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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 janvier 2014, n° 12-03872

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Allo Express (SARL)

Défendeur :

Cli Transit (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur

Avocats :

Mes Hardouin, Blin

T. com. Marseille, du 13 févr. 2012

13 février 2012

La société Allo Express a pour activité l'affrètement et l'organisation de transports. Elle a, depuis 2008 et jusqu'en 2011, entretenu des relations commerciales avec la société Cli Transit qui lui a sous-traité le transport de colis et objets divers.

Par un courrier du 11 février 2011 adressé à la société Cli Transit, la société Allo Express s'est étonnée de ne plus recevoir de commandes de sa part depuis le 15 décembre 2010 et lui a rappelé que la rupture de leurs relations ne pouvait intervenir, aux termes de l'article L. 442-6 du Code de commerce, qu'après un préavis écrit dont elle a estimé la durée à au moins trois mois, à défaut de quoi sa responsabilité serait engagée.

En réponse, la société Cli Transit s'est, par courrier du 18 février 2011, défendue d'avoir cessé ses relations commerciales avec la société Allo Express, mais a invoqué la baisse de son activité due à la conjoncture, marquée par la grève du port de Marseille et les nouvelles exigences de ses clients. Par ailleurs, elle demanda dans ce même courrier à la société Allo Express de lui communiquer ses nouveaux tarifs 2011, en s'étonnant de ne les avoir pas reçus.

Les échanges de courriers se sont poursuivis, jusqu'à ce que la société Allo Express saisisse le Tribunal de commerce de Marseille le 21 avril 2011 en demandant la condamnation de la société Cli Transit à lui payer la somme de 7 365 euros en réparation du préjudice résultant de la rupture sans préavis par celle-ci de leurs relations commerciales.

Par jugement en date du 13 février 2012, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- dit que la société Cli Transit avait rompu les relations commerciales avec la société Allo Express, et fixé la date de cette rupture au 16 décembre 2010 ;

- dit que la responsabilité de la société Cli Transit était engagée dans cette rupture ;

- condamné la société Cli Transit à payer à la société Allo Express la somme de 967 euro à titre de dommages et intérêts pour la durée du préavis, et celle de 300 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le tribunal a jugé que la société Cli Transit avait rompu brutalement ses relations commerciales avec la société Allo Express et qu'elle devait donc réparer le préjudice en résultant, sur la base d'une durée de préavis qu'elle a fixée à trois mois. Sur la détermination des dommages-intérêt dus en réparation de ce préjudice, il a considéré que le montant réclamé par la société Allo Express, égal au chiffre d'affaires sur cette durée, était "manifestement disproportionné" ; aussi a-t-il calculé ce montant à partir de la marge brute, estimée à 50 % du chiffre d'affaires, et en a déduit les paiements faits au titre des prestations effectuées durant cette période.

Vu l'appel interjeté le 29 février 2012 par la société Allo Express contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 6 septembre 2012 par la société Allo Express, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement du 13 février 2012 en ce qu'il constaté que la société Cli Transit avait rompu ses relations commerciales avec la société Allo Express le 16 décembre 2012;

- confirmer que sa responsabilité était engagée à ce titre ;

- condamner la société Cli Transit à payer à la société Allo Express la somme de 7 365 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

- condamner la société Cli Transit à payer à la société Allo Express la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Allo Express rappelle qu'elle était en relations commerciales régulières et suivies avec la société Cli Transit depuis plus de deux ans et qu'en conséquence, par application des dispositions du décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, la société Cli Transit devait, avant de rompre ces relations, respecter un préavis de trois mois.

Elle conteste que la société Cli Transit puisse d'exonérer de cette obligation de préavis au motif que ses conditions générales de vente pour 2011 ne lui auraient pas été communiquées. Elle soutient, au contraire, que ces conditions figuraient au verso de chaque facture qui lui était adressée et qu'en toute hypothèse elles lui ont été communiquées, comme à l'ensemble de ses clients. Elle considère, par ailleurs, que les difficultés économiques invoquées par l'intimée ne présentent pas le caractère d'imprévisibilité qui en ferait un cas de force majeure de nature à la dispenser de l'obligation de préavis.

