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Décisions

Cass. crim., 19 décembre 2012, n° 12-82.270

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme Desgrange

Avocat général :

M. Bonnet

Avocat :

Me Ricard

TGI Metz, JLD, du 4 janv. 2011

4 janvier 2011

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Metz, en date du 27 janvier 2012, qui a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des opérations de visite et saisie, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles et ordonné la restitution des pièces et documents saisis ; - Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 1349 et 1353 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a infirmé l'ordonnance déférée ;

"aux motifs que l'article 1349 du Code civil définit les présomptions comme étant des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu ; que l'article 1353 du Code civil énonce que les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans le cas, selon la loi, admet des preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué en cause de fraude ou de dol ; qu'il est jugé que l'article 1353, qui abandonne l'appréciation de la valeur probante des présomptions à la prudence des juges, ne s'oppose pas à ce qu'ils forment leur conviction sur un fait unique ; que, cependant, ne constituent pas des présomptions au sens du texte susvisé des suppositions, des hypothèses ou des soupçons ne permettant pas au juge d'établir, par voie de présomptions, la réalité d'un fait inconnu à partir de faits connus ; que, lorsqu'il n'existe aucun élément susceptible de conforter les déclarations d'une partie, celles-ci sont, à elles seules, insuffisantes pour établir la matérialité des faits allégués et ces circonstances ; qu'au cas présent, il était par conséquent demandé au juge des libertés et de la détention de vérifier qu'il pouvait effectivement tirer des documents qui lui étaient soumis l'existence de présomptions graves précises et concordantes de pratiques anticoncurrentielles telles que visées aux points 1 et 2 de l'article L. 420 -1 du Code de commerce, texte selon lequel sont prohibées, même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implanté hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : 1°) limiter l'accès au marché ou le libre accès de la concurrence par d'autres entreprises, 2°) faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; que le premier élément fourni au juge des libertés et de la détention par la requérante est la dénonciation que lui a adressée le 1er octobre 2009 la société A concernant le litige l'opposant à la société Y, distributeur exclusif en France de couteaux industriels de marque B, expliquant que ce fournisseur a remis en cause la remise de 21 % qu'elle lui consentait depuis plusieurs années, a refusé de livrer ses commandes, ce qu'il l'a contrainte à introduire une procédure de référé, à la suite de laquelle la société Y s'est exécutée, mais dans le même temps lui a notifié le 5 février 2009 la rupture de leurs relations commerciales à compter du 10 juillet 2009, cette décision ayant pour conséquence que son activité de négoce est appelée à disparaître, le plaignant indiquant en outre que l'attitude de la société Y lui paraissait avoir pour origine l'un de ses deux principaux concurrents la société X et qu'il y aurait donc eu entre ces deux entreprises une entente commerciale dans le but de l'éliminer du marché des couteaux pour le secteur industriel, étant joints à cette plainte des échanges de courriers entre la société A et la société Y, ainsi que la lettre adressée par cette plaignante au fabricant en Suisse, lequel lui a opposé l'existence des conventions conclues avec son réseau d'importateurs, conventions ne lui permettant pas de la fournir directement depuis la Suisse ; qu'il faut objecter que cette plainte, qui fait état d'une entente illicite entre les sociétés Y et X, émane d'une entreprise, d'une part, en conflit direct avec son fournisseur la société Y et alors qu'à la date de cette plainte une procédure de référé était déjà en cours entre elles depuis le 10 juillet 2009 et, d'autre part, en concurrence directe avec la société X sur le marché relativement restreint des couteaux industriels ; que, dans cette plainte, la société A n'a allégué aucun fait qui puisse être repris par la requérante et qui lui permettrait d'étayer ses soupçons d'entente commerciale entre les sociétés Y et X, et alors surtout que la procédure judiciaire ainsi engagée entre les sociétés A et Y a donné lieu à un jugement du Tribunal de commerce du Mans, en date du 13 septembre 2010, lequel a rejeté l'ensemble des demandes présentées par la société A, non pas seulement en considérant que la résiliation avait été valablement faite avec un préavis suffisant de cinq mois laissant toute latitude à la société D pour s'organiser commercialement, mais surtout, précisément dans le cadre de cette remise en cause de la réduction