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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 2 mars 2012, n° 08-21871

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Association Hôpital Foch, Etablissement Français du Sang, Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Morbihan, Axa France Iard (SA), Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bichard

Conseillers :

Mmes Marion, Guilguet-Pauthe

TGI Paris, du 29 sept. 2008

29 septembre 2008

Le 8 août 1989 M. Ernest J a subi au centre médico-chirurgical Foch un triple pontage coronarien au cours duquel il a reçu des transfusions de produits sanguins.

En mars 1996 il a fait pratiquer un examen de dépistage de l'hépatite C qui est revenu positif.

Par ordonnance de référé du 25 mai 2001, le docteur R a été désigné en qualité d'expert, a procédé à sa mission et clos son rapport le 22 avril 2003.

C'est dans ces circonstances que par acte des 15 et 21 juillet 2004, M. Ernest J a fait assigner en déclaration de responsabilité et réparation des préjudices subis, l'Etablissement Français du Sang (EFS) et la CPAM du Morbihan puis, par acte du 2 févier 2006 le centre médico-chirurgical Foch, alors que par acte du 4 novembre 2004 l'EFS a fait assigner la société Axa France Iard en qualité d'assureur du centre médico-chirurgical Foch, du CDTS des Yvelines-Nord Poissy et du CDTS d'Asnières qui ont fourni la plupart des produits sanguins administrés à M. Ernest J, devant le Tribunal de grande instance de Paris dont le jugement rendu le 29 septembre 2008 est déféré à la cour.

Vu le jugement entrepris qui a :

- débouté M. Ernest J de l'intégralité de ses demandes formées contre l'EFS, l'association Hôpital Foch et la société Axa France Iard,

- déclaré sans objet les demandes en garantie formées par l'EFS et l'association Hôpital Foch.

- déclaré le jugement opposable à la CPAM du Morbihan,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné M. Ernest J aux dépens.

Vu la déclaration d'appel déposée le 19 novembre 2008 par M. Ernest J.

Vu les dernières conclusions déposées le :

< 13 décembre 2010 par M. Ernest J qui, au visa de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, de l'ordonnance du 1er septembre 2005, des articles L 221-1 du Code de la consommation et 1147 du Code Civil, de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006 de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré,

- débouter l'ONIAM, substitué à l'EFS, le C. Foch et la compagnie Axa France Iard de leurs demandes,

- de condamner in solidum l'ONIAM, substitué à l'EFS, le C. Foch et la compagnie Axa France Iard à lui payer la somme de 99 071, 27 euros outre celle de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

< 7 septembre 2011 par l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM), assigné par acte du 11 mars 2009 à la requête de M. Ernest J qui, au visa de l'article L. 122-14 du Code de la santé publique, de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008,de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale des décrets n°2010-251 et 2010-252 du 11 mars 2010, demande à la cour de :

- lui donner acte de son intervention dans les limites de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008

- constater un doute sérieux quant à l'imputabilité de la contamination de M. Ernest J,

- confirmer le jugement déféré,

- dire et juger qu'aucune condamnation ne peut intervenir en faveur des tiers payeurs,

- débouter M. Ernest J de ses demandes.

< 14 septembre 2010 par l'Association Hôpital Foch qui demande à la cour :

- à titre principal de confirmer le jugement déféré,

- subsidiairement au visa de la loi du 17 décembre 2008 de :

* déclarer M. Ernest J irrecevable en ses demandes dirigées à son encontre,

* débouter M. Ernest J de ses demandes présentées contre elles,

- en tant que de besoin au visa de l'article L. 124-1 du Code des assurances de condamner la société Axa France Iard de la garantir à hauteur de 17/53ème s'agissant de CDTS d'Asnières et de 16/53ème s'agissant du CDTS de Poissy,

- condamner M. Ernest J à lui verser une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

< 16 novembre 2011 par l'EFS qui, au visa des articles 67 de la loi du 17 décembre 2008 et L. 124-3 du Code des assurances et de la loi du 4 mars 2002, demande à la cour de :

- dire et juger que l'ONIAM qui lui est substitué répond des conséquences dommageables résultant pour M. Ernest J de sa contamination,

- dans l'hypothèse où l'étiologie transfusionnelle de la contamination virale de M. Ernest J serait retenue :

* constater que l'ensemble des produits sanguins non innocentés au terme de l'enquête transfusionnelle ont concouru à la réalisation du dommage,

* constater que la société Axa France Iard est l'assureur de responsabilité civile à l'époque des faits des centres de Poissy et d'Asnières,

