CA Caen, 1re ch. civ., 23 octobre 2012, n° 09-02445
CAEN
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Campain (Epoux), MAIF (Sté)
Défendeur :
Electricité Réseau Distribution France (SA), Axa Coroporate Solutions Assurances (SA), Supra (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maussion
Conseillers :
Mme Serrin, M. Tessereau
Avocats :
SCP Parrot-Lechevallier-Rousseau, SCP Grandsard Delcourt Selarl Marc & Touchard, SCP Mosquet Mialon d'Oliveira Leconte, SCP Desdoits-Marchand, Me Guyomard
Le 24 août 2006 à 15 h 15 est survenu un incident électrique sur le poste de distribution EDF situé [...], incident qui s'est traduit par une rupture du neutre ayant occasionné une défaillance du connecteur sur le réseau de sortie de poste.
A la suite de cette avarie, des surtensions se sont produites sur le réseau basse-tension en aval de ce poste.
C'est dans ces conditions qu'un déshumidificateur de marque Supra, mis en fonction par les époux Campain dans leur habitation, s'est consumé sans flamme, provoquant des dégradations dans l'habitation estimées par les experts à la somme de 45 426 euro, vétusté déduite dont 42 716 euro au titre de l'incendie et 2 710 euro au titre de la surtension.
La société Axa Corporate Solutions, assureur de la SA EDF, a indemnisé les époux Campain à hauteur de la somme de 2 710 euros.
Les époux Campain et leur assureur la MAIF ont fait assigner la SA EDF et la compagnie Axa Corporate Solutions, lesquels ont appelé à la cause la société Supra, aux fins de voir indemniser l'intégralité de leur préjudice.
Par jugement en date du 07 juillet 2009, le Tribunal de grande instance d'Alençon a :
- Débouté les époux Campain et la MAIF de l'ensemble de leurs demandes,
- Condamné in solidum les époux Campain et la MAIF aux dépens et à payer à la SA EDF et Axa Corporate Solutions la somme de 2 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamné in solidum la SA EDF et Axa Corporate Solutions à payer à la SA Supra la somme de 1 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les époux Campain et la MAIF ont interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 27 août 2009.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 juin 2012.
Les prétentions et moyens des parties revêtent la forme, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, du visa des dernières écritures déposées :
Le 08.09.2010 pour les époux Campain et la MAIF,
Le 18.05.2011 pour ERDF et Axa Corporate Solutions
Le 22.06.2011 pour la SA Supra.
SUR QUOI LA COUR
Il n'est pas contesté par ERDF (anciennement EDF) que l'origine du sinistre est due à une surtension sur son réseau qui a provoqué un dommage électrique ayant entraîné un échauffement à l'intérieur du déshumidificateur de marque Supra resté sous tension en l'absence des époux Campain.
Cet échauffement est à l'origine d'une consumation avec combustion sans flamme.
Aux termes des dispositions conjuguées des article 1386-3 et 1386-4 du Code civil, l'électricité est considéré comme un produit et un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Il est de jurisprudence constante que ERDF est tenue à une obligation de résultat dans la fourniture du courant.
Elle ne peut en conséquence s'exonérer de sa responsabilité qu'en rapportant la preuve de la force majeure ou d'une cause étrangère.
Comme le mentionne elle-même ERDF la rupture du neutre est un événement raisonnablement prévisible sur le réseau ERDF.
ERDF ne peut en conséquence invoquer la force majeure s'agissant de la surtension intervenue.
Elle ne saurait pas davantage venir prétendre que la combustion du déshumidificateur ayant enfumé la maison revêtirait pour elle les caractères de la force majeure, la défectuosité d'un appareil ménager ne présentant pas un caractère imprévisible et ERDF ne s'expliquant pas sur le caractère irrésistible pour elle de la défaillance du déshumidificateur.
S'agissant de la cause étrangère, ERDF soutient que tant la vétusté de l'installation électrique des époux Campain que la défaillance du déshumidificateur seraient à l'origine des dommages.
Il résulte du seul rapport d'expertise contradictoire réalisé le 11 décembre 2006 en présence des experts de Axa Corporate Solutions (assureur d'ERDF), de la SARETEC (expert de l'assureur de la société Supra) et de l'expert de la MAIF (assureur des époux Campain) rapport co-signé par l'ensemble des experts présents, que "les experts ont constaté que l'installation électrique avait plus de 10 ans".
Par ailleurs les mêmes experts ont attribué à cette installation électrique un coefficient de vétusté de 30 %.
Il n'a nullement été constaté que l'installation électrique était vétuste, le taux de vétusté retenu de 30 % allant à l'encontre de cette constatation ainsi d'ailleurs que le coût des travaux nécessaires à la remise en état de l'installation qui selon devis était évalué à 1 235 euro HT, ce qui correspond selon l'expert François à des "petits travaux, le devis aurait été largement plus élevé si l'installation avait été vétuste".
Selon ce même expert lorsqu'une installation est vétuste le taux applicable est d'environ 80 %.
Il en résulte que c'est à tort que le premier juge a, pour exonérer ERDF de sa responsabilité, retenu la vétusté de l'installation des époux Campain.
S'il résulte d'un rapport de la Saretec établi à la demande de la société Supra que l'installation électrique n'était pas équipée de disjoncteurs 30 milliampères mais seulement de disjoncteurs thermiques, il n'est nullement établi que la présence de disjoncteurs 30 milliampères aurait permis d'éviter le sinistre.
