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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 3 avril 2012, n° 10-01714

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bijouterie Herbal (SA)

Défendeur :

Aldeta (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hoffbeck

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Chevallier-Gaschy, Sengelen-Chiodetti

TGI Mulhouse, du 2 mars 2010

2 mars 2010

Par acte du 16 juin 1982, la société Bijouterie Herbal a conclu avec la société Aldeta Conseils un "contrat de franchisage" pour l'exploitation d'un fonds de commerce d'horlogerie, bijouterie, joaillerie, orfèvrerie sous l'enseigne "Les Florentines" à Mulhouse. Le 25 octobre 1993, les parties ont signé une nouvelle convention à durée indéterminée, susceptible d'être résiliée par chacune d'elles moyennant un préavis de six mois.

Par courrier recommandé daté du 25 décembre 2000 et distribué le 29 décembre 2000, la société Bijouterie Herbal a dénoncé le contrat de franchise.

Selon assignation du 25 mai 2004, la société Aldeta a attrait la société Bijouterie Herbal devant le Tribunal de grande instance de Mulhouse pour obtenir le paiement d'une somme principale de 27 851,38 euro au titre de redevances impayées.

La société Bijouterie Herbal a soulevé l'irrecevabilité de l'action au motif que la société Aldeta Conseils n'était pas assistée de Me Bondroit, commissaire à l'exécution du plan. Subsidiairement, elle s'est opposée à la demande en excipant des manquements du franchiseur. A titre reconventionnel, elle a poursuivi la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Aldeta Conseils et a réclamé le remboursement de redevances et l'indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 2 mars 2009, le Tribunal de grande instance de Mulhouse a :

- débouté la société Bijouterie Herbal de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Bijouterie Herbal à payer à la société Aldeta une somme de 25 640,06 euro au titre du solde des redevances, majorée des intérêts au taux légal à compter du 25 mai 2004,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- débouté la société Aldeta du surplus de ses prétentions,

- condamné la société Bijouterie Herbal aux dépens.

Les premiers juges ont principalement retenu :

- qu'à la date de l'assignation, les organes légaux de la société Aldeta avaient retrouvé la totalité de leurs pouvoirs ;

- que la preuve des manquements allégués par la société Bijouterie Herbal dans son courrier du 25 décembre 2000 n'était pas rapportée ;

- que la société Bijouterie Herbal n'était pas fondée à refuser de s'acquitter de la redevance convenue, ni à obtenir la résiliation du contrat ;

- que la société Bijouterie Herbal qui n'avait déclaré aucune créance au passif de la procédure collective de la société Aldeta ne pouvait prétendre au paiement d'une quelconque somme ;

- que sur la base des chiffres d'affaires réalisés par la société Bijouterie Herbal, celle-ci devait un solde de redevances de 14 773,74 euro au titre de l'année 2000 et une somme de 10 866,32 euro au titre de l'année 2001.

Par déclaration reçue le 22 mars 2010, la société Bijouterie Herbal a interjeté appel de cette décision. La société Aldeta a formé un appel incident.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées le 26 août 2011, la société Bijouterie Herbal demande à la cour de :

- déclarer son appel recevable ;

- infirmer le jugement entrepris ;

- déclarer irrecevable en la forme l'action engagée par la société Aldeta ;

- débouter la société Aldeta de l'ensemble de ses demandes ;

à titre reconventionnel,

- prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Aldeta à compter du 30 septembre 1999, voire du 30 juin 2000 ;

- condamner la société Aldeta à lui payer :

. 21 599,21 euro au titre des redevances indûment perçues au titre des 4ème trimestre 1999, 1er et 2ème trimestres 2000,

. 10 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

. 3 000 euro à titre de dommages et intérêts en raison du caractère abusif et vexatoire de la procédure ;

- condamner la société Aldeta à lui payer les intérêts au taux légal sur l'ensemble des condamnations à intervenir à son encontre à compter du 29 novembre 2004 ;

- condamner la société Aldeta à lui payer une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Aldeta aux dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance :

- que Me Bondroit, commissaire à l'exécution du plan de la société Aldeta qui avait été placée en redressement judiciaire le 2 décembre 2002, était en fonction lorsque l'assignation a été délivrée ;

- que Me Bondroit disposait seul du pouvoir d'introduire une action nouvelle et seule son intervention en cours de procédure aurait permis de la régulariser ;

- que la société Aldeta a failli de façon grave et répétée à ses obligations de franchiseur à compter des années 1998 - 1999, celle-ci privilégiant ses succursales au détriment des franchisés ;

- que l'appelante n'a jamais été destinataire des factures des 1er janvier 2001 et 1er avril 2001 ;

- que l'appelante est en droit de se prévaloir de l'exception d'inexécution en ce qui concerne les redevances échues avant la résiliation du contrat ;

- que la dissimulation de la procédure collective à la société Bijouterie Herbal l'autorise à reprendre les poursuites sur le fondement de l'article L. 622-32 du Code de commerce.

