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Décisions

CA Douai, 3e ch., 7 mars 2002, n° 99-04879

DOUAI

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chaillet

Conseillers :

Mme Lagrange, M. Cagnard

Avoués :

Mes Masurel-Thery, Le Marc'hadour-Pouille Groulez, Levasseur-Castille-Lambert

Avocats :

Mes Planque, Dubois, Vandermaesen

TGI Douai, du 29 juin 1999

29 juin 1999

I EXPOSE DU LITIGE :

Patrick X est appelant du jugement rendu le 29 juin 1999 par le Tribunal de grande instance de Douai, auquel la cour se réfère pour l'exposé des faits, procédures, prétentions et moyens des parties repris de manière identique en appel, qui l'a déclaré recevable mais l'a débouté de ses demandes d'indemnisation des conséquences dommageables de la chute dont il a été victime le 25 septembre 1993, ainsi que la C, et l'a condamné à restituer aux sociétés O et E la provision de 20 000 F (3 048,98 euros) versée, à hauteur pour chacune de ce qu'elles justifient avoir payé. Patrick X demande à la cour d'infirmer ce jugement, de déclarer les sociétés O et E conjointement responsables et tenues de réparer solidairement les préjudices qu'il subit, et de les condamner à lui payer :

- 475 203,88 F (72 444,36 euros) au titre du préjudice soumis à recours après déduction des débours de la C de 168 223,73 F (25 645,54 euros),

- 150 000,00 F (22 867,35 euros) au titre du préjudice personnel,

- 21 903,98 F (3 339,24 euros) au titre des frais annexes,

- 1 038,00 F (158,24 euros) en remboursement de l'échelle,

- 15 000,00 F (2 286,73 euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il soutient, en se référant au rapport de l'expert judiciaire Z, que la responsabilité des sociétés venderesse et fabricante de l'échelle en cause est établie au regard de leur obligation de livrer des produits exempts de tout défaut de nature à créer un danger pour les personnes, constituant une obligation contractuelle de sécurité.

La C sollicite le remboursement, à charge de qui de droit, de ses débours à hauteur de la somme de 168 223,73 F (25 645,54 euros).

La SA O, venderesse, conclut à la confirmation du jugement et sollicite la cour en conséquence de déclarer Patrick X irrecevable ou en tous cas mal fondé en ses demandes et de l'en débouter ; à titre subsidiaire elle entend être garantie par la SA E.

Elle fait valoir que sa responsabilité ne peut être recherchée que sur le fondement de l'article 1641 du Code civil et que Patrick X n'a pas agi à bref délai, que les dispositions de la loi du 19 mai 1998 sur la responsabilité du fait des produits défectueux ne sont pas applicables, et qu'aucun défaut de la chose n'est démontré en l'espèce.

La SA E, fabricante, demande à la cour de débouter l'appelant de son appel comme mal fondé, de :

- confirmer le jugement dont appel et dire qu'il sortira son plein et entier effet, et notamment,

- constater, dire et juger qu'aucune preuve de l'existence d'un vice quelconque affectant l'échelle fabriquée par assemblage et vendue par la société E à la société O et utilisée par Monsieur X n'est, en l'état, établie, et constater qu'aucune faute dans l'exercice de son activité de constructeur n'est imputable à la société E,

- constater, dire et juger que Monsieur X, artisan, a utilisé l'échelle sans respecter les préconisations du constructeur quant à son inclinaison, et par conséquent, n'en a point fait une utilisation normale,

- dire et juger, en conséquence, Monsieur X mal fondé à rechercher directement la responsabilité de la société E, et la société O la garantie de celle-là,

- condamner, en conséquence, Monsieur X et/ou la société O à restituer à la société E, les sommes qu'elle a avancées en vertu des ordonnances de consignation et spontanément (par le canal de son assureur) au titre de l'exécution de l'expertise technique confiée à Monsieur Z,

- les condamner de même à restituer à la société E la somme de 10 000 F versée en vertu de l'ordonnance provisionnelle du juge de la mise en état, - les débouter de toutes autres demandes plus amples ou contraires dirigées contre elle,

- condamner Monsieur X et/ou la société O en tous les frais et dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués Levasseur Castille Lambert, à titre infiniment subsidiaire, et si la responsabilité de la société E devait être, en définitive, retenue, même partiellement,

- réduire les prétentions excessives du demandeur,

- dire n'y avoir lieu à garantie même partielle à l'égard d'O,

- statuer ce que de droit quant aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP d'avoués Levasseur Castille Lambert, fondés à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

II - MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la recevabilité

C'est à bon droit que le tribunal, relevant que Patrick X agissait contre le vendeur et le fabricant de l'échelle prétendument défectueuse sur le fondement de leur obligation contractuelle de sécurité, reprise en appel au regard d'un arrêt rendu par la première chambre de la Cour de cassation le 15 octobre 1996, et de la directive européenne du 25 juillet 1985, a jugé que cette action, tirée des dispositions de l'article 1147 du Code civil, n'était pas soumise au bref délai imparti par l'article 1648 du Code civil se rapportant à la garantie des vices cachés, non recherchée en l'espèce et dont elle est indépendante. La recevabilité de la demande doit donc être confirmée.

