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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 6 novembre 2012, n° 11-01417

ANGERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Esprit Auto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hubert

Conseillers :

Mmes Grua, Monge

TGI Angers, du 13 déc. 2010

13 décembre 2010

Le 5 novembre 2003, la SARL Esprit Auto a vendu à M Pierre-François B un véhicule Volkswagen Golf IV au prix de 15 186,01 euro qui a été réglé le 10 novembre suivant.

Dans le cadre d'une procédure d'instruction diligentée au sujet d'un trafic international de véhicules qui a abouti à un non-lieu partiel et au renvoi de certains mis en examen devant le tribunal correctionnel de Perpignan, le magistrat instructeur a rendu, le 9 septembre 2005, une ordonnance portant restitution du véhicule à la société Coris International, mandataire de l'assureur de M. Angel A F, le propriétaire espagnol du véhicule.

Affirmant que le véhicule acheté à la société Esprit Auto avait été volé à M. Angel A F, M. Pierre-François B a, par acte d'huissier du 21 juillet 2009, a fait assigner la société Esprit Auto au visa de l'article 1604 du Code civil, aux fins d'obtenir la résolution de la vente intervenue le 5 novembre 2003, la condamnation de la société défenderesse à lui restituer la somme de 15 186,01 euro correspondant au montant du prix de vente du véhicule litigieux ainsi qu'à lui verser la somme de 1 500 euro en indemnisation de son préjudice moral outre la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 13 décembre 2010, le Tribunal de grande instance d'Angers a :

- prononcé la résolution judiciaire de la vente intervenue le 5 novembre 2003 entre les parties relative au véhicule Volkswagen Golf IV TDI immatriculée 3479 YQ 49 ;

- ordonné en conséquence la restitution du prix de vente 15 186,01 euro et la remise du véhicule ;

- débouté M. B de sa demande en dommages-intérêts pour préjudice moral ;

- condamné la SARL Esprit Auto à payer à M. B la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SARL Esprit Auto aux dépens.

Le 30 mai 2011, la SARL Esprit Auto a interjeté appel de ce jugement.

Les parties ont conclu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 août 2012.

Dans ses dernières conclusions en date du 2 janvier 2012, la SARL Esprit Auto demande à la cour:

- d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

- de constater que M. B ne prouve pas que le véhicule acheté à la société Esprit Auto le 5 novembre 2300 proviendrait d'un vol au préjudice de M. A P et que ses marques d'identification auraient été falsifiées ;

- de constater en toute hypothèse que tant la société Esprit Auto que M. B sont ou ont été des possesseurs de bonne foi ;

- de constater en conséquence que M. B est le propriétaire du véhicule vendu par la société Esprit Auto par l'effet de la présomption établie par l'article 2276 du Code civil ;

- de constater en tant que de besoin que M. A P ou son mandataire serait irrecevable à agir en restitution contre M. B ;

- de constater qu'à défaut M. B n'aurait d'action qu'à l'encontre de ces derniers en application de l' article 2277 du Code civil ;

- de constater en conséquence et en toute hypothèse que M. B ne dispose d'aucun droit ni intérêt à agir en résolution de la vente sur le fondement d'un défaut de conformité ;

- de déclarer M. B irrecevable et en tout cas non fondé en ses demandes de toute nature ; l'en débouter ;

Subsidiairement,

- de dire qu'il n'y aurait pas lieu à résolution de la vente ;

- de constater que M. B n'a subi aucun préjudice matériel dans la mesure où depuis la vente il utilise le véhicule acheté à la société Esprit Auto normalement ;

- de constater que M. B n'a subi aucun préjudice moral dans la mesure où les tracasseries subies en raison du vol de son véhicule sont parfaitement étrangères à l'action de la société Esprit Auto ;

- de le débouter de sa demande en dommages-intérêts ;

Plus subsidiairement,

- de constater que la valeur du véhicule litigieux s'établit à 500 euro ;

- de limiter la condamnation de la société Esprit Auto au paiement de cette somme au titre du remboursement du prix de la vente ou à titre de dommages-intérêts ;

- de décharger la société Esprit Auto des condamnations de toutes natures résultant du jugement entrepris, et à tout le moins celles excédant ce montant ;

- de condamner M. B à payer à la société Esprit Auto une indemnité de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

La société Esprit Auto indique avoir acheté le véhicule litigieux le 22 octobre 2003 à M. Guennadi G alors que le compteur kilométrique affichait 38 000 km.

