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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 3 décembre 2012, n° 12-00108

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pâtisserie des Flandres (SARL)

Défendeur :

Association ICAM Institut Catholique d'Arts et Métiers, Gan Eurocourtage (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Merfeld

Conseillers :

Mmes Metteau, Doat

Avocats :

Mes Castille, Quignon, Bondue, Franchi, Vandenbussche, Levasseur, Zimmermann

TGI Lille, du 21 nov. 2011

21 novembre 2011

Par jugement rendu le 21 novembre 2011, le Tribunal de grande instance de Lille a :

- déclaré irrecevable comme prescrite l'action engagée par la SARL Pâtisserie des Flandres sur le fondement de l'article 1648 du Code civil,

- déclaré recevable l'action engagée par la SARL Pâtisserie des Flandres à l'encontre de l'Institut Catholique des Arts et Métiers et la compagnie d'assurances Gan sur le fondement des articles 1604 et 1610 du Code civil,

- constaté que la cause principale du dysfonctionnement de la machine à fourrer les gaufres conçue et construite par l'Institut Catholique des Arts et Métiers provient d'un défaut de conception relevant de la garantie des vices cachés, prescrite en l'espèce, en fonction de l'article 1648 du Code civil,

- dit que le défaut d'exécution de la seule obligation de délivrance dont l'action est recevable, dispose d'un lien trop tenu avec les désordres de la machine pour entraîner la résolution de la vente,

en conséquence, débouté la SARL Pâtisserie des Flandres de sa demande de résolution de la vente,

- débouté la SARL Pâtisserie des Flandres de ses demandes indemnitaires subséquentes,

- mis hors de cause la compagnie d'assurances Gan,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la SARL Pâtisserie des Flandres aux dépens de la procédure qui incluent les frais d'expertise judiciaire de M. Ballot,

- condamné la SARL Pâtisserie des Flandres à payer à l'Institut Catholique des Arts et Métiers la somme de 1 500 euros et à la compagnie Gan la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Pâtisserie des Flandres a interjeté appel de cette décision le 6 janvier 2012.

RAPPEL DES DONNÉES UTILES DU LITIGE :

Sur proposition de l'Institut Catholique des Arts et Métiers (ICAM) du 9 février 1999 confirmée le 30 mai 1999, la SARL Pâtisserie des Flandres a commandé, le 1er juin 1999, la fabrication d'une machine à fourrer les gaufres de fabrication artisanale, moyennant un prix (représentant tant le coût de la conception que celui de la fabrication de la machine) de 446 650 francs hors taxes.

La machine a été livrée courant février 2000, la facture a été émise le 29 février 2000 pour la somme de 557 493,10 francs soit 88 038,25 euros TTC.

Indiquant qu'elle avait constaté des dysfonctionnements techniques résidant essentiellement dans des problèmes de nettoyage de résidus, que des démarches avaient été entreprises afin d'obtenir de l'ICAM un fonctionnement correct de la machine, que le 30 octobre 2001, l'ICAM lui avait remis une notice d'entretien mais aucune notice d'utilisation, qu'elle avait alors fait appel à un cabinet spécialisé pour analyser la machine lequel avait conclu que la machine ne satisfaisait pas aux conditions et spécifications établies par le constructeur dans le cahier des charges, qu'il avait été proposé à l'ICAM de réaliser les modifications nécessaires à la mise en conformité, par courrier du 15 octobre 2002, que, par courrier du 25 octobre 2002, celui-ci avait répondu qu'il estimait que la machine fonctionnait dans des conditions de production normale, qu'une nouvelle expertise amiable avait été organisée et que l'expert avait conclu que la machine litigieuse ne répondait pas aux spécifications prévues par l'article R. 265-1 du Code du travail, la SARL Pâtisserie des Flandres a, par acte d'huissier du 8 décembre 2003, fait assigner l'ICAM devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Lille aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.

Par ordonnance du 13 avril 2004, il a été fait droit à cette demande et M. Éric Ballot a été désigné en qualité d'expert. Par ordonnance du 27 juillet 2004, les opérations d'expertise ont été étendues à la compagnie Gan, assureur responsabilité civile de l'ICAM.

Le rapport d'expertise a été déposé le 28 février 2006.

