CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 31 juillet 2009, n° 08-01543
SAINT-DENIS DE LA RÉUNION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Joubert
Défendeur :
Jules Caille Auto (Sté), Sud Automobiles (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Froment
Conseillers :
Mme Pony, M. Lamarche
Avocats :
Mes Fayette, Lagourgue, Garriges
Le 30 Septembre 2005, Amandine Joubert a acquis auprès de la société Jules Caille Auto un véhicule d'occasion de marque Renault et de type Mégane pour le prix de 9 500 euros ;
Dès le 6 octobre 2005, le véhicule présentait des dysfonctionnements ;
Par ordonnance du 3 janvier 2007, le juge des référés a organisé une expertise et commis Yves Chassagne pour :
* Examiner le véhicule litigieux ;
* Constater les désordres et en rechercher les causes ;
* Dire si les vices éventuels étaient cachés à la livraison ;
* Déterminer les travaux nécessaires à la remise en état du véhicule et en chiffrer le coût ;
* Donner tout élément d'évaluation du préjudice subi par l'acquéreur ;
L'expert a rendu compte de sa mission aux termes d'un rapport établi le 23 mai 2007.
Suivant Déclaration enregistrée au Greffe de la cour le 11 août 2008, Amandine Joubert a interjeté appel d'un jugement rendu le 20 juin 2008 par le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis qui a :
- Condamné la société Jules Caille Auto à payer à Amandine Joubert la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
- Condamné la société Jules Caille Auto à payer à Amandine Joubert la somme de 800 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- Débouté les parties pour le surplus ;
- Condamné la société Jules Caille Auto aux dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire.
Les parties ont échangé leurs conclusions et l'ordonnance de clôture est intervenue le 11 mai 2009.
Amandine Joubert expose que bien qu'utilisant le véhicule acquis auprès des Etablissements Jules Caille dans le cadre de son activité de déléguée médicale, la vente de ce véhicule reste néanmoins régie par les dispositions du Code de la consommation qui mettent à la charge du vendeur une obligation de livrer un bien conforme au contrat ;
Elle fait observer que moins de 6 mois après avoir acquis son véhicule, le système électronique et la colonne de direction présentaient des dysfonctionnements ;
Elle prétend que le défaut de conformité apparaissant dans les 6 mois de la délivrance est présumé antérieur à celle-ci ; dès lors, elle soutient que les Etablissements Jules Caille lui doivent garantie des désordres affectant le véhicule qu'ils lui ont vendu ;
A titre subsidiaire, Amandine Joubert invoque la garantie du vendeur à raison des vices cachés ; elle fait valoir que les Etablissements Jules Caille, vendeur professionnel d'automobiles, connaissaient obligatoirement l'existence des vices qui affectaient le véhicule avant la vente et qu'ils doivent en conséquence prendre en charge l'intégralité des réparations nécessaires à sa remise en état, y compris celles concernant le système électronique dont les éléments sont indispensables au fonctionnement du moteur ;
Amandine Joubert allègue également un manquement à l'obligation d'information pour retenir la responsabilité de son vendeur ;
Enfin, Amandine Joubert rappelle que les réparations ont été effectuées par la société Sud Automobile et que suite au refus des Etablissements Jules Caille de les prendre en charge, le véhicule est resté immobilisé ;
Elle affirme qu'il appartenait au garagiste de conseiller son client et d'obtenir l'accord du vendeur avant de procéder aux réparations ; elle prétend que cette faute engage sa responsabilité et l'oblige in solidum avec les Etablissements Jules Caille à réparer le préjudice qu'elle a subi ;
Amandine Joubert évalue son préjudice de la manière suivante :
- Remplacement du calculateur : 2 038,65 euros
