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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 janvier 2014, n° 11-14469

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Marty, Label Etude & Progression (Sté)

Défendeur :

Sigma et Dumas (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Fisselier, Florentin, Ribaut, Briand

T. com. Paris, 19e ch., du 29 juin 2011

29 juin 2011

FAITS ET PROCÉDURE

La société Sigma et Dumas dirige et anime le réseau franchisé de soutien scolaire Cours Ado, qui comprend 22 agences réparties sur le territoire national. Au printemps 2009, Mme Christine Marty, qui jusqu'alors exerçait son activité dans le domaine de l'implantation et de la création de sociétés en Suisse pour des groupes financiers, souhaitant réorienter sa carrière professionnelle, est entrée en contact avec cette société. Le document d'information pré contractuelle prévu par les articles L. 330-1 et R. 330-1 du Code de commerce lui a été remis en avril 2009. Mme Marty a ensuite créé la société Label Etude & Progression, dont elle était l'unique associée, et pour le compte de laquelle elle a signé un contrat de franchise avec la société Sigma et Dumas le 27 juillet 2009, pour l'exploitation du concept Cours Ado à Thonon-les-Bains et dans les cantons voisins. Ce contrat comprenait un mandat de gestion donné par le franchisé au franchiseur pour tout ce qui concerne la gestion des professeurs salariés (notamment bulletins de paye, déclarations trimestrielles à l'Urssaf ou à d'autres organismes sociaux, soldes de tout compte, certificat de travail) à l'exception des déclarations unilatérales à l'embauche. Il prévoyait également l'usage par le franchisé d'un logiciel informatique spécifique au réseau Cours Ado fourni par le franchiseur.

Se plaignant de différentes inexécutions de la part du franchiseur, la société Label Etude & Progression a suspendu, à partir du mois d'août 2010, le versement des redevances. La société Sigma et Dumas lui a adressé le 29 octobre 2010 une mise en demeure, à laquelle la société Label Etude & Progression a répondu le 29 novembre en formulant plusieurs reproches et en invoquant l'exception d'inexécution. Cette société et Mme Marty ont assigné le 15 février devant le Tribunal de commerce de Paris la société Sigma et Dumas pour obtenir la résiliation aux torts de celle-ci du contrat et la réparation du préjudice qu'elles prétendent avoir subi.

Par jugement rendu le 29 juin 2011, le Tribunal de commerce de Paris :

- a débouté la société Sigma et Dumas de sa fin de non-recevoir ;

- a prononcé la résiliation du contrat aux torts partagés des parties ;

- a condamné la société Sigma et Dumas à payer à la société Label Etude & Progression une somme de 11 993 euro à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, avec capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an ;

- a condamné la société Label Etude & Progression à payer à la société Sigma et Dumas une somme de 10 636,19 euro au titre des factures impayées, outre les pénalités de retard au taux de trois fois le taux d'intérêt légal à compter de la date d'échéance de chacune des factures;

- a ordonné à la société Sigma et Dumas, sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification du présent jugement, de transmettre à la société Label Etude & Progression l'intégralité des données relatives à la clientèle, aux professeurs, aux prospects de la société Label Etude & Progression et des éléments comptables extraits du logiciel Cours Ado sous format Excel, en vue de permettre à la société Label Etude & Progression de les intégrer dans le logiciel qu'elle aura choisi pour poursuivre son activité ;

- a ordonné à la société Sigma et Dumas, sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification du présent jugement, de laisser l'accès au logiciel de gestion Cours Ado à la société Label Etude & Progression pendant une durée de 15 jours à compter de la transmission des données, afin de lui permettre de vérifier que l'intégralité des données la concernant lui a bien été transmise ;

- a ordonné à la société Sigma et Dumas, sous astreinte de 100 euro par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification du présent jugement, la transmission à la société Label Etude & Progression des devis, factures, avoirs, bulletins de salaires et bilans pédagogiques sous format PDF pour la bonne tenue de ses archives sociales ;

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte ;

- a dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- a débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- a dit que les dépens seront supportés pour moitié par la société Label Etude & Progression et Mme Christine Marty et pour moitié par la société Sigma et Dumas.