de 21 % jusque-là octroyée à la société D, et que la Y entendait voir ramener à 14 % à la demande de ses autres clients, mais en jugeant que la position de la société Y n'avait pas été exprimée dans le but d'imposer des prix de revente du matériel de coutellerie, alors que la société D conservait toute liberté de répercuter ou non ces nouvelles conditions à ses propres clients et que la suppression de l'avantage particulier consenti par la société Y à la société D ne présentait aucun caractère illicite, puisque ne visant pas la fixation de prix de revente des produits B, ce pourquoi le tribunal a validé la nouvelle proposition commerciale de la société Y ; qu'il n'a pas été allégué, ni établi que cette décision ait été frappée d'appel et ait été réformée ; que, par voie de conséquence, les conclusions prises pour le compte la société Y au cours de la procédure ayant abouti à ce jugement, conclusions communiquées par la société D à la Direccte ne peuvent davantage avoir valeur d'indice ou de présomption ; que la requérante ne peut non plus tirer du courrier de la société D, en date du 29 janvier 2010, lui faisant part des difficultés connues également du fait de la société X par le responsable de la société E, importateur de couteaux de marque F, qui aurait fait l'objet de pressions de la part du responsable de la société X, cette indication présentant le même inconvénient d'émaner d'une société en concurrence directe avec la société X, et alors que force est de constater que l'administration n'a pas exploité ce renseignement et ne peut fournir aucun élément sur les investigations qu'elle aurait pu ou dû mener auprès de la société E et dont elle aurait pu soumettre les résultats aux juges des libertés et de la détention ; que pourraient paraître plus pertinentes, au regard des exigences posées par les textes susvisés, les déclarations faites le 17 février 2010 à l'inspecteur expert de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes par Mme G, assistante d'achat au sein de la société H, dont la société D avait obtenu le marché en succédant d'ailleurs à la société X et par préférence à celle-ci en raison de ses efforts sur les tarifs de vente et sur le très bon suivi assuré par cette société, à la différence des problèmes de livraisons connus précédemment avec la société X, déclarations selon lesquelles cette personne a précisé que, étant tout à fait satisfaite des prestations de la société D en matière de fourniture de couteaux, la société H leur a acheté en 2009 la totalité de ses couteaux (surtout B) et que, fin 2009, elle a été prévenue par le président directeur général de D qu'il avait des difficultés d'approvisionnement sur les couteaux, et que, compte tenu des problèmes de livraison chez D, la société H a été contrainte de se fournir en couteaux B chez les autres distributeurs, ce témoin ajoutant surtout être en mesure de confirmer que fin 2009 une personne du service commercial de X a pris contact avec elle pour lui expliquer en substance pourquoi D n'avait plus la possibilité de la livrer, X indiquant être en mesure d'effectuer les couteaux des livraisons des couteaux B ; que, pour autant, ce témoignage ne peut être analysé comme constituant la présomption d'une entente illicite entre les sociétés X et Y qui se serait matérialisée par communication par la société Y à la société X de renseignements d'ordre confidentiel, communication qui dépasserait la mesure des informations commerciales, qu'il est licite qu'un importateur exclusif fournisse à ses distributeurs, alors d'une part, qu'aucune donnée de fait n'est apportée pour établir l'existence d'une telle communication et que, d'autre part, il n'est pas illicite que les membres du réseau de distribution d'une même société importatrice connaissent les conditions générales de vente, les modalités et les taux de remise accordés par l'importateur exclusif aux distributeurs membres de son réseau et disposent sur leurs autres concurrents d'informations relatives aux conditions et remises qui leur sont faites respectivement ; que, dès lors, il convient de dire et juger que les documents joints à la requête présentée au juge des libertés et de la détention n'autorisaient pas celui-ci à en déduire des présomptions d'entente illicite permettant la recherche de preuves dans les locaux de la société X ; que l'ordonnance dont appel doit être infirmée avec cette conséquence que le procès-verbal des opérations de visite et de saisie dressé le 11 janvier 2011, reposant sur l'autorisation donnée par cette ordonnance, doit être jugé comme dépourvu de toute valeur et doit être annulé, les pièces et documents saisis devant être restitués à la société X ; qu'en conséquence de ce qui précède, l'intimée devra supporter les dépens d'appel et verser à la SARL X une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles que celle-ci a été contrainte d'exposer pour la défense de ses intérêts en cause d'appel ;

