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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. A, 13 décembre 2012, n° 11-19596

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Vert Blanc Rouge (SARL), de Carrière (ès qual.)

Défendeur :

117 (SARL), Bor (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

Mmes Durand, Verdeaux

Avocats :

SCP Ermeneux-Champly-Levaique, SCP Maynard Simoni, Mes Ricquart, Cabrespines

T. com. Toulon, du 28 sept. 2011

28 septembre 2011

Vu le jugement frappé d'appel rendu le 28 septembre 2011 par le Tribunal de commerce de Toulon ;

Vu les conclusions déposées le 15 octobre 2012 par la société Vert Blanc Rouge, appelante, et le mandataire judiciaire à son redressement judiciaire, Me de Carrière, intervenant volontaire ;

Vu les conclusions déposées le 6 avril 2012 par la société 117 et le mandataire à sa procédure de sauvegarde, Me Bor, intimés ;

Attendu que par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile il est renvoyé aux conclusions visées ci-dessus pour l'exposé des prétentions et moyens des parties ;

Attendu que par contrat en date du 30 octobre 2008 la société Vert Blanc Rouge, (la franchisée) a conclu avec la société 117, (le franchiseur), un contrat de franchise portant sur un commerce de vêtements déstockés et modèles de grandes marques situé à Gap ; que, soutenant qu'elle avait été trompée par des promesses fallacieuses, elle a réclamé l'annulation du contrat selon assignation délivrée le 2 novembre 2009 ; que par le jugement attaqué le Tribunal de commerce de Toulon a rejeté la demande en considérant qu'elle n'était étayée par aucune pièce probante ; que, la société Vert Blanc Rouge ayant été admise au bénéfice du redressement judiciaire le 13 mai 2011, Maître de Carrière, mandataire désigné, est intervenu dans la procédure ; que la société 117 ayant pour sa part bénéficié d'une procédure de sauvegarde ouverte le 14 décembre 2009 et d'un plan arrêté le 9 décembre 2010, la société Vert Blanc Rouge a déclaré sa créance le 24 février 2011 ; que par ordonnance en date du 1er mars 2011 le juge-commissaire a constaté qu'une instance était en cours ;

SUR CE,

Attendu qu'il résulte de l'article L. 330-3 du Code de commerce que 20 jours au moins avant la signature du contrat de franchise le franchiseur doit fournir au candidat à la franchise un document donnant des informations sincères lui permettant de s'engager en connaissance de cause, précisant notamment l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champs des exclusivités ;

Attendu que la société Vert Blanc Rouge a signé le contrat de franchise le 30 octobre 2008 et reconnu à cette occasion qu'elle s'était vu remettre le document d'information pré-contractuelle exigé par le texte précité le 15 septembre 2008 ; que pour se prétendre victime d'un vice du consentement, elle reproche au franchiseur :

- d'avoir, au lieu des vêtements de marque promis dans une publicité tapageuse, livré de la marchandise provenant du Sentier facturé à un prix supérieur à celui réclamé par des entreprises tierces.

- d'avoir, dans les comptes prévisionnels, fait miroiter des rémunérations qui ne correspondent à rien et de ne pas avoir effectué d'étude du marché local.

- d'avoir, s'agissant des comptes du réseau de franchise, fourni des bilans englobant une activité de grossiste.

- de ne pas avoir justifié du réseau d'exploitants et du nombre de demandes d'adhésion mis en avant ni indiqué le nombre de franchisés ayant quitté la franchise au cours de l'année précédant la signature du contrat.

- d'avoir indiqué mensongèrement que le dirigeant était entré en fonction en 2004 alors qu'il n'était en place que depuis 2007.

Attendu que le bilan de la société franchisée arrêté à la date du 31 juillet 2010 fait ressortir une perte de 22 938 euro pour un chiffre d'affaires de 113 497 euro avec variation de stock négative de 39 740 euro, des amortissements de 14 166 euro et des rémunérations limitées à 2 038 euro, la non-rentabilité du fonds en découlant de manière évidente ; que cette rentabilité était pourtant présentée comme certaine par le franchiseur dans des comptes prévisionnels qui, pour l'exercice 2009/2010, tablaient sur un chiffre d'affaires de 168 264 euro et un résultat de 12 040 euro et, pour l'exercice 2010/2011, sur un chiffre d'affaires de 176 677 euro et un résultat de 15 417 euro ; que, sans aucune démonstration, et sans risquer une comparaison avec un fonds de commerce local de même nature, le franchiseur soutient que les mauvais résultats enregistrés sont la conséquence de l'incompétence de la dirigeante de la société franchisée ;

