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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 4 décembre 2012, n° 11-01197

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sweetcom (SARL)

Défendeur :

Tignon, Grégoire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hubert

Conseillers :

Mmes Grua, Monge

Avocats :

SCP Deltombe, Notte, SCP Gontier - Langlois, Mes Hoepffner, Gaudre

TGI Angers, du 14 févr. 2011

14 février 2011

Faits et procédure

Le 28 novembre 2006, dans le cadre d'un démarchage à domicile, M. Didier Tignon et Mme Patricia Grégoire épouse Tignon ont passé commande auprès de la SARL Sweetcom de la fourniture et de la pose d'un système de climatisation réversible comprenant une pompe à chaleur Air/Air de marque Sanyo et d'unités murales.

L'installation a été effectuée en décembre 2006 et la facture de 17 400 euro TTC réglée à l'aide d'un crédit souscrit auprès de la société Franfinance simultanément à la commande.

Invoquant des nuisances sonores lors du fonctionnement du système, les époux Tignon ont saisi le juge des référés qui a, par ordonnance du 24 janvier 2008, commis M. Jean-Paul Perin aux fins d'expertise.

L'expert a déposé son rapport le 1er juillet 2008.

Par acte d'huissier du 13 janvier 2009, Monsieur et Madame Tignon ont fait assigner la société Sweetcom devant le Tribunal de grande instance d'Angers aux fins, à titre essentiel, de voir prononcer la résiliation du contrat de vente aux torts exclusifs de la défenderesse ainsi que la résiliation du contrat de crédit, et de la voir condamner à lui payer des dommages et intérêts et à lui rembourser le coût de l'installation et celui du crédit.

Par jugement en date du 14 février 2011, le Tribunal de grande instance d'Angers a :

- prononcé la résiliation du contrat de vente conclu le 28 novembre 2006 et, en conséquence, a condamné la SARL Sweetcom à restituer aux époux Tignon la somme de 17 500 euro correspondant au prix de vente de l'installation, et à leur payer la somme de 784,06 euro au titre du coût du crédit, celle de 287,04 euro au titre du coût des travaux de réfection, celle de 3600 euro au titre du préjudice de jouissance et celle de 3000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. La même décision a débouté la SARL Sweetcom de ses demandes de dommages-intérêts et au titre des frais non taxés et l'a condamnée aux dépens comprenant les frais de la procédure de référé et ceux d'expertise.

La SARL Sweetcom a interjeté appel de ce jugement le 6 mai 2011.

Les parties ont conclu.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2012.

Prétentions et moyens des parties

Les dernières conclusions, respectivement déposées le 05 décembre 2011 pour la SARL Sweetcom RCS Angoulême, et le 23 janvier 2012 pour les époux Tignon, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions de parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

La SARL Sweetcom RCS Angoulême demande à la cour :

Vu l'article 1184 du Code civil,

- d'infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance d'Angers le 14 février 2011,

- de débouter les époux Tignon l'ensemble de leurs prétentions,

- de condamner in solidum les époux Tignon à verser à la société Sweetcom la somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

À titre subsidiaire,

- d'ordonner une expertise aux frais avancés des époux Tignon confiée à tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec la mission suivante :

Se faire communiquer tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission ;

Se rendre sur les lieux ;

Dire si le niveau acoustique du matériel installé par la société. Sweetcom dépasse celui figurant sur la notice technique du fabricant dudit matériel ;

. Préalablement à la remise de son rapport définitif, déposer un pré-rapport et répondre aux dires éventuels des parties ;

- de condamner les époux Tignon aux entiers dépens de première instance, expertise incluse, et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de l'avoué soussigné aux offres de droit.