Vu l'appel interjeté par Mme Marty et la société Label Etude & Progression le 29 juillet 2011 contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées par Mme Marty et la société Label Etude & Progression le 4 octobre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer la société Label Etude & Progression et Mme Marty recevables et bien fondées en leur appel ;

Y faisant droit,

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts partagés des parties ;

- infirmer le jugement en ce qu'il n'a alloué à la société Label Etude & Progression qu'une somme de 11 993 euro à titre de dommages et intérêts ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Label Etude & Progression à payer à la société Sigma et Dumas la somme de 10 636,19 euro au titre des redevances ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Marty de ses demandes d'indemnisation;

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes indemnitaires de Mme Marty ;

- le confirmer en ce qu'il a débouté la société Sigma et Dumas de sa fin de non-recevoir et en ce qu'il lui a ordonné la communication de pièces sous astreinte ;

Statuant à nouveau,

- dire et juger que la société Sigma et Dumas a gravement manqué à l'exécution loyale et de bonne foi du contrat ;

- dire et juger que la société Sigma et Dumas a été gravement défaillante dans l'exécution du mandat de gestion imposé aux franchisés ;

- dire et juger que la société Sigma et Dumas a violé son obligation d'assistance, dire et juger que la société Label Etude & Progression n'a manqué à aucune de ses obligations, et a respecté le savoir-faire du franchiseur, l'interrogeant au besoin lorsqu'elle avait des doutes;

- dire et juger qu'aucun des griefs articulés par la société Sigma et Dumas à l'encontre de la société Label Etude & Progression n'est fondé et ne justifie une résiliation du contrat de franchise aux torts du franchisé, ni même aux torts partagés ;

En conséquence

- prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Sigma et Dumas ;

- condamner la société Sigma et Dumas à payer à la société Label Etude & Progression les sommes suivantes :

- 14 950 euro TTC au titre du remboursement du droit d'entrée ;

- 7 648,97 euro TTC au titre du remboursement des redevances versées (redevances publicitaires, informatique, exploitation et paies) ;

- 1 643,54 euro TTC au titre du remboursement des loyers payés au titre de la location d'enseigne à la signature du contrat de franchise,

- 54 618,96 euro TTC au titre du remboursement des investissements publicitaires réalisés ;

- 12 732,91 euro TTC au titre de l'indemnité pour l'achat du logiciel de gestion défaillant ;

- condamner la société Sigma et Dumas à payer à Mme Christine Marty la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation commerciale envers sa clientèle et préjudice moral, la somme de 36 000 euro au titre du manque à gagner ;

- Dire que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du jour de l'assignation valant mise en demeure avec capitalisation des intérêts échus par application de l'article 1154 du Code civil ;

- Liquider l'astreinte à la somme de 237 000 euro dès lors que la société Sigma et Dumas ne justifie pas avoir exécuté dans son intégralité la communication de pièces sous astreinte, et le libre accès pendant quinze jours à l'intranet postérieurement à la transmission des documents ;

- Condamner la société Sigma et Dumas à payer à la société Label Etude & Progression la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société Sigma et Dumas au remboursement des factures de Me Voisin, Huissier, pour un montant de 1 682,77 euro TTC ;

- Débouter la société Sigma et Dumas de toutes demandes, fins et conclusions contraires.

A titre liminaire, les appelantes affirment que Mme Marty a un intérêt personnel à agir dès lors que l'inexécution par le franchiseur de ses obligations contractuelles lui a causé un dommage personnel tant matériel que moral.

Elles exposent ensuite avoir respecté l'ensemble de leurs obligations contractuelles, et insistent sur le fait que Mme Marty a fait preuve d'une rigueur et d'un professionnalisme sans faille dans la gestion de son agence, de telle sorte que les griefs formulés par leur adversaire sont en réalité inexistants.