"1) alors que l'article L. 450-4 du Code de commerce permet au juge des libertés et de la détention d'autoriser les visites et saisies domiciliaires dès lors que la demande est fondée ; qu'il n'est pas nécessaire que soient caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes permettant au juge de tenir pour établies l'existence et la réalité des pratiques anticoncurrentielles elles-mêmes, mais seulement des présomptions d'agissements anticoncurrentiels ; qu'en prononçant comme il l'a fait, et en exigeant que les présomptions soumises à son appréciation lui permettent d'établir la réalité d'un fait inconnu à partir de faits connus et la matérialité des faits allégués, le juge d'appel a imposé à l'administration de rapporter par présomptions la preuve des pratiques anticoncurrentielles et a ainsi violé les textes susvisés ;

"2) alors que, pour apprécier si la demande d'autorisation de visites et saisies est fondée, le juge doit examiner, suivant la méthode du faisceau d'indices, si les éléments d'information produits par l'administration, pris en leur ensemble et non pas individuellement, sont de nature à faire présumer l'existence de pratiques anticoncurrentielles dont la preuve est recherchée ; qu'en l'espèce, il résulte des motifs cités au moyen que le juge d'appel a examiné isolément les pièces produites par l'administration, (dénonciation que lui a adressée le 1er octobre 2009 la société A, conclusions prises pour le compte la société Y, courrier de la société D, en date du 29 janvier 2010, déclarations faites le 17 février 2010 à l'inspecteur expert de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes par Mme Nard), et a écarté un à un chaque élément, au lieu d'analyser ce faisceau d'indices en son ensemble ; qu'en statuant ainsi, il a violé les textes susvisés ;

Vu l'article L. 450-4, alinéa 1, du Code de commerce ; - Attendu qu'il résulte de ce texte qu'après avoir vérifié que la demande qui lui est soumise est fondée, le juge des libertés et de la détention peut autoriser des opérations de visite et saisie dans toute entreprise ;

Attendu que le juge des libertés et de la détention a autorisé la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à faire procéder à des opérations de visite et saisie dans les locaux de la société X, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la commercialisation des couteaux à usage professionnel ;

Attendu que, pour infirmer cette décision, l'ordonnance attaquée énonce que les présomptions précises, graves et concordantes doivent, en répondant aux exigences des articles 1349 et 1353 du Code civil, permettre d'établir la réalité d'un fait inconnu à partir de faits connus ; qu'après avoir analysé les indices recueillis, notamment la plainte d'un professionnel dénonçant le refus de son distributeur de lui livrer des commandes en raison d'une entente avec l'un de ses principaux concurrents et le courrier d'une société dénonçant également des difficultés d'approvisionnement, le juge en déduit que la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'a pas rapporté la preuve d'un faisceau de présomptions suffisant pour justifier une visite dans les locaux de la société X ; qu'il ajoute que les documents joints à la requête présentée au juge des libertés et de la détention n'autorisaient pas celui-ci à retenir l'existence de présomptions d'entente illicite permettant la recherche de preuves dans les locaux visités ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, le juge a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;

"en ce que l'ordonnance attaquée, après avoir infirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle a autorisé des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X, a ordonné la restitution immédiate à la société X des documents saisis dans ses locaux ;

"aux motifs que, dès lors qu'il convient de dire et juger que les documents joints à la requête présentée au juge des libertés et de la détention n'autorisaient pas celui-ci à en déduire des présomptions d'entente illicite permettant la recherche de preuves dans les locaux de la société X, l'ordonnance dont appel doit être infirmée, avec cette conséquence que le procès-verbal des opérations de visite et de saisie dressé le 11 janvier 2011, reposant sur l'autorisation donnée par cette ordonnance, doit être jugé comme dépourvu de toute valeur et doit être annulé, les pièces et documents saisis devant être restitués à la société X ;

"alors que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale, que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive ; qu'en ordonnant la restitution immédiate à la société X des documents saisis dans ses locaux après avoir annulé, l'ordonnance déférée, quand sa décision susceptible de pourvoi en cassation n'était pas encore définitive, le premier président de la cour d'appel a violé l'article L 450-4 du Code de commerce ;

Vu l'article L. 450-4, alinéa 6, du Code de commerce ; - Attendu qu'il résulte de ce texte que l'ordonnance du premier président statuant sur l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé des opérations de visite et saisie, étant susceptible de pourvoi en cassation, les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce que la décision soit devenue définitive ;

Attendu qu'après avoir infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce que les pièces et documents saisis dans les locaux de la société X doivent être restituées à cette société ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, le juge a méconnu le texte susvisé ; d'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la Cour d'appel de Metz, en date du 27 janvier 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.