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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 6 avril 2012, n° 11-08861

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Delachaux (SA)

Défendeur :

Licat (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cuny

Conseillers :

M. Maunier, Mme Grasset

Avocats :

SCP Brondel Tudela, SCP Baufume-Sourbe, SCP Lamy & Associés, Me Fortin

T. com. Lyon, CME, du 13 déc. 2011

13 décembre 2011

Exposé des faits

La société Delachaux qui se fournissait en produits industriels destinés au secteur de la manutention ferroviaire, aéronautique et automobile, auprès de la société Licat s'est plainte en février 2010 de non-conformités sur un certain nombre de pièces.

S'en est suivi un échange de courriers.

La société Licat a ensuite fait assigner la société Delachaux devant le Tribunal de commerce de Lyon pour obtenir paiement de factures, dommages et intérêts consécutifs, dommages et intérêts pour rupture des relations commerciales établies et indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement en date du 24 juin 2011, le Tribunal de commerce de Lyon, saisi notamment d'une demande de la société Licat en réparation du préjudice subi du fait de la brusque rupture des relations commerciales par la société Delachaux SA, se fondant sur l'article D. 442-3 du Code de commerce a statué comme suit :

"Se déclare compétent.

Condamne la société Delachaux à payer à la société Licat la somme de 40 696,74 euros outre intérêts de retard au taux légal à compter du jour du présent jugement.

Condamne la société Delachaux à payer à la société Licat la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice subi pour résistance abusive.

Reçoit la demande la société Licat en réparation du préjudice subi du fait de la brusque rupture des relations commerciales par la société Delachaux, et Condamne cette dernière à payer à la société Licat la somme de 5 000 euros.

Reçoit la société Licat en sa demande de mettre à la charge de la société Delachaux en cas d'exécution forcée de la présente décision, les sommes retenues par l'Huissier de justice instrumentaire.

Déboute la société Licat en sa demande d'exécution provisoire du présent jugement.

Condamne la société Delachaux à payer à la société Licat la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du CPC.

Condamne la société Delachaux aux entiers dépens de l'instance".

Ce jugement a été signifié à la société Delachaux SA le 29 juin 2011, l'acte de signification l'informant qu'elle pouvait faire appel de ce jugement devant la Cour d'appel de Lyon dans le délai d'un mois à compter de cette signification.

La société Delachaux SA a interjeté appel le 5 juillet 2011 devant la Cour d'appel de Lyon.

Postérieurement, ce jugement lui a de nouveau été signifié le 22 juillet 2011 par la société Licat, l'acte de signification lui indiquant que l'appel devait être formé devant la Cour d'appel de Paris.

Sur conclusions d'incident en date du 14 octobre 2011 et du 25 novembre 2011, la société Licat a saisi le conseiller de la mise en état d'une demande d'irrecevabilité de l'appel

Par ordonnance en date du 13 décembre 2011, le conseiller de la mise en état a :

- constaté l'irrecevabilité de l'appel interjeté le 5 juillet 2011 devant la Cour d'appel de Lyon par la société Delachaux SA à l'encontre du jugement rendu le 24 juin 2011 par le Tribunal de commerce dans l'instance l'opposant à la société Licat sous le n° RG 2010J2002,

- constaté qu'à défaut d'appel interjeté par Delachaux SA dans le délai d'un mois à compter du 22 juillet 2011, date de la nouvelle signification du jugement précité lui ayant été délivrée à la requête de la société Licat, le jugement est devenu définitif,

- condamné la société Delachaux SA à payer à la société Licat la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Delachaux SA aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Baufume-Sourbe, avoué.

Par voie de conclusions signifiées le 27 décembre 2011, la société Delachaux a déféré à la cour l'ordonnance du conseiller de mise en état.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 20 février 2012, elle demande à la cour de :

"Réformer l'ordonnance rendue le 13 décembre 2011 par M. Le conseiller de la mise en état.

Dire et juger recevable rationae materiae l'appel inscrit par la société Delachaux SA le 5 juillet 2011.

Statuer ce que de droit sur l'exception d'incompétence rationae loci soulevée par la société Licat.

Désigner la Cour d'appel de Paris pour être la cour d'appel territorialement compétente pour connaître de l'appel sur le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 24 juin 2011.

Ordonner la transmission du dossier de l'affaire à la Cour d'appel de Paris par le secrétariat greffe de la Cour d'appel de Lyon.

Statuer ce que de droit sur les dépens distraits au profit de la SCP Brondel et Tudela avocat sur son affirmation de droit."

