Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 26 octobre 2012, n° 10-09917

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GIP2 (SARL)

Défendeur :

Iguane Sécurité (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouly de Lesdain

Conseillers :

Mme Chandelon, M. Schneider

Avocats :

Mes Ingold, Rodrigue, Olivier, Moulai

T. com. Créteil, 2e ch., du 6 avr. 2010

6 avril 2010

Le 14 mars 2007, la société Iguane Sécurité (Iguane), qui exerce une activité de surveillance, a vendu à la société GIP2, spécialisée dans la conception de logiciels destinés aux entreprises de gardiennage, dix licences "Sécurité Concept V2 Pro Bio".

Reprochant à son fournisseur de ne pas lui avoir précisé que le dispositif vendu ne pouvait fonctionner sans autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), la société Iguane a engagé la présente procédure par exploit en date du 6 février 2009 pour obtenir, sur le fondement de l'article 1110 du Code civil, l'annulation du contrat souscrit.

Par jugement du 6 avril 2010, le Tribunal de commerce de Créteil a :

- prononcé aux torts de la société GIP2 la résolution du contrat du 14 mars 2007,

- ordonné à la société GIP2 de rembourser la somme versée de 21 516,04 euro contre remise, par la société Iguane, du logiciel "Sécurité Concept V2 Pro Bio", de la clef de décryptage et du lecteur d'empreinte digitale Sagem MSO 300,

- condamné la société GIP2 au paiement d'une indemnité de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 5 mai 2010, la société GIP2 a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 26 décembre 2011, la société GIP2 demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- condamner la société Iguane au paiement :

* des factures n° 08065, 08016 et 09071,

* de 30 000 euro de dommages intérêts pour procédure abusive,

* de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 2 février 2012, la société Iguane demande à la cour de :

- confirmer le jugement et préciser que le principal alloué portera intérêts de droit à compter de l'exploit introductif d'instance,

- condamner la société GIP2 à lui rembourser le matériel annexe acquis pour correspondre à l'environnement des mains courantes fournies et à lui régler 5 000 euro de dommages intérêts outre 3 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

CELA ETANT EXPOSE,

LA COUR,

Sur la demande principale

Considérant qu'il résulte des pièces produites que la société Iguane a acheté un système de main courante permettant de recueillir par informatique toutes les données habituellement consignées sur papier par le personnel de surveillance, équipé d'un contrôleur de ronde enregistrant les déplacements des agents de sécurité ;

Que ce produit pouvait fonctionner avec identification par Code PIN ou par un procédé biométrique ;

Que la société Iguane a opté pour ce dernier procédé pour, selon ses écritures, avoir la traçabilité des rondes effectuées dans le respect des engagements pris avec le client ;

Qu'elle expose avoir eu l'attention attirée par son Comité d'entreprise sur la nécessité d'obtenir une autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour utiliser le procédé biométrique envisagé ;

Considérant que l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978 relatif à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose :

I Sont mis en œuvre après autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés :

(...) 8° Les traitements automatisés comportant les données biométriques nécessaires au contrôle de l'identité des personnes ;

Considérant que la société Iguane soutient en premier lieu que le produit vendu serait illicite dès lors que si, selon sa délibération du 27 avril 2006, la CNIL autorise facilement les dispositifs où l'empreinte digitale est enregistrée exclusivement sur un support individuel, carte à puce ou clé USB, conservé par le salarié concerné, elle adopte une position beaucoup plus restrictive lorsque le procédé consiste, comme en l'espèce, à stocker des données d'un salarié sur un terminal de lecture-comparaison ou sur un serveur ;

Mais considérant qu'un bien n'est pas illicite au seul motif que son exploitation est subordonnée à une autorisation administrative et qu'il convient d'observer qu'en l'espèce, la société Iguane ne l'a pas sollicitée et ne démontre pas davantage l'absence, dans sa clientèle, d'entreprises à fort impératif de sécurité, selon l'expression de la CNIL, lui permettant d'envisager la mise en place d'un système de reconnaissance par biométrie ;

