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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 13 janvier 2012, n° 07-03115

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

P. Holding France (Sté), Caisse Primaire d'Assurances Maladie des Yvelines

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bichard

Conseillers :

Mmes Marion, Guilguet-Pauthe

TGI Paris, du 10 févr. 2003

10 février 2003

Vu l'action en responsabilité intentée par les époux L, ès qualités de représentants légaux de leur fils Alexandre, né le 1er novembre 1988, présentant une infirmité motrice cérébrale, à l'encontre de la société Pharmacia, producteur du Rhéomacrodex, du docteur S, médecin anesthésiste, assuré par la société MACSF, du docteur T P V, médecin gynécologue et du liquidateur de la clinique Domont, assurée par la société Generali Iard, venant aux droits de la société Concorde.

Vu l'expertise médicale du 18 mars 1998, ordonnée par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris et réalisée par les docteurs S, B, R et R.

Vu l'ordonnance rendue le 4 décembre 2001 par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Paris qui a :

- rejeté la demande de la société Pharmacia, tendant à la désignation d'un expert en périnatalogie,

- constaté l'extinction de l'instance engagée contre le docteur T P V du fait du désistement à son égard des époux L

Vu le jugement rendu le 10 février 2003 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a :

- écarté des débats les extraits d'articles en langue anglaise communiqués par la société Pharmacia sans traduction certifiée conforme,

- déclaré le époux L et la CPAM des Yvelines mal fondés en leurs demandes et les en a déboutés,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement, ni à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné les époux L aux dépens y compris les frais d'expertise.

Vu l'appel relevé par les époux L le 17 mars 2003.

Vu l'ordonnance de retrait du rôle rendue le 15 avril 2005 et la réinscription de l'affaire le 20 février 2007 au rôle de la cour.

Vu l'arrêt rendu le 6 mars 2009 par cette cour qui a :

- reçu M. Alexandre L et Mme L, en qualité de curatrice de celui-ci, en leur intervention volontaire,

- confirmé le jugement en ce qu'il a débouté les époux L et la CPAM des Yvelines en leurs demandes à l'encontre du docteur S, de la société MACSF, de la clinique de Domont et de la société Generali Iard,

- avant-dire droit sur les demandes dirigées à l'encontre de la société P. Holding France, venant aux droits de la société Pharmacia :

* invité les parties à conclure, outre sur la faute de cette société, au vu des exigences posées par la directive 85-374-CEE du 25 juillet 1985, ainsi que, le cas échéant, sur la recevabilité de la demande des époux L en tenant compte de la date de consolidation de l'enfant,

- ordonné un complément d'expertise de M. Alexandre L et désigné à cette fin le docteur Marcel V,

- débouté la société Generali Iard de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile,

- laissé au docteur S, à la société MACSF et à la société Generali Iard la charge de leurs dépens,

- réservé les demandes formées par les consorts L (et non pas S comme mentionné par erreur) et la CPAM des Yvelines au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des autres dépens.

Vu l'expertise médicale déposée le 19 juillet 2010.

Vu les dernières conclusions déposées le :

- 2 février 2011 par les consorts L,

- 6 octobre 2011 par la CPAM des Yvelines,

- le 11 octobre 2011 par la société P. Holding France.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 13 octobre 2011.

SUR QUOI LA COUR

Considérant que les circonstances de la cause ont été rappelées dans l'arrêt rendu par cette cour le 6 mars 2009 auquel il convient en conséquence de se référer ;

Considérant dès lors qu'il n'est pas contesté que la date de consolidation de l'état de M. Alexandre L soit fixée au mois de novembre 2006, la prescription de l'article 2270 du Code Civil ne peut en tout état de cause être efficacement opposée aux époux L, agissant en leur nom personnel ;

Considérant que le rapport d'expertise déposé par le professeur V et les deux sapiteurs mentionne sur le plan de la discussion obstétricale :

"(...) Il existe une bradycardie et elle est de courte durée. (...) Pour nous, cette bradycardie de courte durée et isolée est banale en cours de travail et ne peut en aucun cas à elle seule expliquer les lésions cérébrales d'ischémie-hypoxémie présentées par Alexandre L

Deux autres remarques au sujet du tracé :

- même si c'est très probable, nous n'avons pas la certitude absolue que le moment de la bradycardie correspond au moment de la perfusion de Rhéomacrodex.