Elles soutiennent en revanche que le franchiseur s'est rendu coupable de manquements graves et répétés à ses obligations, insistant sur l'exclusion de Mme Marty du réseau, sur l'atteinte à sa réputation commerciale, ainsi que sur les graves défaillances du système informatique imposé par Cours Ado, affirmant qu'il a sciemment empêché Mme Marty d'avoir accès à des informations essentielles concernant son activité.

Les appelantes insistent par ailleurs sur le fait qu'aux termes du mandat de gestion, le franchiseur était seul responsable de l'établissement des bulletins de salaires des professeurs employés par le franchisé, dans le strict respect de la législation du travail, et que Mme Marty a néanmoins dû indiquer à de nombreuses reprises au franchiseur que les bulletins de paie étaient faux. Ils exposent que Mme Marty ne pouvait pas modifier d'elle-même les bulletins de salaire établis qui lui étaient adressés par le biais du logiciel du franchiseur, ainsi que l'a relevé un constat d'huissier, et qu'elle recevait des documents pré remplis qu'elle était contrainte de refaire intégralement. Les appelantes affirment ensuite que ces différents manquements justifient le prononcé de la résiliation du contrat aux torts exclusifs du franchiseur, ce dernier ayant gravement manqué à ses obligations contractuelles essentielles, ayant refusé sciemment d'apporter la moindre assistance à Mme Marty et l'ayant exclue du réseau dès qu'elle a exprimé des critiques sur l'exploitation du franchiseur.

Les appelantes font enfin valoir que la société Sigma et Dumas doit donc porter l'entière responsabilité de la résiliation anticipée du contrat de franchise. Ils insistent sur le fait que leur refus de payer les redevances n'était pas fautif et était largement proportionné aux manquements répétés du franchiseur, qui n'est pas fondé à réclamer le paiement de redevances alors qu'il a été gravement défaillant dans la mise en œuvre et l'accomplissement de ses obligations contractuelles.

Vu les conclusions récapitulatives signifiées par la société Sigma et Dumas le 17 octobre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement rendu le 29 juin 2011 par le Tribunal de commerce de Paris';

- déclarer Mme Marty irrecevable en toutes ses demandes';

- débouter la société Label Etude & Progression et Mme Christine Marty de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

- constater que la société Label Etude & Progression n'a pas exécuté les obligations mises à sa charge aux termes du contrat de franchise conclu avec la société Sigma et Dumas ;

- prononcer, en conséquence, la résiliation judiciaire du contrat de franchise conclu entre la société Sigma et Dumas, Mme Marty et la société Label Etude & Progression aux torts exclusifs de la société Label Etude & Progression ;

- condamner la société Label Etude & Progression à payer à la société Sigma et Dumas la somme de 10 636,19 euro au titre des factures de redevances échues restant dues à la date de la résiliation du contrat, avec intérêts calculés sur la base de 3 fois le taux d'intérêt légal depuis le 29 octobre 2010, date de dernière mise en demeure ;

- condamner la société Label Etude & Progression à payer à la société Sigma et Dumas la somme de 51 851,28 euro au titre du manque à gagner né des redevances qu'elle aurait dû percevoir jusqu'au terme contractuel initialement prévu ;

- condamner la société Label Etude & Progression à payer à la société Sigma et Dumas la somme de 20 000 euro en application de la clause pénale prévue à l'article 5-3-7 du contrat de franchise ;

- condamner la société Label Etude & Progression à payer à la société Sigma et Dumas la somme de 15 000 euro en réparation de son préjudice moral ;

- condamner la société Label Etude & Progression et Mme Marty à payer à la société Sigma et Dumas la somme de 30 000 euro en application de l'article 8-2-2 du contrat de franchise ;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où, par extraordinaire, la cour prononcerait la résiliation judiciaire du contrat de franchise aux torts du franchiseur :

- établir les comptes entre les parties,

- constater que la société Label Etude & Progression et Mme Marty n'ont subi aucun préjudice du fait de la résiliation judiciaire du contrat, et qu'il n'y a lieu à aucune restitution ou paiement de la part de la société Sigma et Dumas ;

- condamner la société Label Etude & Progression à payer à la société Sigma et Dumas la somme de 10 636,19 euro au titre des factures de redevances échues restant dues à la date de la résolution du contrat, avec intérêts calculés sur la base de 3 fois le taux d'intérêt légal depuis le 29 octobre 2010, date de la dernière mise en demeure ;

En tout état de cause,

- condamner la société Label Etude & Progression au paiement de la somme de 15 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Label Etude & Progression aux entiers dépens d'instance.

