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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 18 juin 2012, n° 10-07503

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Sebbar

Défendeur :

El Khadiri (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Merfeld

Conseillers :

Mmes Metteau, Doat

Avocats :

SCP Cocheme Labadie Coquerelle, SCP Thery-Laurent, Mes Franchi, Chaillet, Lenormand, Congos, Policella

TGI Lille, du 10 sept. 2010

10 septembre 2010

Le 26 juin 2008, M. Sami Sebbar a acquis un véhicule automobile Peugeot 306, dont Mme Rahja El Khadiri était la propriétaire, moyennant le prix de 7 400 euros.

Lors de la vente, le compteur du véhicule affichait 115 155 kilomètres.

Juste après la vente, M. Sebbar a dû faire procéder à des réparations sur le véhicule, lequel est ensuite tombé en panne le 23 octobre 2008.

Le garagiste a indiqué que le kilométrage inscrit au compteur ne correspondait pas au kilométrage réel.

Le certificat de visite effectué le 13 juin 2008 par un contrôleur technique belge a révélé qu'à cette date, le compteur affichait 225 850 kilomètres.

M. Sebbar a tenté de se rapprocher de M. Yacin El Khadiri, qu'il considère comme son véritable vendeur, pour voir annuler la vente à l'amiable, ce qui lui a été refusé.

Par acte d'huissier en date du 27 juillet 2009, M. Sami Sebbar a fait assigner M. Yacin El Khadiri et Mme Rahja El Khadiri devant le Tribunal de grande instance de Lille pour voir prononcer la nullité de la vente du véhicule, sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, et condamner in solidum M. et Mme El Khadiri à lui restituer le prix de vente de 7 400 euros, outre celle de 1 314,11 euros représentant le coût des réparations et celle de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement en date du 10 septembre 2010, le tribunal a débouté M. Sebbar de l'ensemble de ses demandes, débouté M. et Mme El Khadiri de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

M. Sami Sebbar a interjeté appel de ce jugement, le 26 octobre 2010.

Il demande à la cour d'infirmer le jugement et :

à titre principal,

- de constater l'erreur sur les qualités substantielles du véhicule commise par lui

- de dire nulle la vente intervenue entre Mme El Khadiri et lui-même

en conséquence,

- de condamner in solidum Mme Rahja El Khadiri et M. Yacin El Khadiri à lui restituer le prix de vente, soit la somme de 7 400 euros

- de les condamner in solidum à lui payer la somme de 1 314,11 euros au titre des réparations qu'il a dû effectuer sur le véhicule

à titre subsidiaire,

- de constater la non-conformité du véhicule délivré par Mme El Khadiri par rapport aux stipulations contractuelles

- de prononcer la résolution de la vente

en conséquence,

- de condamner in solidum Mme Rahja El Khadiri et M. Yacin El Khadiri à lui restituer le prix de vente, soit la somme de 7 400 euros

- de les condamner in solidum à lui payer la somme de 1 314,11 euros au titre des réparations qu'il a dû effectuer sur le véhicule

en tout état de cause,

- de condamner in solidum Mme Rahja El Khadiri et M. Yacin El Khadiri à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Sebbar expose que, lors de la vente du 26 juin 2008, il a constaté que le véhicule avait été acquis en Belgique le 17 juin 2008, moins de 10 jours auparavant, qu'ensuite, lorsque le garagiste lui a appris que le compteur avait été "trafiqué", il s'est rapproché du précédent propriétaire, M. Machrouk, et a obtenu une copie du certificat de visite du véhicule en date du 13 juin 2008 mentionnant un kilométrage de 225 850 kilomètres.

Il fait observer que, devant le tribunal, M. El Khadiri reconnaissait lui avoir vendu, avec sa sœur, le véhicule litigieux et que celui-ci s'est toujours présenté et comporté comme le propriétaire du véhicule, qu'il semble qu'il exerce une activité non déclarée d'achat et de revente de véhicules et qu'il est établi que le compteur a été falsifié entre le 13 juin 2008, date du contrôle technique belge, et le 17 juin 2008, date du contrôle technique réalisé en France.

Il affirme que le certificat de vente du véhicule n'est qu'une présomption simple de propriété qui peut être renversée par tous moyens, que M. El Khadiri s'est occupé d'acheter le véhicule auprès de M. Machrouk, le 17 juin 2008, et de le lui revendre, tandis qu'il n'établit pas ne pas avoir encaissé le prix de vente, que sa demande de mise hors de cause doit être rejetée.

