CA Colmar, 1re ch. civ. A, 8 janvier 2014, n° 12-04019
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dark Dog France (SAS) , Brasserie Licorne (SAS)
Défendeur :
Pepsico France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Vallens
Conseillers :
Mme Roubertou, M. Wiesel
Avocats :
Mes Heichelbech, Spieser, Gumuschian, Lemouchi-Maire
Par un premier contrat du 20 avril 2007 la société Dark Dog France (Dark Dog) a confié à la Brasserie Licorne (Brasserie Licorne) la distribution exclusive de ses produits pour la France. Dans ce cadre, Dark Dog et Brasserie Licorne ont conclu deux contrats de sous-distribution exclusive avec la société PepsiCo France (Pepsico) pour la distribution des produits Dark Dog : un premier contrat du 22 septembre 2008 pour les circuits entrepositaires et pétroliers CHD (consommation hors domicile) pour une durée de cinq ans du 1er septembre 2008 au 31 décembre 2013 et un second contrat conclu le 30 mars 2009 pour les mêmes produits dans les circuits GMS (super et hypermarchés) et Cash & Carry (commerce de gros alimentaire) pour une même durée de cinq ans, du 1er avril 2009 au 30 juin 2014. Ce second contrat, objet du litige, prévoyait des objectifs de vente en augmentation et un budget commercial de 4 millions à la charge de Dark Dog.
Au vu de résultats inférieurs aux prévisions, les parties ont conclu un avenant le 31 décembre 2009 prévoyant notamment le versement par Pepsico à Dark Dog d'une participation publicitaire exceptionnelle de 1 million euro, une autorisation temporaire pour Pepsico de commercialiser dans les circuits Cash & Carry les boissons Pepsi USA et Rock Star du 1er avril 2010 au 31 mars 2011, ainsi qu'une modification des redevances sans que les résultats évoluent de manière positive.
Procédure :
Par un acte d'huissier du 12 août 2011, Dark Dog et Brasserie Licorne ont fait citer Pepsico devant le Tribunal de grande instance de Saverne aux fins de paiement de redevances marketing sur les quantités non vendues, de soldes sur factures et de dommages et intérêts, en demandant en outre qu'il soit interdit à Pepsico de poursuivre la distribution des produits Rockstar sous peine d'astreinte.
Par un jugement du 29 mai 2012, le tribunal :
- a dit que Pepsico était tenue d'une obligation de moyens envers Dark Dog,
- a débouté celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour non-réalisation des objectifs de vente,
- a constaté la violation par Pepsico de son engagement d'exclusivité à effet du 30 juin 2011,
- a fait droit à la demande de Dark Dog tendant à l'exécution forcée de la convention du 30 mars 2009 et de son avenant du 30 mars 2010,
- a condamné Pepsico à payer à Dark Dog par les sommes suivantes :
771 038, 34 euro TTC au titre d'une facture du 30 juin 2011
13 407, 85 euro TTC au titre des factures 11/02 et 11/12,
- a condamné Pepsico à cesser la commercialisation des produits Rockstar dans les circuits GMS et Cash & Carry en France, Corse et DOM, sous peine d'une astreinte de 3 000 euro par jour de retard,
- a condamné Dark Dog à rembourser à Pepsico la somme de 381 851,10 euro si besoin par compensation avec la somme de 771 038,34 euro précédemment allouée à Dark Dog,
- a ordonné la capitalisation des intérêts,
- a fixé le point de départ des intérêts au jugement,
- a condamné Pepsico à payer à Dark Dog une indemnité de procédure de 5 000 euro.
Dark Dog et la Brasserie Licorne ont interjeté appel du jugement.
