Livv
Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 15 octobre 2012, n° 11-02454

DOUAI

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Merfeld

Conseillers :

Mmes Metteau, Doat

TI Valenciennes, du 24 mars 2011

24 mars 2011

Par jugement rendu le 24 mars 2011, le Tribunal d'instance de Valenciennes a, dans l'affaire opposant Mme Angélique C à Mme Johanna M, débouté Mme Angélique C de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Mme Angélique C a interjeté appel de cette décision le 7 avril 2011.

RAPPEL DES DONNÉES UTILES DU LITIGE :

Mme Angélique C a acheté, le 2 avril 2009, à Mme Johanna M un véhicule Renault Clio immatriculé 2914 VY 59 moyennant la somme de 850 euros.

Indiquant avoir été victime d'un ennui mécanique sérieux dès la prise de possession du véhicule et avoir appris que le joint de culasse était défectueux, Mme Angélique C a sollicité, par courrier recommandé du 27 avril 2009, la restitution du prix de vente. A défaut d'avoir obtenu une réponse, elle a sollicité devant le Tribunal d'instance de Valenciennes la désignation d'un expert. Il a été fait droit à cette demande par ordonnance de référé du 29 octobre 2009. Le rapport d'expertise a été déposé le 25 mars 2010.

Par acte d'huissier du 12 juillet 2010, Mme Angélique C a fait assigner Mme Johanna M devant le Tribunal d'instance de Valenciennes aux fins de voir prononcer la résiliation de la vente du 2 avril 2009, de dire qu'il devra être procédé à la restitution du véhicule Renault Clio, de condamner la venderesse à lui restituer la somme de 850 euros, de la condamner à lui payer la somme de 702,62 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 960 euros au titre du préjudice de jouissance.

Mme Johanna M s'est opposée à ces demandes au motif que le vice caché invoqué par l'acquéreur était connu lors de la vente. La décision déférée a été rendue dans ces conditions.

Par conclusions du 29 juin 2011, Mme Angélique C a demandé à la cour de :

Vu les articles 565 du Code de procédure civile et 1110 du Code civil ;

infirmer le jugement,

prononcer la résiliation de la vente du véhicule automobile Renault Clio immatriculé 2914 VY 59 du 2 avril 2009,

en conséquence :

dire qu'il devra être procédé à la restitution du véhicule Renault Clio,

condamner Mme Johanna M à lui restituer la somme de 850 euros,

la condamner à lui payer la somme de 702,62 euros à titre de dommages et intérêts,

la condamner à lui payer la somme de 960 euros au titre du préjudice de jouissance,

la condamner à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

la condamner aux entiers frais et dépens.

Par écritures du 29 août 2011, Mme Johanna M a sollicité, à titre principal, la confirmation du jugement et de débouter Mme C de ses demandes, fins et conclusions, à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les demandes, à titre infiniment subsidiaire, de lui accorder des délais de paiement sur le fondement de l'article 1244-1 du Code civil, de débouter Mme C de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de la condamner aux dépens.

Par arrêt du 9 janvier 2012, la Cour d'appel de Douai a sursis à statuer sur les demandes et invité les parties à présenter leurs observations quant à l'application de la garantie des vices cachés à titre d'unique fondement juridique des demandes présentées par Mme Angélique C et renvoyé l'affaire à la mise en état.

Dans ses écritures après l'arrêt avant dire droit, Mme Angélique C maintient ses demandes au visa des articles 565 du Code de procédure civile, 1110 du Code civil et ajoute l'article 1641 du Code civil comme fondement juridique de ses prétentions.

Elle indique qu'elle a acquis le véhicule litigieux suite à une annonce publiée sur le site Internet "le bon coin" qui indiquait que le véhicule avait un "contrôle technique OK - 1000 euros - bon état". Elle affirme que Mme Johanna M ne l'a pas alertée sur le problème sérieux du moteur au niveau du circuit de refroidissement, problème dont cette dernière avait parfaitement connaissance pour avoir acquis le véhicule seize jours auparavant au frère de son compagnon, M P. Elle relève que si le contrôle technique portait mention de défauts à corriger, une facture de réparation lui a été remise de sorte qu'elle a pensé que le véhicule était en bon état de marche alors que tel n'était pas le cas.