* condamner la société Axa France Iard en cette qualité à le garantir à hauteur des 46/52ème des condamnations prononcées en faveur de M. Ernest J et à lui verser une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

< 30 novembre 2011 par la compagnie Axa France Iard qui demande à la cour de :

* sur l'action directe exercée par M. Ernest J et l'association Hôpital Foch :

- les renvoyer à se pourvoir devant le tribunal administratif et surseoir à statuer sur l'action formée contre elle,

- subsidiairement dire et juger que M. Ernest J ne peut exercer conjointement une action contre l'ONIAM et contre elle et donc le déclarer irrecevable ou subsidiairement mal fondé,

- plus subsidiairement confirmer le jugement déféré,

- encore plus subsidiairement :

* dire et juger qu'aucune responsabilité ne peut être retenue au titre des produits fournis par l'ancien CDST des Yvelines Nord Poissy dans la contamination de M. Ernest J par le virus de l'hépatite C,

* constater qu'il n'est justifié d'aucun contrat d'assurance l'engageant au titre de la responsabilité civile de l'association Hôpital Foch et débouter M. Ernest J de l'action directe formée à ce titre,

- dire et juger exagérées les demandes présentées par M. Ernest J eu égard à la guérison médicalement constatée et les ramener à de plus justes proportions.

* sur les demandes de garantie formulées par l'EFS, dire qu'il ne justifie pas d'un intérêt né et actuel, le débouter de toutes ses demandes et à titre infiniment subsidiaire dire qu'elle est fondée à opposer son plafond de garantie.

* en tout état de cause, condamner toutes parties succombantes à lui verser une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'assignation délivrée à personne habilitée, le 11 mars 2009 à la requête de M. Ernest J à la CPAM du Morbihan qui n'a pas constitué avoué.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 1er décembre 2011.

SUR QUOI LA COUR

Considérant que l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 dispose :

"En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date de l'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte les éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection, n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur."

Considérant qu'il appartient en premier lieu à M. Ernest J de rapporter la preuve de l'administration et de l'origine des produits sanguins incriminés ;

Considérant qu'il est établi par le rapport d'expertise que celui-ci a reçu 53 produits sanguins provenant du CNTS (1), du CDTS d'Asnières (17), du CDTS de Poissy (16) et du centre médico-chirurgical Foch (19,) à l'occasion de son hospitalisation au centre médico-chirurgical Foch, en août 1989;

que si pour le produit sanguin provenant du CNTS il a pu être établi que son donneur était négatif, il s'avère que pour les autres produits l'enquête transfusionnelle a été incomplète et n'a pas permis d'innocenter tous les dons, de nombreux donneurs n'ayant pas été retrouvés ;

que l'expert judiciaire a précisé que le risque de contamination par transfusion sanguine était évalué entre 2 et 5 % vers la fin des années 1980 qu'il a indiqué : "compte tenu du nombre de produits sanguins transfusés, la période de transfusion, le peu de facteurs de risques autres que la transfusion, il fort probable que Monsieur Ernest J ait été contaminé durant l'épisode médical d'août 1989." ;

qu'en conclusion de son rapport il a rappelé "Malgré la non contribution de l'enquête transfusionnelle, la probabilité de la contamination par le VHC durant la prise en charge médicale d'août 1989 est importante." ;

qu'il a posé cette conclusion après avoir pris en compte tous les éléments du dossier et notamment l'état antérieur de M. Ernest J constituant le seul facteur de risque, à savoir :

- une coronarographie à l'hôpital de Pontoise en juillet 1989,

- une fibroscopie réalisée le 21 août 1989,

- une appendicectomie réalisée en 1987,

- une opération d'une hernie inguinale en 1992,

- une intervention ORL en 1957,

- une intervention sur cloison nasale en 1977,

que si, rapportant les connaissances acquises sur l'hépatite C, il a mentionné dans les sources possibles de contamination la transmission nosocomiale, il n'a pas pour autant retenu ce mode de contamination comme possible au cas d'espèce ;

qu'ainsi en l'état de ces constatations, l'origine transfusionnelle de la contamination de M. Ernest J par le virus de l'hépatite C doit être présumée au sens de l'article 102 précité ;

Considérant qu'il vient d'être rappelé que l'enquête transfusionnelle n'a pas été complète et que hormis pour le produit provenant du CNTS il n'a pas été possible d'identifier tous les donneurs des différents produits sanguins fournis par les trois autres centres ;

qu'en l'absence de preuve que ces produits ne sont pas à l'origine de la contamination, cette preuve ne pouvant résulter de ce que les donneurs retrouvés et testés étaient négatifs, M. Ernest J est fondé à être indemnisé de ses préjudices ;

