CA Rennes, 4e ch., 5 février 2009, n° 07-02158
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tessier, Assurances Générales de France Iart (SA)
Défendeur :
Legavre, Corvaisier, Suravenir Assurances (SA), Mutuelle Du Mans Assurances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vannier
Conseillers :
Mme Le Brun, M. Adam
Avoués :
SCP Gautier-Lhermitte, SCP Jacqueline Brebion Et Jean-David Chaudet, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet, SCP D'Aboville, De Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec
Avocats :
Mes Grenard, Potiron, Brouillet, Sinquin
I - Exposé du litige :
En 1979, Madame Jocelyne Raux a fait construire une maison à Saint Gondran (35), avec une structure bois doublée intérieurement de placoplâtre, isolation laine de verre et extérieur crépi. Des extensions ont été réalisées en 1981 et 1984. En 1989, elle a fait installer une cheminée en pierres de granit avec foyer fermé métallique et porte vitrée en façade. Monsieur Garnier a assuré la fourniture et la pose du fermé, ainsi que la construction de l'habillage en pierres de granit du foyer constituant la cheminée, dont Monsieur Corvaisier a assuré la construction du raccordement par un conduit de boisseaux venant s'adapter sur un conduit métallique et cylindrique préexistant, s'arrêtant au-dessus du plafond du séjour. Monsieur Corvaisier a également posé la hotte de cheminée à parois de briques plâtrières revêtues de plâtre et pourvue de deux grilles d'aération.
Le 12/09/1996, Madame Raux a loué cette maison à son neveu, Monsieur Sébastien Legavre. Dans la nuit du 14 au 15 janvier 2003, un incendie est survenu dans la cheminée et s'est étendu aux pièces de la maison qui a été presque entièrement détruite.
Monsieur Olivier a été nommé en qualité d'expert par ordonnance de référé du 14 mai 2003. Il a déposé son rapport le 1er septembre 2004, concluant à l'existence de nombreux désordres affectant la réalisation du conduit de cheminée.
Par acte d'huissier du 18 mars 2005, Madame Raux et la compagnie d'assurance AGF-IART ont assigné Monsieur Corvaisier sur le fondement des articles L. 122-2 du Code de la consommation et 1147 du Code civil, en réparation de leur préjudice. Par conclusions du 29 septembre 2005, Monsieur Sébastien Legavre et la compagnie Suravenir Assurances sont intervenus volontairement à l'instance, pour obtenir de Monsieur Corvaisier ou de sa compagnie d'assurance, l'indemnisation des préjudices subis, sur le fondement de l'article 1733 du Code civil.
Par acte d'huissier du 6 janvier 2001, Monsieur Corvaisier a assigné la société Mutuelles du Mans Assurances afin qu'elle le garantisse de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre
Par jugement rendu le 27 février 2007, le Tribunal de grande instance de Rennes a :
- Vu les articles 1733, 1792 et 2270 du Code civil ;
- Déclaré l'action de Madame Raux et de la compagnie d'assurances AGF IART irrecevable car prescrite ;
- Déclaré Monsieur Corvaisier responsable du préjudice subi par Monsieur Legavre ;
- Condamné Monsieur Corvaisier à verser à la compagnie Suravenir Assurances, subrogé dans les droits de Monsieur Legavre, la somme de 6 010,82 euro en réparation du préjudice subi par celui-ci ;
- Débouté les parties de leurs autres demandes ;
- Condamné Monsieur Corvaisier aux dépens qui comprendront les frais de l'expertise de Monsieur Olivier.
Madame Jocelyne Raux née Tessier et la SA Assurances Générales de France IART ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 4 avril 2007, à l'encontre de Monsieur Joseph Corvaisier et de la Mutuelle du Mans Assurances IARD.
Par actes des 18 et 26 juin 2007, enrôlés le 4 juillet 2007, Monsieur Joseph Corvaisier a reporté l'appel à l'encontre de Monsieur Sébastien Legavre et de la compagnie Suravenir Assurances.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées :
- le 29 novembre 2007, pour la SA Suravenir Assurances et Monsieur Sébastien Legavre ;
- le 17 décembre 2007, pour la SA Mutuelles du Mans Assurances ;
- le 29 octobre 2008, pour Madame Jocelyne Raux née Tessier et la SA Assurances Générales de France IART ;
- le 3 novembre 2008, pour Monsieur Joseph Corvaisier.
L'ordonnance de clôture a été rende le 25 novembre 2008.