Elle indique, à titre principal, qu'elle a commis une erreur, pensant acquérir un véhicule réparé.

A titre subsidiaire, elle invoque le vice caché affectant le véhicule vendu.

Elle demande la "résiliation de la vente", le remboursement du prix, la somme de 602,62 euros au titre des frais d'assurance de la voiture et de 100 euros pour compenser les frais de carte grise. Elle ajoute avoir été contrainte de recourir aux transports en commun pendant une année et évalue son préjudice de jouissance à 80 euros par mois soit 960 euros au total.

Mme Johanna M reprend les demandes initialement formulées.

Elle affirme que, lors de la vente, elle a attiré l'attention de l'acquéreur sur le fait que le véhicule présentait des défauts techniques repris dans le procès-verbal de contrôle technique qui remontait à moins de six mois et qu'elle l'a informée, en outre, d'un problème affectant le radiateur et du fait que ce dernier avait été changé la veille de la vente.

Elle soutient que Mme C ne peut prétendre avoir cru que le changement du radiateur avait réglé les désordres affectant le moteur, la boîte et le circuit carburant, désordres mentionnés sur le procès-verbal de contrôle technique. Elle ajoute que c'est d'ailleurs en considération de ces défauts que le prix du véhicule a été baissé à 850 euros alors que sa valeur argus était de 1 200 euros au 1er janvier 2011. Elle en conclut que Mme C connaissait l'état du véhicule lors de l'achat et qu'elle savait que, si la voiture fonctionnait toujours au jour de la vente, elle était susceptible de connaître des défaillances de sorte qu'elle n'a pas pu commettre une erreur d'appréciation sur l'état du véhicule ou, qu'en tout état de cause, si une telle erreur a été commise, elle n'est pas excusable.

Elle ajoute que le procès-verbal de contrôle technique ayant été remis à l'acheteur le jour de la transaction, Mme C était informée du défaut d'étanchéité du moteur de sorte que ce désordre est un vice apparent et non caché.

A titre subsidiaire, elle demande la réduction du montant des dommages et intérêts sollicités par l'acquéreur dans la mesure où ce dernier ne justifie pas du paiement de l'assurance ni du paiement de frais d'établissement de carte grise pour 100 euros ou de frais de transport en commun. Elle ajoute percevoir des prestations sociales et avoir plusieurs enfants à charge.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'erreur :

L'article 1109 du Code civil dispose qu'il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. L'article 1110 du même Code précise que l'erreur n'est cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

Selon l'article 1641, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui en diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. L'article 1642 prévoit que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.

Mme C affirme qu'elle s'est méprise sur l'état du véhicule, croyant que celui-ci était en état de fonctionnement alors qu'il présentait des défauts affectant son fonctionnement. Elle fonde ses demandes sur l'erreur telle que définie par les articles 1109 et 1110 du Code civil.

Cependant, l'erreur sur une qualité substantielle, lorsqu'elle s'analyse en une défectuosité intrinsèque de la chose vendue en compromettant l'usage normal ou le bon fonctionnement, est un vice caché et donne naissance à la garantie afférente, unique fondement de l'action de l'acquéreur.

L'action de Mme C ne peut donc avoir pour fondement juridique que les articles 1641 et suivants du Code civil à l'exclusion des articles 1109 et 1110 du même Code.

Dès lors, la demande de "résiliation" de la vente litigieuse pour erreur doit être rejetée.

Sur la garantie des vices cachés :

Il découle des articles 1641 et 1642 du Code civil que Mme C, qui invoque la garantie des vices cachés, doit rapporter la preuve que :

Le véhicule acquis est affecté de vices

Ces vices étaient cachés lors de la vente

Ces vices existaient lors de la vente et rendent la voiture impropre à sa destination ou en diminuent tellement son usage qu'elle ne l'aurait pas acheté si elle les avait connus.