La société Sigma et Dumas soutient d'abord que Mme Marty est irrecevable à agir à titre personnel, puisque le contrat de franchise dont l'exécution est l'objet du litige a été conclu non avec elle, mais avec la société Label Etude & Progression.

Elle rappelle ensuite que la société Label Etude & Progression a démarré son activité dans de très bonnes conditions, mais que les relations se sont dégradées à cause du comportement de Mme Marty qui a voulu s'immiscer dans la mission du franchiseur et l'a ensuite critiqué publiquement auprès des autres membres du réseau, jusqu'à ce qu'elle cesse en août 2010 de payer ses redevances, atteignant ainsi le "point de rupture".

L'intimée prétend n'avoir pas commis de manquement à ses obligations, ou qu'à supposer qu'elle ait commis des manquements secondaires, il n'en est pas résulté de dommage pour l'appelante et aucun d'entre eux ne peut entraîner la résiliation du contrat. C'est ainsi qu'elle récuse les griefs, qu'elle qualifie d"imaginaires", relatifs aux prétendues défaillances du logiciel mis à la disposition des franchisés, à ses défaillances dans le mandat de gestion et dans l'établissement des fiches de paie.

Elle soutient, en revanche, qu'elle s'est parfaitement acquittée des obligations qui lui incombaient, s'agissant notamment de l'assistance qu'elle a toujours apportée à la société Label Etude & Progression, ou de la mise en place d'un numéro d'appel unique ou des référencements sur le moteur de recherches Google, dans les salons et sur les plaquettes.

Elle soutient que la société Label Etude & Progression a commis des fautes graves: non-respect du savoir-faire de Cours Ado s'agissant du recrutement des professeurs, qui n'étaient pas tous diplômés ; bilans non correctement remplis ; absence de suivi des clients et de participation aux réunions organisées par le franchiseur ; enfin, non-paiement des redevances. Il en est résulté un préjudice qui doit être réparé par le paiement des redevances restant dues, l'application de la clause pénale prévue au contrat, le manque à gagner puisque le contrat a été rompu avant son terme et le préjudice moral.

Subsidiairement, en ce qui concerne les préjudices allégués par les appelantes, la société Sigma et Dumas fait valoir que celles-ci, en sollicitant le remboursement intégral des sommes qu'elles lui ont versées - droit d'entrée, redevances, loyers -, demandent en réalité l'anéantissement rétroactif du contrat de franchise, que la cour ne saurait prononcer. Elle fait valoir que les demandes relatives au préjudice personnel prétendument subi par Mme Marty et au manque à gagner ne sont justifiées par aucun élément du dossier. Enfin, elle demande à la cour de rejeter la demande de liquidation des astreintes prononcées par le tribunal, dans la mesure où elle prétend s'être conformée aux injonctions contenues dans le jugement attaqué.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité à agir de Mme Christine Marty

Il est constant que le contrat de franchise, dont les conditions d'exécution sont l'objet du litige, a été conclu non avec Mme Marty, mais avec la société Label Etude & Progression qu'elle a créée au lancement de son activité. Mme Marty, néanmoins, demande la réparation d'un préjudice personnel, distinct de celui que prétend avoir subi la société franchisée, et consistant, en particulier, dans l'atteinte qui aurait été portée à sa réputation commerciale, en sa qualité de dirigeante et d'associée unique de la société Label Etude & Progression. Son action est donc recevable à ce titre.

Sur les manquements contractuels imputés à la société Sigma et Dumas

Les appelantes reprochent à l'intimée de nombreux manquements à ses obligations contractuelles et, plus généralement, de graves défaillances dans l'assistance technique et commerciale que le franchiseur doit à ses franchisés, lesquelles ont rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle et leur ont causé d'importants préjudices. L'intimée, pour sa part, conteste la réalité même de ces manquements ou, pour certains d'entre eux, considère qu'ils n'ont qu'un caractère "secondaire" qui ne saurait justifier ni la résiliation du contrat, ni le jeu de l'exception d'inexécution.