Elle rappelle que, si la procédure pénale a concerné le vol du véhicule de M. Angel A F, l'ordonnance de renvoi de plusieurs mis en examen devant le Tribunal de grande instance de Perpignan ne concernait pas ce vol.

Elle soutient que les pièces de la procédure pénale produites aux débats ne prouvent pas que le véhicule qu'elle a vendu à M. B est celui qui a été volé à M. A F dont les marques d'identification (certificat d'immatriculation, numéro de châssis, plaque constructeur) auraient été falsifiées. Elle affirme avoir, avant son achat à M. Guennadi G, minutieusement examiné le véhicule pour constater que le numéro de châssis et le numéro du moteur correspondaient au certificat d'immatriculation. Elle conteste donc l'attestation du policier qui a désigné M. B en qualité de gardien provisoire du véhicule en attente du jugement qui indique que le numéro de série gravé sur le châssis a été refrappé, la plaque constructeur changée ainsi que l'étiquette qui se trouve dans le coffre. Elle relève en outre qu'aucun recel ne lui a été reproché et que l'ordonnance de restitution du magistrat instructeur concerne un véhicule immatriculé en Espagne sous le numéro 1777BTN sans désigner M. B comme le détenteur du véhicule volé à M. A F alors que le véhicule acheté par M. B était immatriculé 3479 YQ 49.

La société Esprit Auto ajoute que la société Coris International n'a engagé aucune poursuite aux fins de restitution du véhicule sur la base de l'ordonnance du juge d'instruction.

En droit, la société Esprit Auto estime que, en sa qualité de possesseur de bonne foi, M. B peut se prévaloir de la présomption de propriété de l'article 2276 alinéa 1er du Code civil pour s'opposer à toute action en revendication s'il était prouvé que le véhicule appartient à M. A F . En outre, elle fait observer que plus de trois ans se sont écoulés depuis le vol au préjudice de M. A F déclaré le 15 octobre 2003.

La société Esprit Auto invoque sa qualité de marchand professionnel de véhicules automobiles pour soutenir qu'en application de l'article 2277 du Code civil, M. A F ne peut obtenir restitution de son véhicule que contre remboursement du prix payé par M. B et que ce dernier est irrecevable dans son action en résolution de vente dirigée contre elle.

La société Esprit Auto s'oppose à la demande de dommages-intérêts présentée à son encontre en l'absence de toute faute contractuelle en précisant que M. B n'a jamais perdu la jouissance du véhicule litigieux.

Si la cour devait retenir une délivrance non conforme, la société Esprit Auto rappelle que la résolution de la vente n'est encourue que lorsque que la non-conformité a une incidence sur l'usage de la chose vendue alors que, en l'espèce, M. B utilise normalement le véhicule litigieux depuis huit ans. En cas de résolution de la vente, considérant que M. B ne pourra restituer qu'un véhicule de 9 ans affichant 250 000 km au compteur et d'une valeur d'environ 500 euro, la société Esprit Auto estime qu'elle ne devrait être tenue à payer que cette somme à titre de remboursement du prix ou de dommages et intérêts.

Dans ses dernières conclusions du 31 octobre 2011, M. Pierre-François B demande à la cour :

- de déclarer la société Esprit Auto non fondée en son appel incident ainsi qu'en l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions ; l'en débouter ;

vu les dispositions de l'article 1604 du Code civil,

vu les pièces versées aux débats,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire de la vente intervenue entre les parties avec ses conséquences de droit, outre une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

À titre tout à fait subsidiaire,

- de condamner la société Esprit Auto à verser à M. B la somme de 16 680,01 euro en indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait du défaut de conformité affectant le véhicule qu'elle a vendu ;

En toute hypothèse, et faisant droit à l'appel incident de M. B,

- de condamner la société Esprit Auto à payer à celui-ci une somme de 1 500 euro à titre de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice moral qu'elle lui a fait subir et pour résistance abusive et injustifiée ;

- condamner la société Esprit Auto à payer à M. B une somme de 2 000 euro pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de Me Jacques V conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