- nous n'avons pas les 48 (ou 35) dernières minutes du tracé (...).

Le premier article français sur le sujet sera une enquête officielle de la Pharmacovigilance en France réalisée début 1989 et publiée en septembre 1989 qui retrouvera 18 décès néonataux et 7 cas de séquelles neurologique avec le Dextrans (et un décès maternel).

Cette pathologie et ses risques étaient donc inconnus dans la pratique médicale courante en 1988 lors de l'accouchement de Mme L (...).

Nous n'avons pas de documents authentifiant une réaction fœtale importante en rapport avec la perfusion de Rhéomacrodex. Même si la bradycardie documentée sur le tracé du RCF est en rapport avec la période de réaction maternelle, elle ne peut en aucun cas être la cause d'une souffrance fœtale responsable de l'état actuel de l'enfant.

Nous ne savons pas quel a été l'aspect du RCF entre la fin du tracé et la naissance mais nous pouvons dire que si la courte bradycardie est en rapport avec la réaction maternelle, l'état maternel s'est ensuite rapidement amélioré et l'on ne voit pas pourquoi une réaction fœtale avec le Rhéomacrodex aurait été retardée par rapport au moment de l'événement."

Que sur le plan de la discussion anesthésique il est indiqué :

"Une revue exhaustive de la littérature française et internationale au moment des faits soit en 1988 montre qu'à cette époque le Rhéomacrodex faisait partie des produits utilisables pour contrebalancer la baisse de la pression artérielle lors de l'installation d'une analgésie péridurale lors de l'accouchement. Cette possibilité d'utilisation apparaissait dans les indications du produit inscrites dans les pages du dictionnaire Vidal.

Le premier article français sur le sujet sera une enquête officielle de Pharmacovigilance en France réalisée début 1989 et publiée en septembre 1989 (...).

Cette étude rétrospective diligentée début 1989 colligera 18 décès néonataux et 7 cas de séquelles neurologiques avec le Dextrans (et un décès maternel) (...).

Ces signalements et les résultats de l'étude de pharmacovigilance de 1989 conduiront le Ministère de la Santé à contre indiquer l'utilisation du Rhéomacrodex le 23 août 1989 (...)".

Une réaction de type anaphylactoïde maternelle lors du début de la perfusion de Rhéomacrodex est absolument et indiscutablement certaine dans ce dossier. Cette réaction semble s'être accompagnée d'effets maternels modérés et très rapidement contrôlés dans la mesure où nous ne disposons pas d'arguments en faveur d'une baisse de la pression artérielle maternelle de longue durée.

L'expérience montre que ce n'est pas l'intensité de la baisse tensionnelle maternelle qui est délétère pour le fœtus mais sa durée dans le temps.

Nous n'avons pas de document authentifiant une réaction fœtale importante en rapport avec la perfusion de Rhéomacrodex. Même si la bradycardie documentée sur le tracé du RCF est en rapport avec la période de réaction maternelle, elle ne peut en aucun cas être la cause d'une souffrance fœtale responsable de l'état actuel de l'enfant.

Nous ne savons pas quel a été l'aspect du RCF entre la fin du tracé et la naissance mais nous pouvons dire que si la courte bradycardie est en rapport avec la réaction maternelle, l'état maternel s'est ensuite rapidement amélioré et l'on ne voit pas pourquoi une réaction foetale en rapport avec le Rhéomacrodex aurait été retardée par rapport au moment de l'événement." ;

Considérant que les conclusions expertales sont les suivantes :

"Il n'y a pas dans ce dossier d'arguments en faveur d'une souffrance foetale aiguë (SFA) per partum d'Alexandre L susceptible d'expliquer les lésions d'ischémie-hypoxémie cérébrale dont il est atteint.