Elles demandent à la cour de :
- dire et juger que Pepsico était tenue d'une obligation de résultat et qu'elle ne rapporte pas la preuve d'un cas de force majeure,
- condamner Pepsico à payer à Dark Dog les somme des 27 767 386 euro au titre des redevances marketing et de 6 750 000 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de valeur de la marque,
- condamner Pepsico à payer à la Brasserie Licorne la somme de 2 608 968 euro TTC à titre de dommages et intérêts pour perte de la marque de production,
- constater que la somme de 381 851,10 euro a déjà été restituée à Pepsico,
- à titre subsidiaire, si la cour considère l'obligation d'objectifs comme une obligation de moyens,
- dire et juger que Pepsico n'a pas mis les moyens nécessaires pour promouvoir les ventes des produits Dark Dog,
- dire et juger que Pepsico a commis des fautes et des violations contractuelles graves,
- dire et juger qu'elle a violé son engagement de non-concurrence depuis le 30 juin 2011 et qu'elle a porté atteinte à la marque et aux intérêts des appelantes, notamment en commercialisant un produit concurrent Rockstar,
- condamner Pepsico à payer à Dark Dog les sommes de 22 213 908 euro TTC à titre de dommages et intérêts pour perte d'une chance de réaliser les volumes convenus et 5 400 000 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de valeur de la marque,
- condamner Pepsico à payer à Brasserie Licorne la somme de 2 087 174 euro TTC à titre de dommages et intérêts pour manque à gagner.
À l'encontre des prétentions de Pepsico, les appelantes demandent en outre à la cour de :
- constater que les parties n'ont pas convenu de ne pas appliquer la redevance sur les volumes dits export et DOM,
- dire que la redevance s'y applique,
- confirmer le jugement en ce qui concerne la somme de 771 038,27 euro allouée à ce titre,
- débouter Pepsico de sa demande de remboursement d'un trop-perçu de 399 587,85 euro, subsidiairement,
- dire que Pepsico ne justifie pas du montant de des redevances réclamées,
- débouter Pepsico de sa demande de remboursement d'un trop-perçu de 196 571,93 euro,
- constater que Dark Dog a rempli ses obligations en investissant pour les années 2008, 2009 et 2010 une somme de 2 150 146 euro et pour 2011 et 2012 une somme de 1 401 769 euro,
- dire que Pepsico ne peut se prévaloir de l'exception d'inexécution,
- débouter Pepsico de sa demande de résolution,
subsidiairement,
- limiter la résiliation du contrat pour l'avenir,
- débouter Pepsico de sa demande de restitution des redevances,
à titre plus subsidiaire,
- dire que Pepsico a renoncé à toute indemnisation en cas de résolution du contrat et de la débouter de ses prétentions,
en cas de résolution,
- condamner Pepsico à restituer à Dark Dog la somme de 19 855 059 euro au titre des redevances marketing qu'elle aurait dû percevoir de Licorne si la distribution n'avait pas été confiée à Pepsico,
- condamner Pepsico à restituer à Brasserie Licorne la somme de 11 226 143 euro à titre de dommages et intérêts pour la marge commerciale qu'elle aurait réalisée si la distribution n'avait pas été confiée à Pepsico,
en tout état de cause,
- condamner Pepsico à payer à Dark Dog les sommes de 27 767 386 euro à titre de dommages et intérêts et 6 750 000 euro au titre de perte de valeur de la marque,
- condamner Pepsico à payer à Brasserie Licorne la somme de 2 608 968 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de marge de production,
- ordonner la capitalisation des intérêts appliqués aux montants alloués,
- condamner Pepsico à payer à chacune des appelantes une indemnité de procédure de 25 000 euro.