Considérant que la société Iguane soutient en second lieu que le devoir de conseil du vendeur lui imposait de délivrer une information spécifique et préalable à la vente ;

Considérant que la société GIP2 verse aux débats le témoignage du responsable commercial en contact avec la société Iguane à l'époque des faits qui précise que lorsqu'il est venu présenter au dirigeant de la société Iguane le système de main courante informatique, ce dernier lui a précisé qu'il trouvait le système d'identification par Code PIN sans intérêt dans la mesure où il ne permettait pas d'authentifier avec certitude les salariés ;

Que le témoin ajoute que c'est dans ce contexte qu'il a présenté à ce client l'option biométrique, en lui précisant la nécessité d'obtenir une autorisation de la CNIL, laquelle n'était pas systématiquement délivrée et que son interlocuteur lui a alors rétorqué être un grand garçon et disposer d'un service juridique interne pour résoudre cette difficulté ;

Considérant que la société Iguane ne commente pas cette attestation, et qu'aucun élément ne permet de douter de sa sincérité, son auteur n'étant plus salarié de la société GIP2 à la date de sa rédaction ;

Considérant ainsi qu'il ne peut être reproché à la société GIP2 qu'un défaut d'avertissement écrit susceptible d'attirer l'attention de son cocontractant ;

Considérant en outre que le devoir de conseil d'un vendeur se limite aux caractéristiques techniques du produit qu'il commercialise à l'exception des éventuelles contraintes légales pouvant limiter son utilisation et dont il appartient à l'acheteur, qui contracte pour les besoins de son activité professionnelle, de s'assurer ;

Considérant que la société Iguane soutient enfin que le défaut d'information et de conseil est en l'espèce à l'origine d'un vice de consentement précisant qu'elle n'aurait pas acquis un dispositif susceptible d'être inutilisable ;

Mais considérant qu'aussi bien le logiciel vendu que son accessoire, le contrôleur de ronde, fonctionnent avec un Code PIN et que la capture d'empreinte digitale est une option représentant 10 % de son prix ;

Que la société GIP2 démontre ainsi que la société CB Richard Ellis, qui a succédé à la société Iguane dans la surveillance de la tour Gallieni à Suresnes et conservé le dispositif informatique de main courante installé par la société Iguane, l'utilisait encore le 16 décembre 2011 mais avec un Code PIN, selon les propos de sa responsable d'exploitation recueillis par huissier ;

Considérant au surplus que pour constituer un vice de consentement l'erreur doit porter sur la chose vendue ce qui n'est pas le cas dans la présente espèce ;

Qu'il convient en conséquence, infirmant le jugement déféré, de débouter la société Iguane de sa demande d'annulation du contrat et de remboursement des règlements acquittés au titre du logiciel puis des produits annexes ;

Sur la demande reconventionnelle

Considérant que la société GIP2 sollicite le paiement :

- d'une facture de 7 534,80 euro émise le 19 juin 2008 pour le contrôleur de ronde Vigicom que la société Iguane a refusé de réceptionner,

- de deux factures d'un montant total de 11 826,04 euro correspondant aux mises à jour du logiciel et à l'assistance téléphonique qu'elle devait assurer sur une période de trois années,

- de 30 000 euro de dommages intérêts pour procédure abusive ;

Mais considérant que la société GIP2 ne peut solliciter le paiement d'une marchandise qu'elle n'a pas livrée ou de prestations qu'elle n'a pas faites mais seulement tirer les conséquences d'une résiliation unilatérale des contrats correspondants si elle l'estime abusive, ce qu'elle ne fait pas ;

Considérant que l'action entreprise par la société Iguane, dès lors qu'elle ne résulte pas d'une légèreté blâmable, ne peut faire dégénérer en abus le droit fondamental d'agir en justice ;

Qu'il convient en conséquence de débouter la société GIP2 de sa demande reconventionnelle ;

Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre partie ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau, Déboute la société Iguane Sécurité de sa demande principale et la société GIP2 de sa demande reconventionnelle ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Iguane Sécurité aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.