Considérant que les conclusions de l'expert relatives aux différents chefs de préjudices éprouvés par M. Ernest J sont les suivantes :

- pas d'ITT,

- pas de consolidation acquise

- souffrances endurées : 3/7

- aucun préjudice esthétique

- pas de retentissement professionnel

- pas d'IPP

que le préjudice subi par M. Ernest J sera réparé comme suit :

- préjudices patrimoniaux consistant en des frais d'assistance, (médecins conseils et avocat) au cours de l'expertise et des frais de déplacement pour une somme globale de 10 571, 27 euros ;

Or les frais d'assistance relèvent de la demande présentée en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les frais de déplacement générés par l'expertise seront indemnisés par l'allocation d'une somme de 1 000 euros ;

- préjudices extra patrimoniaux :

* souffrances endurées, notamment d'ordre psychologique : 4 000 euros

* préjudice sexuel : il n'est pas retenu par l'expert : rejet

* préjudices extra-patrimoniaux évolutifs :

M. Ernest J fait état de l'asthénie et du retentissement psychologique et familial important lié à l'incompréhension de sa famille vis à vis de sa contamination par le virus de l'hépatite C.

Mais en l'état des conclusions de l'expert qui indique également que M. Ernest J n'a suivi aucun traitement médical particulier, un simple suivi clinique et biologique ayant été mis en place, que l'asthénie n'est pas spécifique et que sur le plan psychologique il ne paraît pas triste, qu'il n'existe aucune prise en charge psychiatrique ou traitement, et alors que le professeur G. a estimé que sa guérison était acquise et qu'il ne présentait aucun risque de fibrose significative, l'appelant, qui par ailleurs demande l'indemnisation distincte des souffrances endurées et d'un préjudice sexuel, ne peut être que débouté de ce chef de prétention qui n'est nullement caractérisé par l'existence d'un préjudice spécifique et distinct ;

Considérant qu'en application de la loi n°98-535 du 1er juillet 1998 et de la convention de transfert du 22 décembre 1999, prise dans ce cadre légal, l'EFS vient aux droits et obligations de certains centres de transfusion sanguine désignés ayant élaboré les produits sanguins délivrés aux patients dont, en l'espèce l'association Hôpital Foch en sa qualité de gestionnaire d'un poste de transfusion sanguine et les CDTS d'Asnières et de Poissy, étant observé concernant celui-ci, que la société Axa France Iard indique sans être utilement contredite qu'il n'existe plus de difficulté sur la reprise de ce centre par l'EFS depuis l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Versailles le 14 octobre 2008 ;

Considérant que l'article 67 de la loi n°2008-1330 du 17 décembre 2008 et le décret n° 2010-251 ont organisé la prise en charge des contaminations post-transfusionnelles par le virus de l'hépatite C et la substitution, à compter du 1er juin 2010, dans tous les contentieux en cours, de l'ONIAM, à l'EFS ;

que désormais l'ONIAM est ainsi le seul débiteur de M. Ernest J qui, au demeurant ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 221-1 du Code de la consommation qui, en tout état de cause, n'est pas applicable aux médicaments ;

qu'il appartient en conséquence à l'ONIAM, substitué à l'EFS dont dès lors est sans objet la demande de garantie qu'il présente à l'encontre de la société Axa France Iard, d'indemniser M. Ernest J ;

que par ailleurs et par voie de conséquence il n'y a pas lieu de statuer sur la question du renvoi préjudiciel soulevée par cette compagnie d'assurances et sur la demande en garantie présentée à son encontre par l'association Hôpital Foch ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à M. Ernest J et à lui seul une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile d'un montant de 3 000 euros ;

Par ces motifs : Infirme le jugement déféré. Statuant à nouveau, Dit que la contamination de M. Ernest J par le virus de l'hépatite C est imputable aux transfusions sanguines qu'il a reçues au cours de l'intervention pratiquée le 8 août 1989 à l'hôpital Foch. Dit que l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux substitué à l'Etablissement Français du Sang doit verser à M Ernest J la somme globale de 5 000 euros en réparation de ses préjudices, outre une indemnité d'un montant de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit sans objet la demande de garantie présentée par l'Etablissement Français du Sang à l'encontre de la société Axa France Iard, la question du renvoi préjudiciel soulevée par cette compagnie d'assurances et la demande en garantie présentée par l'association Hôpital Foch à l'encontre de la société Axa France Iard. Rejette toutes autres demandes. Condamne l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP R, de la SCP Mira B, de la SCP C D et de la SCP G B J, avoués à la cour, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.