Il fonde sa demande en nullité de la vente sur les dispositions de l'article 1110 du Code civil relatives à l'erreur sur les qualités substantielles, le kilométrage parcouru par un véhicule constituant une qualité substantielle de celui-ci pour l'acquéreur.

Il indique qu'il ne pouvait se rendre compte d'une telle falsification, qui ne lui a été révélée que le 17 novembre 2008.

Il ajoute que des réparations importantes ont dû être effectuées sur le véhicule dès le 30 juin 2008 : changement de la batterie, réparation du kit de distribution, qui auraient pu être évitées si le véhicule avait "présenté un état de fatigue moins avancé" et qui auraient été à la charge des consorts El Khadiri si le contrat n'avait pas été conclu.

A titre subsidiaire, M. Sebbar invoque le défaut de conformité du véhicule aux stipulations contractuelles, sur le fondement de l'article 1604 du Code civil, et il demande la résolution de la vente, la restitution du prix de vente et du véhicule et l'octroi de dommages et intérêts destinés à l'indemniser du préjudice financier subi du fait de l'acquisition de ce véhicule.

Dans ses conclusions, M. Yacin El Khadiri demande à la cour :

à titre principal,

- de déclarer irrecevable l'action diligentée à son encontre

à titre subsidiaire,

- de débouter M. Sami Sebbar de toutes ses demandes

à titre infiniment subsidiaire,

- de lui accorder les plus larges délais de paiement

en tout état de cause,

- de condamner M. Sebbar à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait valoir que le certificat de cession en date du 26 juin 2008 indique expressément que c'est Mme Rahja El Khadiri qui a vendu le véhicule, qu'elle a signé l'acte de vente et perçu le prix, qu'elle était seule propriétaire du véhicule, de sorte que l'action dirigée contre lui est irrecevable.

A titre subsidiaire, il soutient que M. Sebbar, qui doit démontrer la réalité de son erreur, n'apporte aucun élément sur le kilométrage réel du véhicule, qu'il ressort simplement des débats que le compteur a été trafiqué avant que Mme El Khadiri en fasse l'acquisition et qu'il était l'objet de dysfonctionnements, que le compteur défectueux pouvait, à compter de cette manipulation, afficher un kilométrage erroné sans aucune raison, d'autant plus que M. Sebbar a effectué des réparations sur le véhicule sans en informer préalablement Mme El Khadiri.

Il ajoute que M. Sebbar ne démontre pas que le kilométrage du véhicule était pour lui une qualité substantielle, alors qu'il a acquis un véhicule d'occasion et qu'il a disposé du temps nécessaire pour l'essayer avant de l'acheter.

Il affirme que la non-conformité du véhicule au contrat n'est pas non plus démontrée, que M. Sebbar se fonde sur un compteur qui manque de fiabilité et qui ne peut donc constituer un élément de preuve tangible, que la preuve de ce que le véhicule délivré par Mme El Khadiri comportait presque deux fois le nombre de kilomètres qu'il affichait n'est pas rapportée.

Au cas où la nullité de la vente serait prononcée, M. El Khadiri demande que soit prise en compte la décote du véhicule liée à l'utilisation de celui-ci par M. Sebbar et il sollicite des délais de paiement, au motif qu'il est demandeur d'emploi.

Par acte d'huissier en date du 23 mars 2012, M. Sami Sebbar a fait signifier à Mme Rahja El Khadiri sa déclaration d'appel et ses conclusions.

Assignée à son domicile, celle-ci n'a pas constitué avocat.

Le présent arrêt sera rendu par défaut.

SUR CE :

Le certificat de cession en date du 26 juin 2008 mentionne que le véhicule 306 Peugeot a été vendu par Mme Rahja El Khadiri à M. Sami Sebbar.

Le certificat d'immatriculation en date du 17 juin 2008 est au nom de Mme Rahja El Khadiri.

M. Sebbar n'établit pas qu'il a payé le prix de vente entre les mains d'une autre personne que Mme Rahja El Khadiri, aucun chèque, ni reçu n'étant produits.

La preuve que M. Yacin El Khadiri se serait comporté en propriétaire apparent du véhicule n'est pas non plus rapportée.

Elle ne peut résulter des conclusions de première instance prises au nom de Mme Rahja El Khadiri et de lui-même dans lesquelles il ne reconnaît pas expressément être le vendeur du véhicule, mais conteste avoir commis des manœuvres frauduleuses.

Dès lors, l'action dirigée par M. Sami Sebbar contre M. Yacin El Khadiri n'est pas fondée.

L'article 1110 du Code civil énonce que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

L'indication du kilométrage d'un véhicule automobile est un élément déterminant de son usure et de sa valeur et constitue ainsi une qualité substantielle d'un véhicule d'occasion.