Par acte d'huissier du 29 mai 2009, la SARL Pâtisserie des Flandres a fait assigner l'ICAM et son assureur Gan devant le Tribunal de grande instance de Lille aux fins de voir, au visa des articles 1134, 1602, 1604, 1184 et 1147 et suivants du Code civil, prononcer la résolution judiciaire du contrat intervenu entre l'ICAM et elle, aux torts exclusifs de l'ICAM, en conséquence, condamner l'ICAM à lui rembourser la somme de 47 385 euros, le condamner à la somme de 210 485,09 euros en réparation du préjudice économique et condamner le Gan à la garantir de l'ensemble de ces condamnations.

La décision déférée a été rendue dans ces conditions.

Dans ses dernières conclusions, la SARL Pâtisserie des Flandres demande à la cour de :

- réformer le jugement,

Vu les dispositions des articles 1134, 1602, 1604, 1184 et 1147 et suivants du Code civil :

- prononcer la résolution judiciaire du contrat conclu entre l'ICAM et elle aux torts exclusifs de l'ICAM,

- condamner l'ICAM, au titre du préjudice économique, à lui payer la somme de 210 485,09 euros,

- condamné l'ICAM à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner le Gan en qualité d'assureur de l'ICAM à garantir l'ensemble des condamnations à son bénéfice et mises à la charge de l'ICAM,

- la condamner en tous les frais et dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Elle relève que même si la machine a été spécialement construite pour elle et qu'elle comporte des dispositifs spécifiques (mais non originaux) qui, par leur caractère, ont entraîné le soutien de l'ANVAR, il n'a jamais été fait, dans le contrat, allusion à la fabrication d'un prototype. Elle affirme que cette notion est utilisée par l'ICAM pour une question d'opportunité liée à sa responsabilité. Elle précise qu'elle disposait déjà de différentes machines et spécialement d'une fourreuse de gaufres et que cet équipement existait déjà, dans sa conception. Elle en conclut qu'il s'agissait donc de la conception et la fabrication d'une machine spécifique à son activité et en aucun cas de la création d'un prototype. Elle ajoute qu'à aucun moment de la relation précontractuelle et contractuelle, l'ICAM n'a attiré son attention sur le fait qu'elle n'assumerait pas les conséquences des dysfonctionnements éventuels de sa machine compte tenu de son caractère innovant.

Elle fait valoir que :

Seule l'ICAM a assuré le rôle de concepteur de la machine. Son dirigeant, qui n'a ni les connaissances ni les moyens techniques pour créer une machine, n'a pas participé à cette tâche. Ce dernier avait évoqué, dans ses relations avec l'ANVAR, le terme de sous-traitant pour qualifier l'ICAM ; ce n'était pas au sens juridique du terme mais dans le sens commun, pour signifier qu'il avait fait appel à un professionnel pour la création de la machine. La SARL Pâtisserie des Flandres s'est contentée de communiquer les adresses des fournisseurs potentiels de matériel concernant les pompes doseuses ou les autres aspects techniques évoqués. Elle n'a jamais imposé de choix techniques. Elle s'est uniquement inquiétée de l'évolution du projet, a donné son avis, indiqué ses préférences pour les solutions techniques qui seraient les mieux adaptées ou les plus performantes pour l'entreprise et rappelé le respect des délais.

Les insuffisances techniques de l'ICAM ont été démontrées ; il en est notamment ainsi lorsque l'institut invoque, pour expliquer les difficultés du découpage des gaufres et la production de déchets importants, la confection manuelle de boules de pâte alors qu'il savait parfaitement que la matière se présente sous forme de bandes de pâtons découpés mécaniquement.

Elle n'a été en possession du cahier de maintenance que 18 mois après la mise en service de la machine. Aucune proposition concrète de contrat de maintenance ne lui a été faite par l'ICAM. Elle a donc procédé au nettoyage courant de la machine et elle conteste l'absence de maintenance préventive qui lui est imputée.

Elle en conclut que l'ICAM n'a pas respecté ses obligations contractuelles puisqu'il a appliqué partiellement les règles de l'art concernant une machine de type agro-alimentaire et qu'il n'a pas respecté les textes applicables aux machines de ce type. Elle invoque donc, comme fondement juridique de son action, les articles 1134 et 1184 du Code civil, outre les dispositions des articles 1602 et 1604 du même Code concernant l'obligation de délivrance, à l'exclusion des dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil.

