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Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 7 novembre 2012, n° 11-06232

ROUEN

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dos Reis

Conseillers :

M. Gallais, Mme Holman

TGI Evreux, du 21 oct. 2011

21 octobre 2011

A lecture d'une annonce publiée sur le site Internet " Le bon coin.fr ", Mme Christine B. a acheté le 3 avril 2009 à Mme Marlène B. épouse C. un véhicule Renault Scenic immatriculé 3139 YZ 27, avec un kilométrage annoncé de 83 000 km, pour le prix de 10 000 euro. Invoquant la discordance entre le kilométrage figurant au certificat de contrôle technique qui lui était présenté, soit 14 959 km, et celui révélé par les fiches d'interventions Renault, elle a assigné Mme Marlène B. épouse C., selon acte extra-judiciaire du 3 juin 2010, afin de voir dire la vente nulle au visa des articles 1116 et suivants du Code civil, subsidiairement pour voir prononcer la résolution de la vente au visa des articles 1604,1610 et 1611 du Code civil, et condamner la venderesse au paiement des sommes de 307 euro correspondant à des frais d'entretien et de 10 000 euro toutes causes confondues, notamment pour préjudice moral et "tracasseries". A titre reconventionnel mais subsidiaire, Mme Marlène B. épouse C. a sollicité une indemnité représentative de la dépréciation du véhicule depuis sa vente.

Par jugement du 21 octobre 2011, le Tribunal de grande instance d'Evreux a :

- débouté Mme Christine B. de ses demandes,

- débouté Mme Marlène B. épouse C. de sa demande reconventionnelle,

- condamné Mme Christine B. à payer la somme de 1.500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à Mme Marlène B. épouse C., en sus des entiers dépens.

Mme Christine B. a relevé appel de ce jugement dont elle poursuit l'infirmation, demandant à la cour, par dernières conclusions du 20 mars 2012, de :

* à titre principal, annuler la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue, au visa de l'article 1110 du Code civil,

- condamner Mme Marlène B. épouse C. au remboursement du prix de vente du véhicule, soit 10 000 euro, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- condamner encore Mme Marlène B. épouse C. au paiement des sommes de :

. 307 euro correspondant à la facture d'entretien du 10 décembre 2009,

. 1 681,58 euro au titre des frais de gardiennage du 12 décembre 2009 au 21 décembre 2011,

. 1,90 euro HT par jour de frais de gardiennage du 22 décembre 2011 jusqu'au jour de l'annulation de la vente, au taux de TVA applicable au jour du présent arrêt,

. 10 000 euro toutes causes confondues, notamment pour préjudice moral et "tracasseries",

le tout assorti des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

* subsidiairement, au visa des articles 1604, 1610 et 1611 du Code civil, prononcer la résolution de la vente pour délivrance non-conforme,

- condamner Mme Marlène B. épouse C. à lui payer les mêmes sommes que ci-dessus à titre de restitution du prix de vente et de réparation de ses préjudices,

* en tout état de cause, débouter Mme Marlène B. épouse C. de sa demande reconventionnelle, la condamner au paiement de la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, entiers dépens en sus.

Mme Marlène B. épouse C. prie la cour, par dernières conclusions du 23 avril 2012, de :

- confirmer le jugement dont appel,

- condamner Mme Christine B. au paiement de la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- subsidiairement, débouter Mme Christine B. de sa demande de dommages-intérêts tous préjudices confondus,

- la condamner au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de la dépréciation du véhicule,

- la condamner également au paiement de la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, entiers dépens en sus.

Ceci exposé, la Cour

En cause d'appel, Mme Christine B. fonde ses demandes à titre principal sur l'erreur et subsidiairement, sur la délivrance non conforme, indiquant que le kilométrage réel parcouru par le véhicule objet de la vente était de loin supérieur à celui qui lui avait été annoncé au jour du transfert de propriété ;

Suivant l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de la nullité de la convention que lorsqu'elle porte sur la substance même de la chose qui en est l'objet ; les articles 1604 et suivants du même code obligent le vendeur à délivrer une chose conforme à la convention des parties ;

Au cas d'espèce, sont produits aux débats :

- la copie de l'annonce parue sur le site "Le bon coin.fr", selon laquelle le véhicule automobile Renault Scénic proposé à la vente par Mme Marlène B. épouse C., mis en circulation en 2004, présentait un kilométrage de 83 000 km,

- un procès-verbal de contrôle technique du 26 septembre 2008 faisant apparaître un kilométrage de 82 307 km,

- un procès-verbal de contrôle technique du 1er avril 2009 faisant apparaître un kilométrage de 14 959 km,

- une facture d'entretien du 10 décembre 2009 mentionnant un kilométrage de 75 500 km,

