CA Montpellier, 1re ch. B, 23 avril 2002, n° 99-5512
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Monnet (ès qual.), Bailet
Défendeur :
Zenere
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guichard
Conseillers :
MM. Armingaud, Blanc-Sylvestre
Avoués :
SCP Jougla-Jougla, SCP Touzery-Cottalorda
Avocats :
SCP Codognes-Capelet, Mes Tardy-Seeten
FAITS ET PROCÉDURE
La SA Maison française de distribution a organisé, au cours du premier semestre de 1996 deux loteries, dont la diffusion a été réalisée en annexe de celle d'un catalogue, proposant la vente de produits par correspondance, avec la mention que le jeu étant contrôlé par huissier, en l'occurrence Maître Robert Bailet.
Le 25.05.1996, cette société a adressé à Yves Zenere un courrier ainsi libellé :
"Grand Jeu MFD, Bravo Monsieur Zenere vous avez gagné le plus gros, chèque au grand jeu MFD !
Je vous le confirme : votre numéro personnel le 3325535 a bel et bien été tiré au sort ce vendredi 26 avril, et vous avez gagné le plus gros chèque possible à ce Grand Jeu MFD.
P.S. : J'insiste : vous n'avez pas gagné le lot de consolation mais bien le plus gros chèque mis en jeu : Réclamez-le dès aujourd'hui"
Au verso de ce courrier, se trouvait le "règlement du "tirage d'avril 1996" prévoyant dans son article 6 la présentation des lots : un chèque de 35 000 francs - 10 chèques d'achat de 100 francs.
Yves Zenere a sollicité par lettre recommandée avec accusé de réception du 29.05.1996, son prix, soit un chèque de 35 090 francs, puis a adressé diverses relances, dont une mise en demeure du 04.09.1996, sans obtenir la remise du prix.
Par actes des 25.03.1999 et 31.03.1999, Yves Zenere a fait assigner la SA Maison française de distribution et Maître Robert Bailet par application de l'article 1382 du Code civil, pour les voir condamner in solidum à lui payer la somme de 35 000 francs, à titre de dommages et intérêts, outre intérêts au taux légal à compter du 29.05.1996, avec exécution provisoire.
Il a fait valoir :
- que pour refuser d'adresser le lot qu'il réclamait, la SA Maison française de distribution a invoqué l'existence de deux loteries distinctes répondant à des règles différentes,
- qu'elle a prétendu qu'il s'agit d'abord du "Grand Jeu MFD", qui aurait été organisé sous la forme d'une loterie avec pré-tirage et dont le lot de 35 000 francs aurait été réparti entre tous les participants, et ensuite du tirage d'avril 1996, dont le plus gros lot consisterait dans un chèque de 35 000 francs, dont Yves Zenere n'aurait pas été le gagnant
- que la présentation de la lettre qui lui a été adressée entretient volontairement la confusion pour induire en erreur le destinataire et engage la responsabilité de la SA Maison française de distribution par application de l'article 1382 du Code civil,
- qu'il était d'autant plus fondé à croire à sa bonne fortune, que ledit jeu semblait présenter toutes les garanties, les courriers adressés par la SA Maison française de distribution portant l'estampille "opération contrôlée par huissier", ainsi que le cachet de Maître Robert Bailet, huissier de justice dont le nom est utilisé plusieurs fois,
- qu'au surplus le cachet de l'huissier était apposé en dessous de la mention "envoi de chèque approuvé",
- qu'aux termes de l'article L. 121-38 du Code de la consommation, le règlement des opérations ainsi qu'un exemplaire des documents adressés au public doivent être déposés auprès d'un officier ministériel, qui s'assure de leur régularité,
- que Maître Robert Bailet a manifestement dépassé le simple rôle de garant de la régularité de la loterie en laissant citer son nom à plusieurs reprises sur les documents publicitaires et en apposant sa signature et son cachet sur les documents diffusés, ne pouvant ignorer le caractère fallacieux des annonces faites et les ambiguïtés des documents.