L'appelante récuse l'argument de l'intimée selon lequel la rupture des relations commerciales a été non pas brutale, mais progressive. Elle souligne qu'au contraire son chiffre d'affaires avec la société Cli Transit a baissé de 97 % d'une année sur l'autre et que cette rupture lui a été annoncée oralement d'abord, puis par un courriel du 16 décembre 2010 ainsi rédigé : "Venez demain nous restituer le pli que nous vous avons confié et nous vous règlerons définitivement le compte Allo Express par la même occasion" (pièce n° 6).

En ce qui concerne l'évaluation de son préjudice, elle soutient qu'il convient de réparer non la perte de marge brute, comme l'a fait le tribunal, mais la perte de chiffre d'affaires sur une période de trois mois, soit, compte du chiffre d'affaires moyen réalisé avec la société Cli Transit en 2008, 2009 et 2010, la somme de 3 365 euros. Elle ajoute que la rupture brutale de ses relations avec la société Cli Transit a porté atteinte à sa réputation professionnelle et que ce préjudice moral doit être réparé par l'allocation de la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Vu les dernières conclusions signifiées le 19 juillet 2012 par la société Cli Transit, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement querellé ;

- constater qu'il n'y a pas eu de rupture des relations commerciales entre la société Cli Transit et Allo Express ;

- constater que la société Allo Express n'a jamais transmis ses conditions générales de vente ;

- constater les difficultés économiques sur ce secteur ;

- dire et juger qu'en conséquence, il n'y pas eu de rupture brutale des relations commerciales entre les sociétés Allo Express et Cli Transit ;

A titre subsidiaire :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a entendu limiter la condamnation à la somme de 967 euro à titre de dommages et intérêts ;

- débouter la société Allo Express de toutes ses demandes en indemnisation de son préjudice moral comme n'étant pas démontré.

A titre principal, l'intimée considère que la société Allo Express a gravement manqué à ses obligations en ne lui communiquant pas ses tarifs et conditions générales de vente pour 2011, ou plus précisément en ne les lui communiquant qu'en mars 2011, en violation de l'article L. 441-6 du Code de commerce, et que ce manquement l'autorisait, conformément aux dispositions de l'article L. 442-6 5° du même code, à mettre fin sans préavis à leurs relations commerciales.

Elle fait valoir, également, que l' "arrêt progressif" des relations commerciales entre les deux entreprises a pour origine les difficultés économiques du secteur et la pression accrue des clients en ce qui concerne les prix, d'où il est résulté une chute du chiffre d'affaires réalisé avec l'appelante, passé de 15 856 euros en 2008 à 10 691 euros en 2010. Elle indique avoir été contrainte, dans ces conditions, de faire appel à un autre sous-traitant dont les prestations étaient moins onéreuses et de privilégier l'envoi classique, non assuré par la société Allo Express, à l'envoi en express.

A titre subsidiaire, elle conteste le montant, qu'elle juge disproportionné, des dommages-intérêts qui lui sont réclamés par la société Allo Express, tant au titre de la perte de chiffre d'affaires qu'au titre de l'atteinte portée à sa réputation, et fait valoir que c'est à bon droit que les premiers juges ont limité l'indemnisation de l'appelante à la perte de la marge brute et ont rejeté sa demande de réparation d'un prétendu préjudice moral.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

L'appelante n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents résultant d'une exacte analyse des éléments du dossier, notamment des pièces contractuelles, ainsi que de la juste application de la loi et des principes régissant la matière.

Sur la rupture des relations établies entre les sociétés Allo Express et Cli Transit

Aux termes de l'article L. 442-6 du Code de commerce, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale (...)".

Au cas d'espèce, il résulte du dossier que la société Cli Transit entretenait depuis janvier 2008 des relations commerciales continues avec la société Allo Express, - dans le cadre desquelles elle lui sous-traitait le transport de colis et objets divers -, et qu'elle les a interrompues en décembre 2010 jusqu'au 17 février 2011, avant d'y mettre fin définitivement au début du deuxième trimestre 2011. Cette rupture n'ayant été précédée d'aucun préavis écrit, sa responsabilité se trouve donc engagée par application des dispositions de l'article L. 442-6 précité.

