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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 janvier 2014, n° 12-01391

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Yara France (Sté)

Défendeur :

Titanobel (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Grappotte-Benetreau, Rouche, Fisselier, Bretzner

T. com. Paris, 1re ch., du 15 juin 2009

15 juin 2009

Le 12 février 2004, la société Nobel Explosifs France, devenue Titanobel (Nobel), qui produit et commercialise des explosifs civils, a conclu avec la société Hydro Agri France, devenue Yara France (Yara), industriel de la chimie, un contrat d'approvisionnement exclusif de nitrate d'ammonium solide, type AG/040, pour une durée de trois ans, soit du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006, avec possibilité de convenir d'une prolongation du contrat par période d'une année reconductible tacitement.

Par acte du 16 juin 2006 la société Yara a assigné la société Nobel Explosifs France en référé pour que soit jugée valable la clause de révision de prix prévue à l'article 6 du contrat de fourniture et que soit ordonné à la société Nobel Explosifs France de reprendre ses commandes jusqu'à l'échéance du contrat.

Par ordonnance de référé du 28 juin 2006 le président du Tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à référé.

Par courrier en date du 27 juin 2006 la société Nobel a résilié le contrat à son terme, le 31 décembre 2006.

Par acte du 5 décembre 2006, la société Yara a assigné la société Nobel devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement d'une somme de 755 043 € à titre de dommages et intérêts et subsidiairement en désignation d'un expert, en reprochant à la société Nobel d'avoir contesté l'application de la clause de révision de prix prévue au contrat, d'avoir réduit de manière substantielle ses commandes au début de l'année 2006 et de s'être approvisionnée auprès de Grande Paroisse en violation de la clause d'exclusivité.

Par jugement du 15 juin 2009 le tribunal de commerce a :

- débouté la SAS Yara France de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SAS Yara France à payer à la SA Nobel Explosifs France la somme de 10 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

déboutant pour le surplus ;

- condamné la SAS Yara France aux dépens de l'instance.

Le 15 juillet 2009 la société Yara a interjeté appel du jugement.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 26 septembre 2011, par lesquelles la société Yara demande à la cour de :

Aux visas des articles 1134, 1147 du Code civil et 865 du Code de procédure civile,

- juger valable la clause de révision de prix prévue à l'article 6 du contrat de fourniture conclu le 12 février 2004 avec Nobel Explosifs France,

- juger que la société Titanobel, venant aux droits de la société de Nobel Explosifs France, n'a pas respecté ses obligations contractuelles découlant du contrat de fourniture précité et de manière déloyale a délibérément violé la clause d'exclusivité contenue dans ce contrat,

- en conséquence, condamner la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, à lui payer la somme de 755 043 € à titre de dommages et intérêts, subsidiairement :

Au visa de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce,

- juger que la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, a commis une faute en rompant partiellement mais brutalement les relations commerciales anciennes avec Yara et ce, sans préavis,

- en conséquence, condamner la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, à lui payer la somme de 755 043 € à titre de dommages et intérêts,

plus subsidiairement :

- constater la violation du contrat par la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, ou la faute de la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, du fait de la rupture brutale, surseoir à statuer sur le préjudice et enjoindre à la société Nobel Explosifs France de communiquer sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir les documents suivants :

* le tonnage total des nitrates achetait par la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, au cours de l'année 2006 auprès de la société Grande Paroisse (avec bons de commande et factures sur lesquels figureront les types de nitrates)

* le tonnage total des nitrates acquis par la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, au cours de l'année 2006 auprès d'autres société que Grande Paroisse (avec bons de commande et factures étant précisé que cette demande concerne tout type de nitrates confondus quel que soit leur densité)

très subsidiairement :

- désigner tel expert chimiste qui aura pour mission de rechercher :

* quelles ont été depuis le début de l'année 2006 les consommations de la société Nobel Explosifs France en nitrate d'ammonium solide en France

* quelles ont été au cours de l'année 2006 les quantités produites par la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, en ce qui concerne respectivement le D7 fuel est le D10 fuel,

* si le nitrate d'ammonium dénommé GP75 de Grande Paroisse pouvait entrer dans la fabrication du D7 fuel,

* si les nitrates AG/040 commercialisés par la société Yara ne pouvaient pas effectivement entrer dans la composition du prétendu nouveau produit dénommé D 10 fuel en ce qui concerne les critères de la rétention fuel et de la densité de tassement selon le cahier des charges CDCR n° 56 LF 14-D de la société Nobel Explosifs France,

en toute hypothèse :

- débouter la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, de toutes ses demandes,

- condamner la société Titanobel, venant aux droits de la société Nobel Explosifs France, à payer à la société Yara France la somme de 25 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel par application de l'article 696 du Code de procédure civile, dont le montant sera recouvré conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions, notifiées le 16 juillet 2013, par lesquelles la société Nobel demande à la cour de :

- débouter la société Yara France de ses demandes,

- confirmer le jugement,

Section I : Sur l'absence de faute susceptible d'être alléguée par Yara à l'encontre de Nobel

