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Décisions

CA Pau, 1re ch., 3 octobre 2012, n° 12-3908

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lecomble & Schmitt (SAS)

Défendeur :

Inter Inox (SARL), SPBI (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Castagné

Conseillers :

Mme Beneix, M. Augey

Avocats :

SCP Marbot-Crepin, SCP Rodon, SCP Duale-Ligney, Mes de Tassigny, Betton, Lefevre

T. com. Bayonne, du 19 juill. 2010

19 juillet 2010

La société SPBI a pour objet social la construction de navires de plaisance à voile et à moteur.

Dans le courant des années 2000 à 2002, elle a passé commande à la SAS Lecomble & Schmitt d'appareils à gouverner destinés à équiper trois modèles de voiliers.

Des avaries sont apparues sur ces appareils dans les mois suivants leur installation, paraissant dues à la rupture d'un "circlip" qui est une pièce située dans le boîtier de la colonne de la barre à roue et qui a pour fonction de maintenir celle-ci en bonne position sur son palier.

Le fournisseur de circlips est la société Inter Inox.

A la demande de la SAS Lecomble & Schmitt, une expertise a été ordonnée en référé le 19 décembre 2005 par le Tribunal de commerce de la Roche sur Yon.

L'expert a déposé son rapport le 28 mai 2008.

Par acte d'huissier du 2 mars 2009, la société SPBI a fait assigner la SAS Lecomble & Schmitt en responsabilité et réparation de ces désordres, en se fondant sur les dispositions des articles 1603 et suivants du Code civil, et 1641 du même Code, en sollicitant la somme principale de 63 350 euro.

Par acte d'huissier du 30 septembre 2009 la SAS Lecomble & Schmitt a fait appeler en garantie la SARL Inter Inox afin que celle-ci la garantisse du montant des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.

Par jugement du 19 juillet 2010, le Tribunal de commerce de Bayonne a déclaré que l'action a été engagée dans le bref délai édicté par l'article 1648 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005, et, après avoir rejeté la demande de nouvelle expertise, s'est appuyé sur le rapport d'expertise pour relever que ces éléments d'équipement de la barre sont atteints d'un vice caché consistant dans un phénomène de corrosion des circlips qui a entraîné leur rupture brutale et provoqué des avaries.

Le tribunal a condamné la société Lecomble & Schmitt à payer à la société SPBI la somme principale de 63 350 euro, une indemnité pour frais irrépétibles, et rejeté l'appel en garantie formé à l'encontre de la SARL Inter Inox.

Par déclaration au greffe du 31 août 2010, la SAS Lecomble & Schmitt a relevé appel de ce jugement. Cet appel est limité aux dispositions du jugement tendant au rejet de la demande en garantie présentée à l'encontre de la SARL Inter Inox.

Dans ses dernières écritures du 28 juin 2011, elle a conclu à la recevabilité de son appel en garantie dirigé contre la SARL Inter Inox au motif qu'elle a été engagée dans le bref délai édicté par l'article 1648 du Code civil, en faisant valoir qu'elle n'avait pas connaissance du vice au moment de l'expertise amiable effectuée le 22 octobre 2002, qui correspond seulement à la date de découverte de l'incident, mais que la connaissance certaine de ce vice n'a été acquise qu'au moment du dépôt du rapport d'expertise judiciaire du 27 mai 2008, alors que l'action en garantie des vices cachés a été engagée à l'encontre de la concluante par acte d'huissier du 2 mars 2009.

Elle s'appuie sur le rapport d'expertise pour soutenir que les avaries résultent d'un défaut de fabrication des circlips montés sur les barres à roue, résultant d'une corrosion anormale, et que ces circlips ont bien été fournis par la société Inter Inox, contrairement à ce que déclare celle-ci.

Dans ses dernières écritures du 10 mai 2011, la SARL Inter Inox a conclu à l'irrecevabilité de l'action en garantie formée par la société Lecomble & Schmitt au motif qu'elle est forclose, et à titre subsidiaire au débouté de cette société en soutenant que le rapport d'expertise judiciaire ne permet pas de répondre à des questions essentielles tenant notamment à la provenance, à la traçabilité, à la destination et à la structure des circlips installés sur les barres des voiliers de la société SPBI, pas plus qu'il ne permet de déterminer la cause de leur rupture ni de mettre en évidence un défaut de conception de l'arbre de l'appareil à gouverner.

En ce qui concerne la recevabilité de l'action en garantie, elle a soutenu que le point de départ est le 24 octobre 2002 correspondant à la date de dépôt du rapport d'expertise amiable qui a permis de mettre en évidence les défauts de ces équipements.