La SA Maison française de distribution et Maître Robert Bailet ont répliqué que leur responsabilité n'était pas engagée alors :
- que le Grand Jeu MFD a été organisé sous forme d'un sweepstake, c'est à dire une loterie avec pré-tirage des numéros gagnants avant l'envoi des documents aux consommateurs,
- que le tirage au sort a été effectué par Maître Robert Bailet,
- que l'article 6 prévoit que le lot est constitué d'une somme de 35 000 francs répartie entre tous les participants sans que ceux-ci puissent recevoir un chèque inférieur à la valeur de 4 francs,
- que la lecture des différents documents adressés aux consommateurs ne permet pas de conclure avec certitude au gain par Yves Zenere du prix de 35 000 francs,
- que le règlement qui est imprimé à l'intérieur de l'enveloppe précise que cette somme de 35 000 francs est à répartir entre tous les participants,
- qu'il a été indiqué à Yves Zenere qu'il avait gagné le plus gros chèque au Grand Jeu MFD précision faite que les documents stipulent "n'omettez pas de lire le règlement à l'intérieur de l'enveloppe",
- qu'il a donc gagné un chèque qui ne peut être inférieur à 4 francs et qu'en fonction du nombre des participants, il a gagné un chèque de 5 francs,
- que parallèlement à ce jeu, était organisé un autre jeu "tirage d'avril 1996", totalement indépendant du premier,
- que la lecture du bon de participation fait apparaître qu'il y a bien deux jeux puisqu'il y a deux bons,
- que Monsieur Yves Zenere n'a pas gagné le chèque de 35 000 francs du jeu "Tirage d'avril 1996".
Ils ont ajouté, à titre subsidiaire, que Yves Zenere doit rapporter la preuve du préjudice dont il demande réparation en soulignant qu'il convient de se référer à la notion objective de consommateur moyen, normalement intelligent et attentif, et ont fait référence à la jurisprudence qui a souligné qu'il ne fallait nullement sous-estimer l'intelligence et la perspicacité du consommateur moyen, familiarisé avec ce type de promotion publicitaire.
Ils ont en dernier lieu fait observer que Maître Robert Bailet n'a garanti que le règlement d'un seul chèque de 35 000 francs destiné au gagnant et ne peut en aucun cas intervenir, s'agissant des demandes formulées par les destinataires du document publicitaire et qui n'auraient pas été désignés gagnants par le procès-verbal.
A titre reconventionnel, Maître Robert Bailet a sollicité l'allocation de la somme de 10 000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la SA Maison française de distribution de celle de 5 000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Par jugement en date du 12 novembre 1999, le tribunal a statué en ces termes :
- déclare la SA Maison française de distribution et Maître Robert Bailet responsables in solidum du préjudice subi par Yves Zenere à la suite de l'envoi du courrier du 25.05.1996 relatif à la loterie publicitaire organisée par la SA Maison française de distribution,
- les condamne in solidum à payer à Yves Zenere la somme de 35 000 francs à titre de dommages et intérêts outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
- rejette toutes autres demandes,
- condamne les défendeurs in solidum aux dépens et constate que Yves Zenere est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle.
La SA Maison française de distribution, représentée par son liquidateur amiable, Jean-Michel Monnet et Maître Yves Bailet, qui ont fait appel le 30 novembre 1999, ont, par conclusions en date du 20 décembre 2000 demandé à la cour de réformer, de débouter Yves Zenere de ses demandes,
- de constater, dire et juger que Maître Robert Bailet doit être mis hors de cause,
- de condamner Monsieur Yves Zenere à payer à Maître Bailet la somme de 10 000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- de le condamner à payer à la SA Maison française de distribution la somme de 5 000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
Vu les conclusions prises le 8 décembre 2000 par Yves Zenere, qui a demandé à la cour de confirmer, de condamner solidairement les appelants en 11 960 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile et aux dépens.