La société Cli Transit, qui ne conteste pas l'application de cette disposition, prétend, cependant, que sa responsabilité doit être écartée, sur la base des dispositions du même article qui réservent la faculté de résiliation sans préavis "en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".

C'est ainsi qu'elle soutient que la société Allo Express ne lui a pas communiqué, comme l'article L. 441-6 du Code de commerce lui en faisait obligation, ses conditions générales de vente, ni pour l'année 2011, ni pour les années précédentes. Cette omission prétendue est contestée par la société Allo Express, qui précise que ces conditions figuraient au dos de chacune de ses factures et que, de surcroît, celles applicables pour 2011 ont bien été communiquées à l'intimée comme à l'ensemble de ses clients. Aussi ne peut-elle être considérée comme établie, faute d'autres éléments probatoires, étant entendu que si tel était le cas, il resterait à déterminer si elle pourrait constituer une inexécution par la société Allo Express de ses obligations contractuelles propre à justifier une rupture sans préavis.

La société Cli Transit, par ailleurs, expose que les difficultés économiques auxquelles elle s'est trouvée confrontée l'ont contrainte à diminuer son volume de sous-traitance avec la société Allo Express et qu'elles constituent un cas de force majeure au sens de l'article L. 442-6 précité. La cour sur ce point ne peut qu'observer que le caractère d'imprévisibilité de ces difficultés reste à démontrer et qu'en toute hypothèse l'application de l'article L. 442-6 précité n'interdisait nullement à la société Cli Transit de rompre ses relations avec la société Allo Express, si elle estimait cette rupture nécessaire compte tenu de la situation économique, mais seulement de le faire sans préavis écrit.

Il en résulte que la société Cli Transit est tenue, par application des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de réparer le préjudice qu'elle a causé à la société Allo Express en rompant sans préavis écrit les relations qui étaient établies entre elles.

Sur le montant des dommages-intérêts dus à raison du défaut de préavis

Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales établies entre les parties, il y a lieu de considérer que la durée du préavis dont aurait dû bénéficier la société Allo Express est de trois mois, comme elle le demande.

En revanche, le montant des dommages-intérêts que l'appelante sollicite sur cette base est, comme l'ont relevé les premiers juges, manifestement disproportionné. Aussi convient-il d'adopter la méthode de calcul appliquée par le tribunal, et de retenir non le chiffre d'affaires, mais la marge brute qui aurait été réalisée sur une période de trois mois, le taux de cette marge étant fixée à 50 % du chiffre d'affaires. Il en résulte, compte tenu du chiffre d'affaires des trois mois précédant la rupture, - 2 198 euros -, et déduction faite des sommes reçues par la société Allo Express pour les ultimes prestations qu'elle a réalisées, - 132 euros -, que le montant des dommages-intérêts dus s'établit à 967 euros.

Sur la demande de dommages-intérêts complémentaires

L'appelante fait valoir que la rupture brutale des relations commerciales qui étaient établies avec l'intimée a entraîné, d'une part, une désorganisation de son entreprise dont les "moyens matériels, logistiques et humains" qui étaient jusqu'alors employés "se sont trouvés subitement sans contrepartie" et, d'autre part, un atteinte à sa réputation professionnelle. Elle demande à ce titre des dommages-intérêts complémentaires d'un montant de 4 000 euros.

Cependant, elle ne démontre pas que la désorganisation qu'elle allègue a entraîné un dommage distinct de celui que l'allocation de dommages-intérêts pour rupture sans préavis des relations établies a précisément pour objet de réparer, pas plus qu'elle ne démontre la réalité de l'atteinte à sa réputation professionnelle qu'aurait causée cette rupture. Sa demande sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles

Au regard de l'ensemble de ce qui précède, il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Cli Transit la totalité des frais irrépétibles engagés pour faire valoir ses droits et la société Allo Express sera condamnée à lui verser la somme de 500 euros en application de l'article'700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions ; Condamne la société Allo Express à payer à la société Cli Transit la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires des parties ; Condamne la société Allo Express aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.