Selon conclusions remises le 21 mars 2011, la société Aldeta rétorque :

- que la société Bijouterie Herbal, qui ne justifie nullement de manquements graves et répétés du franchiseur, n'émet en réalité que des critiques périphériques qui ne sont pas davantages établies ;

- que toute demande reconventionnelle de la société Bijouterie Herbal qui n'a déclaré aucune créance à l'occasion de la procédure collective ouverte à l'encontre de la concluante est vouée à l'échec.

En conséquence, elle prie la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Bijouterie Herbal de ses demandes reconventionnelles et l'a condamnée au paiement de 25 640,06 euro majorée des intérêts légaux ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Aldeta de ses autres demandes ;

- condamner la société Bijouterie Herbal à lui payer la somme de 50 689,29 euro en principal, outre intérêts légaux capitalisés à compter du 25 mai 2004 ;

- condamner la société Bijouterie Herbal au paiement des pénalités de retard de paiement dans les termes de l'article L. 441-6 du Code de commerce ;

- condamner la société Bijouterie Herbal au paiement de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Bijouterie Herbal aux dépens des deux instances.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 novembre 2011.

Sur ce, la Cour :

Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,

Attendu que la recevabilité de l'appel a été admise par une ordonnance du conseiller de la mise en état du 14 juin 2011 ;

Attendu que par jugement du 2 décembre 2002, le Tribunal de commerce de Lille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Aldeta et nommé Me Bondroit en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assister la débitrice ; que le 29 septembre 2004, cette même juridiction a constaté l'exécution du plan de continuation qui avait été arrêté le 11 juin 2003 et mis fin à la mission de Me Bondroit, commissaire à l'exécution du plan ;

Attendu que Me Bondroit, désigné le 11 juin 2003 en qualité de commissaire à l'exécution du plan, dont la mission était de veiller à l'exécution du plan et de dénoncer son éventuelle inexécution (article 94 du décret du 27 décembre 2005), ne représentait pas la société Aldeta ; que s'il a été admis que le commissaire à l'exécution du plan avait qualité pour engager, au nom des créanciers et dans la défense de leur intérêt collectif, une action en recouvrement d'une créance antérieure au jugement d'ouverture, cette faculté ne retirait pas au représentant légal de la société Aldeta le pouvoir d'agir en justice, au nom de celle-ci, contre la société Bijouterie Herbal ; que l'action de la société Aldeta est recevable ;

Attendu que la société Bijouterie Herbal oppose l'exception d'inexécution pour échapper au paiement des redevances des 3ème et 4ème trimestres 2000 ainsi que des 1er et 2ème trimestres 2001 ;

Attendu qu'à cet effet, elle se plaint :

- d'une absence de formation à destination des franchisés,

- d'une communication défaillante tant à l'intérieur du réseau qu'en direction des clients,

- de difficultés d'approvisionnement,

- d'une dégradation de l'image de l'enseigne "Les Florentines" ;

Attendu qu'il sera observé que la dégradation de l'image de marque et les difficultés d'approvisionnement ne figurent pas parmi les griefs articulés dans le courrier de résiliation du 25 décembre 2000 ; que la société Bijouterie Herbal dénonçait une violation des "obligations majeures du Franchiseur" et, se référant à l'article 1 du contrat de franchise, faisait valoir :

"Recherche commun du personnel qualifié :

Il n'y a plus de propositions de stages de formation.

Publicité et Promotion :

Il n'y a plus de matériel d'étalage

Il n'y a plus d'affiches 4 x 3

Services statistiques :

Il n'y a plus de cahier d'objectif

Il n'y a plus de CPV

Il n'y a plus de communication de statistiques mensuelles et cumulées sur le chiffre d'affaire par rayons et sous-rayons

Il n'y a plus de communication stratégique des ventes."

qu'aucun autre grief n'était invoqué ;

Attendu que la société Bijouterie Herbal ne justifie pas d'une dégradation de l'image de la marque "Les Florentines" contemporaine de sa décision de rompre le contrat ; que les pièces qu'elle invoque n'ont aucune pertinence, soit parce qu'elles ne sont pas datées (annexes n° 58, 59 à 61), soit parce qu'elles sont postérieures à la rupture proprement dite (annexes n° 49, 57, 78, 95 à 99, 100), soit parce que la chute du cours de l'action Aldeta depuis son introduction en bourse en juillet 2007 (annexe n° 17) n'avait aucun impact direct sur l'exécution du contrat de franchise ;