II - Motifs :
Madame Raux et son assureur soutiennent à titre principal que la prestation de Monsieur Corvaisier ne peut être qualifiée d'ouvrage et qu'il doit répondre de la non-conformité de ses travaux, sur le fondement des articles 1147 du Code civil et L. 221-1 du Code de la consommation, au bénéfice de la prescription trentenaire. Ils font valoir, à titre subsidiaire, le bien-fondé de leur action sur le fondement de l'article 1447 du Code civil, en présence d'une faute dolosive, en arguant d'une violation délibérée par Monsieur Corvaisier de ses obligations contractuelles. Madame Raux fixe la réparation de son préjudice à 69.305,73 euro au titre de la reconstruction et 714,10 euro au titre du préjudice mobilier, outre 13.908 euro au titre du préjudice locatif. La compagnie AGF-IART réclame paiement d'une somme de 73.354,75 euro et 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur Corvaisier revendique la qualification d'ouvrage pour ses travaux de raccordement du conduit de cheminée et il fait valoir en tout état de cause la prescription décennale prévue par l'article 2270 du Code civil. Il conteste toute faute dolosive de nature à écarter cette prescription décennale. Et il conteste également le lien de causalité entre les fautes alléguées et le sinistre dont il impute la responsabilité à Monsieur Legavre, l'exonérant de sa responsabilité et justifiant de le débouter de ses demandes. Il réclame une somme de 5 000 euro en réparation de son préjudice moral, outre 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Monsieur Legavre conteste toute responsabilité dans le sinistre du fait d'un défaut d'entretien ou d'un usage inapproprié de la cheminée. Il argue des constatations de l'expert permettant d'imputer sans conteste cette responsabilité à Monsieur Corvaisier. Il réclame sur appel incident la réparation de son préjudice de jouissance à hauteur de 10 000 euro, tandis que la compagnie Suravenir réclame confirmation du remboursement de la somme de 6 010,82 euro versée à Monsieur Legavre.
La SA Mutuelles du Mans constate qu'aucune demande n'est formée à son encontre et elle réclame 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à l'encontre de la ou les partie(s) succombante(s).
Sur la responsabilité de Monsieur Corvaisier :
L'expert a décrit les travaux réalisés par Monsieur Corvaisier, s'agissant du raccordement du foyer fermé sur le conduit métallique et cylindrique de 1979, situé à la verticale dans le comble et s'arrêtant au-dessus du plafond du séjour. Ce raccordement a été fait par un conduit carré de boisseaux de terre suite s'appuyant sur la partie carrée métallique supérieure du foyer et montant droit pour être relié au carré de l'extrémité inférieure du conduit métallique du comble. Pour ce faire Monsieur Corvaisier a découpé le plafond et une partie de la poutre de bois côté pignon pour pouvoir passer le conduit carré de boisseaux. La partie supérieure de la cheminée du séjour a été fermée par Monsieur Corvaisier, par une hotte à parois de briques plâtrières revêtues de plâtre et comportant deux grilles d'évacuation d'air chaud sur les deux côtés pour le chauffage du séjour.
Monsieur Olivier a constaté un écart au feu insuffisant entre la paroi intérieure du conduit et le parement bois le plus rapproché, s'agissant d'une solive située à 8 cm au lieu des 16 cm ordonnés par le DTU 21.1 de mars 1976. Il a situé à cet endroit le point de départ de l'incendie qui s'est propagé dans une grande partie de la maison en passant dans le plancher léger du comble de la partie ancienne de la maison et dans les parties basses bois de la charpente triangulée, le papier kraft de l'isolation laine de verre et les câbles électriques ayant fait office de mèche jusqu'au tableau électrique où convergent tous les câbles de la maison.
L'expert a précisé que le locataire, Monsieur Legavre, faisait régulièrement procéder au ramonage de la cheminée, avant chaque période annuelle de chauffe et en particulier pour le dernier hiver, le 25 novembre 2002.
L'expert a conclu que le point de départ du feu est situé au niveau des bois et solives entourant le conduit de cheminée dans sa traversée du plafond du séjour et du plancher léger du comble. Il a identifié les causes de l'incendie comme provenant de manière évidente des nombreuses non conformités de ce conduit et de sa construction par rapport aux normes fixées par le DTU fumisterie 24.1 de 1976 et celles imposées par le DTU 32.1 concernant les ouvrages dans les maisons à structure bois. Il a estimé que Monsieur Corvaisier aurait dû appliquer strictement les prescriptions de ces deux DTU, en prenant en compte notamment l'état de la structure de la maison derrière la paroi d'adossement de la cheminée et au niveau de la traversée du plafond, nécessitant une isolation laine de roche sur toute la hauteur du séjour et un mur de maçonnerie derrière le foyer, outre une plaque d'écart au feu dans la traversée du plancher. Et il a retenu sa responsabilité pour n'avoir pas respecté les règles d'écart au feu avec les structures bois existantes et celles de raccordement d'un conduit de boisseaux carrés sur un conduit cylindrique par une transformation tronconique, ce qui a provoqué une aspérité génératrice de dépôts de suies et de goudron sous le bourrelet du joint qui ne pouvaient être éliminés par un hérisson de ramonage.
L'expert a précisé que l'usage de ce foyer fermé comme moyen de chauffage principal de la maison ne pouvait être reproché au locataire, dans l'ignorance de la non-conformité de l'installation aux normes de sécurité et en assurant un entretien régulier de cet équipement.