Elle précise que la réception de la machine n'est jamais intervenue et que les contraintes techniques du cahier des charges n'ont pas été respectées par le concepteur de la machine qui a donc manqué à son obligation de délivrance. Elle ajoute qu'il ne peut être considéré que le défaut de conception, à l'origine du dysfonctionnement de la machine, relève de la garantie des vices cachés et la seule constatation de la non-conformité par rapport aux règles techniques d'hygiène, qui a normalement pour conséquence l'obligation légale de ne plus utiliser la machine, justifie la défaillance de l'ICAM dans son obligation de délivrance et l'application de l'article 1184 du Code civil.

Elle demande, suite à la résolution de la vente, la restitution du prix d'achat soit 73 021 euros, nonobstant le fait qu'elle ait bénéficié de subventions pour son l'achat, étant précisé que la subvention de l'ANVAR était remboursable. Elle ajoute que d'autres dépenses ont été exposées notamment des temps de main-d'œuvre passés sur l'étude de la machine, son implantation, des pertes matière inhérentes au démarrage de la machine, le montant prévisionnel du programme d'investissement étant au total 209 010 euros. Elle admet cependant que la subvention versée par la région à hauteur de 18 250 euros doive être déduite du préjudice lié au coût d'achat de la machine et elle demande donc le paiement d'une somme de 47 385 euros à ce titre.

Elle invoque également un préjudice lié à une perte d'exploitation (perte de matière première, perte de marge et perte de cadence) qu'elle évalue à 210 485,09 euros.

Dans ses dernières écritures, l'Institut Catholique d'Arts et Métiers (ICAM) demande à la cour de confirmer le jugement, de déclarer les demandes de la SARL Pâtisserie des Flandres irrecevables et en tant que de besoin, de les déclarer sans fondement, de débouter, en conséquence, la SARL Pâtisserie des Flandres de toutes ses demandes, fins et conclusions, de la condamner au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. A titre infiniment subsidiaire, elle sollicite de condamner le Gan à le garantir de toutes condamnations susceptibles d'être mises à sa charge.

Il rappelle que l'expert a constaté que les causes du dysfonctionnement de la machine litigieuse étaient liées à une absence de prise en compte des règles d'hygiène et sécurité édictées par le Code du travail, au caractère innovant de la machine, à une absence de maintenance préventive et à des lacunes dans l'entretien et la maintenance de la machine. Il reconnaît que la première de ces causes est susceptible de s'analyser en un défaut de conformité mais relève que cela n'a pas empêché la machine de fonctionner entre février 2000 et mai 2003 de sorte qu'il n'existe aucun lien de causalité entre ce défaut de conformité et le préjudice commercial allégué par la société Pâtisserie des Flandres. Il fait valoir que les deux dernières causes sont exclusivement imputables à l'utilisateur et qu'en conséquence, le fondement de l'action de la société Pâtisserie des Flandres à son encontre ne peut que résider dans les désordres imputables au caractère innovant de la machine.

Il affirme que, par leur nature et leur manifestation, ces défauts relèvent de la notion de vice caché. Il en conclut que l'action de la SARL aurait dû être fondée sur les articles 1641 et 1648 du Code civil mais que la réception de la machine ayant eu lieu en février 2000, l'ordonnance de désignation d'expert étant datée du 27 juillet 2004, le rapport ayant été déposé le 28 février 2006 et l'assignation au fond ayant été délivrée le 29 mai 2009, l'action sur ce fondement est prescrite.

Subsidiairement, sur le fond, il fait valoir que c'est la société Pâtisserie des Flandres qui a été le promoteur du projet de construction de la machine innovante, M. Rousseau, gérant, s'étant lui-même déclaré personnellement responsable du projet. Selon lui, la société a accepté d'emblée le risque de l'innovation, c'est-à-dire de ne pouvoir exercer aucun recours en cas d'échec. Il précise que c'est sous cette condition expresse que l'aide de l'ANVAR lui a été accordée. Il en déduit qu'il n'a été que le sous-traitant de la société Pâtisserie des Flandres et qu'il ne peut donc être tenu, à son égard, que d'une obligation de moyens et non de résultat. Or, il estime que la société Pâtisserie des Flandres n'administre pas la preuve d'une quelconque défaillance dans l'exécution de ses obligations de sorte que la demande indemnitaire présentée ne peut qu'être rejetée.

