CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 12 décembre 2012, n° 10-10996
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fédération Française de Rugby (Sté)
Défendeur :
Auto Picardie (SAS), Auto Sélection (SAS), Autodis (SAS), Carrefour des Nations (SAS), Catteau et Compagnie (SAS), Ced (SARL), Centre Automobile Bizot Nation (SAS), Colbeaux (SAS), Douai Automobiles (SARL), Essonne Développement Automobile (SARL), Etablissement Jean-Claude Le Gallou (SA), Etablissement Médicis (SA), Fiat France (SA), Gadeyne-Grenier (ès qual.), Garage Claude Deleau (SA), Garage Cromier (SA), Garage du Beffroi SAS), Garage du Centre (SAS), Hanot Mariani (SAS), HMA (SARL), Inter Map France (SA), Leo Burnett (SAS), Littoral Automobiles (SAS), Mantes Station Automobiles (SAS), Maubeuge Automobiles Colau (SAS), NDG Auto (SA), Select Auto (SA), Solac (SAS), Technique et Commerciale Automobile (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Chokron, Gaber
Avocats :
Mes Teytaud, Cognard, Bernabe, Destremau, Monin, Wery
Vu le jugement contradictoire du 30 mars 2010 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,
Vu l'appel interjeté le 25 mai 2010 par l'association Fédération Française de Rugby (ci-après dite la FFR),
Vu les uniques conclusions du 23 novembre 2010 de la FFR, appelante,
Vu les uniques conclusions du 21 février 2011 de la société Leo Burnett France (ci-après dite Leo Burnett), intimée et incidemment appelante,
Vu les dernières conclusions du 15 novembre 2011 de la société Fiat France (ci-après dite Fiat), des sociétés concessionnaires Etablissements Médicis, Mantes Station Automobiles, Douai Automobiles, Essonne Développement Automobile-EDA, Littoral Automobiles, Inter Map France, Maubeuge Automobiles Colau, Hanot Mariani, Garage du Centre, Auto Picardie, Solac, Garage Cromier, Technique et Commerciale Automobile (STCA), Select Auto, Carrefour des Nations, NDG Auto, Catteau et Compagnie, Auto Sélection, Garage du Beffroi, Centre Automobile Bizot Nation, Colbeaux, Etablissements Jean-Claude Le Gallou, Ced, Garage Claude Deleau, HMA, Autodis, et de Maître Colette Gadeyne-Grenier, mandataire judiciaire, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société concessionnaire Autoval (ci-après dites Fiat et concessionnaires), intimés et incidemment appelants,
Vu l'ordonnance de clôture du 6 décembre 2011, et la constitution aux lieu et place du conseil des sociétés Fiat et concessionnaires du 3 avril 2012,
SUR CE, LA COUR,
Considérant que la FFR a pour objet d'encourager et développer la pratique du Rugby et d'organiser, en France, les rencontres auxquelles participe l'équipe de France "le XV de France" ;
Qu'ayant constaté que la société Fiat avait fait paraître, par l'intermédiaire de la société Leo Burnett, agence de communication, une publicité dans un quotidien sportif de grande diffusion ("L'Equipe") le 24 février 2008, afin de promouvoir son nouveau modèle d'automobile Fiat 500 sur le marché français en donnant les coordonnées de ses concessionnaires, elle leur a adressé le 7 mars 2008 une mise en demeure de cesser ce type de publication qui porterait, selon elle, atteinte à son monopole d'exploitation sur les matches du XV de France, les sociétés Autodis et Etablissements Le Gallou précisant alors être étrangères à cette publication ;
Que reprochant aux sociétés Fiat et concessionnaires d'avoir utilisé dans cette publicité, sans son autorisation préalable, ni contrat de parrainage, "le calendrier, le score et les noms des équipes participantes" du match France-Angleterre qui s'était déroulé la veille dans le cadre du Tournoi des VI Nations 2008 au stade de France, et du match France-Italie programmé le 9 mars 2008 également au stade de France dans le cadre de ce Tournoi, en les associant à un véhicule Fiat, au logo de la marque Fiat, à l'adresse du site internet de la société Fiat et aux coordonnées de 27 de ses concessionnaires de la "grande" région parisienne et du nord de la France, et d'avoir entretenu une confusion sur leur qualité de parrains, la FFR les a fait assigner, par actes des 13, 14, 15, 16, 19, 20, 26 et 27 mai 2008, devant le tribunal de grande instance de Paris pour violation de son droit d'exploitation, qu'elle tient de l'article L. 333-1 du Code du sport , et agissements parasitaires ;