La société Sweetcom soutient que les époux Tignon ne peuvent obtenir la résolution du contrat sur le fondement de l'article 1184 du Code civil puisqu'elle n'a violé aucun engagement contractuel faute de s'être engagée à leur fournir une climatisation silencieuse. Elle affirme que la question du niveau sonore de l'installation n'était pas incluse dans le champ contractuel et que les époux Tignon ne peuvent donc affirmer que le silence du système constituait pour eux une caractéristique essentielle. Elle conteste que ses interventions à titre de geste commercial constituent une reconnaissance de responsabilité. Elle estime qu'il appartenait aux époux Tignon de se renseigner sur le niveau sonore du système de climatisation avec split dont ils ne pouvaient ignorer qu'il générerait du bruit contrairement à un système de chauffage classique.

La société Sweetcom met en cause les conclusions du rapport d'expertise judiciaire d'une part en ce que la fiabilité du matériel utilisé pour les mesures acoustiques n'a pas pu être vérifiée, et d'autre part en ce qu'il ne précise pas si les mesures effectuées l'ont été en mode silencieux ou non.

La société Sweetcom conteste le préjudice de jouissance invoqué par les époux Tignon qui ne prouvent pas avoir dû brûler du bois dans leur cheminée pour pallier l'arrêt de la climatisation.

À titre subsidiaire, elle sollicite une expertise.

Les époux Tignon demandent à la cour :

- de dire la société Sweetcom non fondée en son appel en tout cas non recevable et non fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ; l'en débouter ;

- Recevant les concluants en leur appel incident ainsi qu'en l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, déclarées fondées,

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de fixer à la somme de 6 000 euro la condamnation mise à la charge de la société Sweetcom au titre du préjudice de jouissance ;

- de confirmer le jugement entrepris en ses autres dispositions non contraires ;

- de débouter la société Sweetcom de sa demande tendant à voir condamner les concluants à lui verser la somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts ;

- de débouter la société Sweetcom de sa demande tendant à voir organiser une nouvelle expertise ;

- de condamner la société Sweetcom à verser aux concluants la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

et rejetant toutes prétentions contraires comme non recevables en tout cas non fondées,

- de condamner la société Sweetcom aux entiers dépens d'appels qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile .

Les époux Tignon rappellent les attestations de M. Dufay et de M. Richard qui prouvent la réalité d'un bruit persistant dans les chambres lors de la mise en route des unités extérieures, ainsi que les conclusions de l'expert judiciaire qui a relevé en moyenne une fréquence acoustique oscillant entre 38 et 48 dB et un bruit proche du sifflement audible dans la chambre des parents pendant le fonctionnement du chauffage à une puissance plutôt élevée. Le même expert a précisé que le niveau sonore proche de 40 dB prohibe l'utilisation nocturne des chambres à coucher. Ils rappellent que, dans ses courriers du 5 juillet et du 6 décembre 2007, la société Sweetcom a elle-même reconnu l'existence d'un " problème de bruit " provenant du matériel livré et installé et tenté de le résoudre en intervenant à neuf reprises à leur domicile et en menaçant son fournisseur d'une action judiciaire à défaut, pour lui, de résoudre ce problème.

Ils affirment que pèse sur la société Sweetcom en sa qualité de professionnel ayant affaire à des acheteurs profanes une obligation de renseignement, d'information et de conseil renforcée en application de l'article 1615 du Code civil et que la charge de la preuve de l'exécution de cette obligation repose sur le vendeur professionnel. Ils relèvent que la société Sweetcom a procédé à l'installation litigieuse en zone de vie et en zone de nuit sans les renseigner sur les inconvénients acoustiques dans les chambres rendant son utilisation nocturne impossible. Ils soutiennent que s'ils avaient été renseignés, ils n'auraient pas contracté.

Reprenant les conclusions de M. Perin, les époux Tignon estiment qu'aucune autre solution technique ne peut résoudre le problème acoustique dans la mesure où les pompes à chaleur et multisplit sont nécessairement sonores et doivent donc être déconseillées à l'intérieur des habitations.

Au soutien de leur demande d'indemnisation ils sollicitent, outre le remboursement du prix de l'installation à hauteur de 7 500 euro, le paiement de la somme de 784,06 euro au titre du coût, du financement et des frais d'assurance relatifs à cette installation. Au titre de la réparation des dégradations et défauts techniques résultants du système de climatisation, ils réclament la somme de 287,04 euro proposée par l'expert judiciaire.