Par leurs conclusions récapitulatives du 13 septembre 2013, les appelantes exposent pour l'essentiel :
Pepsico, se prévalant de son expérience, a obtenu la distribution exclusive des produits Dark Dog distribués par Brasserie Licorne ; les parties ont convenu d'une progression annuelle moyenne du chiffre d'affaires de 50 % à partir du 1er janvier 2009 pour le segment CHD et de 30 % à partir du 1er juillet 2009 pour le segment alimentaire ; les boissons énergisantes connaissaient une croissance forte en Europe ; au vu des résultats négatifs inférieurs aux objectifs fixés, un avenant a été mis en place prévoyant plusieurs actions correctives ; Pepsico a souhaité pouvoir distribuer sa propre boisson concurrente Rockstar ; une autorisation provisoire lui a été donnée jusqu'au 31 décembre 2010 ; les objectifs de vente des produits Dark Dog n'ont pas pour autant été atteints ; Pepsico a poursuivi néanmoins la commercialisation de ses propres produits au courant de 2011 ; la marque Dark Dog a été déréférencée par plusieurs distributeurs au profit des produits Rockstar ; Dark Dog et son distributeur ont dû assigner Pepsico devant le tribunal de grande instance, lequel a constaté la violation par Pepsico de son engagement d'exclusivité ; la clause d'objectifs était une obligation de résultat, contrairement à l'avis des premiers juges ; Pepsico s'était engagée sur cette base pour la première année et pour les années suivantes ; l'inexécution des objectifs fixés constitue une inexécution du contrat et Pepsico ne démontre pas la force majeure ; la redevance était calculée sur les objectifs réalisés mais le préjudice subi est lié aux volumes prévus et non réalisés par Pepsico ; Dark Dog a résilié le contrat par une lettre du 12 septembre 2012 ; les autres boissons énergisantes comme Red Bull connaissent une croissance en France ; Pepsico ne démontre pas les efforts commerciaux qu'elle devait réaliser ; la faute contractuelle de Pepsico serait aussi établie si l'obligation était considérée comme une obligation de moyens ; elle n'a pas mis les moyens nécessaires pour promouvoir les produits Dark Dog et elle a rendu cette marque moribonde, tout en favorisant la vente de ses propres produits Rockstar ; la différence entre les ventes prévues et les ventes réalisées entraîne une perte chiffrée à 27 767 390 euro HT pour Dark Dog ; le commissaire aux comptes de Dark Dog a attesté les chiffres mis en compte ; Pepsico ne peut les contester puisqu'ils résultent de ses commandes auprès de Brasserie Licorne ; ces méventes ont entraîné une perte de valeur de la marque évaluée à 6 750 000 euro, calculée à partir de sa valeur à l'actif lors de l'achat en 2005 et de l'augmentation des ventes réalisées en trois ans ; Licorne a également subi un préjudice, quelle que soit la qualification de l'obligation de Pepsico, du fait de la non-réalisation des objectifs de ventes ; ce préjudice équivaut à la perte de marge sur les hectolitres non vendus ; de son côté Dark Dog a procédé aux investissements prévus en marketing pour 13 868 691 euro au 31 décembre 2012, chiffre attesté par son commissaire aux comptes ; elle a subi un manque à gagner équivalant à la différence entre cet investissement et les redevances versées par Pepsico, soit 8 166 855 euro d'où une différence de 5 701 836 euro HT ; la perte de chance de percevoir des redevances marketing sur les volumes convenus est évaluée à 80 % du préjudice subi soit 5 400 000 euro pour la perte de valeur de la marque et 22 213 908 euro pour le manque à gagner subi ; Pepsico a progressivement supprimé les budgets commerciaux, portant atteinte aux produits Dark Dog au profit du produit Rockstar, qui est un concurrent et non un produit complémentaire ; l'autorisation donnée à Pepsico était provisoire selon l'avenant du 30 mars 2010 ; Pepsico a conditionné ses produits pour les rendre concurrentiels ; elle a positionné les produits Dark Dog dans le secteur de la nuit, ce qui a causé un préjudice à la marque ; Dark Dog a dû résilier le contrat le 12 septembre 2012 pour le 31 décembre suivant ; Pepsico n'a pas produit ses statistiques de ventes malgré les demandes formées par Dark Dog ; elle a poursuivi la commercialisation des produits Rockstar après le terme prévu par l'avenant ; contrairement à ce que soutient Pepsico, les volumes " export " n'étaient pas exclus du calcul de base de la redevance marketing ; Pepsico ne peut réclamer la résolution du contrat aux torts de Dark Dog, car l'inexécution du contrat lui incombe ; les redevances marketing ne pourraient être restituées alors que Pepsico n'a elle-même pas rempli ses obligations et que, s'agissant d'un contrat à exécution successive, il ne peut y avoir résolution rétroactive ; les frais engagés par Pepsico lui ont profité et elle ne subit aucun préjudice.