Que la société Fiat a sollicité la garantie de la société Leo Burnett, laquelle est intervenue volontairement à l'instance le 4 septembre 2008, et Maître Colette Gadeyne-Grenier est intervenue volontairement à la procédure, le 28 octobre 2009, en sa qualité de liquidateur judiciaire d'un des concessionnaires, la société Autoval ;
Considérant que le tribunal, par le jugement dont appel, a, pour l'essentiel, débouté la FFR de sa demande fondée sur une atteinte au droit d'exploitation, l'a déclarée irrecevable en ses demandes fondées sur le parasitisme, et rejeté la demande reconventionnelle pour procédure abusive formée à son encontre par la société Fiat ;
Que les premiers juges ont, en particulier, retenu que "la société Fiat France et l'agence Leo Burnett France n'ont fait qu'user de la liberté de créer une publicité appuyée sur l'actualité, fut-elle sportive, et n'ont pas commis d'atteinte au droit d'exploitation appartenant aux organisateurs sportifs" et qu'aucun fait distinct n'était allégué ;
Considérant que la FFR conteste cette appréciation, selon elle restrictive de son monopole d'exploitation, et soutient que les faits litigieux relèveraient d'une pratique préjudiciable, dite de "l'ambush marketing", stratégie publicitaire qui viserait à créer une confusion dans l'esprit du public sur l'identité réelle des partenaires d'une compétition, s'associant à l'événement pour obtenir sans bourse déliée une partie de la reconnaissance et des bénéfices reliés au statut de "sponsor officiel" ;
Qu'elle maintient que les intimés auraient ainsi violé son droit d'exploitation sur les matches de l'équipe de France qu'elle organise et bénéficié indûment de la notoriété de cette équipe et de ses matches, sans débourser la moindre somme et en laissant croire aux yeux des tiers qu'elles y seraient autorisées, ce qui caractériserait en outre des agissements parasitaires distincts, aggravés d'un risque de confusion, dès lors que l'association de leurs produits aux matches accréditeraient l'idée d'un lien de parrainage ;
Considérant les intimés font, pour l'essentiel, valoir que les droits d'exploitation de la FFR ne sauraient avoir pour effet d'apporter une restriction telle au principe de la liberté du commerce et de l'industrie qui interdirait toute référence aux calendrier, données ou résultats de matches, à tout acteur non économiquement lié à leur organisateur, alors qu'il s'agit d'éléments d'actualité rendus publics et qu'une telle restriction serait disproportionnée au regard de la protection accordée à l'organisateur afin d'assurer la rentabilité de ses efforts et investissements ; qu'aucun fait distinct ne justifierait l'action en parasitisme et qu'en tout état de cause la publicité incriminée ne créerait aucun risque de confusion sur la qualité de la société Fiat, qui a entendu promouvoir avec humour un véhicule emblématique ;
Sur l'atteinte au monopole d'exploitation des manifestations sportives :
Considérant que l'article L. 333-1 du Code du sport dispose que "Les fédérations sportives [...] sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'[elles] organisent" ;
Considérant que, certes, en l'absence de toute précision ou distinction prévue par la loi concernant la nature de l'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qui est l'objet du droit de propriété reconnu par ces dispositions, toute forme d'activité économique ayant pour finalité de générer un profit et qui n'aurait pas d'existence si la manifestation sportive est le prétexte ou le support nécessaire n'existait pas, doit être regardée comme une exploitation au sens de ce texte ;
Mais considérant qu'il résulte aussi de ces dispositions que, pour être caractérisée, une atteinte à la propriété des droits visés suppose une appropriation ou exploitation d'une compétition ou manifestation sportive ;
Considérant qu'en l'espèce, il ressort de l'examen de la pièce 14 produite par la FFR que la publicité incriminée figure en pleine page 7/22 du journal "L'équipe dimanche" du 24 février 2008, lequel annonce en première page que le quinze de France "a subi hier sa deuxième défaite d'affilée au Stade de France face à l'Angleterre (13-24)" et comprend en pages 3 et 5 des encarts publicitaires pour des partenaires officiels du XV de France (respectivement Renault et Société Générale) ;
Que la publicité critiquée mentionne dans un encadré, en grands caractères noirs d'imprimerie :
"France 13 Angleterre 24",
suivie de la phrase écrite en petits caractères :
"La Fiat 500 félicite l'Angleterre pour sa victoire et donne rendez-vous à l'équipe de France le 9 mars pour France-Italie."