Sur le fond

Si les dispositions de la loi du 19 mai 1998, codifiées sous les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil ne sont pas applicables en l'espèce, s'agissant d'une échelle achetée en octobre 1991, comme le rappelle exactement O, il n'en demeure pas moins qu'en application de l'article 1147 du Code civil, et de la directive européenne du 25 juillet 1985, pèse sur le vendeur et le fabricant de l'échelle, dont personne ne conteste qu'elle s'est pliée le 25 septembre 1999) et qu'ainsi elle est à l'origine de la chute de Patrick X et des dommages qu'il subit, une obligation de sécurité de résultat qui consiste à ne livrer que des produits exempts de tout vice ou de tout défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou pour les biens, c'est-à-dire un produit qui offre la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, même pour un utilisateur professionnel comme Patrick X, artisan couvreur, habitué à se servir d'une échelle.

Il est indifférent à cet égard de savoir si l'échelle en cause était une échelle de type "loisir 120 kg" ou de type "professionnel 150 kg", l'obligation de sécurité étant en tout état de cause la même.

Il appartient cependant à Patrick X d'établir le défaut de l'échelle qui portait atteinte à la sécurité dans les termes ci-dessus énoncés. Or le tribunal, en reprenant exactement les éléments techniques décrits par l'expert, et les conclusions de celui-ci, après la discussion qu'il en a faite, a, par des motifs pertinents adoptés, constaté que l'expert n'avait retrouvé aucune anomalie ou défaut métallurgique flagrant, ni décelé aucun vice de fabrication, et il en a à raison déduit que dans ces circonstances la responsabilité d'E et O ne pouvait être retenue. Certes l'expert avait souhaité lors de ses opérations pouvoir procéder à des analyses complémentaires, mais aucune des parties n'a accepté de les financer et aucune des parties, notamment Patrick X, n'a demandé au tribunal, qu'aujourd'hui à la cour, de les ordonner, de telle sorte qu'elles n'ont jamais été effectuées.

Patrick X n'est pas fondé à se référer pour soutenir sa demande à une autre expertise pratiquée par le même expert, Monsieur Z, mais dans une autre affaire, ayant abouti à l'indemnisation de la victime, par arrêt de la Cour d'appel d'Orléans du 10 septembre 2001, alors que le fabricant de l'échelle n'est pas le même.

Patrick X ne peut non plus s'appuyer sur les hypothèses évoquées par l'expert dans son rapport du 16 juin 1997 dès lors que celui-ci énonce qu'il s'agit seulement de probabilités sur lesquelles il ne peut être plus affirmatif en l'absence de calculs et recherches plus complets et approfondis. En outre E fait observer à raison que l'expert ne pouvait affirmer, sans autre explication ni discussion, qu'il n'avait pas décelé de traces d'utilisation anormale, alors qu'il ressortait de ses propres constatations (cf. figure 1 page 5 du rapport) que le pied de l'échelle était situé lors de l'accident à 1,40 m de la verticale du point de contact entre l'échelle et la gouttière et qu'il résultait des pièces mêmes produites par Patrick X que les conseils donnés par les constructeurs et vendeurs étaient de respecter une distance égale au 1/4 de la longueur d'appui de l'échelle déployée, ce qui, en l'espèce, pour une longueur de 3,96 m, représentait un écart de la verticale au maximum d'un mètre et non pas d'1,40 m, soit 40 % en plus. Un tel écart représente une anormalité suffisamment importante dans les conditions d'utilisation de l'échelle, ne pouvant de surcroît pas être ignorée par un professionnel, pour ne pas être en cause dans l'origine du sinistre, et ne pas nuire à la sécurité de l'utilisateur, indépendamment d'un vice de l'échelle, dont la preuve n'est ici pas rapportée.

En conséquence le jugement déféré mérite confirmation.

Les dépens seront supportés par l'appelant.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré, Condamne Patrick X aux dépens avec distraction au profit des avoués de la cause.