Elle fait valoir :

- que l'instance introduite ne se réfère pas exclusivement aux articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce puisqu'il s'agissait pour la société Licat de former également une demande en paiement au titre de factures impayées et une demande de dommages et intérêts liée au non-paiement allégué, que ces demandes ressortissent de l'article L. 721-3 du Code de commerce,

- que la compétence ne doit pas être confondue avec l'imperium du juge,

- qu'en l'espèce toutes les demandes présentées ressortissent du Tribunal de commerce, que la question posée est donc bien celle de la compétence territoriale,

- que par extension de la compétence et des pouvoirs de la juridiction saisie, on présuppose qu'une juridiction saisie à propos d'une demande qui lui est soumise dans le cadre de sa compétence peut être intéressée par des demandes connexes ou indivisibles qui sont portées à sa connaissance au cours de la même instance, qu'il s'agit de prorogation légale de compétence, que cette prorogation légale de compétence implique au préalable qu'il ait été établi le caractère connexe ou indivisible des demandes en cause, que deux types de situation donnent lieu à la traditionnelle prorogation légale de compétence :

* le premier, bien connu, correspond à l'hypothèse fixée par l'article 101 du Code de procédure civile de connexité de plusieurs demandes autonomes et indépendantes portées devant des juridictions différentes conformément aux règles de détermination légale de compétence,

* le second correspond à l'hypothèse où plusieurs demandes distinctes et autonomes entre elles sont exposées auprès d'un même juge alors que prises séparément elles devraient ressortir de la compétence de plusieurs juridictions,

- que sur la prorogation légale de compétence territoriale, il est admis que la juridiction, aussi bien de droit commun que d'exception, qui est valablement saisie d'une demande est compétente pour connaître des demandes connexes à celle-ci qui tout en étant de sa compétence d'attribution ne sont pas de sa compétence territoriale,

- qu'en l'espèce, l'ensemble des questions portées aux débats par la société Licat ressortissent indiscutablement de la compétence d'attribution du Tribunal de commerce, que l'article D. 442-3 du Code de commerce donne compétence territoriale au Tribunal de commerce de Lyon pour l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, que par extension de sa compétence, le Tribunal de commerce de Lyon a également statué sur les demandes qui ne ressortissaient pas naturellement de sa compétence territoriale à savoir les demandes relatives aux factures impayées,

- que l'appel inscrit auprès de la Cour d'appel de Lyon ne peut être déclaré irrecevable au motif que la cour d'appel territorialement compétente est la Cour d'appel de Paris, que la société Delachaux a régulièrement inscrit l'appel auprès de la juridiction d'attribution compétente, qu'en application de l'article 96 du Code de procédure civile, la Cour d'appel de Lyon se déclarera incompétente au profit de la Cour d'appel de Paris.

La société Licat réplique aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 6 février 2012 :

- que la Cour d'appel de Paris est en application de l'article D. 442-3 du Code de commerce exclusivement compétente pour connaître de l'appel à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Lyon,

- que l'appel porté devant la Cour d'appel de Lyon est irrecevable,

- que la question posée au conseiller de la mise en état puis à la cour n'est pas un problème de compétence mais relève du pouvoir de la juridiction saisie par la société Licat de juger ou non d'une recours formé devant elle,

- que dans ces conditions, tous les développements de la société Delachaux relatifs :

* d'une part au caractère divisible du litige qui était soumis au Tribunal de commerce de Lyon,

* d'autre part à la faculté pour le juge, en cas d'exception d'incompétence de renvoyer l'affaire à la juridiction compétente,

* enfin, à l'existence de deux significations du jugement du Tribunal de commerce de Lyon,

sont hors sujet,

- que les règles usitées en matière de spécialisation des juridictions sont des règles d'ordre public qui s'imposent même lorsqu'elles sont opposées en défense, à titre principal ou simplement incident,

- que l'ordonnance du conseiller de la mise en état doit être confirmée,

- que le recours est abusif.

Elle demande à la cour de :

Vu les articles 771. 907 et 914 du Code de procédure civile,

Vu l'article D. 442-3 du Code de commerce,

Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,

Vu l'article 1382 du Code Civil,

Vu l'assignation en date du 21 juin 2010,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 24 juin 2011,

Vu les pièces,

- Confirmer l'ordonnance de Monsieur le conseiller de la mise en état en date du 13 décembre 2011 ;

En tout état de cause :

- Déclarer irrecevable l'appel de la société Delachaux ;

- Constater, en outre, qu'en l'absence d'appel dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 24 juin 2011, devant la Cour d'appel de Paris, plus aucun appel ne peut être formé à l'encontre dudit jugement ;

- Constater le caractère abusif du déféré initié par la société Delachaux ;

- Condamner la société Delachaux à payer à la société Licat, la somme de 5 000 euro du fait d'un déféré abusif et injustifié ;

- Condamner la société Delachaux au paiement d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; ainsi qu'en tous les dépens distraits au profit de la SCP Baufume Sourbe.