Sur le certificat de cession en date du 26 juin 2008, il est indiqué que le véhicule a parcouru 115 500 kilomètres.

Le procès-verbal de contrôle technique de ce véhicule, en date du 17 juin 2008, établi par la société CTC, au nom du vendeur de Mme El Khadiri, M. Moussa Machrouk, la vente ayant eu lieu le même jour, mentionne également un kilométrage inscrit au compteur de 115 155 kilomètres.

Or, M. Sebbar produit un certificat de visite belge en date du 13 juin 2008 de ce même véhicule 306 Peugeot mis en circulation le 6 août 2003, comportant le numéro de châssis VF33CRHYB82728061, sur lequel figure un kilométrage de 225 850 kilomètres.

En outre, la facture dressée par le garage Martin Automobiles, concessionnaire Peugeot, le 30 octobre 2008, pour des réparations effectuées sur le véhicule 306, fait apparaître un kilométrage de 226 229 kilomètres alors que la fiche de commande de travaux en date du 29 octobre 2008 reprenait un kilométrage de 128 263 kilomètres.

M. Sebbar démontre dès lors que le véhicule qui lui a été vendu par Mme El Khadiri comme ayant parcouru 115 155 kilomètres en avait parcouru en réalité 225 000 au minimum.

Il rapporte la preuve qu'il a commis une erreur sur les qualités substantielles du véhicule, croyant acheter un véhicule d'occasion ayant roulé, en cinq ans, 23 000 kilomètres par an en moyenne, alors que ce véhicule avait effectué environ 45 000 kilomètres par an en moyenne pendant cette période, soit près du double, et que son consentement a été vicié.

Il convient de prononcer l'annulation de la vente du véhicule Peugeot 306 consentie par Mme Rahja El Khadiri à M. Sami Sebbar et, en conséquence, de condamner celle-ci à restituer à celui-là le prix du véhicule, soit la somme de 7 400 euros, M. Sebbar étant tenu de restituer ensuite le véhicule.

L'annulation de la vente a pour conséquence de remettre les parties en l'état dans lequel elles se trouvaient antérieurement à celle-ci.

M. Sebbar est ainsi fondé à solliciter le remboursement des frais qu'il a exposés pour réparer un véhicule qui est réputé ne jamais lui avoir appartenu, frais dont il justifie par la production des factures correspondantes :

- 363,99 euros le 30 juin 2008

- 14,40 euros le 1er juillet 2008

- 113,31 euros le 30 août 2008

- 257,67 euros le 14 octobre 2008

- 564,74 euros le 30 octobre 2008

Il y a lieu de condamner Mme Rahja El Khadiri à payer à M. Sami Sebbar la somme de 1 314,11 euros qu'il sollicite à ce titre.

Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a débouté M. Sebbar de ses demandes.

Pour des raisons d'équité, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. Sebbar les frais irrépétibles de première instance supportés par M. Yacin El Khadiri.

Celui-ci ne justifie pas par ailleurs avoir exposé en cause d'appel d'autres frais que ceux qui sont pris en charge au titre de l'aide juridictionnelle totale dont il bénéficie devant la cour.

Il y a lieu de mettre à la charge de Mme Rahja El Khadiri, partie perdante, les frais irrépétibles de première instance et d'appel supportés par M. Sami Sebbar, à hauteur de 1 500 euros.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par défaut : Confirme le jugement en ce qu'il a débouté M. Sami Sebbar de ses demandes dirigées contre M. Yacin El Khadiri, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Prononce l'annulation de la vente en date du 26 juin 2008 entre Mme Rahja El Khadiri et M. Sami Sebbar, Condamne Mme Rahja El Khadiri à restituer à M. Sebbar le prix de vente de 7 400 euros, Dit que M. Sami Sebbar devra restituer le véhicule quand il aura été remboursé de cette somme, Condamne Mme Rahja El Khadiri à payer à M. Sami Sebbar la somme de 1 314,11 euros, Condamne Mme Rahja El Khadiri aux dépens de première instance et d'appel, Autorise, s'ils en ont fait l'avance sans en avoir reçu provision, la SCP Cocheme Labadie Coquerelle, avoué, au titre des actes accomplis antérieurement au 1er janvier 2012, et Maître Bernard Franchi, avocat, au titre des actes accomplis à compter du 1er janvier 2012, à recouvrer les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne Mme Rahja El Khadiri à payer à M. Sami Sebbar la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en première instance et en cause d'appel, Déboute M. Yacin El Khadiri de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.