- un procès-verbal d'examen contradictoire établi lors d'une expertise amiable comportant la mention manuscrite de Mme Christine B. " véhicule acheté par M. et Mme C. le 03/04/07 aux enchères et vendu à 96 000 km, affirmé par Mme Christine B., Mr et Mme C. ",

- une attestation de M. G., propriétaire initial du véhicule Renault Scénic alors immatriculé 7265 XT 63, lequel déclare que le véhicule avait parcouru 113 223 km lors de sa restitution, le 23 octobre 2006, par la société qui l'avait pris en location, Noreva Pharma,

- un historique des interventions "confidentiel Renault" duquel il ressort que le véhicule litigieux avait parcouru, le 8 septembre 2006, 106 750 km et, le 10 décembre 2009, 75 500 km, ce, qui, ajouté à la constatation que le compteur n'indiquait plus, au jour de la vente à Mme Christine B., que 14 959 km, établit que le compteur kilométrique avait été remis à zéro à deux reprises au moins et que le kilométrage réel dudit véhicule au jour de sa cession totalisait plus de 200 000 km (106 750 + 96 000),

- un procès-verbal d'audition de Mme Marlène B. épouse C. dressé lors d'une enquête préliminaire de gendarmerie diligentée sur la plainte pour escroquerie déposée par Mme Christine B., aux termes duquel la venderesse indique avoir acquis le véhicule aux enchères et avoir changé le compteur deux années avant la vente car il ne fonctionnait pas ;

Si ces divers documents révèlent que le véhicule vendu par Mme Marlène B. épouse C. à Mme Christine B. mentionnait un kilométrage inexact, inférieur de moitié, à tout le moins, au kilométrage réel, cette inexactitude n'est toutefois, pas suffisante pour caractériser une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue, dès lors que, d'une part, Mme Christine B. avait été dûment avertie, lors de l'acquisition de l'automobile, que le compteur kilométrique ayant été changé, le kilométrage était de 96 000 km et non de 14 959 km, d'autre part, que l'inexactitude de cette indication, même portant sur un kilométrage important, ne porte pas sur les qualités substantielles de la chose vendue ni les affecte gravement ; qu'en effet, il n'est ni établi ni même allégué que le véhicule en cause serait hors d'usage, subirait des pannes, ne pourrait fonctionner ou serait invendable ; au surplus, il résulte des pièces produites que le Renault Scenic avait subi avec succès un contrôle technique le 1er avril 2009, le seul défaut constaté, sans nécessité de contre-visite, concernant l'usure prononcée d'un disque de frein et selon l'historique des interventions Renault, ledit véhicule avait parcouru 75 000 km au 10 décembre 2009, soit près de 60 000 km depuis son acquisition par Mme Christine B. ; enfin, cette dernière reconnaît expressément dans ses écritures qu'elle a décidé de revendre le Renault Scenic car il ne correspondait plus à ses besoins et qu'elle n'en avait plus l'utilité : elle ne justifie aucunement d'une impossibilité de revente qui tiendrait à l'incertitude du kilométrage réel comme elle le soutient ;

En revanche, la délivrance non conforme alléguée subsidiairement, par Mme Christine B., est caractérisée au regard de la discordance entre les indications fournies par la venderesse lors de la cession du véhicule incriminé, desquelles il résultait que le véhicule avait parcouru 83 000 km (96 000 km lors de la vente) et le kilométrage réel du véhicule, après reconstitution des changements successifs de compteur kilométrique révélant que ce kilométrage était de plus du double de celui annoncé ; cette non-conformité ne revêtant pas, eu égard aux constatations ci-dessus selon lesquelles le véhicule était en bon état et a circulé sans incidents après son acquisition, une gravité suffisante pour prononcer la résolution de le vente, Mme Christine B. sera déboutée de sa demande de résolution et il lui sera accordé une somme de 4 000 euro à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues en réparation tant de la dépréciation sur le marché du véhicule en cause que des troubles divers occasionnés par l'incertitude du kilométrage réel, étant observé que les frais d'entretien et de gardiennage de Renault Scenic exposés par Mme Christine B. sont dépourvus de lien de causalité avec la délivrance non conforme ;

Le jugement dont appel sera donc infirmé et Mme Marlène B. épouse C. condamnée à régler à Mme Christine B. la somme de 4 000 euro, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en raison de son caractère indemnitaire ;

La solution donnée au litige conduit à rejeter la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par Mme Marlène B. épouse C. ;

L'équité commande de condamner Mme Marlène B. épouse C. à payer à Mme Christine B. la somme de 700 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Condamne Mme Marlène B. épouse C. à payer à Mme Christine B. la somme de 4 000 euro, toutes causes confondues, en réparation du préjudice causé à cette dernière par la délivrance non-conforme du véhicule Renault Scénic immatriculé 3139 YZ 27, Dit que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, Condamne Mme Marlène B. épouse C. à payer à Mme Christine B. la somme de 700 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne Mme Marlène B. épouse C. aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.