M. Pierre-François B rappelle que, dans le cadre de la procédure pénale, il a été institué gardien judiciaire du véhicule litigieux le 22 mars 2004 selon une attestation d'un officier de police judiciaire qui indique que le véhicule vendu par la société Esprit Auto a été déclaré volé le 15 octobre 2003 au préjudice de M. Angel Miguel A F demeurant en Espagne et que ce véhicule immatriculé initialement 1777 BVR a été l'objet d'une falsification de ses marques d'identification. Il estime cette attestation suffisante en ajoutant qu'elle a été corroborée par l'ordonnance du magistrat instructeur du 9 septembre 2005 ordonnant la restitution du véhicule au profit de la société Coris, assureur subrogé dans les droits du propriétaire espagnol dédommagé. Il en déduit que sa demande de résolution de la vente est parfaitement fondée pour défaut de délivrance conforme sur le fondement des articles 1604 et 1615 du Code civil. Il estime que cette demande est d'autant plus fondée que le vendeur est un professionnel de l'achat et de la revente de véhicules d'occasion qui n'a pas su détecter les falsifications dont le véhicule avait fait l'objet.

Si la cour estime ne pas devoir prononcer la résolution de la vente, M. B réclame le prix de vente, soit la somme de 16 680,01 euro, à titre de dommages-intérêts pour les tracas et contraintes qu'il a subis du fait d'avoir à utiliser un véhicule volé.

En toute hypothèse, il réclame la somme de 1 500 euro pour préjudice moral et procédure abusive.

MOTIFS

1°) Sur la réalité du vol et sur le défaut de délivrance conforme

Il résulte du certificat de cession de véhicule en date du 5 novembre 2003 que M. Pierre-François B a acquis de la société Esprit Auto au prix de 15 186,01 euro un véhicule Golf immatriculé 3479YQ49 dont le numéro de série porté sur le certificat d'immatriculation était WVWZZZ1JZ2B111290. Ce véhicule avait été acquis, avec les mêmes numéros d'identification, par la société Esprit Auto le 22 octobre 2003 auprès de M. G. M. B, lors de son audition par la police en exécution d'une commission rogatoire, a appris, le 22 mars 2004, que son véhicule avait été volé en Espagne le 15 octobre 2003 au préjudice de M. A F alors qu'il était immatriculé 1777BTN et qu'il portait comme numéro de série WVWZZZ1JZ2B115986. Le même jour il a été institué gardien provisoire du véhicule litigieux, l'officier de police judiciaire indiquant notamment sur l'attestation que, lors de sa découverte :

- le véhicule était faussement immatriculé,

- le numéro de série gravé sur le châssis avait été refrappé,

- la plaque constructeur changée ainsi que l'étiquette se trouvant dans le coffre.

Par la suite, le magistrat instructeur a, par ordonnance du 9 septembre 2005, ordonné la restitution du véhicule volé en Espagne sous immatriculation 1777BTN à la société Coris International mandatée elle-même par l'assureur du véhicule ayant appartenu à M. A F. À l'issue de la procédure d'instruction, une décision de non-lieu a été prononcée à l'encontre des mis en examen concernant le vol du véhicule de M. A F.

M. B fonde sa demande à l'encontre de la SARL Esprit Auto sur le non-respect de son obligation de délivrance conforme aux stipulations contractuelles prévues aux articles 1604 et 1615 du Code civil.

Au vu des pièces de la procédure pénale rappelées ci-dessus, le véhicule vendu par la société Esprit Auto à M. B est bien celui qui a été volé en Espagne au préjudice de M.A F. En effet, dans son attestation instituant M. B gardien judiciaire l'officier de police judiciaire l'affirme explicitement au vu du constat des falsifications opérées sur le véhicule vendu par la société Esprit Auto. Par ailleurs, l'ordonnance de restitution du véhicule volé en Espagne à M. M. A F a été notifiée à M. B, ce qui prouve que, aux yeux du magistrat instructeur, le véhicule volé en Espagne était en possession de ce dernier.

Dans ces conditions, il appartient à la société Esprit Auto de rapporter la preuve contraire.

