARL Transports Trevisan a interjeté appel le 9 juin 2011.
La SARL Transports Trevisan a déposé ses dernières écritures le 16 septembre 2011.
La SAS Prelab a déposé des écritures le 4 novembre 2011.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 octobre 2012.
Moyens et prétentions des parties
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ainsi que 1382, 1383, et 1149 du Code civil, la SARL Transports Trevisan conclut à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a fixé à deux années la durée du préavis qu'aurait dû respecter la SAS Prelab et l'a condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle sollicite son infirmation pour le surplus et la condamnation de la SAS Prelab à lui payer la somme de 239 000 euros à titre de dommages et intérêts outre celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante développe les moyens suivants :
- la critique du jugement ne porte que sur la détermination du montant de l'indemnité compensatrice de préavis,
- la SARL Transports Trevisan n'ayant eu qu'un seul client exclusif, la SAS Prelab, le retrait de l'activité transport d'agrégats rendait l'entreprise non viable. La rupture du contrat est totale et non partielle,
- l'indemnité sollicitée correspond d'une part pour 152 000 euros à la marge brute perdue sur la moyenne annuelle des trois dernières années multipliée par deux correspondant à la durée du préavis et d'autre part à la somme de 87 000 euros correspondant à la moyenne annuelle sur 3 ans de la rémunération de M. Alain Trevisan, gérant et associé unique de la SARL Transports Trevisan, devant être multipliée par deux, somme déduite de la marge brute parce qu'elle a été versée.
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ainsi que 1134, 1147 et 1315 du Code civil, la SAS Prelab demande à la cour de :
à titre principal,
- juger que la rupture brutale des relations commerciales n'est pas démontrée, le donneur d'ordre pour le transport des agrégats n'étant pas la SAS Prelab mais la SAS Denjean,
- débouter la SARL Transports Trevisan de ses demandes,
à titre subsidiaire,
- réformer le jugement quant à la durée du préavis, l'apprécier plus strictement et plus justement, les relations commerciales entre la SARL Transports Trevisan et la société Guiraudie Auffeve n'ayant débuté qu'en 1989,
- juger que la SARL Transports Trevisan a, par sa propre volonté, décidé de ne plus assurer l'activité de transport de préfabriqués, alors même que cette activité représente un enjeu financier nettement plus important que le transport d'agrégats,
- juger que cette part de chiffre d'affaires ne saurait être intégrée au calcul de l'indemnisation de la SARL Transports Trevisan,
- rejeter l'évaluation de l'indemnité et son montant réclamés par la SARL Transports Trevisan, la débouter de ses demandes,
- réformer le jugement quant au montant de l'indemnisation retenue,
- juger que le préjudice allégué ne peut être constitutif que d'un dommage éventuel,
- juger que le calcul de l'indemnité ne peut être réalisé que sur la marge brute, d'environ 25 %, moyenne des trois dernières années (environ 11 500 euros par an) pour le seul transport d'agrégats,
- limiter l'indemnisation sur la base d'une perte de marge de 10 000 euros par an.
- à titre infiniment subsidiaire, confirmer le jugement.
En toute hypothèse, la SAS Prelab sollicite la condamnation de la SARL Transports Trevisan à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Motifs de la décision
L'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose notamment qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels.
En l'espèce, les pièces produites par la SARL Transports Trevisan, le contrat de location avec chauffeur en date du 8 mars 1972 entre M. Louis Trevisan et la société Guiraudie Auffeve ainsi que ses statuts du 10 décembre 1988 par lesquels M. Louis Trevisan cède ses parts sociales, prouvent qu'elle entretenait des relations commerciales établies avec la SAS Prelab depuis 38 ans lors de la rupture de leurs relations.
La SAS Prelab a été créée en 1996 pour exploiter dans le cadre d'un contrat de location-gérance l'activité de préfabrication de la société Guiraudie Auffeve.
Il ressort des bilans versés aux débats que la SAS Prelab était le seul client de la SARL Transports Trevisan.
Il n'est pas contesté que la SARL Transports Trevisan assurait le transport d'agrégats et de pré-fabriqués à l'aide d'un tracteur mis à disposition exclusive de la SAS Prelab. Pour effectuer ces transports, la SARL Transports Trevisan utilisait soit une benne soit six semi-remorques plateaux.
Cette différence en nombre entre les matériels mis en œuvre se traduit dans le partage entre les deux activités de transport. En effet, selon les pourcentages calculés par la SARL Transports Trevisan et non contestés par la SAS Prelab de 2007 à juin 2010, date de la rupture des relations, la part du transport des agrégats dans le chiffre d'affaires a été de 24 %, celle pour le transport de préfabriqués de 76 %.
Il n'est pas contesté par la SAS Prelab que le transport des agrégats par la SARL Transports Trevisan a été interrompu en juin 2010. Il importe peu qu'un changement de fournisseur et de calcul du prix de vente intégrant le transport soit à l'origine de l'arrêt des transports effectués par la SARL Transports Trevisan dans la mesure où il appartenait à la SAS Prelab de respecter les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce en raison de la relation commerciale particulièrement établie avec la SARL Transports Trevisan. La SAS Prelab devait donner un préavis par écrit. Force est de constater que la SAS Prelab ne verse aux débats strictement aucun écrit.
