CA Metz, ch. com., 27 septembre 2012, n° 10/04124
METZ
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Milco (SAS)
Défendeur :
Jeca (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Staechele
Conseillers :
Mme Jauvion, Knaff
Avocats :
Mes Barre, Sarfaty, Bettenfeld
La SA Jeca était en relation commerciale avec la SAS Milco laquelle lui fournissait depuis 10 ans des produits alimentaires, notamment des pâtés, qu'elle vendait en Allemagne.
Les conditions commerciales particulières convenues entre les parties jusqu'en 2005 prévoyaient une remise de 39 % sur le tarif annuel, une ristourne complémentaire de 6 % sur le chiffre d'affaires HT ainsi que des participations de la SAS Milco à la promotion des produits, animations et catalogues effectués par la SA Jeca.
Par ordonnance de référé du 30 mai 2006, le Président du Tribunal de commerce de Saintes, qui s'est déclaré territorialement compétent, a condamné la SA Jeca à payer à la SAS Milco la somme provisionnelle de 158 869,47 euros, correspondant à des factures impayées pour un montant en principal de 157 214,38 euros, majoré des intérêts de retard pour 2005 et 2006, et celle de 1 000 euros en application de l'article 700 du CPC.
En exécution de cette ordonnance, la SA Jeca a réglé à la SAS Milco la somme totale de 159869,47 euros.
Par arrêt du 17 octobre 2007, la Cour d'appel de Poitiers, statuant sur l'appel formé par la SA Jeca à l'encontre de l'ordonnance de référé susvisée, a infirmé ladite décision du chef de la compétence, renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Metz et condamné la SAS Milco aux dépens des deux instances.
Par acte d'huissier délivré le 16 août 2006, la SAS Milco a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Saintes la SA Jeca aux fins d'obtenir la condamnation de la défenderesse au paiement, avec exécution provisoire, de la somme de 15 628,08 euros correspondant aux remises et ristournes annulées ainsi qu'aux remises à rembourser, avec intérêts au taux légal majoré de 1,5 point à compter du 4 mai 2006, et celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du CPC, outre les dépens.
Par jugement du 3 mai 2007, le Tribunal de commerce de Saintes s'est déclaré compétent, a dit qu'à défaut de contredit l'affaire sera réinscrite au rôle pour examen au fond et mis l'avance des dépens à la charge de la SAS Milco.
Par arrêt du 14 novembre 2007, la Cour d'appel de Poitiers a fait droit au contredit formé par la SA Jeca et renvoyé la cause devant le Tribunal de commerce de Sarreguemines, en condamnant par ailleurs la SAS Milco à payer à la SA Jeca la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du CPC et à supporter les dépens des deux instances.
Devant la chambre commerciale du TGI de Sarreguemines, la SAS Milco a sollicité la condamnation de la SA Jeca au paiement, avec exécution provisoire, de la somme de 209 034,94 euros, déduction faite de la somme de 158 868,47 euros, arrêtée au 30 septembre 2009, avec intérêts au taux légal appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de financement la plus récente majorée de 7 points de pourcentage à compter du 30 septembre 2009, et de celle de 10 000 euros en application de l'article 700 du CPC, dépens en sus.
La SA Jeca a conclu au débouté des demandes et, reconventionnellement, à la condamnation de la SAS Milco au paiement de la somme de 1 655 euros au titre du trop-perçu sur intérêts, de celle de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 1 500 euros en application de l'article 700 du CPC, outre les dépens.
Par jugement du 20 juillet 2010, la chambre commerciale du TGI de Sarreguemines a débouté les parties de leurs prétentions respectives, condamné la SAS Milco aux dépens et dit n'y avoir lieu ni à l'application de l'article 700 du CPC, ni au prononcé de l'exécution provisoire.
La SAS Milco a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée au greffe le 19 novembre 2010.
Par conclusions déposées le 24 juin 2011, la SAS Milco demande à cette cour de :
-condamner la SA Jeca à lui verser la somme de 154 024,96 euros arrêtée au 31 mars 2011 correspondant aux intérêts de retard dus sur les factures impayées, aux remises et ristournes annulées et aux intérêts de retard y afférents, ainsi qu'à la remise à rembourser et aux intérêts de retard correspondants ;
-juger que cette somme de 154 024,96 euros portera intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2011 ;
-rejeter les prétentions de la SA Jeca ;
-condamner en tout état de cause la SA Jeca aux dépens et au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du CPC.
Par conclusions récapitulatives déposées le 11 juillet 2011, la SA Jeca conclut à la confirmation du jugement entrepris sur le rejet de la demande principale et, formant appel incident sur le surplus, à la condamnation de la SAS Milco à lui verser la somme de 4 655 euros, dont 1 655 euros au titre du trop-perçu sur intérêts et 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Elle sollicite également la condamnation de la SAS Milco aux dépens et au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du CPC.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 janvier 2012.