et indique en dessous, à nouveau en grands caractères noirs d'imprimerie :
"Italie 500"
en apposant sous cette mention, à gauche la photographie en noir et blanc d'un véhicule Fiat 500, et à droite le logo Fiat avec l'adresse de son site internet, le tout souligné d'un grand trait, sous lequel figurent les noms de concessionnaires de différents départements (02, 59, 60, 62, 75, 77, 78, 80, 91, 92, 93, 94 et 95) chacun étant associé à une ville et un numéro de téléphone ;
Considérant qu'il résulte de cet examen que manifestement aucun élément ne permet de retenir que la société Fiat ou ses concessionnaires seraient un partenaire officiel du XV de France ou un parrain de cette équipe ou de ses matches, supposant un soutien de l'équipe, alors que l'Angleterre est expressément félicitée pour sa victoire et qu'est espéré un score inédit de l'Italie (500) même s'il s'agit à l'évidence d'un résultat de pure fantaisie rappelant l'objet de la publicité (promotion du véhicule Fiat 500) ;
Que la FFR ne saurait, en de telles conditions, valablement reprocher aux intimés d'avoir pu porter atteinte à un prétendu droit de parrainage sur les manifestations sportives dont elle est l'organisatrice en utilisant économiquement des éléments protégés de ces manifestations (score du match France-Angleterre, date du match France-Italie, et noms des nations participantes à ces deux matches) qui seraient le prétexte ou le support nécessaire de la publicité en cause (y étant associés) ;
Qu'en effet cette publicité se borne à reproduire un résultat sportif d'actualité, acquis et rendu public en première page du journal d'information sportive, non favorable à l'équipe de France, et à faire état d'une rencontre future, également connue comme déjà annoncée par le journal dans un article d'information (précisant, en page 3, que reste à jouer dimanche 9 mars "France-Italie") et ne donne "rendez-vous à l'équipe de France" pour cette compétition à venir, certes organisée et programmée par la FFR (France-Italie du 9 mars 2008), que pour mettre en avant les chances de l'Italie (qui serait imbattable), et non de la France (comme de coutume pour un partenaire officiel), ce qui ne saurait porter atteinte aux droits de l'organisateur ;
Considérant qu'il n'est dès lors pas établi que l'activité économique des intimées, dans le cadre factuel du litige, puisse être regardée comme la captation injustifiée d'un flux économique généré à l'occasion d'événements sportifs organisés par la FFR, constitutive d'une exploitation directe illicite, comme non autorisée, de tels événements ;
Que c'est, au contraire, à juste titre que le tribunal a retenu que la FFR ne démontrait pas que la présentation publicitaire, notamment l'absence de référence à la FFR ou au logo officiel de ses matches et la rédaction de la "publicité telle qu'elle a été publiée, c'est-à dire en se référant à l'actualité sportive et au résultat du futur match de rugby opposant la France et l'Italie, et en proposant un score complètement irréaliste de 500 en référence à la Fiat 500", était couverte par son monopole d'exploitation ;
Considérant qu'il en résulte que l'atteinte au droit privatif que serait le droit de parrainage n'est pas établie et que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la FFR sur le fondement de l'atteinte au droit de propriété portant sur l'exploitation des manifestations sportives qu'elle organise ;
Sur les agissements parasitaires :
Considérant que la FFR reproche encore aux intimés de lui avoir causé un préjudice en utilisant ses compétitions et leur notoriété pour créer une confusion dans l'esprit des lecteurs du journal "L'Equipe" sur leur qualité "à l'égard de la FFR et des événements qu'elle organise" afin d'en tirer un avantage commercial ;
Qu'elle explique, plus précisément, que la notoriété du XV de France résulte d'investissements et de moyens considérables mis en œuvre pour accomplir les missions qui lui sont confiées dans le cadre de la délégation qui lui est consentie par le ministre des sports ; que la société Leo Burnett, en proposant à ses clients de promouvoir leur image ou leur marque en les associant à celle du XV de France profite ainsi indûment de ces efforts, tout comme les sociétés Fiat et concessionnaires qui apparaîtraient aux yeux du public comme des parrains de l'équipe de France et des matches organisés par la FFR ;