Il n'y a pas dans ce dossier d'argument pour établir un lien entre le Rhéomacrodex et une SFA per partum et les lésions d'ischémie-hypoxémie cérébrale d'Alexandre L, il n'y a pas a fortiori un lien direct certain et unique.

Le fait qu'il y ait eu de façon certaine des SFA à cause du Rhéomacrodex, ne permet pas de dire qu'en cas de perfusion per partum de Rhéomacrodex il y a obligatoirement SFA, ni qu'en cas de perfusion per partum de Rhéomacrodex, toutes les SFA observées et/ou toutes les lésions cérébrales d'ischémie-hypoxémie observées, sont dues au Rhéomacrodex, même si la coïncidence est évidemment troublante.

Il n'y a pas dans ce dossier d'argument en faveur d'une ischémie-hypoxémie ante-natale, nipost-natale, à l'origine des lésions cérébrales dont est affecté Alexandre L" ;

Considérant que la responsabilité du producteur d'un produit peut être recherchée sur le fondement de la faute commise par celui-ci, sous réserve d'apporter la preuve d'une telle faute et de son lien de causalité avec le dommage devant être, au moins pour partie, imputable à l'administration du produit ;

que cependant c'est par des motifs appropriés que la cour adopte et dont la pertinence est corroborée par les constatations et conclusions qui viennent d'être rapportées, de l'expert V. et des deux sapiteurs, que le tribunal a retenu qu'il n'est pas établi que la société P. Holding France, venant aux droits de la société Pharmacia aurait eu connaissance, avant le 1.11.1988, des risques de souffrance néonatale liées à l'utilisation du Rhéomacrodex lors de l'accouchement ;

Considérant par ailleurs que la responsabilité du producteur peut être également engagée sur le fondement d'un manquement à son obligation de sécurité de résultat, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ;

qu'eu égard à la date de mise en circulation du Rhéomacrodex, la cour dans son arrêt du 6 mars 2009 a expressément invité les parties de conclure au vu des exigences posées par la directive 85-374-CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux qui dispose que la responsabilité du producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage et qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte-tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation dudit produit, de son usage qui peut être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ;

que si la victime n'est alors pas contrainte de prouver l'existence d'une faute, elle doit néanmoins prouver, outre le fait que le dommage est lié à l'administration du produit, que celui-ci présente un défaut ;

que tout produit de santé comportant nécessairement une part de risque, la survenance d'effets indésirables ne suffit pas à établir l'existence d'un défaut ;

que le défaut peut être notamment caractérisé par une inversion du rapport bénéfices-risques ou encore par des lacunes dans sa présentation et donc dans l'information le concernant ;

que les preuves mises à la charge du demandeur peuvent être rapportées par tous moyens et notamment par présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes ;

que cependant les différents éléments conditionnant la responsabilité du producteur ne peuvent être présumés ;

que si la directive a prévu dans le cas où l'existence d'un défaut est établie que le producteur pouvait s'exonérer de sa responsabilité en prouvant que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis ledit produit en circulation sur le marché, ne lui a pas permis de déceler l'existence de ce défaut, elle a laissé aux Etats membres la faculté d'introduire ou non dans leur législation interne cette exonération pour risque de développement ; que dès lors le droit interne ne peut, en l'absence de transposition et d'option prise par le législateur français, être interprété à la lumière de la disposition prévoyant ce cas d'exonération qui ne peut dès lors être utilement invoqué par le producteur d'un médicament défectueux ;

qu'enfin l'article L. 221-1 du Code de la consommation n'est pas applicable aux médicaments relevant selon l'article L. 221-8 de ce même Code d'une réglementation spécifique prévue par le Code de la santé publique ;