Ils soutiennent en outre avoir subi un préjudice de jouissance qu'ils chiffrent à la somme de 6000euro résultant du fait qu'ils ont été contraints, pendant trois hivers, d'arrêter, durant les soirées, le fonctionnement du système installé afin de pouvoir lire paisiblement et durant les nuits afin de pouvoir dormir et qu'ils se sont chauffés au bois.

Les époux Tignon s'opposent, sur le fondement de l'article 146 du Code de procédure civile, à la demande subsidiaire d'expertise présentée par la société Sweetcom en faisant valoir que ses critiques à l'encontre de l'expertise judiciaire réalisée par M. Perin ne sont pas été étayées et qu'elle n'a formulée, en cours d'expertise, aucune observation ni produit aucun dire au sujet de la fiabilité des mesures et du matériel utilisé.

Motifs de la décision

Au soutien de leur demande de résiliation du contrat conclu le 28 novembre 2006 sur le fondement de l'article 1184 du Code civil, les époux Tignon invoquent un manquement de la société Sweetcom à son obligation d'information et de conseil ainsi qu'à son obligation de délivrance conforme.

La société Sweetcom soutient qu'elle ne peut avoir manqué à son obligation de délivrance ou à son obligation d'information et de conseil en ce qui concerne le volume sonore de l'installation puisque les époux Tignon n'avaient pas fait entrer le volume sonore dans le champ contractuel.

C'est à celui qui est contractuellement tenu des obligations d'information, de conseil et de délivrance qu'incombe la charge de la preuve de l'exécution de ces obligations.

L'obligation de renseignement, d'information et de conseil résulte des impératifs de bonne foi et d'équité dans les contrats s'agissant de protéger la partie ignorant légitimement des informations qui lui sont utiles ou indispensables au stade de son engagement contractuel. Cette obligation pèse sur l'installateur dans le cadre d'un contrat d'entreprise et lui impose, sous peine de résolution du contrat, d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage sur les inconvénients du produit choisi et sur les précautions à prendre pour sa mise en œuvre compte tenu de l'usage auquel l'ouvrage est destiné.

En l'espèce, la SARL Sweetcom s'est engagée contractuellement envers les époux Tignon à fournir et à installer un système de climatisation réversible avec pompe à chaleur et unités murales dans leur maison d'habitation à la fois dans les zones de vie et dans les zones de nuit. Elle était donc tenue, dans le cadre de ses obligations pré-contractuelles et contractuelles, de conseiller les époux Tignon et de leur proposer le matériel le mieux adapté à leurs besoins et d'attirer notamment leur attention sur les nuisances sonores du matériel proposé dans les chambres.

Elle ne peut être exonérée de ses obligations s'il est démontré que l'installation du nouveau système de chauffage rend ces chambres impropres à leur usage.

Or, il résulte des attestations de Messieurs Dufay et Richard ainsi que du rapport d'expertise judiciaire de M. Perin que le niveau sonore résultant du fonctionnement de la nouvelle installation dans les quatre chambres à coucher prohibe leur utilisation nocturne. Les conclusions de l'expert sont fondées sur des mesures acoustiques effectuées le 25 juin 2008 desquelles il résulte que, en mode chauffage comme mode rafraîchissement, le niveau sonore moyen est de 38 à 48 dB avec une perception aiguë en mode chauffage. L'expert précise d'une part que le compresseur à palettes est bien la source de ce niveau sonore qui est d'autant plus aigu qu'il tourne rapidement pour satisfaire une demande de puissance plus élevée, et d'autre part qu'un niveau acoustique moyen voisin de 40 dB prohibe l'utilisation nocturne d'une chambre à coucher.

Il apparaît donc que le fonctionnement normal de l'installation préconisée et réalisée par la SARL Sweetcom au domicile des époux Tignon interdit à ces derniers l'utilisation normale des pièces de leur habitation ainsi équipées.