En premier lieu, la cour relève, comme l'a fait le tribunal, que certains des griefs allégués sont contestés par l'intimée, sans que les pièces du dossier permettent d'en établir la réalité, étant entendu de surcroît qu'il resterait à déterminer, s'ils étaient démontrés, les conséquences en résultant sur la poursuite du contrat et la responsabilité encourue par la société Sigma et Dumas. Il en va ainsi des reproches selon lesquels cette dernière société aurait procédé à des enquêtes de satisfaction directement auprès des clients de la société Label Etude & Progression, n'aurait pas adressé à la société Label Etude & Progression le compte rendu de la réunion du 6 septembre 2010 ou aurait, à compter de cette date, cessé tout contact téléphonique avec son franchisé, au mépris de son devoir d'assistance. Sur ce dernier point, la cour observe que les contacts par courriers électroniques ont, en revanche, été nombreux après la réunion du 6 septembre 2010, même si leur contenu témoigne d'une dégradation des relations entre les parties.

En deuxième lieu, s'agissant des défaillances alléguées du logiciel de gestion, force est de constater que nombre des défectuosités relevées par l'huissier de justice commis par les appelants (procès-verbal de constat du 11 janvier 2011 - pièce n° 50 produite par les appelantes) sont contredites par les constatations de l'huissier commis par l'intimée (procès-verbal de constat du 26 avril 2011 - pièce n° 91 produite par l'intimée). La cour, dans ces conditions, ne saurait en tirer de conclusion quant à la question de savoir si la société Sigma et Dumas a manqué dans ce domaine à ses obligations contractuelles.

En revanche, et en troisième lieu, il ressort de l'examen des pièces du dossier que sont avérés les manquements suivants.

Exclusion de la comparaison des chiffres d'affaires

La société Sigma et Dumas a diffusé aux franchisés une comparaison de leurs chiffres d'affaires du mois de janvier 2011. Dans ce document, l'un des franchisés y est désigné comme faisant "la course en tête", alors que Mme Marty soutient, ce que conteste pas Sigma et Dumas, avoir réalisé un chiffre d'affaires supérieur. Si l'intimée fait valoir dans ses écritures que Mme Marty commet une erreur d'interprétation de la formule employée, qui avait pour seul objet d'encourager le franchisé ainsi désigné, la cour ne peut qu'observer que Mme Marty s'est, de ce fait, trouvée mise à l'écart du réseau des franchisés en ce qui concerne la comparaison de leurs performances.

Livraison tardive des brochures

Il est constant que Mme Marty a commandé à la société Sigma et Dumas 300 brochures le 12 novembre 2010 et qu'elles ne lui ont pas été livrées. Sans doute Mme Marty a-t-elle fait savoir en février 2011 qu'elle ne souhaitait plus que ces brochures lui soient livrées, mais cette renonciation est précisément liée au fait que trois mois après avoir été passée, la commande n'avait toujours pas été exécutée par la société Sigma et Dumas.

Livraison tardive et incomplète du dossier de formation continue

Il résulte du dossier que ce dossier a été remis aux participants à la réunion du 6 septembre 2010 à laquelle Mme Marty n'avait pas participé jusqu'au bout ; aussi l'a-t-elle demandé par courrier électronique du 12 novembre 2010. Ce dossier lui a été adressé le 22 février 2011, soit plus de trois mois après, Mme Marty faisant observer de surcroît qu'il était incomplet puisqu'il comportait non pas 37 pages comme le dossier précédemment remis aux autres franchisés, mais seulement 7 pages.

