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Décisions

CA Pau, 1re ch., 25 juin 2012, n° 11-00955

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Artisania (SARL)

Défendeur :

Longo, Omisos

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pons

Conseillers :

MM. Castagne, Billaud

Avocats :

SCP Piault - Lacrampe-Carraze, Mes Tandonnet, Calatayud

TGI Tarbes, du 27 janv. 2011

27 janvier 2011

Le 3 mai 2007, les époux Longo ont commandé à la SARL Artisania, concessionnaire Cheminées Philippe, la réalisation et la pose d'une cheminée dans leur maison d'habitation de Saint-Savin (65), pour un coût global de 7 500 euro TTC.

Les travaux d'installation de la cheminée, entrepris courant octobre 2007 ont été interrompus, au stade de leur finition, à la requête des époux Longo qui se prévalaient de diverses malfaçons.

Par acte du 25 novembre 2009, les époux Longo ont fait assigner la SARL Artisania en annulation de la vente et en paiement de dommages-intérêts.

Par jugement du 27 janvier 2011, le Tribunal de grande instance de Tarbes a :

- annulé le contrat signé entre les époux Longo et la SARL Artisania en ce qu'il est entaché d'une erreur substantielle,

- condamné la SARL Artisania à rembourser aux époux Longo la somme de 7 250 euro et à remettre les lieux en leur état antérieur,

- ordonné une expertise aux fins de vérifier les travaux de remise en état, de s'assurer de la remise en état des lieux après enlèvement de la cheminée et de fournir tous renseignements,

- condamné la SARL Artisania à payer aux époux Longo la somme de 1 500 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de leur trouble de jouissance et celle de 1 200 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Artisania a interjeté appel de cette décision selon déclaration enregistrée le 9 mars 2011.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 4 janvier 2012.

Dans ses dernières conclusions déposées le 2 août 2011, la SARL Artisania demande à la Cour, réformant la décision entreprise, de débouter les époux Longo de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Elle soutient :

- qu'aucune cheminée figurant au catalogue Philippe ne correspondant à leurs désirs, les époux Longo lui ont passé commande d'une cheminée artisanale comprenant le matériel et la pose, qu'ils savaient que la cheminée ne sortirait pas des usines Philippe et que leur exigence d'acquérir une cheminée de cette marque n'est pas entrée dans le champ contractuel puisqu'il n'a jamais été mentionné ni dans le bon de commande ni dans le plan technique qu'il s'agissait d'une cheminée de marque Philippe, alors même que le propre expert des intimés indique que la cheminée a été dessinée par la société Artisania suivant les souhaits des époux Longo,

- qu'il n'y a donc aucune erreur sur les qualités de la personne ni même sur les qualités substantielles du produit, la cheminée installée étant conforme à ce qui avait été convenu,

- que les pièces sur lesquelles s'est fondé le tribunal pour prononcer l'annulation de la vente (instructions figurant sur le site internet des Cheminées Philippe et courrier de Que Choisir) sont postérieures à la conclusion du contrat et ne démontrent pas que les époux Longo ont fait de la marque Cheminées Philippe un élément déterminant de leur consentement,

- qu'aucune manœuvre dolosive n'est prouvée alors même que ne peut être considéré comme fautif le fait de mentionner sur les bons de commande sa qualité - réelle - de concessionnaire de la marque Cheminées Philippe, que le descriptif de la commande ne laisse aucun doute sur le caractère original et artisanal de la cheminée commandée,

- que les demandes indemnitaires des époux Longo sont infondées et excessives et qu'il n'y avait pas lieu de confier à l'expert judiciaire une mission complète alors même que la destruction de la cheminée litigieuse a été ordonnée.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 21 octobre 2011, les époux Longo qui soulèvent in limine litis une exception non motivée d'irrecevabilité de l'appel, demandent à la Cour de confirmer le jugement entrepris sauf à porter à 5 000 euro le montant de l'indemnité réparatrice de leur préjudice de jouissance et à 5 000 euro le montant de l'indemnité de procédure devant leur être allouée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens avec autorisation pour la SCP Piault - Lacrampe-Carrazé de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Ils soutiennent en substance :

- que n'ayant pas trouvé un modèle correspondant à leurs souhaits sur le catalogue des Cheminées Philippe, ils ont, d'un commun accord avec la société Artisania, opté pour la réalisation d'une cheminée sur mesure pour s'intégrer parfaitement à leur intérieur, comme prévu par les conditions générales de vente de la société Cheminées Philippe, en sorte que la cheminée qu'ils avaient commandée à la société "Artisania Cheminées Philippe", bien qu'elle ne réponde pas en tous points aux références du catalogue, devait être impérativement une cheminée sortant des ateliers de la société Philippe,