Par conclusions du 19 septembre 2011, la société SPBI a conclu au débouté de la société Inter Inox des fins de son appel en garantie dirigé contre elle ainsi qu'à sa condamnation au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles.

Dans les motifs de ses conclusions, elle a soutenu que la demande de la société Inter Inox tendant à faire déclarer son action prescrite est irrecevable, au motif que les articles 1641 et suivants du Code civil ont trait à la vente, alors que la société Inter Inox n'a pas la qualité de vendeur à l'égard de la société concluante, et que cette dernière n'a jamais formulé de demande à l'encontre de la SARL Inter Inox.

Elle soutient d'autre part que la date de découverte du vice doit être fixée au 24 janvier 2005 correspondant à celle du dépôt du rapport d'expertise judiciaire, et que l'action engagée moins de six mois après a donc été formée à bref délai.

Elle ajoute que la SARL Inter Inox ne pouvait qu'avoir connaissance de la destination des circlips, constituant un équipement de barres à roue de voiliers, et qu'elle ne pouvait dès lors méconnaître les risques de corrosion.

Elle a déposé des conclusions récapitulatives le 16 février 2012 tendant au débouté de la société Inter Inox des fins de son appel incident. Ces conclusions reprennent en tous points celles du 19 septembre 2011.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2012.

Le 21 février 2012, le conseil de la société Inter Inox a conclu au rejet de ces conclusions récapitulatives comme tardives, la mettant dans l'impossibilité d'y répondre.

Motifs de l'arrêt

Les conclusions déposées le 16 février 2012 par la société SPBI sont quasiment identiques à celles du 19 septembre 2011, qu'il s'agisse des moyens et des prétentions de cette partie.

Ces nouvelles conclusions déposées quatre jours avant l'ordonnance de clôture n'étaient donc pas de nature à justifier une réponse.

En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande présentée par la SARL Inter Inox tendant à voir écarter ces conclusions des débats.

1) sur la prescription de l'action engagée par la SAS SPBI à l'encontre de la société Lecomble & Schmitt.

La SARL Inter Inox a formé un appel incident en soutenant que l'action de la société SPBI n'a pas été engagée dans le bref délai édicté par l'article 1648 du Code civil et qu'elle est donc prescrite.

Dans les motifs de ses conclusions du 19 septembre 2011 et celles du 16 février 2012, la société SPBI a soutenu que l'appel incident de la SARL Inter Inox est irrecevable.

Les dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile dont il résulte que la cour doit statuer sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions ne sont pas applicables à la présente espèce, la procédure ayant été introduite avant le 1er janvier 2011, date d'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2009.

La SARL Inter Inox s'appuie sur les dispositions des articles 1641 et 1648 du Code civil relatifs à l'action en garantie des vices cachés ; or, ces dispositions régissent exclusivement les rapports entre le vendeur et l'acheteur.

La SARL Inter Inox, fournisseur des produits litigieux, à savoir les "circlips", n'a donc pas qualité pour agir sur ce fondement juridique à l'encontre de la société SPBI.

Son appel incident doit dès lors être déclaré irrecevable.

2) sur l'appel formé par la SAS Lecomble & Schmitt

a) sur la recevabilité de son action :

Le tribunal de commerce a jugé que l'action engagée par la société SPBI a été engagée à bref délai.

Les contrats successifs d'achat d'appareils à gouverner ont été conclus entre les années 2000 et 2002.

Il résulte de l'article 5 de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 que les nouvelles dispositions de l'article 1648 du Code civil qui édicte un délai de deux ans pour engager l'action à compter de la découverte du vice, s'appliquent aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur.

En conséquence, ce sont les dispositions de l'ancien article 1648 du Code civil qui doivent recevoir application, à savoir que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite.

Il résulte des pièces versées aux débats qu'un premier rapport a été établi par le CTDEC le 24 octobre 2002, mais qu'il ne contient aucune conclusion quant à la cause de la rupture des circlips expertisés.

Deux autres rapports ont été établis par le Cetim les 30 août et 13 décembre 2004 ; le premier précise que "les cassures se sont développées brutalement et qu'il y a eu surcharge", et le second indique que la rupture des circlips a pour cause principale la corrosion, tout en précisant que le processus de rupture d'un des circlips analysé est complètement différent de celui du premier circlip qui avait été examiné.

Enfin le cabinet CESAM a dressé un nouveau rapport le 24 janvier 2005 qu'il conclut de la manière suivante : "à une cassure par corrosion sous tension imputable à la contrainte mécanique normale de serrage dans la gorge de l'arbre, conjuguée à un processus de corrosion anormale".

Il résulte de ce qui précède que si le dommage a été découvert en 2002, ses causes plus précises n'ont pu être mises en évidence qu'à compter du 24 janvier 2005, qui correspond donc à la date de découverte du vice affectant ces circlips, et qui constitue dès lors le point de départ du délai de l'action en garantie des vices cachés.