Il ajoute que le préjudice commercial allégué par la SARL Pâtisserie des Flandres n'est pas justifié et ce d'autant que la machine précédemment destinée à fabriquer les gaufres, de l'aveu même de la Pâtisserie des Flandres, ne fonctionnait pas. Il précise, en outre, que la machine qu'il a livrée a fonctionné de février 2000 jusqu'au mois de mai 2003, qu'elle a fabriqué plusieurs millions de gaufres de sorte que le manque à gagner allégué est nul.

A titre subsidiaire, il sollicite la garantie du Gan précisant avoir construit une machine innovante et non un prototype de sorte que l'exclusion de garantie qui lui est opposée n'est pas applicable.

La SA Gan Eurocourtage demande à la cour de :

- constater que le désordre principal invoqué par l'appelante s'analyse en un vice de conception de la machine et relève de la nature des vices cachés dont les conséquences sont forcloses au visa de l'article 1648 du Code civil,

- constater que l'éventuelle non-conformité la machine à la réglementation alimentaire n'a entraîné aucun préjudice pour l'appelante, avant sa mise au rebut de la machine,

- constater que l'éventuelle non-conformité aurait été insuffisante à entraîner la résolution de la vente,

- constater que ce défaut éventuel n'a pas pu être évalué dans ses conséquences en raison de l'abandon par l'appelante de son exploitation,

- constater que la demande en résolution de la vente sur le fondement d'une délivrance non conforme n'est pas justifiée et pas davantage le préjudice allégué,

en conséquence, confirmer le jugement et débouter l'appelante de son appel et de ses demandes,

subsidiairement, statuant sur l'appel en garantie de l'ICAM contre elle :

- dire et juger que la machine construite par l'ICAM est un prototype en cela exclu de sa garantie,

- dire et juger qu'en toute hypothèse, elle ne garantit pas le produit livré,

- prononcer, en conséquence, sa mise hors de cause et écarter toute demande formulée à son encontre,

- condamner la Pâtisserie des Flandres et l'ICAM, ou l'une à défaut de l'autre, à lui payer une indemnité de procédure en application de l'article 700 du Code de procédure civile de 4 000 euros,

- condamner les mêmes aux entiers dépens tant de première instance, en ce compris les frais de référé et d'expertise, que ceux d'appel.

Elle rappelle qu'après la livraison de la machine en février 2000, l'ICAM a accompagné sa cliente dans le cas d'un certain nombre de mises au point techniques, dans un esprit de collaboration industrielle, qu'au cours d'une opération de maintenance en 2001, la Pâtisserie des Flandres lui a demandé d'améliorer le processus de nettoyage de la machine, que l'ICAM était disposé à réaliser ces évolutions mais à la charge financière du client, ce que la Pâtisserie des Flandres a refusé dans une lettre du 23 septembre 2002.

Elle estime que l'attitude revendicatrice de la société Pâtisserie des Flandres est liée à la commande et à la livraison, au printemps 2003, d'une nouvelle machine.

Elle soutient que les griefs techniques supposés de la machine livrée par l'ICAM ne peuvent s'analyser que comme des vices cachés alors que l'action sur ce fondement est prescrite aux termes des dispositions de l'article 1648 du Code civil.

Elle fait valoir que l'absence de prise en compte suffisante de la propagation des déchets alimentaires dans les mécanismes est à l'origine du nettoyage fastidieux dont se plaignait l'exploitante, que les traces de rouille n'étaient pas directement en contact des produits alimentaires mais essentiellement localisées dans les mécanismes, c'est-à-dire dans l'infrastructure de la machine de sorte qu'il n'existe pas non plus de défaut de délivrance au regard de la réglementation alimentaire. A tout le moins, selon elle, si ce défaut devait être admis, son importance minime ne peut justifier le prononcé de la résolution de la vente.

S'agissant des préjudices invoqués, elle relève que la cadence de production telle que prévue dans l'offre de l'ICAM, a été respectée ; elle estime donc qu'aucun préjudice lié au coût de l'acquisition de la machine n'a été subi ; si la machine a été remplacée, les conditions économiques industrielles de l'opération sont totalement inconnues.

Elle ajoute que les éléments comptables présentés par l'appelante sont invérifiables, que la SARL Pâtisserie des Flandres n'apporte aucun justificatif pour étayer l'existence d'une perte d'exploitation de sorte que sa demande de ce chef doit être rejetée.