- qu'il est clairement exprimé sur le bon de commande, à l'entête des Cheminées Philippe et au logo de cette marque, que les époux Longo faisaient l'acquisition d'une cheminée de marque Cheminées Philippe, sur mesure, conformément à ce qui est indiqué sur le site internet de cette marque,

- que ce n'est que postérieurement au dépôt du rapport d'expertise extrajudiciaire sollicité en raison des divers désordres affectant l'ouvrage qu'ils ont appris la véritable origine de la cheminée litigieuse,

- que la cause efficiente de leur consentement était le fait qu'ils contractaient avec un concessionnaire Philippe pour l'achat d'une cheminée Philippe,

- subsidiairement sur le dol, que le fait pour la société Artisania de faire signer un bon de commande comportant en titre principal "Cheminées Philippe" constitue une manœuvre frauduleuse qui les a conduits à donner leur consentement alors même qu'ils avaient été circonvenus sur la qualité première de la cheminée et qu'à aucun moment il ne leur a été fait part que cette cheminée n'était pas de marque Philippe.

Motifs

Aux termes de l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet, étant précisé que l'erreur sur la substance s'entend non seulement de celle qui porte sur la matière même dont la chose est composée mais aussi et plus généralement de celle qui a trait aux qualités substantielles en considération desquelles les parties ont contracté.

En l'espèce, le bon de commande signé le 3 mai 2007 par les époux Longo est établi sur un formulaire pré-imprimé dont l'en-tête reproduit le logo commercial des Cheminées Philippe et porte la mention "Cheminées Philippe" en caractères gras, dans une police d'une taille différente et supérieure à celles de toutes les autres mentions y figurant, y compris celles afférentes à l'identification de la SARL Artisania, dont le lien de droit avec la société Cheminées Philippe n'est par ailleurs pas précisé.

La circonstance que la cheminée commandée est une cheminée "sur mesure" et non un modèle figurant sur le catalogue "officiel" des Cheminées Philippe n'est pas exclusive, pour un consommateur normalement avisé, diligent et prudent, d'une croyance légitime dans l'acquisition d'une cheminée de cette marque puisque la présentation formelle du bon de commande (utilisé indifféremment pour la vente d'une cheminée Philippe ou d'une cheminée "Artisania") crée l'apparence d'une telle situation.

Il est par ailleurs constant que la référence à la marque "Cheminées Philippe" est, compte tenu de la notoriété de cette marque et pour tout acheteur potentiel normalement informé, un gage de qualité, d'expérience, de fiabilité et de sécurité et qu'elle constitue ainsi un élément déterminant du consentement.

Il ne peut être fait grief aux époux Longo d'avoir dénoncé l'erreur dont ils se prévalent tardivement (et en tout cas postérieurement à leur décision d'interrompre les travaux) dès lors qu'elle ne leur a été révélée que par le refus de prise en charge par la société Cheminées Philippe, matérialisé dans un courrier du 10 janvier 2008.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a :

- prononcé l'annulation de la vente sur le fondement de l'article 1110 du Code civil,

- condamné la SARL Artisania à restituer aux époux Longo la somme de 7 250 euro effectivement versée et à remettre les lieux en l'état où ils se trouvaient antérieurement à son intervention,

- ordonné une expertise à l'effet de vérifier les travaux de remise en état, de s'assurer de la remise en état des lieux après enlèvement de la cheminée aux frais de la SARL Artisania.

Le refus injustifié de la SARL Artisania de procéder à la remise en état des lieux a causé aux époux Longo un trouble de jouissance incontestable et la Cour, réformant de ce chef le jugement entrepris, allouera à ce titre aux intimés, compte tenu de l'ancienneté du litige, une indemnité de 2 500 euro.

L'équité commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué aux époux Longo, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, une indemnité de 1 200 euro au titre des frais irrépétibles par eux exposés en première instance et de leur octroyer de ce chef une indemnité supplémentaire de 1 500 euro au titre des frais par eux exposés en cause d'appel.

La SARL Artisania sera condamnée aux entiers dépens d'appel et de première instance, en ce compris les frais d'expertise ordonnée par la décision déférée.

Par ces motifs : LA COUR, Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Vu le jugement du Tribunal de grande instance de Tarbes en date du 27 janvier 2011, En la forme, déclare l'appel de la SARL Artisania recevable, Au fond : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles afférentes à l'indemnisation du trouble de jouissance subi par les époux Longo, Statuant à nouveau de ce chef, condamne la SARL Artisania à payer aux époux Longo la somme de 2 500 euro (deux mille cinq cents euros) à titre de dommages-intérêts, Ajoutant au jugement déféré, condamne la SARL Artisania à payer aux époux Longo, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 1 500 euro (mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles par eux exposés en cause d'appel, Condamne la SARL Artisania aux entiers dépens d'appel et de première instance, en ce compris les frais d'expertise ordonnée par la décision déférée, Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.