Au soutien de leurs recours, la SA Maison française de distribution et Jean-Michel Monnet, son liquidateur amiable, maintiennent qu'il y avait deux jeux distincts, le "Grand Jeu MFD" et le "Tirage d'avril 1996" ;
Que dans le "Grand Jeu MFD" il n'a jamais été annoncé un gain de 35 000 francs, l'article 6 du règlement de ce jeu précisant que cette somme de 35 000 francs est répartie entre tous les participants, sans que le chèque puisse être inférieur à la valeur du lot de consolation de 4 francs ;
Qu'ainsi, Yves Zenere a seulement gagné un chèque qui ne peut être inférieur à 4 francs ;
Que dans le cadre du jeu "Tirage d'avril 1996", indépendant du "Grand Jeu MFD", dans le pré-tirage effectué par Maître Bailet, Monsieur Yves Zenere n'est pas le gagnant du chèque de 35 000 francs ;
Que ces deux jeux pouvaient être distingués ;
Que tout d'abord, contrairement à ce qu'indique le tribunal, le document concernant le Grand Jeu MFD, ainsi que le bon de participation au
Grand Jeu MFD, comportaient là mention :
"Jeu gratuit et sans obligation d'achat. N'omettez pas de lire le règlement à l'intérieur de l'enveloppe" ;
Que par ailleurs, le tribunal a considéré qu'il est nullement habituel pour le lecteur d'une missive d'aller consulter l'intérieur de l'enveloppe pour vérifier s'il s'y trouve une quelconque mention et que cet emplacement apparaît avoir été choisi à dessein pour dissimuler au consommateur moyen de règlement du Grand Jeu MFD;
Que la cour ne manquera pas de constater que le vénérable "Times" a lui-même utilisé ce procédé ;
Que la distinction entre les deux jeux se caractérise également par la présence, sur le document relatif au jeu "Tirage d'avril 1996"; de la mention : "2 chances de gagner" ;
Que de plus, la lecture du bon de participation fait apparaître qu'il y a bien deux jeux puisqu'il y a deux bons de participation, l'un pour le Grand Jeu MFD et l'autre pour le Tirage d'avril 1996.
Toutefois, pour rejeter l'argumentation de la SA Maison française de distribution, le premier juge a retenu à bon droit que dans les jeux à visée promotionnelle ou publicitaire, dont l'objet est d'inciter le consommateur à passer commande en lui faisant accroire préalablement qu'il vient de gagner à un jeu, il importe que les documents adressés au consommateur ne l'induisent pas en erreur sur les chances de gain, pour le disposer à acheter ;
Qu'en l'espèce, le courrier à en tête "Grand Jeu MFD", annonçait à Yves Zenere qu'il a gagné le plus gros chèque au Grand Jeu MFD, que son numéro personnel 3325535 a bel et bien été tiré au sort, ce vendredi 26 avril, qu'il a gagné le plus gros chèque possible à ce Grand Jeu MFD ;
Qu'au dos de ce courrier se trouvait le règlement du "Tirage d'avril 1996", prévoyant comme lots, un chèque de 35 000 francs et dix chèques de 100 francs ;
Qu'au bas du bon de commande, joint à ce courrier, se trouvait un encart intitulé "Demande de prix", qui confirmait que Yves Zenere était gagnant du plus gros chèque mis en jeu, et comprenait une case à cocher intitulée "Bon de participation au "Tirage d'avril 1996" à retourner pour validation" ;
Que si la SA Maison française de distribution fait valoir que deux jeux distincts "Grand Jeu MFD" et "Tirage d'avril 1996" étaient visés par ce courrier, que le règlement du premier inséré à l'intérieur de l'enveloppe était signalé par la mention, "feu gratuit sans obligation d'achat, n'omettez pas de lire le règlement à l'intérieur de l'enveloppe", et que ce règlement ne pouvait induire Yves Zenere en erreur sur le gain espéré, cependant force est de constater :
- que, d'une part, la mention renvoyant au règlement à l'intérieur de l'enveloppe, se situe verticalement sur le bord supérieur dudit courrier, en caractères si petits que seule une recherche scrupuleuse de la mention, lorsque l'on est avisé de son existence (ce qui n'est pas le cas du destinataire) sur le courrier, permet de la découvrir,
- que d'autre part, cette même mention, est aussi discrète sur le bon de participation,
- qu'aucune mention claire n'indique au destinataire qu'il existe deux jeux distincts,
- qu'à l'inverse, l'insertion du règlement du jeu "Tirage d'avril 1996" au dos du courrier intitulé Grand Jeu MFD, ainsi que le rappel, dans ce courrier, que le tirage au sort du jeu a été effectué le 26 avril, ancre la conviction qu'il s'agit du jeu pour lequel le destinataire a été tiré au sort, dans le tirage au sort d'avril 1996,
- qu'il n'est nullement habituel, pour le lecteur d'une missive, d'aller consulter l'intérieur de l'enveloppe pour vérifier s'il s'y trouve une quelconque mention,
- que cet emplacement a été choisi à dessein, pour dissimuler au consommateur moyen le règlement du Grand Jeu MFD, les enveloppes n'étant pas habituellement conservées,
- qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que la SA Maison française de distribution a délibérément entretenu la confusion sur le gain obtenu par le gagnant désigné, à usé d'une présentation trompeuse qui excède l'habileté et la ruse normalement admissible en la matière.