Considérant que le professeur V et les deux sapiteurs indiquent n'avoir pas "la certitude absolue que le moment de la bradycardie correspond au moment de la perfusion de Rhéomacrodex", "même si c'est très probable", précisant par ailleurs que la bradycardie a été de courte durée et isolée, qu'elle est banale en cours de travail et que même si elle "est en rapport avec la période de réaction maternelle, elle ne peut en aucun cas être la cause d'une souffrance foetale responsable de l'état actuel de l'enfant" ;

qu'ils concluent donc à l'absence d'argument en faveur d'une souffrance fœtale aigüe per partum susceptible d'expliquer les lésions cérébrales d'ischémie-hypoxémie ;

qu'ils excluent expressément la corrélation directe et certaine entre les souffrances fœtales de l'enfant et l'administration à sa mère du Rhéomacrodex; que les premiers experts ne l'ont estimée que comme vraisemblable et que les conclusions du rapport établi par le docteur Patrick B-H à la demande des consorts L, fortement contestées par la société P. Holding France, ne reposent sur aucune démonstration technique pertinente mais essentiellement sur le seul rappel de l'existence d'accidents de ce type , alors que le professeur V conclut que le fait qu'il y ait eu de façon certaine des SFA à cause du Rhémacrodex, ne permet pas de dire qu'en cas de perfusion per partum de ce produit, il y a obligatoirement SFA, ni qu'en cas de perfusion per partum de celui-ci, toutes les SFA et/ou toutes les lésions cérébrales d'ischémie-hypoxémie observées sont dues au Rhéomacrodex, même si la coïncidence reste troublante ;

que le professeur V rappelle également l'absence de document authentifiant une réaction foetale importante en rapport avec la perfusion de Rhéomacrodex et indique que même si la bradycardie documentée sur le tracé du RCF est en rapport avec la période de réaction maternelle au produit, elle ne peut en aucun cas être la cause d'une souffrance fœtale responsable de l'état actuel de l'enfant, précisant que l'état maternel s'est rapidement amélioré et "que l'on ne voit pas pourquoi une réaction fœtale en rapport avec le Rhéomacrodex aurait été retardée par rapport au moment de l'événement" ;

Considérant que même dans l'hypothèse où une telle corrélation pourrait, en l'absence d'autres causes possibles, être envisagée, il incombe aux consorts L de prouver le défaut du produit et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage survenu ;

qu'en l'état des conclusions de l'expert V et des deux sapiteurs qui affirment l'absence d'argument en faveur d'une souffrance fœtale aigüe per partum susceptible d'expliquer les lésions cérébrales d'ischémie-hypoxémie et qui indiquent par ailleurs que le fait qu'il y ait eu de façon certaine des souffrances fœtales aigues à cause du Rhémacrodex, ne permet pas de dire qu'en cas de perfusion per partum de ce produit toutes les SFA et/ou toutes les lésions cérébrales d'ischémie-hypoxémie observées sont dues à celui-ci, le seul rappel, outre celui de M. Alexandre L, de 7 cas de séquelles neurologiques et de 18 cas de décès néonatals inventoriés dans l'étude rétrospective conduite en 1989, est insuffisant en lui-même pour caractériser le danger particulièrement excessif du Rhémacrodex alors que tout produit médical présente une part de risque et qu'au jour des faits son utilisation apparaissait dans les indications inscrites dans le dictionnaire Vidal ;

que la défectuosité du produit en cause ne peut être ainsi retenue ;

Considérant que les consorts L et la CPAM des Yvelines seront donc déboutées de toutes leurs demandes, étant observé qu'en l'état des conclusions claires et pertinentes du professeur V, le recours à une nouvelle mesure d'expertise apparaît inutile ;

que l'équité ne commande pas d'accueillir les prétentions émises par les parties sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Déclare les époux Jean-Luc L, agissant à titre personnel, recevables en leur intervention à titre volontaire. Confirme le jugement déféré. Condamne les époux Jean-Luc L, et Mme Laurence L ès qualités de curatrice de M. Alexandre L aux dépens, en compris les frais d'expertise, dont distraction au profit de la SCP M D'A et de Maître H, avoués à la cour, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.