Concernant l'appel en garantie présenté à son encontre, elle relève que la convention signée avec l'ICAM prévoit qu'elle ne garantit pas les prototypes, la machine créée étant qualifiée ainsi par l'expert. Elle souligne qu'elle ne garantit pas non plus le produit livré et que, dans ces conditions, sa mise hors de cause doit être prononcée.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Selon l'article 1184, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Lorsque le contrat ne contient aucune clause expresse de résolution, il appartient aux juges d'apprécier, en cas d'inexécution, si celle inexécution a assez d'importance pour que la résolution doive être prononcée.

Selon courrier du 9 février 1999, l'ICAM, école d'ingénieurs, a fait à la SARL Pâtisserie des Flandres une proposition d'action et de prix pour l'étude et la réalisation d'une machine à fourrer les gaufres. Cette proposition précise que la machine de base dispose de deux postes de travail, que la cadence de production sera de 40 pièces par minute et que l'ensemble sera réalisé en matériaux "alimentaires", le tout étant conçu pour permettre un nettoyage hygiénique. Une seconde proposition, plus détaillée, a été faite le 30 mai 1999 pour un prix de 446.650 francs hors taxes. Cette proposition a été acceptée par la SARL Pâtisserie des Flandres le 1er juin 1999.

Le matériel a été livré le 3 février 2000 et facturé le 29 février 2000.

Selon un rapport d'inspection du 19 octobre 2001 dressé par le cabinet DIESE à la demande de la SARL Pâtisserie des Flandres, la conception de la machine n'a pas pris en compte le fait que la coupe des gaufres engendrait des miettes, l'évacuation de celles-ci n'ayant pas été prévue. Les résidus générés par les différentes phases de fabrication ne sont pas isolés et sont, au contraire, véhiculés sur l'ensemble de la machine. Les opérations de nettoyage de la machine, nécessitées par les règles d'hygiène alimentaire, n'ont pas été correctement envisagées lors de la conception de la machine. En définitive la machine ne satisfait pas aux conditions et spécifications établies par le constructeur lui-même, dans son cahier des charges.

Suite à ce rapport, l'ICAM a proposé de remédier aux désordres décrits, établissant un devis pour chaque modification à effectuer. Par courrier du 15 octobre 2002, la SARL Pâtisserie des Flandres a considéré que la mise en conformité de la machine devait se faire à la charge de l'ICAM.

Un rapport d'expertise du cabinet WPE daté du 20 août 2003 a confirmé les problèmes liés au défaut d'évacuation des résidus des gaufres.

L'expert judiciaire, M. Ballot a décrit la machine construite par l'ICAM comme étant constituée de plusieurs parties :

- la première est un barillet sur lequel les gaufres sont déposées par un opérateur,

- la seconde commence par l'introduction, par un poussoir mécanique, de la gaufre sur la ligne de fourrage. Après introduction, une lame vient ouvrir la gaufre qui est ensuite entraînée par pincement par des courroies. Elle est maintenue ouverte par des guides en position verticale, passe sous la hotte refroidissante. Elle va alors sous la pompe doseuse qui introduit la quantité nécessaire de fourrage avant d'être refermée par deux pas de pincement. Cette ligne est la partie la plus importante de la machine.

- la troisième partie consiste à faire passer les gaufres sous un rouleau presseur pour la finaliser. Un dispositif de convoyage ramène ensuite les produits vers l'entrée de la machine.

Il a mis en avant plusieurs désordres à savoir :

- l'entassement rapide des miettes derrière le couteau du fait de leur mauvaise évacuation,

- des coulures de fourrage sur le tapis,

- la propagation des résidus alimentaires dans plusieurs parties difficilement nettoyables (sous la table, sous le barillet ainsi que dans la hotte de refroidissement)

- la rouille sur de nombreux éléments du bâti de la machine ainsi que sur des éléments de cinématique,

- des dépôts de rouille sur la table,

- des soudures par points permettant des incrustations de résidus et rendant difficile le nettoyage.

Sur un plan plus technique, il a noté, outre les désordres déjà listés, que la chaîne du barillet d'introduction était détendue, qu'il existait des variations dans la géométrie des cases du barillet, un entassement rapide des miettes derrière le couteau, ces miettes étant dispersées le long de la ligne de fourrage, des carters de protection non mis en place, modifiés, détériorés ou manquants et un tapis de convoyeur détérioré sur les bords du fait d'un défaut d'alignement des tambours.

Ces constatations corroborent celles faites par le cabinet Diese.