Dans ces conditions, la SARL Sweetcom, professionnel du chauffage, qui a préconisé le système litigieux ne peut utilement prétendre s'exonérer de son obligation de conseil et de renseignement en affirmant que le niveau sonore de l'installation n'entrait pas dans le champ contractuel. En effet, pesait sur la société Sweetcom l'obligation contractuelle de préconiser, compte tenu des caractéristiques dans la maison des époux Tignon, une installation de chauffage permettant de conserver aux locaux qui en seraient équipés leur usage normal d'habitation.

En tout état de cause, la société Sweetcom encourt aussi la résolution du contrat pour avoir failli à son obligation de délivrance puisque le fonctionnement du système de chauffage qu'elle a livré et installé dans la maison des époux Tignon rend les pièces de cette maison, et notamment les chambres à coucher, impropres à leur usage normal.

La SARL Sweetcom conteste les conclusions de l'expert au motif que la fiabilité du sonomètre utilisé n'a pas été vérifiée. Cependant, les mesures acoustiques ont été réalisées contradictoirement et la société Sweetcom n'a émis aucune objection sur cette fiabilité avant le dépôt du rapport définitif ni ne produit aux débats aucun élément permettant de douter de celle-ci. Par ailleurs, l'expert précise dans son rapport les conditions dans lesquelles il a effectué les mesures avant de conclure sur le niveau sonore moyen.

Dans ces conditions, au motif qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve qui lui incombe, il convient de débouter la société Sweetcom de sa demande subsidiaire d'expertise.

En conséquence, en considération du niveau sonore inacceptable généré par le système de chauffage préconisé et installé par la société Sweetcom, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de vente conclu le 28 novembre 2006 sauf à préciser que la vente est résolue et non résiliée s'agissant d'un contrat instantané. Cependant, le jugement entrepris sera réformé en ce qu'il a ordonné la restitution aux époux Tignon de la somme de 17 500 euro correspondant au prix de vente de l'installation alors que ce prix de vente n'a été facturé que 17 400 euro (pièce 2).

S'agissant des demandes d'indemnisation complémentaire présentée par les époux Tignon au titre du coût du crédit et du des travaux de réfection, reprenant les motifs des premiers juges, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL Sweetcom à payer aux époux Tignon la somme de 784,06 euro et celle de 287,04 euro.

Sur le préjudice de jouissance estimé par les époux Tignon à la somme de 6 000 euro en raison de leur obligation d'arrêter de chauffage et d'utiliser la cheminée avec approvisionnement en bois pendant 12 mois, les premiers juges ont justement relevé l'absence de justificatifs des dépenses exposées pour l'achat du bois. Cet justificatif n'étant pas produit dans le cadre de la procédure d'appel, la cour, au vu des écritures des parties et des pièces versées aux débats, confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Sweetcom à verser aux époux Tignon la somme de 3 600 euro en réparation des nuisances sonores subies en cas de maintien du chauffage ou en raison des conditions de froid subies en cas d'arrêt de celui-ci.

En confirmant le jugement déféré, il ne peut être fait droit à la demande en dommages-intérêts présentée par la société Sweetcom qui sera, en outre, condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel engagés par les époux Tignon.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions, sauf à préciser que la vente est résolue et non résiliée, le jugement rendu le 14 février 2011 par le Tribunal de grande instance d'Angers sauf en ce qu'il a condamné la société Sweetcom à restituer aux époux Tignon la somme de 17 500 euro correspondant au prix de vente de l'installation; Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la SARL Sweetcom à restituer à M. Didier Tignon et Mme Patricia Grégoire épouse Tignon la somme de 17 400 euro correspondant au prix de vente de l'installation ; Y ajoutant, Condamne la SARL Sweetcom à payer à M. Didier Tignon et Mme Patricia Grégoire épouse Tignon la somme de 1 500 euro au titre de leur frais irrépétibles en cause d'appel ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires; Condamne la SARL Sweetcom aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.