Pour tenter d'administrer cette preuve, cette société se limite à affirmer, par son gérant, dans le cadre de son audition par la police, qu'elle a vérifié le kilométrage du véhicule ainsi que son numéro de série avant son achat à M. G. Cette vérification n'est pas susceptible de prouver l'absence de vol puisque, malgré sa qualité de professionnel de la vente automobile, les falsifications constatées par l'officier de police judiciaire ont pu passer inaperçues au gérant de la société Esprit Auto . Par ailleurs, aucune preuve de l'absence de vol saurait être tirée de l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction le 20 novembre 2008 puisque ce magistrat se limite à constater qu'il n'existe pas de charges suffisantes à l'encontre des mis en examen pour les renvoyer devant le tribunal correctionnel pour des faits délictueux en relation avec le vol commis en Espagne au préjudice de à M. A F.

Au total, la société Esprit Auto succombe dans l'administration de la preuve de l'absence de vol.

Constitue un manquement à l'obligation de délivrance la livraison d'un véhicule antérieurement volé et dont le numéro de série frappé sur la caisse résulte d'une falsification et ne correspond pas au numéro d'origine.

Dans ces conditions, au constat que M. B a acheté à son insu un véhicule volé et n'a pu exercer paisiblement son droit de propriété en raison de la procédure pénale et des décisions judiciaires prises à cette occasion, il y a lieu de faire droit à sa demande de résolution de la vente litigieuse.

Il importe peu que, en sa qualité de possesseur de bonne foi, M. B puisse éventuellement s'opposer juridiquement à l'action en revendication dirigée à son encontre, ce possible moyen de défense en droit ne remettant pas en cause la réalité du défaut de délivrance conforme sur lequel est fondée l'action en résolution judiciaire. Par ailleurs, c'est à tort que la société Esprit Auto invoque sa qualité de " marchand vendant des choses pareilles " pour affirmer, en application de l'article 2277 du Code civil, l'irrecevabilité de l'action en résolution de vente à son encontre. En effet, une telle argumentation ne pourrait éventuellement prospérer que si M. M.A F s'était fait rendre le véhicule en remboursant son prix à M. B. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

2°) Sur les conséquences de la résolution de la vente

L'effet rétroactif de la résolution d'une vente oblige l'acquéreur, simultanément à la restitution de la chose, à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par cette chose à raison de l'utilisation qu'il en a faite.

Il en résulte que, en contrepartie de la restitution du véhicule à la société Esprit Auto, cette dernière ne doit lui verser que la somme correspondant à la valeur de celui-ci au jour de cette restitution compte tenu du temps pendant lequel il en a eu l'usage.

En conséquence, au vu des pièces versées aux débats, il y a lieu de condamner la société Esprit Auto à verser à M. B la somme de 3 000 euro en contrepartie de la restitution du véhicule.

Par ailleurs, M. B sollicite la somme de 1 500 euro à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice moral et pour résistance abusive et injustifiée. Considérant que ce dernier s'est vu interdire, jusqu'au jugement à intervenir, de vendre son véhicule et de quitter le territoire français et qu'il a en outre subi les inconvénients et soucis résultant de la procédure pénale et notamment de l'ordonnance de restitution, il y a lieu de faire droit à cette demande d'indemnisation de son préjudice moral.

S'agissant de la demande de M. B sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, il apparaît équitable de confirmer le jugement déféré en ce qui concerne les frais irrépétibles de première instance et de condamner la société Esprit Auto à lui verser la somme de 2 000 euro au titre des faits irrépétibles d'appel.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résolution judiciaire de la vente intervenue le 5 novembre 2003 et ordonné en conséquence la restitution du véhicule par M. Pierre-François B à la SARL Esprit Auto et en ce qu'il a condamné cette société aux dépens et à payer à M. B la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, L'infirme pour le surplus, Condamne la SARL Esprit Auto à verser à M. Pierre-François B la somme de 3 000 euro en contrepartie de la restitution du véhicule, Condamne la SARL Esprit Auto à verser à M. Pierre-François B la somme de 1 500 euro à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice moral, Y ajoutant, Condamne la SARL Esprit Auto à verser à M. Pierre-François B la somme de 2 000 euro au titre des faits irrépétibles d'appel, Condamne la SARL Esprit Auto aux dépens de la procédure d'appel dont distraction au profit de Me Jacques V conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.