Persistance des fautes d'orthographe dans les documents émanant du franchiseur et destinés à être diffusés aux clients des franchisés

Mme Marty a signalé à plusieurs reprises la persistance, que ne conteste pas l'intimée, de fautes d'orthographe dans rédaction de certains de ces documents. Si ces fautes peuvent être considérées comme relevant de la catégorie des "manquements secondaires" qu'invoque l'intimée, insusceptibles par eux-mêmes de justifier la résiliation du contrat, elles n'en constituent pas moins, comme l'a relevé le tribunal, une défaillance au regard du niveau de qualité attendue, s'agissant de documents destinés à être diffusés auprès d'un public en quête de prestations de soutien scolaire.

Irrégularités dans l'établissement des fiches de paie par le franchiseur

Il est établi que l'Urssaf a, lors de son contrôle de la société Label Etude & Progression, relevé que les fiches de paie établies par la société Sigma et Dumas étaient irrégulières et qu'en particulier le décompte des heures y figurant pouvait être incomplet "en raison d'une validation tardive des tickets d'enseignement". En conséquence, cet organisme a adressé à Mme Marty, conformément à l'article R. 243-59 du Code de la sécurité sociale, une "Lettre d'observations" en date du 13 octobre 2010, comportant la conclusion suivante : " La mention sur un bulletin de paye d'un nombre d'heures inférieur à celui réellement effectué constitue une dissimulation d'emploi salarié (...) Le fait d'appartenir à un réseau de franchise ne dispense nullement de respecter les règles applicables en matière de paiement et de décompte des heures travaillées. Il convient donc de revoir votre procédure de paye avec votre prestataire informatique afin que les professeurs vacataires valident correctement leurs heures sur le mois considéré. A défaut, un redressement pour travail dissimulé sera effectué et un procès-verbal pour délit de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié sera transmis au Procureur de la République" (Lettre d'observations de l'Urssaf du 13 octobre 2010 - pièce n° 33 produite par les appelantes).

Il ressort des courriers électroniques versés aux débats qu'à plusieurs reprises, Mme Marty a demandé à la société Sigma et Dumas, compte tenu de la demande pressante de l'Urssaf dont elle était l'objet, de remédier à cet état de choses en mettant ses procédures en conformité avec les textes, mais qu'elle n'y est pas parvenue. Dans ses écritures, l'intimée conteste le bien-fondé du grief formulé par l'Urssaf et fait valoir que la position de celle-ci n'est pas juridiquement fondée. Elle souligne, en effet, qu'elle est tenue, pour ne pas pénaliser les professeurs, d'établir les bulletins de paye au vu des informations qui lui sont transmises par les franchisés le 25 de chaque mois ; il en résulte un décalage dans le temps pour le paiement des heures effectuées entre le 26 et le 31 de chaque mois, ces heures étant imputées sur le bulletin du mois suivant. Elle soutient que cette pratique n'est nullement constitutive du délit de travail dissimulé, dans la mesure où y manque l'élément intentionnel qu'exigent les textes et la jurisprudence de la Cour de cassation.

La cour ne peut qu'observer que si l'analyse développée par la société Sigma et Dumas n'est à l'évidence pas dénuée de pertinence, il n'en reste pas moins que Mme Marty s'est vue personnellement enjoindre par l'Urssaf, sous la menace d'une saisine du Procureur de la République susceptible de déboucher sur des poursuites pénales du chef de travail dissimulé, de modifier les pratiques d'établissement des fiches de paie, lesquelles relevaient contractuellement de la responsabilité du franchiseur. La société Sigma et Dumas n'ayant pas, en dépit des demandes de Mme Marty, remédié à cette situation, elle sera considérée comme ayant manqué à ses obligations contractuelles.