De ces éléments il ressort que Monsieur Corvaisier s'est engagé dans des travaux de plâtrerie-maçonnerie pour la réalisation de la cheminée de Madame Raux, en installant un conduit de boisseaux qu'il a raccordé au conduit cylindrique métallique préexistant et en assurant l'habillage en briques de la partie supérieure de la cheminée. Il a dû découper le plafond du séjour et plancher des combles ainsi qu'une partie de la solive en bois côté pignon, pour faire passer le conduit de boisseaux qu'il a installé sans respecter l'écart au feu de 16 cm, en ignorant par ailleurs les normes d'isolation des DTU, bien qu'ayant dû constater la présence des bois proches du conduit ainsi que la nature et la disposition de la structure bois de la construction d'origine. Monsieur Corvaisier a de surcroît mal raccordé ce conduit de boisseaux au conduit cylindrique préexistant.
Ces travaux ressortent de la responsabilité décennale du constructeur, qui constituent un ouvrage en ce qu'ils ont été réalisés en faisant appel à des techniques de bâtiment, prévue par l'article 1792 du Code civil. Les malfaçons affectant ces travaux sont à l'origine des dommages subis par Madame Raux dont l'action se heurte à la prescription édictée par l'article 2270 ancien du Code civil.
L'article L. 221-1 du Code de la consommation est inopérant en matière de travaux de construction. Et les dommages qui relèvent d'une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes tenues à garantie, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle prévue par l'article 1147 du Code civil.
Madame Raux invoque la faute dolosive de Monsieur Corvaisier dans l'exécution de son contrat, pour avoir violé de manière délibérée et consciente ses obligations contractuelles, même sans intention de nuire. Cependant, la seule constatation des non-conformités, même graves, reprochées à Monsieur Corvaisier ne suffit pas à caractériser sa volonté délibérée et consciente de méconnaître les normes constructives au détriment de Madame Raux.
Pour ces motifs et ceux non contraires du jugement déféré il convient de le confirmer en ce qu'il a rejeté les demandes de Madame Raux et de son assureur AGF-IART.
Sur la responsabilité de Monsieur Legavre :
Selon l'article 1733 du Code civil, le preneur à bail répond de l'incendie du bien dont il est locataire, à moins qu'il ne prouve que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction, ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
Il ressort des constations de l'expert analysées ci-dessus, que l'incendie trouve sa cause dans le vice de construction de la cheminée dont Monsieur Legavre a fait un usage intensif mais pas anormal, même en période nocturne, en bénéficiant en principe de la sécurité d'un foyer fermé, étant observé qu'il en assurait un entretien régulier, notamment par un ramonage annuel. Les réactions de la compagne de Monsieur Legavre, pour donner l'alerte et mettre l'enfant en sécurité, ne sont pas à l'origine du sinistre dont la propagation a été favorisée par les données constructives de l'immeuble que Monsieur Corvaisier avait ignorées.
Les fautes de Monsieur Corvaisier sont à l'origine du sinistre ayant occasionné à Monsieur Legavre un préjudice matériel constitué des dommages à ses biens mobiliers et du recours nécessaire à des sociétés de nettoyage et de gardiennage dont son assureur réclame à juste titre réparation, au titre de la subrogation. Monsieur Corvaisier réclame, par ailleurs, l'indemnisation de son préjudice de jouissance, en faisant valoir qu'il a été obligé de se reloger avec sa famille d'abord chez sa mère, puis dans un logement de moindre superficie. La maison devant être réhabilitée pour la fin de l'année 2005, il réclame une indemnité de 10 000 euro pour la restriction de ses conditions de vie pendant 3 ans.
Le relogement imposé à Monsieur Legavre par l'incendie de la maison qu'il occupait avec sa famille, lui a manifestement occasionné un préjudice de jouissance que la cour évalue à 2 000 euro, réformant en ce sens le jugement déféré.
Sur les dommages-intérêts :
Il n'est pas établi d'abus imputable à l'une ou l'autre des parties dans l'exercice de ses droits.
Monsieur Corvaisier a été débouté à juste titre de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts.
Sur les frais et dépens :
Il convient de confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les frais et dépens et l'article 700 du Code de procédure civile.
Madame Raux née Tessier qui succombe au principal sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à Monsieur Corvaisier la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dont il n'y a pas lieu de faire application au bénéfice de la SA Mutuelles du Mans Assurances.
Monsieur Corvaisier qui succombe en son appel incident sera condamné à payer à Monsieur Legavre et son assureur la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR : Réforme le jugement déféré sur la demande de Monsieur Legavre ; Condamne Monsieur Joseph Corvaisier à payer à Monsieur Sébastien Legavre la somme de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice de jouissance ; Confirme pour le surplus les dispositions du jugement déféré ; Y ajoutant Condamne Madame Jocelyne Raux née Tessier à payer à Monsieur Joseph Corvaisier la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne Monsieur Joseph Corvaisier à payer à Monsieur Sébastien Legavre et Suravenir Assurances la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la SA Mutuelles du Mans Assurances de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Madame Jocelyne Raux née Tessier aux dépens d'appel, recouvrés au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.