Il ressort du rapport d'expertise de M. C que :

Le moteur de la voiture est affecté d'un problème sérieux au niveau du circuit de refroidissement. Le liquide de refroidissement, compte tenu de l'absence d'étanchéité du moteur, s'évacue par le circuit de refroidissement. Cette situation affecte l'usage du véhicule et son fonctionnement.

Ce problème existait lors de la transaction, M. M ayant déjà tenté de remédier au problème, sans y parvenir.

le prix des réparations risque de dépasser le montant de la vente ; il est donc évident que Mme C n'aurait pas acheté ce véhicule, décrit dans l'annonce comme en bon état, si elle avait su que des réparations importantes étaient à faire et ce d'autant que le véhicule avait déjà 323 000 kilomètres.

Si Mme C s'est vue remettre, lors de la vente, le procès-verbal de contrôle technique mentionnant plusieurs défauts à corriger sans obligation d'une contre-visite (à savoir un déséquilibre du frein de service, un réglage trop bas du feu de croisement, un défaut d'étanchéité du moteur, un défaut d'étanchéité de la boîte et un mauvais état du circuit de carburant), il n'en demeure pas moins que la venderesse lui a également donné la facture d'un radiateur, qu'elle lui a indiqué que cet élément avait été changé. En conséquence, Mme C pouvait légitimement penser que cette fuite au niveau du moteur avait été réparée, que le défaut relevé par le contrôleur technique n'existait plus et que la voiture était en bon état de fonctionnement comme l'indiquait l'annonce de vente. En réalité, comme l'a relevé l'expert, le changement de radiateur n'a pas solutionné la surpression interne du circuit de refroidissement qui provoque la défectuosité du radiateur. En conséquence, il ne peut être affirmé que le vice affectant le véhicule était apparent pour un acquéreur profane.

Les conditions d'application de la garantie des vices cachés sont donc réunies puisque le véhicule acquis était affecté d'un vice le rendant impropre à sa destination et caché au moment de la vente. Mme C est fondée à solliciter la résolution de la vente et le remboursement du prix, soit 850 euros. Elle devra, en contrepartie, restituer la voiture litigieuse à sa venderesse.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.

L'article 1646 du Code civil dispose que si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.

Il n'est pas établi que Mme M connaissait les vices de la chose vendue ; en effet, si elle savait que le moteur présentait une fuite, elle pouvait penser, n'étant pas professionnelle de l'automobile, que ce désordre avait été réparé par le changement de radiateur qu'elle avait fait effectuer. Dans ces conditions, les demandes de dommages et intérêts présentées par Mme C, à savoir sa demande au titre de son préjudice de jouissance et en remboursement des frais d'assurance, seront rejetées. Il sera fait droit à celle liée aux frais de carte grise, directement liés à la vente, qui sont justifiés pour un montant de 100 euros. Mme M sera donc condamnée à lui payer cette somme.

Sur la demande de délais de paiement :

Mme M sollicite des délais de paiement en application de l'article 1244-1 du Code civil compte tenu de sa situation financière ; cependant, il convient de constater que Mme C est également dans une situation financière précaire puisque bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale et que la vente remonte à 2009 de sorte que Mme M a déjà bénéficié, de fait, de délais. La demande de ce chef sera donc rejetée.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :

Mme M succombant en ses principales prétentions, elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Mme C, bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, ne rapporte pas la preuve de frais qu'elle aurait exposés et qui ne seraient pas compris dans les dépens. Sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile sera donc rejetée.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire : Infirme le jugement ; Statuant à nouveau : Prononce la résolution de la vente du véhicule Clio immatriculé 2914 VY 59 intervenue le 2 avril 2009 entre Mme Johanna M et Mme Angélique C ; Condamne Mme Johanna M à payer à Mme Angélique C la somme de 850 euros au titre du remboursement du prix ; Condamne Mme Johanna M à payer à Mme Angélique C la somme 100 euros pour frais liés à la vente ; Dit qu'après paiement de ces sommes, Mme Angélique C devra restituer à Mme Johanna M le véhicule Renault Clio immatriculé 29147 VY 59 ; Déboute Mme Johanna M de sa demande de délais de paiement ; Condamne Mme Johanna M aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle ; Déboute Mme Angélique C de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.