- juger que le contrat litigieux n'imposait nullement à Nobel de commander à Yara un volume minimum de nitrate d'ammonium solide "AG/040" en 2006 (a fortiori en l'absence de mécanisme d'indexation susceptible d'être appliqué à partir de 2006), de sorte que la diminution du volume des commandes que la concluante a adressées à Yara en 2006 ne saurait caractériser une violation de l'obligation contractuelle de la concluante à l'égard de Yara,

- juger en outre, à la lumière des études réalisées par M. Quinchon et par l'INERIS que le nitrate d'ammonium "GP75P" que Nobel a acquis en 2006 auprès de GPN afin de commercialiser un explosif plus sûr diffère du nitrate d'ammonium solide "AG/040" de Yara, de sorte que la concluante n'a nullement violé l'obligation d'approvisionnement exclusif qui était stipulée à sa charge,

- juger qu'aucune relation commerciale "établie" ne saurait avoir existé en l'espèce entre Yara et Nobel ;

- juger en toute hypothèse qu'aucune rupture "brutale" de la relation commerciale nouée entre les parties n'est intervenue et que le comportement blâmable de Yara dispensait par ailleurs Nobel d'observer un quelconque préavis ;

- juger inutile la mesure d'instruction sollicitée par Yara sur le fondement de l'article 865 du Code de procédure civile, texte qui ne saurait en outre être appliqué par la cour de céans,

Section II : Subsidiairement, sur l'absence de préjudice indemnisable susceptible d'être allégué par Yara

- juger que Yara ne produit aucune pièce de nature à démontrer le préjudice qu'elle allègue étant observé que les propos de son propre président confirment que l'attitude de Nobel n'a généré aucun préjudice pour Yara,

- juger en toute hypothèse que Yara ne saurait alléguer l'existence d'un préjudice "certain", sauf à se fonder sur de simples hypothèses spéculatives et contraires aux termes du contrat litigieux,

- débouter en conséquence Yara de toute demande d'indemnisation,

- débouter Yara de toutes demandes,

- condamner Yara à s'acquitter d'une somme de 30 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Cela étant exposé, LA COUR :

Sur l'exécution du contrat de fourniture :

Considérant que la société Yara soutient que la société Nobel n'a pas respecté les engagements prévus au contrat de fourniture signé le 12 février 2004 ; que l'intimée avait refusé d'appliquer la clause de révision qu'elle considérait comme étant potestative du fait que la société Yara était un consommateur important de gaz naturel alors que cette clause était valable et ne contrevenait pas aux dispositions de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier ; que la contestation soulevée par la société Nobel n'était qu'un prétexte pour réduire de manière considérable ses commandes et violer la clause d'exclusivité prévue à l'article 1er du contrat ;

Considérant que la société Yara expose que l'intimée a violé le principe d'exécution de bonne foi des contrats, l'intention des parties lors de la signature du contrat étant d'approvisionner en totalité la société Nobel du seul type de nitrates solides entrant dans sa consommation en France ; que ce contrat avait pour seul objet de garantir aux parties une exclusivité d'achat et de vente de nitrate d'ammonium avec pour conséquence que l'obligation pour la société Nobel de lui acheter les grades AG/040 pour la composition de tous ses explosifs était implicite ; que dès janvier 2006 la société Nobel a considérablement réduit ses commandes pour s'approvisionner auprès de son concurrent, en alléguant la commercialisation du D 10 fuel, qui n'est pas un nouveau produit, alors que les nitrates qu'elle commercialise sont conformes au nouveau cahier des charges de la société Nobel et pouvaient entrer dans la fabrication du D 10 fuel ; que le refus par l'intimée de communiquer les pièces dont elle lui a demandé communication par sommations confirme que la société Nobel s'est approvisionnée auprès de concurrents en nitrates équivalent à ceux du contrat ;

Considérant que l'article 1er du contrat de fourniture stipule "Objet

Pour les besoins de (Nobel), (Yara) s'engage à vendre à (Nobel), laquelle s'engage à acheter à (Yara), aux conditions exposées ci-après, et pendant la durée du contrat, une quantité de nitrate d'ammonium solide, type AG/040 (spécifications techniques en annexes) ci-après aussi dénommé le Produit, représentant la totalité de ses consommations en France." ;

Considérant qu'il résulte des termes clairs et précis de cet article que la commune intention des parties lors de la signature du contrat de fourniture était de mettre à la charge de la société Nobel une obligation d'approvisionnement exclusif concernant un nitrate d'ammonium précis, le nitrate d'ammonium solide type AG/040 répondant aux spécifications techniques précises prévues, en application de l'article 3 du contrat de fourniture, au cahier des charges NEF n° 56 LF 13 et non de mettre à la charge de cette société une obligation d'approvisionnement exclusif concernant les nitrates d'ammonium en général ;