Autres anomalies dans les fiches de paie

Selon l'expert-comptable de la société Label Etude & Progression (courriers du cabinet In Extenso des 24 janvier 2011 et 9 février 2011 - pièces n° 45 et 46 produites par les appelantes), les fiches de paie établies par la société Sigma et Dumas comportaient plusieurs anomalies relatives à l'indication du plafond de la sécurité sociale, des bases de cotisation, du net imposable, des taux horaires bruts, ce professionnel indiquant à Mme Marty que ces erreurs "pouv[aient] avoir des conséquences assez préjudiciables tant pour les salariés que pour votre société". En défense, l'intimée fait valoir que si ces anomalies étaient avérées, elles n'auraient pas manqué d'être relevées par l'Urssaf à l'occasion de son contrôle, ce qui n'a pas été le cas puisqu'elles ne figurent pas au nombre des observations et des injonctions faites par l'Urssaf au terme de ce contrôle. La cour constate que ce seul argument ne peut suffire à écarter, sans autre justification ni explication, les anomalies et erreurs énumérées par l'expert-comptable dans son attestation et qu'au demeurant, le contrôle de l'Urssaf a porté sur la période allant 5 septembre 2009 au 10 septembre 2010, ce qui rend ce même argument inopérant pour les observations portant sur les fiches de paie de janvier 2011.

Sur les manquements imputés à la société Label Etude & Progression

Il est constant que la société Label Etude & Progression a cessé, à compter du mois d'août 2010, tout paiement de redevances. Ce non-paiement constitue à l'évidence, comme l'a jugé le tribunal, un manquement aux obligations contractuelles essentielles du franchisé à l'égard du franchiseur. Il ne saurait, en l'espèce, être justifié, comme le soutiennent les appelantes, par les griefs que la société Label Etude & Progression a articulés dans la lettre du 29 novembre 2010 qu'elle a adressée à la société Sigma et Dumas. Il appartenait en effet à la société Label Etude & Progression, si elle estimait que les prestations du franchiseur n'étaient pas à la hauteur de ce qu'exigeaient ses obligations contractuelles, non d'interrompre purement et simplement ses paiements mais, au préalable, de le mettre en demeure de respecter ses obligations en lui rappelant qu'à défaut sa responsabilité pourrait être engagée.

La cour retiendra par ailleurs, comme l'a fait le tribunal, que le recrutement par la société Label Etude & Progression d'enseignants non diplômés dans la matière enseignée, qui n'est pas contesté par les appelantes, constitue un manquement aux règles fixées par le franchiseur et formalisées dans le Manuel Opératoire que les franchisés s'engagent à respecter ; le fait que cette pratique ait pu, à un certain moment, être tolérée contribue sans doute à diminuer la gravité du manquement, mais non à le faire disparaître.

Sur la résiliation du contrat

Des constations qui précèdent, il résulte que la société Sigma et Dumas et la société Label Etude & Progression ont l'une et l'autre manqué à leurs obligations contractuelles, dans une mesure globalement équivalente, et dans des conditions rendant impossible la poursuite de leurs relations et sans que l'exception d'inexécution puisse être invoquée par l'une ou l'autre. Il convient donc de confirmer sur ce point le jugement et de prononcer la résiliation du contrat aux torts partagés des parties.

Sur les demandes indemnitaires présentées par la société Label Etude & Progression

La résiliation du contrat ayant été prononcée aux torts partagés des parties, il y a lieu de rejeter les demandes de la société Label Etude & Progression tendant au remboursement des redevances qu'elle a versées et des investissements publicitaires qu'elle a réalisés jusqu'à cette résiliation et au paiement d'une indemnité pour l'achat d'un logiciel de gestion. Il convient en revanche, confirmant le jugement attaqué, d'ordonner que lui soient payées, d'une part, la part non amortie du droit d'entrée, soit, le contrat ayant été conclu pour une durée de cinq années et la résiliation ayant été prononcée par le tribunal le 29 juin 2011, la somme de 8 650 euro TTC et, d'autre part, la part non amortie du loyer d'enseigne, soit 843 euro, ainsi qu'une somme de 2 500 euro à titre de réfaction des diverses redevances versées. Enfin, la demande de remboursement des frais exposés par la société Label Etude & Progression pour l'établissement du constat qu'elle a fait dresser par huissier n'étant pas assortie d'éléments propres à en démontrer le bien-fondé, sera rejetée.

Sur les demandes indemnitaires présentées par Mme Christine Marty

Les demandes indemnitaires formées par Mme Marty - à hauteur de 20 000 euro et 36 000 euro - au titre de l'atteinte à sa réputation commerciale et du préjudice moral qu'elle prétend avoir subis ainsi que de son manque à gagner ne sont justifiées par elle ni dans leur principe, ni dans leur montant.