Ce délai peut être interrompu par une assignation en référé, et en l'espèce la procédure de référé expertise a été engagée par acte d'huissier du 8 juillet 2005, soit moins de six mois après la date de découverte du vice.

Il y a donc eu lieu de juger que l'action a été engagée à bref délai et qu'elle est donc recevable.

b) sur le bien-fondé de l'appel en garantie :

Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que la société Inter Inox a bien fourni des circlips à plusieurs reprises à la société Lecomble & Schmitt.

L'expert judiciaire s'est appuyé pour l'essentiel sur plusieurs expertises diligentées antérieurement par deux cabinets spécialisés, le C.T.DEC et le Cetim.

Ces différents rapports ont été annexés au rapport d'expertise judiciaire.

Le Centre Technique de l'industrie du décolletage (C.T.DEC) a conclu son rapport du 24 octobre 2002 en indiquant qu'après avoir procédé à l'examen des circlips afin de déterminer l'origine de leur rupture, les analyses et les examens micrographiques n'ont pas permis de mettre en évidence l'origine exacte de la rupture, et il s'est borné à émettre des hypothèses notamment celle d'une rupture par corrosion sous tension.

Ce cabinet spécialisé a indiqué que la structure de ce circlips semble correcte et qu'aucun défaut de matière n'a été constaté dans les zones corrompues.

Le Centre Technique des Industries Mécaniques (Cetim) a conclu son premier rapport du 30 août 2004 après avoir procédé à une analyse exhaustive et approfondie des 15 circlips qui lui ont été remis par la société Lecomble & Schmitt que "la qualité métallurgique ne semble pas pouvoir être mise en cause pour expliquer les ruptures de cette pièce, ces cassures brutales ductiles ne peuvent s'expliquer que par une surcharge qui s'est traduite par un dépassement des caractéristiques mécaniques de l'acier inoxydable constituant ce circlips, ayant entraîné des déformations puis des ruptures".

Un nouveau rapport a été établi par ce même centre technique le 13 décembre 2004 afin de déterminer les causes de la rupture d'un circlips qui s'était rompu en service sur un bateau Oceanis 393.

Il n'a été constaté l'existence d'aucun défaut intrinsèque du circlip, et la rupture a été imputée à un phénomène de corrosion, mais le bureau Cetim a indiqué également que "le processus de rupture de ce deuxième circlip est complètement différent du premier circlip analysé précédemment, pour lequel il avait été constaté des ruptures brutales ductiles avec déformation, mais sans corrosion significative".

L'expert judiciaire a estimé pour sa part que la rupture des circlips est imputable à un double phénomène de corrosion et d'une flexion trop contraignante lors de la mise en place de ces pièces.

Il résulte de ce qui précède que les circlips fournis par la SARL Inter Inox ne présentaient pas de défauts intrinsèques ayant conduit à leur rupture, puisque les dommages sont imputables à un phénomène de corrosion résultant de l'environnement salin, ces appareils étant destinés à équiper des voiliers.

Pour pouvoir établir la responsabilité de la SARL Inter Inox, il appartient donc à la société Lecomble & Schmitt de prouver que la société Inter Inox lui a fourni en toute connaissance de cause des circlips inadaptés à l'environnement salin.

Or, les factures versées aux débats démontrent que la société Lecomble & Schmitt n'a jamais précisé à la société Inter Inox lors de ses achats la destination de ces circlips, étant précisé que ces matériels peuvent être utilisés dans la construction de toutes sortes d'appareils tels que tondeuses, robots ménagers, etc.

Il appartenait à la société Lecomble & Schmitt qui n'a pas pour objet social exclusif la fourniture d'équipements de matériel de navigation, de préciser à la SARL Inter Inox la destination des circlips commandés.

Il ne peut être reproché à la SARL Inter Inox un manquement à son obligation de conseil dans la mesure où elle avait affaire à un professionnel avisé qui aurait dû lui spécifier la destination des équipements commandés.

En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société Lecomble & Schmitt des fins de son appel en garantie dirigé contre la SARL Inter Inox.

En définitive, le jugement du tribunal de commerce sera confirmé en toutes ses dispositions, y compris les chefs de dispositif relatifs à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la SAS SPBI, de la SARL Inter Inox et de la SAS Lecomble & Schmitt les frais irrépétibles qu'elles ont pu être amenées à engager en cause d'appel ; elles seront donc déboutées de leurs demandes respectives en indemnités fondées sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort. Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Bayonne du 19 juillet 2010. Déboute les parties de leurs autres demandes. Condamne la SAS Lecomble & Schmitt aux dépens. Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.