Considérant que le tribunal en a exactement déduit que la société Nobel n'a commis aucune faute en s'approvisionnant en nitrates d'ammonium autre que celui de type AG/040 auprès d'un autre fournisseur ; que le tribunal a exactement retenu qu'aucune stipulation contractuelle ne faisait obligation à la société Nobel de faire entrer le nitrate d'ammonium type AG/040 dans la composition de ses explosifs toutes les fois que cela était possible, ni d'acheter des quantités déterminées ou un volume minimum garanti de nitrate d'ammonium type AG/040 ;

Considérant qu'il apparaît que la société Nobel s'est approvisionnée en nitrates AG/040 auprès de la société Yara jusqu'à la fin de l'année 2006 ; que la diminution du volume de ses commandes s'explique par le choix de commercialiser un explosif civil (D7 fuel), à base du nitrate GP75P de la société Grande Paroisse, différent de celui composé du nitrate d'ammonium AG/040 ; qu'il ne peut être tiré aucune conséquence du refus de la société Nobel de communiquer les pièces demandées par la société Yara, dès lors que cette dernière n'a pas estimé nécessaire de former un incident de communication de pièces devant le conseiller de la mise en état ; que la société Yara ne rapporte pas la preuve que la société Nobel se soit approvisionnée en nitrate d'ammonium type AG/040 auprès de ses concurrents de la société Yara durant l'exécution du contrat de fourniture ;

Considérant, à titre surabondant, que si M. le professeur Daniel Couturier mentionne dans son rapport en date du 19 septembre 2011 que "il est très vraisemblable que les nitrates AG ou 0/40 permettent la fabrication de l'explosif D 10 fuel si on respecte la formulation prévue pour cet explosif. De même il est très vraisemblable que le nitrate GP75P permet la fabrication de l'explosif D7 fuel si on respecte la formulation prévue pour cet autre explosif", après avoir précisé qu'il ne connaissait pas les formulations suivies pour fabriquer les deux explosifs ; que cependant, la note technique de M. Jean Quinchon, ingénieur général de l'armement, en date du 27 juin 2006, corroborée par les attestations de l'INERIS du 24 novembre 1995 montre que les deux explosifs, D7 fuel et D10 fuel, sont nettement différents par leur densité et leur porosité et que l'explosif D 10 fuel est "mieux adapté à l'évolution actuelle du tir en carrière vers des diamètres plus élevés car, comme le diamètre minimal de charges et plus élevé, la sécurité d'emploi sera probablement améliorée en diminuant les risques d'arrosage accidentel" ;

Considérant que le contrat de fourniture ne pouvait avoir pour objet d'interdire à la société Nobel d'innover, de diversifier sa production et de mettre sur le marché un explosif civil plus sûr ; que la note de M. Quinchon montre que le choix de la société Nobel de se fournir en nitrate d'ammonium GP75P auprès de la société Grande Paroisse à compter de l'année 2006 n'avait pas pour seul objectif, comme le soutient la société Yara, d'échapper à la clause de révision du prix d'achat, sur laquelle les parties se sont d'ailleurs mises d'accord dès le début de l'année 2006 ;

Considérant que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté la société Yara de ses demandes relatives à la clause d'exclusivité et à la demande expertise judiciaire, peu important que l'explosif D 10 fuel soit ou non un produit nouveau ou que les nitrates commercialisés par la société Yara comportaient ou non un produit susceptible d'entrer dans la composition de l'explosif D 10 fuel ;

Sur la rupture des relations commerciales :

Considérant que la société Yara soutient que la société Nobel a, sans l'aviser, délibérément et substantiellement réduit ses commandes dès le mois de janvier 2006 et sollicite en application des dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce l'indemnisation de sa perte de marge en résultant ;

Considérant que la société Nobel a respecté les termes du contrat de fourniture du 12 février 2004 qu'elle a résilié par lettre en date du 24 juin 2006, conformément à l'article 2 dudit contrat qui stipulait un délai de préavis de six mois, au terme du contrat, soit le 31 décembre 2006 ;

Considérant que la diminution importante des commandes passées par la société Nobel au cours de l'année 2006, qui ne représentaient qu'une fraction insignifiante du chiffre d'affaires de la société Yara, ne peut être qualifiée de brutale dès lors que le maintien et le renouvellement des relations commerciales entre les parties a donné lieu à des pourparlers durant l'année 2006 et que cette diminution, qui s'explique par la commercialisation de l'explosif D 10 fuel, n'était pas contraire aux stipulations contractuelles ; que la société Yara sera déboutée de ses demandes à ce titre ;

Par ces motifs : Confirme le jugement ; Et y ajoutant : Dit que la société Titanobel, venant aux droits de la société de Nobel Explosifs France, a respecté les stipulations du contrat de fourniture du 12 février 2004 ; Dit que la société Titanobel, venant aux droits de la société de Nobel Explosifs France, n'a pas rompu brutalement, même partiellement la relation commerciale établie avec la société Yara France ; Condamne la société Yara France à verser à la société Titanobel la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Yara France aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.