Ceci est d'ailleurs confirmé par l'expert Monsieur François qui dans un courrier en date du 15 décembre 2009 a précisé "si l'installation du sociétaire avait été équipée d'un interrupteur différentiel de 30 MA, les dégâts auraient été identiques dans l'hypothèse d'une surtension".
Dans un précédent courrier du 3 décembre 2009, l'expert avait indiqué que "le pouvoir d'un interrupteur différentiel 30 MA se limite à la protection des personnes en cas de surintensité et en aucun cas s'il y a surtension".
ERDF n'apporte aucun élément permettant de démentir les affirmations de l'expert François.
De plus, dans la mesure où il n'existe aucune obligation pour les particuliers de mettre une installation électrique en conformité, il ne saurait être fait reproche aux époux Campain, propriétaires occupants, de ne pas avoir modifié leur installation électrique.
Aucune cause étrangère, imputable aux époux Campain ne saurait en conséquence être invoquée par ERDF pour voir limiter ou exclure sa responsabilité.
S'agissant de la défectuosité du déshumidificateur dont se prévaut ERDF, force est de constater que preuve n'est pas rapportée de la défaillance de l'appareil et pas davantage de sa non-conformité aux normes en vigueur, ERDF se contentant de produire un rapport du cabinet TEXA lequel conclut "pour notre part nous avons simplement indiqué que l'appareil datant de 2001 est soumis aux règles de sécurité actuelles et n'aurait pas dû s'enflammer suite à la surtension du réseau, limitée à 380 V".
Ce rapport fait référence aux "normes de sécurité actuelles" sans préciser quelles sont ces normes.
La norme NFC 15-100 de décembre 2002 invoquée par ERDF n'est pas applicable à un appareil mis en service en 2001.
D'autre part la norme NFC 15-100 s'applique non aux appareils électriques mais aux installations électriques.
Ainsi l'article 142 de la norme précise que son domaine d'application est limité : aux bornes d'alimentation des matériels d'utilisation ou des équipements alimentés par des canalisations fixes et aux socles de prise de courant dans les autres cas.
Il en résulte que ERDF et la compagnie AXA sont mal fondés à reprocher à la SA Supra le non-respect d'une norme qui ne leur est pas applicable.
De plus l'article L. 221-1 du code de la consommation prévoit que "les produits et services doivent dans des conditions normales d'utilisation ou dans des conditions raisonnablement prévisibles par un professionnel présenter la sécurité à laquelle on doit légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la sécurité des personnes".
En l'espèce, une surtension ne saurait constituer une condition normale d'utilisation, les conditions normales de fonctionnement étant celles prévues par la norme NF EN 60335-1 soit une plage de 207 V à 244 V. En l'espèce le déshumidificateur avait une valeur de 230V.
Le fabricant d'un appareil électroménager n'a pas une obligation de résultat vis à vis d'un fonctionnement anormal mais doit seulement au vu des dispositions de la norme NF EN 60335-1 en son article 19 construire ses appareils "de façon que les risques d'incendie, de détérioration mécanique affectant la sécurité ou la protection contre les chocs électriques, dus à un fonctionnement anormal ou négligent, soient évités autant que possible".
Il en résulte qu'aucun texte réglementaire n'impose au fabricant d'un appareil électroménager que son appareil supporte sans risque un défaut de surtension.
ERDF et AXA défaillantes à rapporter la preuve de la non-conformité du déshumidificateur aux normes en vigueur ne sauraient en conséquence s'exonérer de leur responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1386-11 du Code civil.
Il résulte de ce qui précède que contrairement aux affirmations du premier juge il est établi que le dommage a eu pour seule origine démontrée la surtension du réseau.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de condamner ERDF et sa compagnie d'assurance à réparer les conséquences dommageables de l'incendie, lesquelles ont été évaluées par expert à la somme de 45 426 euro, vétusté déduite, montant par ailleurs non remis en cause par ERDF et son assureur.
Compte tenu du versement de la somme de 2 710 euro, et de la franchise de 810 euro restée à charge des époux Campain, ERDF et la compagnie AXA seront condamnées à verser :
* à la MAIF subrogée dans les droits des époux Campain une somme de 41 906 euro et aux époux Campain une somme de 810 euro.
Ces sommes produiront intérêts à compter de la présente décision.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société ERDF et la société Axa Corporate Solutions, qui succombent, seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel et à verser aux époux Campain et à la MAIF, unis d'intérêt, une somme de 2 500 euro et à la société Supra une somme de1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement étant confirmé en ce qu'il a alloué de ce chef 1 500 euro à la SA Supra.
Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, - Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné in solidum la SA EDF (ERDF) et Axa Corporate Solutions à payer à la SA Supra la somme de 1 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant de nouveau, - Déclare la société ERDF entièrement responsable du sinistre intervenu le 24 août 2006, Par voie de conséquence - Condamne in solidum la société ERDF et la société Axa Corporate Solutions à payer : * à la MAIF la somme de 41 906 euro, * aux époux Campain la somme de 800 euro, - Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision, - Rejette les chefs de demandes autres ou plus amples, - Condamne in solidum la société ERDF et la société Axa Corporate Solutions à payer aux époux Campain et à la MAIF, unis d'intérêt, la somme de 2 500 euro et à la SA Supra la somme de 1 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, - Les condamne sous la même solidarité aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.