- Remplacement de l'actuateur et de la colonne de direction : 5 036,96 euros
- Préjudice de jouissance (38 mois) : 44 425 euros
- Préjudice moral : 15 000 euros
Amandine Joubert réclame en outre paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
La société Jules Caille Auto demande d'abord à la cour de constater qu'Amandine Joubert a, dans sa déclaration, limité son appel aux seules dispositions du jugement concernant le montant de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance et des frais irrépétibles qui lui ont été alloués ;
Elle prétend que cette limitation a pour conséquence de rendre irrecevables les demandes d'Amandine Joubert tendant à retenir la responsabilité de son vendeur pour inexécution de ses obligations et à obtenir le remboursement des réparations effectuées sur le véhicule qui lui a été vendu ;
A titre principal, la société Jules Caille Auto conclut à la réformation du jugement déféré en ce qu'il a retenu sa responsabilité sur le fondement des vices cachés et alloué des dommages-intérêts pour troubles de jouissance : il fait valoir à cet effet que l'expert Yves Chassagne a déclaré que les pannes étaient dues à un mauvais fonctionnement des pièces électroniques et que celles-ci pouvaient intervenir à tout moment ; il en déduit que l'existence des vices avant la vente n'est pas prouvée, d'autant que le parfait fonctionnement du moteur n'a jamais été remis en cause ;
A titre subsidiaire, la société Jules Caille Auto rappelle que sa garantie contractuelle ne couvrait que les pièces internes du bloc moteur et la culasse et qu'elle ne peut être mise en œuvre en cas de panne des éléments électroniques ;
Elle réclame paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Sud Automobiles conclut à la confirmation du jugement déféré.
Elle fait elle aussi observer que l'appel ne s'étend pas aux dispositions du jugement déboutant Amandine Joubert des demandes formées à son encontre ;
A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'Amandine Joubert lui a commandé le remplacement du calculateur et que la réparation a été effectuée ;
Dès lors, elle demande paiement des travaux commandés par Amandine Joubert (1 485,05 euros) et des frais de gardiennage du véhicule à hauteur de 5,95 euros par jour à compter du 17 Juillet 2006 jusqu'au retrait du véhicule ;
Elle demande à la cour d'ordonner à Amandine Joubert de reprendre son véhicule sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
Elle réclame enfin 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 2 000 euros en application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
1- Sur la limitation de l'appel.
Attendu que le jugement déféré, statuant sur une action en responsabilité engagée sur divers fondements (non-conformité du bien vendu, inexécution de l'obligation d'information) par l'acheteur d'un véhicule à l'encontre de son vendeur et du garagiste) a dans son dispositif, condamné le vendeur à payer des dommages-intérêts et des frais irrépétibles et débouté le demandeur pour le surplus ;
Attendu que l'appelant a omis dans sa déclaration d'appel de reprendre la disposition déboutant le demandeur pour le surplus ; que pour autant, cette omission ne peut autoriser les intimés à limiter le débat en appel aux dommages-intérêts pour troubles de jouissance ; qu'il est évident, qu'ayant demandé au tribunal des dommages-intérêts comprenant le montant total des réparations effectuées et le préjudice résultant du trouble de jouissance et n'ayant obtenu que des dommages-intérêts pour troubles de jouissance, l'appelant a entendu porter devant la cour l'examen de l'ensemble de ses demandes, celles-ci étant en plus fondées sur les mêmes les mêmes moyens ; que le raisonnement artificiel consistant à les dissocier ne saurait être admis ;
Qu'il convient donc de rejeter l'exception d'irrecevabilité liée à la prétendue limitation de l'appel ;
2- Sur la garantie des Etablissements Jules Caille.