Motifs de la décision
Sur la demande de remboursement des ristournes et remises
La SAS Milco réclame à la SA Jeca au titre du remboursement des ristournes et remises consenties la somme totale de 130 198,37 euros détaillée comme suit :
-principal : 128 902,61 euros,
-intérêts au taux légal 2005 : 24,06 euros,
-intérêts au taux légal jusqu'au 25 juin 2006 : 1 271,70 euros.
La SAS Milco se fonde sur la clause de ses conditions générales de vente stipulant que " le non-paiement d'une facture à son échéance fait automatiquement perdre le droit à ristournes ou remises correspondantes, ainsi qu'aux ristournes de fin d'année " et dont la SA Jeca conteste avoir eu connaissance.
Si l'article L. 441-6 du Code de commerce dispose en son alinéa 1er que " tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle ", il n'a nullement pour effet de rendre opposables à un cocontractant des conditions générales de vente qui n'auraient pas été portées à sa connaissance.
Il appartient donc à la SAS Milco de justifier de l'opposabilité de la clause relative à la suppression des remises et ristournes à la SA Jeca, étant observé que l'arrêt de la Cour d'appel de Poitiers du 14 novembre 2007, qui écarte l'application de la clause attributive de compétence territoriale, n'a pas autorité de chose jugée, la qualité des parties dans cette procédure n'étant pas identique à celle de la présente instance.
Or, la SAS Milco, qui soutient que les conditions générales de vente constituent la première page du tarif général adressé à tous ses clients, dont la SA Jeca, une fois par an au minimum, n'établit pas que ses conditions générales de vente étaient annexées au tarif général envoyé à la SA Jeca, fait contesté par cette dernière. En effet, l'attestation de Sylvie BARE, relatant qu'au moins une fois par an, la société Milco adresse à la société qui l'emploie son tarif général accompagné en recto de première page de leurs conditions générales de vente, ne permet pas de prouver que la SA Jeca a été destinataire d'un envoi identique.
La SAS Milco ne démontre pas davantage que les conditions générales de vente étaient annexées aux conditions particulières pour l'année 2005, dès lors que ces dernières ne font pas état de l'envoi en annexe des conditions générales de vente et ne contiennent aucune référence auxdites conditions.
Il sera également observé que les factures émises par la SAS Milco ne reproduisent pas la clause des conditions générales de vente relative à la suppression des remises et ristournes en cas de retard de paiement.
Par ailleurs, la circonstance que dans son courrier adressé le 11 janvier 2006 à la SA Jeca, la SAS Milco fasse référence aux conditions générales de vente autorisant des changements de tarif sans préavis ne permet pas d'en déduire une quelconque connaissance par la SA Jeca.
Dans ces conditions, la clause des conditions générales de vente sanctionnant le retard de paiement par la suppression des remises et ristournes n'est pas opposable à la SA Jeca, l'article L. 441-6 du Code de commerce ne prévoyant pas l'application de plein droit d'une telle clause.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de la SAS Milco au titre du remboursement des remises et ristournes.
Sur les pénalités de retard relatives aux factures impayées à leur échéance
La SAS Milco réclame la somme de 708,88 euros au titre du solde des intérêts de retard, au taux de 1,5 fois le taux d'intérêt légal, dus sur les factures impayées pour un montant de 157 214,38 euros et arrêtés au 25 juin 2006, déduction faite de la somme de 1 611,89 euros réglée par la SA Jeca au titre des intérêts de retard arrêtés au 4 mai 2006.
A la différence de la clause relative à la suppression des remises et ristournes, la clause des conditions générales de vente stipulant que " conformément aux dispositions de la loi n° 92-1442 du 31/12/1992, tout paiement au-delà de l'échéance entraîne une pénalité de retard égale à 1,5 fois le taux de l'intérêt légal " figure en petits caractères en bas à droite au recto des factures émises par la SAS Milco à l'égard de la SA Jeca.
Il n'y a toutefois pas lieu de s'interroger sur l'acceptation par la SA Jeca de ladite clause, dès lors qu'en tout état de cause, en application de l'article L. 441-6 du Code de commerce, les pénalités de retard pour non-paiement des factures sont dues de plein droit, sans rappel et sans avoir à être indiquées dans les conditions générales des contrats.
En l'occurrence, il est constant que les factures émises par la SAS Milco entre le 15 novembre 2005 et le 3 février 2006 ont été payées par la SA Jeca le 25 juin 2006, soit bien postérieurement à leur date d'échéance.
La SA Jeca ne peut faire échec à l'application des pénalités de retard en soutenant que le retard de paiement était légitimé par le litige entre les parties né de la rupture des relations commerciales consécutive à la modification des conditions particulières par la SAS Milco et refusée par la SA Jeca.
Il n'appartenait pas en effet à la SA Jeca de retenir le paiement des factures dans l'optique de compenser la somme ainsi due à la SAS Milco avec une créance éventuelle de dommages et intérêts résultant d'une rupture des relations contractuelles alléguée comme étant fautive.