Force est aussi de juger, comme l'a fait la juridiction consulaire, que la très longue durée des relations entre les parties, alors de plus que la SARL Transports Trevisan n'avait qu'un seul client, la SAS Prelab, justifiait un préavis de deux ans.
Mais, sur les préjudices subis, la cour rappelle que ne peuvent être indemnisés que les préjudices directement liés à la rupture brutale des relations commerciales avec la SAS Prelab.
Or, il résulte d'une correspondance de la SARL Transports Trevisan en date du 23 juin 2010 que la SAS Prelab avait l'intention de poursuivre l'activité transport en semi-remorques plateaux. D'ailleurs, à défaut de produire la moindre correspondance alors même que la lettre du 23 juin 2010 évoque une réponse de la part de la SAS Prelab, cette dernière verse aux débats les bons de commande de transport de préfabriqués pendant le mois de juin 2010.
Dans sa correspondance du 23 juin 2010, l'appelante affirme que cette activité de transport est en chute libre. Mais, il résulte de l'examen des chiffres d'affaires mensuels depuis 2007 que si le transport des préfabriqués s'est élevé à 7 622 euros en avril 2010 et à 4 806 euros en mai 2010, le mois de juin d'un montant de 4 840 euros ne pouvant pas servir d'élément de comparaison en raison de l'annulation de transports à la demande de la SARL Transports Trevisan, il n'a été que de 3 432 euros en février 2007, de 7 104 en mai 2007, de 7 475 en juin 2009, de 4 969 euros en juillet 2009, et surtout de 5 611 euros en octobre 2009, de 865 euros en novembre 2009 et de 5 086 euros en décembre 2009. Ces chiffres, et particulièrement les trois derniers pour des mois consécutifs, montrent des variations avec des baisses dans le transport des préfabriqués qui ne sont pas nouvelles en 2010 comme tente de le soutenir l'appelante.
Dès lors, seules les données comptables portant sur le transport des agrégats doivent être prises en compte.
La SARL Transports Trevisan sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 239 000 euros correspondant d'une part pour 152 000 euros à la marge brute perdue sur la moyenne annuelle des trois dernières années multipliée par deux, soit la durée du préavis, et d'autre part pour 87 000 euros à la moyenne annuelle sur 3 ans de la rémunération de M. Alain Trevisan, gérant et associé unique de la SARL Transports Trevisan, devant également être multipliée par deux, rémunération déduite de la marge brute parce qu'elle a été versée.
S'agissant de dommages et intérêts alloués à la SARL Transports Trevisan, la rémunération du gérant, même en la rapportant au seul pourcentage du chiffre d'affaires du transport des agrégats n'a pas à être prise en compte, dans la mesure où seul le résultat d'exploitation doit l'être, sans réintégration de la rémunération du gérant. Il convient au surplus de relever, dans le tableau de calcul du compte de résultat produit en pièce 18 par la SARL Transports Trevisan, que la rémunération du gérant apparaît pour le transport des préfabriqués et non pour celui des agrégats.
A titre subsidiaire, La SAS Prelab calcule le montant de l'indemnisation à laquelle la SARL Transports Trevisan pourrait avoir droit en prenant comme base de calcul le chiffre d'affaires réalisé pour les années 2007 à 2009 et en y appliquant un taux de 25 % pour obtenir, selon elle, la marge brute. Mais, aucun élément n'est fourni pour justifier le taux proposé.
Le tribunal de commerce a pris comme base de calcul le résultat d'exploitation des années 2008 et 2009 en indiquant que la conjoncture de 2007 a été différente de celle des deux années suivantes, années de crise dans le milieu du bâtiment et de la construction.
L'argument du tribunal de commerce pour écarter l'année 2007 ne doit pas être pris en compte dans la mesure où le chiffre d'affaires réalisé en 2008 est très proche de celui de 2007 et la répartition entre les deux activités quasi-semblable.
En revanche, l'année 2010, incomplète et connaissant la fin des relations commerciales, ne doit pas être retenue.
Sur les trois années de référence, le pourcentage du chiffre d'affaires correspondant au transport des agrégats est de 23,35 % (155 322 euros /665 166 euros). Cette proportion étant rapportée au résultat d'exploitation pour ces trois années (85 888, 54 402, 87 692 euros) on obtient 53 233 euros. Et, après division par trois et multiplication par deux, correspondant à la durée du préavis fixé par la cour, le montant de l'indemnité doit être arrêté à la somme de 35 490 euros.
Le jugement du tribunal de commerce doit en conséquence être confirmé à l'exception du montant des dommages et intérêts qui seront fixés à 35 490 euros.
Enfin, la SARL Transports Trevisan qui n'obtient pas satisfaction sera condamnée aux dépens d'appel.
Par ces motifs : Confirme le jugement du tribunal de commerce hormis sur le montant de la condamnation principale de la SAS Prelab, Et statuant sur le chef infirmé, Condamne la SAS Prelab à payer à la SARL Transports Trevisan la somme de 35 490 euros, Y ajoutant, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SARL Transports Trevisan et la SAS Prelab de leurs demandes de ce chef, Condamne la SARL Transports Trevisan aux dépens d'appel dont distraction par application de l'article 699 du Code de procédure civile.