Attendu qu'Amandine Joubert fonde d'abord son action sur la garantie légale de conformité prévue par les Articles L. 211-3 et suivants du Code de la consommation et applicable aux relations contractuelles entre le vendeur agissant dans le cadre de son activité professionnelle et l'acheteur agissant en qualité de consommateur ;
Attendu qu'en l'espèce la qualité de consommateur ne peut être déniée à Amandine Joubert car même si elle utilise aussi le véhicule acquis auprès des Etablissements dans le cadre de son activité de déléguée médicale, la vente a été faite à titre personnel et le Code de la consommation n'exclut pas de son domaine d'application les biens utilisés dans l'exercice de sa profession ;
Attendu qu'aux termes de l'article L. 211-4 du Code de la consommation, le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance ;
Qu'il est précisé que pour être conforme, le bien doit être propre à l'usage attendu d'un bien semblable ; que les défauts de conformité qui apparaissent dans un délai de 6 mois à partir de la délivrance du bien sont présumés exister au moment de la délivrance, sauf preuve contraire ;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise établi par Yves Chassagne le 23 mai 2007, qu'un dysfonctionnement des voyants lumineux est apparu dès le 6 octobre 2005, soit quelques jours après la vente (30 Septembre 2005) et peu de temps après, le 19 octobre 2005, le véhicule présentait une panne de moteur ;
Que l'expert attribue ces pannes à un défaut ou à un mauvais fonctionnement des pièces électroniques ; que ces pièces, le régulateur, l'actuateur et surtout le calculateur sont nécessaires au fonctionnement du moteur ; que le calculateur notamment gère l'injection, l'avance, le débit de carburant, la pollution, et l'allumage ;
Attendu qu'un véhicule qui ne peut rouler n'est manifestement pas conforme au contrat ; que les pannes apparues dans le mois qui a suivi la vente font présumer que les vices affectant le système électronique existaient au moment de la délivrance ; que la société les Etablissements Jules Caille qui ne produit aucune pièce susceptible de combattre cette présomption légale, doit être obligée, d'une part, à remettre en bon état de marche le bien vendu et d'autre part, de réparer le préjudice subi par Amandine Joubert ;
Attendu que l'expert a évalué le montant des réparations à la somme de 2 038,65 euros ; qu'elles seront laissées à la charge des Etablissements Jules Caille ;
Attendu que par ailleurs, il résulte du rapport que le véhicule est en bon état de fonctionnement depuis le mois de Mars 2007 et qu'il est resté immobilisé dans le garage de la société Sud Automobiles suite au refus d'Amandine Joubert de le récupérer ;
Que l'expert évaluant à 35 euros par jour la location d'un véhicule similaire, le préjudice résultant de l'immobilisation sera évalué à 35 euros x 184 jours = 6 440 euros ;
Qu'il convient d'infirmer le jugement déféré et de condamner la société Jules Caille Auto à payer à Amandine Joubert la somme de 8 478,65 euros à titre de dommages-intérêts ;
3- Sur la responsabilité de la société Sud Automobiles.
Attendu que la société Sud Automobiles a reçu pour mission de remettre en état le véhicule litigieux ; qu'en l'état, aucun manquement dans l'exécution de sa mission n'est établie ; que les demandes formulées à son encontre par Amandine Joubert ne peuvent donc prospérer ;
4- Sur la demande de la société Sud Automobiles
Attendu que dans ses déclarations consignées dans le rapport d''expertise, le représentant de la société Sud Automobiles indique que le véhicule litigieux a été déposé dans son garage aux fins de réparation par "Peugeot", ce qui signifie la société Jules Caille Auto, représentant de la marque Peugeot ;
Attendu que la voiture devait donc après réparation être remise à la société Jules Caille Auto, auteur de la commande ; que la demande en paiement de frais de gardiennage ne peut prospérer en tant que dirigée contre Amandine Joubert ; qu'il convient de la rejeter ;
Attendu que la société Sud Automobiles ne caractérise pas l'abus commis par Amandine Joubert dans l'exercice de son droit d'interjeter appel ; qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif et de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société Jules Caille Auto, qui succombe, sera condamnée aux dépens ; qu'elle devra en outre, payer à Amandine Joubert la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Décision
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort : Déclare recevables l'appel principal d'Amandine Joubert et les appels incidents de la société Jules Caille Auto et de la société Sud Automobiles ; Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau : Dit que la société Jules Caille Auto, vendeur d'automobiles professionnel, a manqué à son obligation de délivrance d'un bien conforme ; Condamne la société Jules Caille Auto à payer à Amandine Joubert la somme de 8 478,65 euros à titre de dommages-intérêts ; Déboute les parties de toutes leurs demandes et conclusions contraires ; Condamne la société Jules Caille Auto à payer à Amandine Joubert la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Jules Caille Auto aux dépens.