L'expert précise que les causes de ces désordres résident en une évacuation insuffisante des résidus de production, une isolation insuffisante des parties mécaniques et plus généralement une prise en compte insuffisante de l'entretien nécessaire à une machine destinée à l'agro-alimentaire. Il en déduit que l'origine des défauts est à rechercher principalement dans la conception de la machine, même s'il a pu être constaté un nettoyage imparfait notamment de la hotte et des mécanismes, par la société utilisatrice.

Il relève, en effet, que ce défaut de nettoyage résulte, en partie, de la difficulté à réaliser une telle opération compte tenu de la difficulté d'accès à certaines zones et à l'absence de méthodes d'intervention dans le manuel de maintenance. Ainsi, le nettoyage de la machine était particulièrement difficile dans la mesure où l'entretien des mécanismes situés sous la table était rendu problématique du fait du manque d'accessibilité des nombreux pignons, où les mécanismes situés sous le barillet demandaient de retirer le capot fixé par une dizaine de boulons et où le démontage de la hotte mettait environ 20 minutes.

L'expert conclut que la machine s'inscrivait dans un projet d'entreprise de modernisation de la production et de développement commercial, que sa conception résultait d'une discussion approfondie entre les parties mais que la machine finalement livrée par l'ICAM ne répondait pas à l'ensemble des textes applicables aux machines destinées à des denrées alimentaires et, en particulier, que les dispositions de l'article R. 265-1 2.1 du Code du travail n'ont pas été respectées ; ce non-respect aurait pu avoir plusieurs conséquences, à savoir une contamination des produits par les déchets stagnants et une contamination des composants mécaniques par une accumulation de déchets sucrés et humides conduisant à leur détérioration prématurée par corrosion et grippage. Ces contaminations envisagées résultent également d'une conception de la machine sans séparation des produits par rapport aux mécanismes mais également de la difficulté d'accès qui a entraîné un nettoyage insuffisant.

Il en résulte que l'ICAM n'a pas satisfait à son obligation de délivrance conforme en ne prenant pas en compte les règles d'hygiène et de sécurité édictées par le Code du travail s'agissant de la construction de la machine. En particulier, l'article R. 265-1 annexe I, 2ème (règles techniques supplémentaires applicables à certaines catégories de machines neuves ou considérées comme neuves visées au 1° de l'article R. 233-83), dans sa version applicable à la date du contrat, prévoit notamment que "la machine doit être conçue et construite de manière que les matériaux qui la constituent, en contact ou pouvant être mis en contact avec les denrées alimentaires, puissent être nettoyés avant chaque utilisation" et que "toutes les surfaces ainsi que leur raccordement doivent être lisses ; elles ne doivent posséder ni rugosité ni anfractuosité pouvant abriter des matières organiques".

Cependant, il doit être constaté que ce non-respect des règles d'hygiène et de sécurité n'a pas empêché le fonctionnement de la machine entre février 2000 et mai 2003 et que, comme l'a constaté l'expert, la machine a rempli sa mission malgré ces désordres. En effet, la production de gaufres a pu être menée selon la cadence prévue par l'ICAM, sous réserve des interruptions techniques nécessaires liées au réapprovisionnement de la machine.

Ainsi, la machine n'étant plus en fonctionnement lors de l'expertise, M. Ballot a, pour aboutir à cette conclusion, visionné une cassette vidéo faite par l'ICAM lorsque la machine était en production ; cette cassette démontre que, sur une période de temps limitée, aucun des arrêts de production n'était lié un dysfonctionnement de la machine même si l'accumulation des miettes de fourrage aurait certainement nécessité de tels arrêts pour nettoyage. Les arrêts étaient destinés aux chargements de fourrage et à la rupture d'alimentation en gaufres. La productivité, dans des conditions normales de fonctionnement, était d'environ 2.232 gaufres par heure, la moyenne de la production en janvier 2001 ayant été d'environ 2.187 gaufres pour n'être plus que de 1 362 en juillet 2002 avec une moyenne de production sur l'ensemble de la période de 2 778 gaufres. La perte de productivité considérée dans sa globalité découlait donc, outre les arrêts liés aux dysfonctionnements de la machine, des arrêts du four, des changements de fourrage et des ruptures d'alimentation.