Elles seront donc rejetées.

Sur la demande de liquidation des astreintes prononcées par le tribunal

Le tribunal a condamné la société Sigma et Dumas, sous une astreinte de 100 euro par jour de retard pour chacune de ces condamnation, à :

- transmettre à la société Label Etude & Progression l'intégralité des données relatives à la clientèle, aux professeurs, aux prospects de la société Label Etude & Progression et des éléments comptables extraits du logiciel Cours Ado sous format Excel, en vue de permettre à la société Label Etudes & Progression de les intégrer dans le logiciel qu'elle aura choisi pour poursuivre son activité ;

- laisser l'accès au logiciel de gestion Cours Ado à la société Label Etude & Progression pendant une durée de 15 jours à compter de la transmission des données, afin de lui permettre de vérifier que l'intégralité des données la concernant lui a bien été transmise ;

- transmettre à la société Label Etude & Progression des devis, factures, avoirs, bulletins de salaires et bilans pédagogiques sous format PDF pour la bonne tenue de ses archives sociales.

Les appelantes soutiennent que l'intimée ne justifie pas avoir communiqué les pièces en cause, ni laissé son intranet en libre accès pendant la durée prescrite et, en conséquence, demandent à la cour de liquider les astreintes à la somme totale de 237 000 euro.

Cette demande, cependant, se heurte dans son principe même aux dispositions de l'article L. 131-3 du Code des procédures civiles d'exécution selon lequel "L'astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l'exécution, sauf si le juge qui l'a ordonnée reste saisi de l'affaire ou s'en est expressément réservé le pouvoir". Il en résulte que la cour est incompétente pour liquider l'astreinte prononcée par le jugement qui lui est déféré par la voie de l'appel, le tribunal, de surcroît, s'en étant expressément réservé le pouvoir. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de déterminer si les condamnations prononcées ont été exécutées, la demande de liquidation des astreintes sera rejetée.

Sur les demandes indemnitaires présentées par la société Sigma et Dumas

La société Label Etude & Progression ayant interrompu le paiement des redevances à partir du mois d'août 2010, elle sera condamnée à en payer le montant restant dû, soit la somme de 10 636,19 euro, avec intérêts calculés sur la base de trois fois le taux d'intérêt légal depuis le 29 octobre 2010, date de dernière mise en demeure. En revanche, le contrat étant résilié aux torts partagés des parties, compte tenu des manquements contractuels commis par elles, il n'y a pas lieu de faire application de la clause pénale prévue par l'article 8.2.2 du contrat.

Pour cette même raison, la société Sigma et Dumas ne saurait revendiquer d'être indemnisée du préjudice que lui cause l'interruption, avant son terme contractuel, de la relation d'affaire qu'elle entretenait avec la société Label Etude & Progression. Aussi sa demande indemnitaire au titre du manque à gagner né des redevances qu'elle aurait dû percevoir jusqu'à ce terme sera-t-elle rejetée.

S'agissant du préjudice moral dont elle demande réparation, la société Sigma et Dumas n'apporte pas d'élément qui permettrait de le caractériser, dans son principe et dans son étendue, comme un préjudice distinct de celui que les condamnations précédemment prononcées ont pour objet de réparer.

L'application de la clause pénale prévue à l'article 5-3-7 du contrat de franchise est invoquée par la société Sigma et Dumas au motif que la société Label Etude & Progression avait créé son propre site Internet sans faire référence, comme l'y obligeait cet article, à son appartenance au réseau de franchise Cours Ado. Il n'est cependant pas établi par les pièces du dossier qu'un tel site ait effectivement été mis en ligne à l'époque où la société Label Etude & Progression appartenait au réseau ; la demande de la société Sigma et Dumas sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article'700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement attaqué ; Rejette la demande de liquidation d'astreinte présentée par la société Label Etude & Progression et Mme Christine Marty ; Rejette toutes les autres demandes plus amples ou contraires de parties ; Condamne la société Label Etude & Progression et Mme Christine Marty aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.