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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 11 octobre 2012, n° 10-01523

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Hubail

Défendeur :

Delaplace (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brieuc de Mordant de Massiac

Conseillers :

Mme Bousquel, M. Bougon

Avoués :

SCP Lemal, Guyot, Me Caussain

Avocats :

Mes Guyot, Chivot

T. com. Saint-Quentin, du 12 mars 2010

12 mars 2010

FAITS

Monsieur Gilles Hubail, entrepreneur exerçant sous l'enseigne ETA Hubail Gilles, spécialisé dans la location de véhicules et matériels à usage de travaux agricoles a acquis de la SAS Delaplace, spécialisée dans la construction et le négoce de machines agricoles, et sur proposition de cette dernière du 20 août 2007, trois remorques agricoles pour un prix global TTC de 102 616,80 EUR, suivant facture du 22 novembre 2007.

Monsieur Hubail a loué, en décembre 2007, le matériel susvisé à la SARL TLTB, qui s'est plaint de signes de défaillance du matériel.

Le 2 mai 2008, la SAS Delaplace écrivait à Monsieur Hubail que les bennes ne disposaient pas encore de l'agrément administratif nécessaire, un dossier d'homologation venant d'être déposé auprès de l'UTAC.

Monsieur Hubail adressait à la SAS Delaplace les 17 décembre 2008 et 14 avril 2009, des mises en demeure de lui transmettre les documents administratifs susvisés.

Procédures

C'est dans ce contexte que Monsieur Gilles Hubail a, par acte du 12 juin 2009, fait assigner la SAS Delaplace devant le Tribunal de commerce de Saint-Quentin aux fins d'entendre prononcer la résolution de la vente intervenue le 22 novembre 2007 sur le fondement des dispositions des articles 1604 et 1183 et suivants du Code civil, ordonner à la SAS Delaplace la restitution à Monsieur Hubail de la somme de 102 616,80 EUR correspondant au prix d'acquisition ; ordonner à la SAS Delaplace de venir récupérer les bennes, objets du contrat, à ses propres frais ; et condamner la SAS Delaplace à verser à Monsieur Hubail la somme de 73 241,09 EUR à titre de dommages intérêts sur le fondement des dispositions des articles 1134 et 1147 et suivants du Code civil.

Par jugement rendu le 12 mars 2012, le Tribunal de commerce de Saint-Quentin a, notamment : débouté Monsieur Hubail de ses demandes ; dit que l'absence de remise entre les mains de l'acquéreur lors de la livraison des homologations définitives afférentes aux trois bennes acquises ne saurait être un accessoire indispensable au sens des articles 1604 et 1615 du Code civil ; donné acte à la SAS Delaplace de ce qu'elle a remis l'intégralité des documents techniques afférents aux matériels litigieux, notamment la notice descriptive, déclaré la remise de ces documents satisfactoire ; dit n'y avoir lieu au prononcé de la résolution de la vente ; condamné Monsieur Hubail à régler au paiement du solde restant dû sur le prix de vente pour un montant de 956,80 EUR, avec intérêts au taux légal compter du 12 juin 2009, date de l'assignation, jusqu'à complet paiement.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que tous les documents administratifs nécessaires pour que le matériel puisse rouler sur la voie publique n'avaient pas été fourni lors de la délivrance ; mais que c'est en parfaite connaissance de cause que Monsieur Hubail, qui utilisait une remorque-benne de la SAS Delaplace depuis 10 ans, les avait acquis en novembre 2007 et réglés ; que l'homologation technique du matériel pour rouler à une vitesse maximum de 40 KM/H avait été délivrée par l'UTAC le 21 mai 2007 ; que l'absence de remise à l'acquéreur des homologations définitives afférentes aux trois bennes lors de la livraison n'était donc pas un accessoire indispensable à la délivrance de la chose au sens des articles 1604 et 1615 du Code civil ; que la SAS Delaplace avait, au jour du jugement, remis l'intégralité des documents techniques afférents aux matériels litigieux, notamment la notice descriptive ; que la gravité de l'inexécution devait être appréciée à la date du prononcé du jugement ; que la société TLTB a utilisé le matériel en continu de décembre 2007 à fin 2009 ; et que le préjudice allégué par Monsieur Gilles Hubail était inexistant.

Monsieur Gilles Hubail a interjeté appel de cette décision par déclaration formée au secrétariat-greffe de la cour d'appel de céans le 30 mars 2010.

Demandes en appel

Monsieur Gilles Hubail, appelant, demande notamment à la cour dans ses dernières écritures, déposées au secrétariat greffe de la juridiction de céans le 17 février 2011,d'infirmer le jugement entrepris, de prononcer la résolution de la vente, d'ordonner à la SAS Delaplace de lui restituer la somme de 102 616,80 EUR correspondant au prix d'acquisition, d'ordonner à la SAS Delaplace de venir récupérer les bennes, objet du contrat, à ses propres frais, et de condamner la SAS Delaplace à verser à Monsieur Hubail la somme de 73 241,09 EUR à titre de dommages intérêts.