Toutes les interruptions de la production constatées mais également celles qui ont été nécessaires notamment pour l'évacuation des déchets alimentaires, ne ressortent pas du non-respect des règles d'hygiène et sécurité prévues par le Code du travail mais des désordres techniques liés à la conception de cette machine. En effet, la cadence instantanée de l'équipement n'est pas en cause et est conforme à celle initialement indiquée de 40 gaufres par minute, seules les périodes d'arrêt de la machine venant réduire la production. Malgré les demandes de l'expert, la société Pâtisserie des Flandres n'a pas été produit les relevés de pannes mais uniquement un extrait qui a permis de relever que les interventions sur la pompe doseuse ont été très nombreuses lors de la mise au point de la machine.

Or, la SARL Pâtisserie des Flandres a expressément exclu que son action puisse être fondée sur la garantie des vices cachés alors que les défauts de conception qui ont rendu la chose impropre à son usage normal, qui l'ont empêchée de rendre pleinement les services attendus ou son utilisation dans des conditions satisfaisantes sont des vices cachés.

Par ailleurs, si des traces de rouille étaient visibles sur le bâti de la machine, au niveau du ventilateur de la hotte, à la jonction des plaques en inox de la table de la machine avec le bâti ou de certains éléments mécaniques, ces parties n'étaient pas en contact direct avec les aliments de sorte que, durant les trois années de fonction de cet équipement, aucun arrêt n'a été lié au fait que les matériaux employés n'étaient pas adaptés à une machine agro-alimentaire. En tout état de cause, il était possible de remédier facilement à cette situation en changeant les matériaux utilisés pour la construction de la machine (ainsi, le remplacement du coffret par un coffret en inox a été chiffré par l'ICAM à 2 800 euros HT).

Dans la mesure où malgré ces désordres, l'équipement a pu remplir sa destination pendant trois années, les manquements au regard de la réglementation du droit du travail sont, en comparaison des désordres liés au vice de conception, d'une importance minime, et ce d'autant qu'aucune contamination susceptible d'interrompre la production n'a été constatée durant la période de fonctionnement de la machine. Le défaut de délivrance n'apparaît donc pas d'une importance telle que la vente doive être résolue.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Pâtisserie des Flandres de sa demande en résolution de la vente, exclusivement fondée sur l'article 1604 du Code civil.

Tel que précédemment relevé, la machine a fonctionné selon les objectifs initialement fixés pendant plus de trois ans. La diminution de la cadence de production découle des vices de conception et non du non-respect des règles d'hygiène et de sécurité de sorte que la SARL Pâtisserie des Flandres ne justifie d'aucun préjudice en lien avec le non-respect de l'obligation de l'ICAM de remettre à son client un matériel conforme aux dispositions du Code du travail et aux dispositions contractuelles prévoyant une machine en "matériaux alimentaires".

En outre, si la SARL Pâtisserie des Flandres a arrêté le fonctionnement du matériel conçu par l'ICAM en mai 2003, cette date correspond à celle à laquelle elle a reçu une machine de remplacement. L'interruption du fonctionnement du matériel livré par l'ICAM n'était donc pas en lien avec le non-respect des règles d'hygiène et de sécurité.

Dans ces conditions, la demande de dommages et intérêts présentée au titre du préjudice de production subi du fait du non-respect de l'obligation de délivrance conforme doit être rejetée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

A défaut de toute condamnation prononcée à l'encontre de l'ICAM, l'appel en garantie dirigé contre son assureur Gan est sans objet.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Succombant, la SARL Pâtisserie des Flandres sera condamnée aux dépens d'appel et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance en ce compris les frais d'expertise judiciaire ; elle sera également condamnée aux dépens liés aux procédures de référé.

Il serait inéquitable de laisser à l'ICAM et au Gan la charge des frais exposés et non compris dans les dépens. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SARL Pâtisserie des Flandres à payer à l'ICAM et au Gan la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et il leur sera attribué, en cause d'appel, la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire : Confirme le jugement ; Précise cependant que la SA Gan Eurocourtage n'a pas à être mise hors de cause mais que les appels en garantie dirigés à son encontre sont sans objet ; Ajoutant au jugement : Condamne la SARL Pâtisserie des Flandres aux dépens liés aux procédures de référé ayant donné lieu aux ordonnances des 13 avril 2004 et 27 juillet 2004 ; Condamne la SARL Pâtisserie des Flandres aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Levasseur, avocat ; Condamne la SARL Pâtisserie des Flandres à payer à l'Institut d'Arts et Métiers la somme de 1 500 euros et à la SA Gan Eurocourtage la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.