Considérant que, certes, le tribunal a estimé à tort que l'action était irrecevable comme fondée sur les mêmes faits, alors qu'elle ne tend plus à la réparation d'une violation faute d'autorisation préalable d'un droit de propriété, non admise en la cause, mais d'un comportement qui serait fautif, comme usurpant la notoriété de manifestations, dont la société Fiat et concessionnaires tireraient indûment profit sans avoir pris aucune part à leur construction, et créant un risque de confusion dans l'esprit du public sur leur qualité à l'égard de la FFR ;
Mais considérant que la promotion d'un véhicule automobile Fiat, et de ses signes distinctifs, en utilisant dans les conditions précitées les résultats d'un match, l'annonce d'un prochain match et les noms des nations concernées n'a pu induire en erreur les lecteurs, même moyennement attentifs, du journal sur la qualité des sociétés Fiat et concessionnaires, étant ajouté que s'agissant d'un journal spécialisé en matière de sport ses lecteurs sont par ailleurs plus avertis dans ce domaine et habitués aux encarts publicitaires de parrains officiels, se présentant clairement, et habituellement, par une appellation incluant le terme "officiel", comme partenaire (ou parrain, sponsor ou fournisseur) du XV de France (ou de l'équipe de France) ainsi qu'il résulte des encarts précités du journal et des publicités produites (en copie) par la société Leo Burnett, à la différence de la publicité incriminée qui n'y fait nullement référence ainsi que relevé par les premiers juges, ce qui exclut toute possibilité d'équivoque et d'association avec la FFR ;
Que la FFR n'est pas fondée à soutenir que la présentation incriminée serait ainsi susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit du public sur la qualité des sociétés Fiat et concessionnaires à l'égard de la FFR, alors qu'elle ne comporte aucune mention ou indication pouvant laisser croire qu'elles exerceraient leur activité dans le cadre d'un rapport juridique quelconque avec la FFR ; qu'elle ne peut donc être regardée comme un acte de parasitisme commis au détriment de cette dernière ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que n'est pas caractérisée, en l'espèce, à la charge des sociétés Fiat et concessionnaires l'intention de promouvoir leur propre activité commerciale en profitant gratuitement des efforts et des investissements de la FFR ;
Qu'il convient donc de rejeter les demandes de cette dernière fondées sur de prétendus actes de parasitisme ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'eu égard à la teneur de la présente décision, comme en première instance, les demandes de sursis à statuer et saisine de la Cour de justice des Communautés européennes formées par la société Leo Burnett à titre subsidiaire s'avèrent sans objet, tout comme celles subsidiaires de garantie formées par les sociétés Fiat et concessionnaires à l'encontre de cette dernière ;
Considérant que la société Fiat réitère en cause d'appel sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive, faisant valoir que la FFR aurait nécessairement eu une intention maligne destinée à la mettre en difficulté ou à la déstabiliser à l'égard de ses concessionnaires, en agissant à l'encontre de ces derniers, alors qu'habituée des médias elle n'aurait pu ignorer que les annonces sont mises en place par le constructeur ; que, pour autant, ainsi qu'exactement relevé par les premiers juges, s'il pouvait paraître "évident que l'encart était le fait" de la seule société Fiat, l'intention de nuire de la FFR à l'encontre de cette dernière n'est pas établie ;
Qu'en conséquence, la décision dont appel sera également confirmée de ce chef ;
Considérant, en définitive, que le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la FFR fondées sur le parasitisme, étant ajouté qu'il n'y a pas lieu à rectification du jugement quant à la distraction des dépens, alors qu'il n'apparaît pas que le conseil des sociétés Fiat et concessionnaires en ait formé la demande devant les premiers juges (p. 9 du jugement), à la différence du conseil (page 11 du jugement) de la société Leo Burnett intervenante volontaire qui en a bénéficié ;
Par ces motifs : Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la Fédération Française de Rugby fondées sur le parasitisme ; Statuant à nouveau dans cette limite, Déclare recevables mais mal fondées les demandes de la Fédération Française de Rugby au titre d'agissements parasitaires ; L'en déboute ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la Fédération Française de Rugby aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile et à payer au titre des frais irrépétibles d'appel une somme complémentaire de 5 000 euros aux sociétés Fiat France et concessionnaires, et de 3 000 euros à la société Leo Burnett France, par application de l'article 700 du Code de procédure civile.