Il soutient que l'obligation de délivrance conforme impose une obligation de conformité tant aux normes administratives qu'aux qualités convenues entre les parties ; que les bennes ont été acquises en vue de leur mise en location et que la remise d'un certificat des mines était indispensable pour que la délivrance soit conforme ; que, de plus, aucune demande d'homologation n'a été formée contrairement aux affirmations de la venderesse ; et que cette dernière aurait apposé sur les bennes des plaques portant des numéros de réception factices.

L'appelant fait valoir également que le matériel acheté étant contraire à sa destination locative, puisqu'il ne peut pas circuler ; qu'il a dû reprendre les engins pour les stocker, et a subi un préjudice du fait de la perte locative, des emprunts contractés pour l'achat des bennes et de trois tracteurs pour les tirer.

La SAS Delaplace demande notamment à la cour dans ses dernières écritures, déposées au secrétariat greffe de la juridiction de céans le 25 mars 2011, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Elle fait valoir que les signes de défaillance du matériel allégués par l'appelant étaient le fait d'une utilisation inopportune du matériel et ont été solutionnés ; que les documents administratifs d'homologation ont été transmis après la délivrance et avant la date du jugement entrepris ; qu'à l'époque de la vente l'acquéreur savait que les documents administratifs litigieux ne pouvaient pas lui être fournis dès la livraison, s'est acquitté du prix, et a normalement utilisé le matériel ; que de plus, le matériel avait été techniquement homologué par l'organisme UTAC ; que l'inexécution doit revêtir un caractère de gravité suffisant pour pouvoir fonder une résolution de la vente ; qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'information puisque Monsieur Hubail est un professionnel ; elle dit enfin que l'appelant a tiré parti de la location.

EN CET ÉTAT,

Sur la recevabilité de l'appel :

Monsieur Gilles Hubail ayant formé son recours dans les délais et forme prévus par la loi, et la recevabilité de l'acte n'étant pas contestée, la cour recevra l'intéressé en son appel.

Sur le bien-fondé de l'appel :

Sur la demande de résolution du contrat de vente formée par Monsieur Hubail :

Monsieur Hubail demande la résolution du contrat de vente des bennes litigieuses sur le fondement des articles 1604 et 1183 du Code civil, c'est à dire sur le manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme, dans la mesure ou les documents administratifs et notamment le certificat des mines, accessoires indispensables de la chose pour lui permettre de rouler sur la voie publique, ne lui ont été transmis que très postérieurement à leur livraison.

Aux termes de l'article 1615 du Code civil, l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires, et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel.

Il n'est pas contesté que le certificat de conformité des bennes, le procès-verbal de réception par la DRIRE et la notice descriptive relative à la réception par type des engins vendus, n'ont été tous adressés à la SAS Delaplace que par courrier du 12 octobre 2009, postérieur à l'assignation du 12 avril 2009, alors que les bennes ont été livrées en décembre 2007, et que les documents susvisés étaient indispensables pour que les bennes puissent circuler régulièrement sur la voie publique ; le procès-verbal de l'UTAC du 21 mai 2007, dont fait état le vendeur ne faisait état que de la conformité des machines aux dispositions de l'arrêté du 12 janvier 2006 relatif au freinage des véhicules.

Il n'est pas contesté que les engins étaient destinés à la location.

En conséquence, la délivrance n'était pas conforme au moment de la livraison, et la disposition du jugement entrepris aux termes de laquelle le tribunal a dit que l'absence de remise entre les mains de l'acquéreur lors de la livraison des homologations définitives afférentes aux trois bennes acquises ne saurait être un accessoire indispensable au sens des articles 1604 et 1615 du Code civil sera infirmée.

Concernant le devoir d'information, le vendeur est tenu de donner à l'acquéreur toutes les précisions indispensables ou utiles pour l'usage de la chose vendue, et cela de façon claire. Ce devoir lui incombe, même envers un acheteur professionnel, en dehors du domaine de la maîtrise technique de ce dernier, la nécessité de l'information étant renforcée lorsque l'usage de la chose nécessite une autorisation administrative ; Monsieur Hubail dont l'activité habituelle est la location d'engins agricoles ne saurait soutenir que la connaissance des démarches et documents administratifs nécessaires aux locations consenties n'entraient pas dans le domaine de sa maîtrise technique, le vendeur n'a donc pas, en l'espèce, manqué à son obligation d'information.

La résolution judiciaire prévue aux articles 1183 et 1184 du Code civil est facultative, et relève de l'appréciation souveraine du juge en ce qui concerne la gravité des manquements allégués.

Il convient donc de déterminer si le manquement consistant en la délivrance non conforme des choses vendues au moment de la livraison représente, au vu des circonstances de la cause, un caractère de gravité suffisant pour justifier la résolution de la vente.