Cette motivation pertinente mérite adoption.
La cour constate, en effet, que le renvoi au règlement situé à l'intérieur de l'enveloppe, est fait dans des caractères particulièrement réduits, que l'emplacement de ces mentions est destiné à les faire disparaitre, celle figurant dans la lettre "Grand Jeu MFD" étant verticale, se confondant avec un encadrement de l'adresse du destinataire, celle figurant au pied du bon de commande, étant sous le cadre réservé à la confirmation d'adresse, c'est à dire à un emplacement qui se situe, au stade du raisonnement du consommateur, à un moment où ce dernier à déjà pris la décision de demander le prix du jeu MFD ;
Que le règlement de ce Grand Jeu MFD se trouve dans l'enveloppe, cette enveloppe étant en papier fin et fragile, de sorte qu'elle se déchire lors de son ouverture, ce qui incite d'autant moins le consommateur moyen à la lire et à la conserver ;
Qu'enfin, il faut beaucoup d'imagination pour deviner que la mention "deux chances de gagner" figurant sous la rubrique Tirage d'avril 1996, implique que ce Tirage d'avril 1996, n'est pas le tirage au sort effectué en avril 1996 dans le Grand Jeu MFD, mais un jeu distinct, avec un règlement totalement différent de celui du Grand Jeu MFD.
En cet état, par ces motifs ajoutés, Jean-Michel Monnet, liquidateur amiable de la SA Maison française de distribution sera débouté de son appel.
Pour condamner solidairement Maître Bailet, huissier de justice, le premier juge a retenu qu'aux termes de l'article L. 121-38 du Code de la consommation cet huissier de justice, auprès de qui un exemplaire des documents adressés au publie doit être déposé, doit s'assurer de leur régularité ;
Que Maître Bailet dont le nom, le sceau et la signature figurent sur les documents litigieux, a commis une faute, en omettant de s'assurer de la loyauté de l'opération, en autorisant l'usage de son nom dans ces conditions, ne pouvant se méprendre sur le caractère trompeur d'une telle présentation des deux jeux, sa présence ne pouvant que rassurer le consommateur.
Toutefois, Maître Bailet objecte justement qu'il s'est borné à garantir le règlement d'un seul chèque de 35 000 francs au gagnant du jeu Tirage d'avril 1996 ;
Qu'il ne peut intervenir, s'agissant de demandes formulées par des destinataires des documents publicitaires, qui n'ont pas été gagnants par son procès-verbal de tirage au sort.
La cour relève effectivement que ce ne sont pas les deux jeux eux-mêmes ou leurs règlements qui sont trompeurs, mais la présentation qui en est faite dans l'envoi publicitaire ;
Que même si le nom de cet huissier est cité dans ces documents, rien n'établit qu'au moment de leur rédaction, ces documents étaient déjà organisés dans l'ordre, dans la forme et la présentation trompeuses, qui étaient la leur au moment de leur envoi.
En cet état, par réformation Maître Bailet sera mis hors de cause.
Yves Zenere supportera les dépens de sa mise en cause.
En revanche, Maître Bailet sera débouté de sa demande de dommages et intérêts, la preuve d'un abus de droit de Jean-Michel Monnet n'étant pas démontrée.
Succombant, la SA Maison française de distribution représentée par son liquidateur amiable Jean-Michel Monnet supportera les entiers dépens d'instance et d'appel, paiera à Yves Zenere 460 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Après en avoir délibéré, Fait droit à l'appel de Maître Bailet, Le met hors de cause, Déboute Maître Bailet de sa demande de dommages et intérêts, Déboute la SA Maison française de distribution représentée par Jean-Michel Monnet de son appel, La condamne aux dépens d'instance et d'appel sauf ceux liés à la mise en cause de Maître Bailet qui restent à la charge d'Yves Zenere, Condamne la SA Maison française de distribution à payer à Yves Zenere 450 (quatre cent cinquante euros) au titre des frais irrépétibles, Accorde à la SCP Touzery-Cottalorda et à la SCP Jougla pour les dépens afférents à la mise en cause de Maître Bailet, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.