Attendu que l'appelante ne démontre pas que son activité commerciale a été contrariée par de "nombreux problèmes de réassortiment des produits fournis" par la société Aldeta ; que s'il est incontestable que des articles commandés les 18 février et 27 mars 2000 n'ont été livrés que le 30 janvier 2001 (annexe n° 13), ce retard n'a concerné que deux articles peu valeureux (66,01 euro et 63,27 euro HT) et non des collections ; que les bons d'expédition qui constituent ses annexes n° 62 à 70 démontrent que les livraisons intervenaient majoritairement dans les deux mois de la commande, des délais plus longs étant, contrairement à ce que soutient le franchisé, exceptionnels ; qu'un délai de livraison de deux mois n'a aucun caractère excessif ; que d'ailleurs, la société Bijouterie Herbal n'a jamais adressé la moindre lettre de récrimination au franchiseur pour se plaindre de difficultés de réassortiment ;

Attendu que les griefs tenant aux manquements à l'obligation d'assistance technique et commerciale (absence de stages de formation, absence de données statistiques, absence de matériels promotionnels) n'apparaissent pas suffisamment graves pour affranchir la société Bijouterie Herbal de son obligation de régler la redevance dès lors qu'il résulte des annexes n° 6, 7 et 8 du franchiseur que celui-ci fournissait une assistance collective prenant la forme de catalogues, d'opérations promotionnelles auprès des consommateurs, de réunions de travail dénommées "auto-progrès" et qu'aucun fléchissement de l'activité de la bijouterie en lien avec ces manquements n'est allégué ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la société Bijouterie Herbal est redevable des redevances des 3èmes trimestres 2000, 4ème trimestre 2000, 1er trimestre 2001 et 2ème trimestre 2001 ;

Attendu que selon une attestation de M. Keller, expert-comptable, l'activité de la société Bijouterie Herbal a généré un chiffre d'affaires de 6 241 697 F TTC soit 951 540,57 euro TTC pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2000 et un chiffre d'affaires de 2 375 946 F TTC soit 362 210,63 euro TTC pour la période du 1er janvier au 25 juin 2001 ; que la sincérité de ces chiffres n'étant pas contestée, la société Aldeta n'est pas fondée à réclamer le paiement d'une redevance assise sur les chiffres d'affaires de 7 400 000 F pour l'année 2000 et de 5 000 000 F pour l'exercice clos au 30 septembre 2001 alors que l'article 18-3 du contrat de franchise du 25 octobre 1993 prévoit un réajustement de la redevance provisionnelle 'en plus ou en moins lors de la connaissance du chiffre d'affaires de l'année échue' ; que le calcul fait par les premiers juges (14 773,74 euro au titre de l'année 2000 et 10 866,32 euro pour l'année 2001) sera entériné par la cour ;

Attendu que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Bijouterie Herbal à payer une somme de 25 640,06 euro outre intérêts légaux à compter du 25 mai 2004 et ordonné la capitalisation des intérêts ;

Attendu que la société Aldeta, qui a réclamé et obtenu le paiement des intérêts moratoires produits par le principal, capitalisés au surplus, ne peut pas prétendre simultanément au paiement des pénalités de retard instituées par l'article L. 441-6 du Code de commerce, sauf à admettre une double indemnisation du préjudice occasionné par le retard de paiement des factures litigieuses ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande formulée sur le fondement de l'article précité ;

Attendu que la société Bijouterie Herbal n'a déclaré aucune créance, ni au titre des redevances dont elle entend obtenir le remboursement, ni au titre du préjudice que lui aurait causé l'exécution fautive du contrat de franchise ;

Attendu qu'en l'absence de toute déclaration, les éventuelles créances de la société Bijouterie Herbal sont éteintes en vertu de l'article L. 621-46 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 et l'appelante ne peut pas se prévaloir de l'article L. 622-32 III ancien du Code de commerce pour soutenir qu'elle a recouvré son droit de poursuite individuelle ; qu'en effet, aucune fraude n'a été commise par la société Aldeta qui n'avait pas l'obligation d'informer son ancien franchisé, qui n'avait alors présenté aucune réclamation et n'était donc pas un créancier "connu" au sens de l'article 66 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985, du prononcé de la mesure de redressement judiciaire ;

Attendu que la demande de la société Bijouterie Herbal en paiement de 21 599,21 euro au titre des redevances indûment perçues et de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi n'est pas recevable ;

Attendu que la société Bijouterie Herbal doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts motivée par le "caractère abusif et vexatoire de l'action engagée" par la société Aldeta dès lors que celle-ci a prospéré ;

Attendu que la société Bijouterie Herbal qui a succombé supportera les dépens ; qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la société Aldeta la charge de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris ; Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires au présent dispositif ; Condamne la société Bijouterie Herbal aux dépens d'appel.