Attendu que les comptes prévisionnels ont, aux termes de deux attestations de l'expert-comptable de la société franchisée qui y a apposé son cachet, été établis par ce dernier avec intégration, s'agissant des produits, des chiffres transmis par le franchiseur ; que, quoique prétende ce dernier, ces affirmations, confirmées par un échange de courriels, correspondent nécessairement à la réalité dès lors que ni l'expert-comptable ni la franchisée ne pouvaient avoir une idée suffisamment précise du chiffre d'affaires et des marges qui pouvaient raisonnablement être espérés pour un commerce qui, apparemment, n'avait pas localement de concurrent sur le créneau qu'il allait occuper ;

Attendu que les chiffres transmis à l'expert-comptable par le franchiseur ne sont fondés sur aucune étude réelle du marché local, le dossier révélant à cet égard que les investigations se sont limitées à une étude de flux réalisée par la candidate à la franchise elle-même, consistant dans le décompte du nombre de passants dans la rue où se trouve situé le fonds selon l'heure et les conditions météorologiques ; que vainement le franchiseur verse aux débat les comptes d'une franchise située à Hyères dans le Var, le marché de cette localité n'étant de manière certaine pas comparable à celui d'une petite ville des Hautes-Alpes ;

Attendu qu'alors que le franchiseur, selon la documentation fournie, exerce en sus une activité de gros et de demi gros, il s'y ajoute que les comptes de ce dernier soumis à la candidate à la franchise ne permettent en rien de distinguer les chiffres et résultat afférents à chacune de ces activités, notamment à la franchise, et que, en contravention aux dispositions de l'article R. 330-1 du Code de commerce, n'a pas été mentionné dans le document d'information pré-contractuelle le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document, chiffre qui aurait dû y figurer à supposer même qu'il fût nul, ce dont permettent de douter les explications du franchiseur qui fait lui-même état des difficultés rencontrées avec d'autres franchisés ;

Attendu qu'il peut être raisonnablement retenu que le manque de rentabilité du fonds pris en franchise est la conséquence de l'inadéquation de l'offre au marché local et qu'une étude de ce marché effectuée dans les règles de l'art cumulée avec des comptes prévisionnels sincères et les renseignements manquants relatifs aux résultats du franchiseur et au fonctionnement du réseau, auraient été de nature à dissuader la candidate à la franchise de contracter et de s'exposer à la déconvenue qu'elle a connue ; que, même si pour le surplus les reproches adressés au franchiseur ne sont pas suffisamment étayés par les pièces produites ou sans incidence sur le consentement de la franchisée, la nullité du contrat de franchise mérite dans ces conditions d'être prononcée en raison de l'erreur commise par la franchisée et des manœuvres dolosives auxquelles s'est livré le franchiseur ;

Attendu que la franchisée réclame la restitution d'une somme de 77 500,80 euro correspondant au droit d'entrée et au forfait travaux et agencements versés au franchiseur ; que, dès lors que la franchisée ne conteste pas vouloir conserver le fonds, soutient sans preuves que les forfaits qu'elle a réglés ne correspond à aucune prestation effective, et n'établit pas que, notamment en conséquence d'éventuels droits de propriété intellectuelle, elle ne pourrait conserver les travaux et agencements après avoir été déliée du contrat de franchise, la créance de restitution sera limitée au droit d'entrée de 17 940 euro ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l'appel régulier et recevable en la forme. Au fond, infirme le jugement attaqué et, statuant à nouveau, Annule, pour vice de consentement, le contrat de franchise conclu le 30 octobre 2008 par la société Vert Blanc Rouge avec la société 117. Fixe la créance de restitution de la société Vert Blanc Rouge à la somme de 17 940 euro et ordonne son admission au passif de la société 117 à titre chirographaire. Déboute la société Vert Blanc Rouge du surplus de sa demande. Lui accorde le remboursement de ses frais irrépétibles à concurrence de 4 000 euro. Met les frais irrépétibles et les entiers dépens de première instance et d'appel à la charge de la procédure collective de la société 117. Accorde aux représentants de la société Vert Blanc Rouge et de maître de Carrière susceptibles d'y prétendre le privilège de distraction de l'article 699 du Code de procédure civile.