La somme de 2 320,77 euros mise en compte par la SAS Milco au titre des intérêts de retard ayant courus du 1er janvier 2006 au 25 juin 2006 est justifiée par le calcul détaillé produit par la SAS Milco en pièce 17.
La SA Jeca ayant déjà réglé au titre des intérêts de retard de l'année 2006 une somme de 1 611,89 euros, correspondant aux intérêts de retard au 4 mai 2006, le solde dû par la SA Jeca au titre des intérêts de retard arrêtés au 25 juin 2006 s'élève donc à 708,88 euros.
Il convient dès lors d'infirmer le jugement entrepris sur le rejet de la demande principale et, statuant à nouveau dans cette limite, de condamner la SA Jeca à payer à la SAS Milco la somme de 708,88 euros au titre des intérêts de retard échus du 4 mai 2006 au 25 juin 2006, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2011.
De façon subséquente, la SA Jeca ne peut qu'être déboutée de sa demande tendant au remboursement des pénalités de retard réglées à la SAS Milco sur les factures impayées.
La décision déférée sera donc confirmée par substitution de motifs sur le débouté de ce chef de prétention de la SA Jeca.
Sur la demande de remboursement d'un montant de 5 184,64 euros
La SAS Milco fait valoir qu'elle a procédé deux fois au paiement de la facture n° 80004153 émise par la société Jeca d'un montant de 2 584,75 euros et correspondant à une remise pour le client Rewe, d'une part par le biais d'un chèque n° 329 du montant de ladite facture et, d'autre part, d'un chèque n° 363 de 3 780,05 euros incluant, avec une erreur de calcul de 0,70 euros, la facture Jeca n° 80004152 de 1 196 euros correspondant à un budget publicitaire.
La SAS Milco verse au soutien de sa prétention les factures susvisées d'un montant respectif de 2 584,75 euros et 1 196 euros ainsi que le justificatif de solde tiers représentant le compte Jeca dans la comptabilité de la SAS Milco révélant au 3 mai 2006 un solde débiteur de 2 584,05 euros avec la mention " Budget Paye 2 Fois " concernant le débit de 2 584,75 euros.
Ces pièces appuyées par l'attestation en date du 3 juin 2008 de Bernard Deranque, Président de la SAS Figecoma (société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes) selon laquelle l'extrait du compte fournisseur Jeca tiré de la comptabilité de la SAS Milco et laissant apparaître un solde débiteur de 2584,05 euros est conforme à la réalité, établissent l'existence d'un trop-versé par la SAS Milco à la SA Jeca d'un montant de 2 584,05 euros.
En revanche, la SAS Milco ne peut prétendre au remboursement de la facture de la SA Jeca n° 80004153 du 30 décembre 2005 d'un montant de 2 584,75 euros, dans la mesure où il résulte des motifs exposés ci-dessus que la SAS Milco ne pouvait opposer à la SA Jeca la clause des conditions générales de vente relative à la suppression des remises et ristournes en cas de retard de paiement.
Aussi, la cour condamnera la SA Jeca à verser à la SAS Milco la somme de 2 584,05 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2011, la SAS Milco ne justifiant pas du bien-fondé des intérêts de retard au taux légal mis en compte du 1er janvier 2006 au 25 juin 2006.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive
La SAS Milco obtenant très partiellement gain de cause, le jugement de première instance sera confirmé par substitution de motifs sur le rejet de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'article 700 du CPC
Il y a lieu d'infirmer la décision sur les dépens et, statuant à nouveau sur ce point, de condamner la SA Jeca, partie perdante, aux dépens des deux instances.
La SAS Milco ayant par ailleurs succombé dans la majeure partie de ses prétentions, aucune considération d'équité ne légitime le prononcé d'une condamnation en application de l'article 700 du CPC dans la présente affaire.
Il convient donc de confirmer la décision déférée sur le sort des frais non répétibles et de dire n'y avoir lieu au prononcé d'une condamnation en application de l'article 700 du CPC à hauteur de cour.
Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement, Infirme le jugement entrepris sur le rejet de la demande principale et le sort des dépens ; Statuant à nouveau dans cette limite, Condamne la SA Jeca à payer à la SA Milco les sommes suivantes : -708,88 euros au titre des intérêts de retard sur les factures impayées à échéance échus du 4 mai 2006 au 25 juin 2006, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2011 ; -2 584,05 euros, au titre du remboursement de la facture Jeca n° 80004153 du 30 décembre 2005 payée deux fois, avec intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2011 ; Deboute la SAS Milco du surplus de sa demande en paiement ; Condamne la SA Jeca aux dépens de première instance ; Confirme la décision déférée sur le surplus ; Condamne la SA Jeca aux dépens d'appel ; Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une condamnation en application de l'article 700 du CPC à hauteur de cour.