Sur ce, LA COUR

Attendu que la société Licat a fait assigner la société Delachaux ayant un établissement à Belley (01) devant le Tribunal de commerce de Lyon parce qu'elle agissait à son encontre, entre autres, en dommages et intérêts pour rupture brutale des relations établies, et qu'en vertu de l'article D. 442-3 du Code de commerce, le Tribunal de commerce de Lyon est seul compétent pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce pour le ressort des Cours d'appel de Chambéry, Grenoble, Lyon et Riom ;

Attendu que selon ce même article D. 442-3, la Cour d'appel de Paris est seule compétente pour connaître des décisions rendues par les juridictions compétentes pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 ;

Attendu que l'objection relative au pouvoir de la juridiction de juger d'un recours formé devant elle ne concerne pas sa compétence mais le respect des règles d'ordre public régissant l'exercice de ce recours et donc sa recevabilité ;

Attendu que son régime est celui des fins de non-recevoir qui peuvent être relevées en tout état de cause et non celui des exceptions d'incompétence ;

Attendu que la formulation de demandes ne relevant pas de l'application de l'article L. 442-6 ne saurait suffire à conférer à la Cour d'appel de Lyon le pouvoir de statuer sur l'application de ce texte dans le cadre de l'examen de l'entier litige, la Cour d'appel de Paris étant seule investie du pouvoir de statuer sur l'appel des décisions rendues par les juridictions désignées à l'annexe 4-2-1 ayant statué sur le fondement dudit texte ;

Attendu que dès lors que le Tribunal de commerce de Lyon a été saisi de l'entier litige comme seul compétent pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce et que la Cour d'appel de Paris est seule investie du pouvoir de statuer sur l'appel de sa décision à cet égard, l'appel à l'encontre du jugement est irrecevable devant la Cour d'appel de Lyon et qu'en l'état d'un appel irrecevable, la cour ne saurait faire application de l'article 96 du Code de procédure civile ;

Attendu qu'il y a lieu de maintenir l'ordonnance du conseiller de la mise en état en ce qu'il a constaté l'irrecevabilité de l'appel interjeté devant cette cour ;

Attendu qu'il ne relève pas des pouvoirs du conseiller de la mise en état saisi de l'irrecevabilité de l'appel à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Lyon en application de l'article D. 442-3 du Code de commerce et de la cour saisie dans le cadre du déféré de sa décision de se prononcer sur le caractère définitif ou non du jugement dont appel ;

Attendu qu'il n'est pas établi que le déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état à la cour ait été diligenté de mauvaise foi, par intention malicieuse ou malveillante, dans des conditions caractérisant un abus ; qu'il n'y a pas lieu à dommages et intérêts pour recours abusif ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu à allocation d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure en complément de celle allouée par le conseiller de la mise en état qui doit être maintenue ;

Attendu que la société Delachaux qui succombe en son déféré en supportera les dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant sur déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 13 décembre 2011, Maintient cette ordonnance en ce qu'elle a : - déclaré irrecevable l'appel interjeté le 5 juillet 2011 devant la Cour d'appel de Lyon par la société Delachaux SA à l'encontre du jugement rendu le 24 juin 2011 par le Tribunal de commerce de Lyon dans l'instance l'opposant à la société Licat sous le numéro de RG 2010J2002, - condamné la société Delachaux SA à payer à la société Licat la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, - condamné la société Delachaux SA aux dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Baufume-Sourbe, La met à néant en ce qu'il a constaté qu'à défaut d'appel interjeté par Delachaux SA dans le délai d'un mois à compter du 22 juillet 2011, date de la nouvelle signification du jugement précité lui ayant été délivrée à la requête de la société Licat, le jugement est devenu définitif, Statuant à nouveau de ce chef, dit qu'il ne relève pas du pouvoir du conseiller de la mise en état dans le cadre de la présente saisine et de la cour statuant sur déféré de sa décision de se prononcer sur le caractère définitif ou non du jugement dont s'agit, Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Delachaux SA aux dépens du déféré qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.