La qualité de professionnel de l'appelant ; le fait d'avoir lui-même permis à un tiers d'utiliser les bennes sans certificat de conformité, tout en sachant parfaitement que ce document était nécessaire à leur circulation sur la voie publique ; l'utilisation de ces machines par le locataire durant au moins un an ; et la transmission, même tardive des documents par le vendeur ; conduisent la cour à constater que le manquement contractuel de ce dernier ne présente pas un caractère de gravité suffisant pour justifier la résolution du contrat. L'appelant sera donc débouté de ses demandes, et le jugement entrepris confirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages intérêts formée par Monsieur Hubail :

Monsieur Hubail fonde sa demande de dommages intérêts sur les articles 1134 et suivants et 1147 et suivants du Code civil c'est à dire sur l'inexécution par le vendeur de ses obligations contractuelles ;

Comme il est dit plus haut, le vendeur n'a transmis les documents indispensables à la circulation routière des bennes vendues que près d'un an et 11 mois après leur vente, et leur livraison, malgré les mises en demeure de l'acquéreur.

Le fait que l'acquéreur ait acquis, pris livraison, et loué les machines en sachant qu'ils n'étaient pas accompagnés des documents nécessaires à leur circulation ne saurait exonérer le vendeur de sa responsabilité contractuelle ; ce dernier a donc partiellement manqué à ses obligations contractuelles.

Concernant les défaillances du matériel alléguées par l'appelant, le rapport d'expertise amiable de l'assureur de Monsieur Hubail ne suffit pas à établir les causes des désordres alléguées, alors qu'il y est mentionné que la remorque a subi de nombreux chocs aux chargements et au roulage, et que l'intimée soutient que le poids normal du chargement d'un 18 T n'a pas été respecté et a pu provoquer la rupture des soudures, en conséquence, ni le rapport produit, ni d'autres pièces complémentaires ne sont de nature à établir que le constructeur serait responsable des désordres.

Pour être indemnisé du fait de l'inexécution susvisée, l'acquéreur doit établir qu'il a subi un préjudice et un lien de causalité entre la faute contractuelle du vendeur et ce préjudice ;

Monsieur Hubail a immédiatement loué le matériel, après l'avoir acheté et n'établit pas que la location a été interrompue avant le placement en liquidation judiciaire de sa locataire par jugement rendu le 9 février 2009, alors que plusieurs documents figurant au dossier tels que les correspondances adressées par la locataire au fabriquant en 2008, et les mentions du procès-verbal établi par le cabinet d'expertise en décembre 2008 desquelles il résulte que les machines ont été examinées chez la locataire, et lui ont été remises après remise en état, corroborent le contraire.

Monsieur Hubail indique avoir stocké le matériel sans pouvoir le louer ;

Cependant, il ne justifie pas de la date à laquelle il a pu récupérer le matériel après la mise en liquidation judiciaire de l'appelante, et il n'est justifié de demandes de devis de location faites par les sociétés Paul Calin et SA La Marnaise qu'en octobre 2009, concomitamment à l'envoi au fabriquant des documents nécessaire à la circulation des engins litigieux ;

C'est à celui qui invoque une prétention de la prouver, or, au vu des considérations qui précédent, et de l'examen détaillé des pièces produites, Monsieur Hubail ne justifie pas suffisamment d'un préjudice du fait de l'inexécution contractuelle de son vendeur, il sera donc débouté de toutes ses demandes, et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle de la SAS Delaplace

Il n'est pas contesté que le prix des machines litigieuses n'a pas été entièrement réglé et qu'il reste dû à la SAS Delaplace la somme de 956 EUR au titre d'un solde restant dû sur le prix de vente.

Le jugement sera donc confirmé en sa disposition ayant condamné Monsieur Hubail à régler à la SAS Delaplace la somme de 956 EUR, assortie des intérêts au taux légal, et en toutes ses dispositions, sauf en ses dispositions concernant l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La partie perdante devant, aux termes de l'article 696 du Code de procédure civile, être condamnée aux dépens, la cour condamnera l'appelant, qui succombe, à supporter les dépens de la procédure d'appel.

La partie perdante devant, en outre, aux termes de l'article 700 du même Code, être condamnée à payer à l'autre partie, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, une somme arbitrée par le juge en tenant compte de l'équité et de la situation économique de la partie condamnée, la cour condamnera Monsieur Gilles Hubail à payer à la SAS Delaplace une somme de 1 500 EUR, tous frais de première instance et d'appel confondus.

La SAS Delaplace sera déboutée du surplus de ses demandes.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit Monsieur Gilles Hubail en son appel, Mais le déclarant mal fondé, confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en sa disposition aux termes de laquelle le tribunal a dit que "l'absence de remise entre les mains de l'acquéreur lors de la livraison des homologations définitives afférentes aux trois bennes acquises ne saurait être un accessoire indispensable au sens des articles 1604 et 1615 du Code civil" et en celle concernant l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute Monsieur Gilles Hubail de ses demandes. Condamne Monsieur Gilles Hubail aux dépens de la procédure d'appel dont distraction au profit de Maître Caussain, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. Condamne Monsieur Gilles Hubail à payer à la SAS Delaplace la somme de 1 500 EUR, tous frais de première instance et d'appel confondus conformément aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute la SAS Delaplace du surplus de ses demandes.