Pepsico demande à la cour de :
- débouter Dark Dog et Brasserie Licorne de leur demande de dommages et intérêts à hauteur de 27 767 386 euro TTC,
- constater que les produits Dark Dog et Rockstar ne sont pas concurrents,
- dire et juger que Pepsico n'a pas manqué à son obligation de non-concurrence,
- dire et juger que les volumes export et DOM ne peuvent donner lieu à une redevance et que les produits invendus sont exclus de la base de la redevance,
- condamner en conséquence Dark Dog à lui rembourser la somme de 771 038,27 euro allouée par le jugement ainsi qu'un trop-perçu de 399 587,85 euro pour les volumes export, ou subsidiairement un trop-perçu de 196 571,93 euro dans le cas où les volumes export, les gratuits et autres seraient pris en compte,
- constater que la somme de 226 222,51 euro correspondant au solde d'une facture du 31 mars 2011 a été réglée,
- constater que Dark Dog n'a plus procédé à des investissements marketing et qu'elle ne démontre pas le préjudice subi par la marque,
- débouter Dark Dog de ses demandes de dommages et intérêts correspondants,
- débouter Licorne de sa demande de dommages et intérêts pour la perte de marge de production,
reconventionnellement,
- prononcer la résolution des contrats à compter du jour où ces contrats n'ont pas été régulièrement exécutés par Dark Dog (sic),
- condamner Dark Dog à lui restituer les redevances versées, soit 7 522 174 euro HT (soit 8 996 520,24 euro TTC),
- condamner Dark Dog et Brasserie Licorne solidairement à lui payer les sommes de 4 738 526 euro à titre de dommages et intérêts et de 80 000 euro pour les frais de procédure,
- confirmer le jugement en ce qui concerne le remboursement par Dark Dog d'un trop-perçu de 381 851,10 euro.
Pepsico fait valoir pour l'essentiel : le contrat prévoyait un accroissement des ventes ; Dark Dog était tenue de maintenir un budget marketing de 4 millions euro ; elle a distribué les produits Dark Dog en contrepartie d'une redevance versée à Dark Dog calculée sur la base des volumes vendus ; une clause de résiliation était prévue si les objectifs n'étaient pas atteints ; l'avenant conclu en 2010 prenait acte d'une synergie entre les produits Dark Dog et Rockstar ; les objectifs fixés ne constituent pas une obligation de résultat ; la seule sanction de la non-réalisation des objectifs justifie la résiliation, comme le prévoit le contrat ; il n'existait pas dans le contrat de clause d'indemnisation automatique comme l'ont admis les premiers juges ; la redevance est due sur les volumes vendus et non sur les volumes prévus et non réalisés ; Dark Dog a résilié le contrat au mois de septembre 2012 après avoir fait appel du jugement, en choisissant de maintenir ce contrat qui lui profitait sur la base du calcul des volumes prévus ; les dommages et intérêts sont donc contestés ; si l'objectif équivalait à une obligation de résultat, la résiliation serait de droit, alors que s'il s'agit d'une obligation de moyens, la résiliation serait judiciaire ; il s'agit ici d'une obligation de moyens en raison des aléas ; Dark Dog n'a pas mis les moyens financiers nécessaires pour assurer le marketing du produit, par comparaison avec les autres fabricants de boissons similaires comme Red Bull ; elle n'a pas non plus engagé le budget de 4 millions euro pour le marketing et la communication comme le prévoyait le contrat ; elle ne justifie pas des dépenses engagées ; elle a en outre comptabilisé dans les dépenses de marketing le montant de la redevance réduite par l'avenant ; Pepsico a en revanche respecté ses obligations et proposé à Dark Dog des actions correctives nécessaires en 2010 et 2011 ; les produits Dark Dog sont restés référencés en 2010 et 2011, à la seule exception du groupe Carrefour ; quant aux montants de la redevance réclamés pour 2012 (soit 23 216 878 euro HT), elle n'est pas due en l'absence d'objectifs fixés pour cette année et au vu du caractère irréaliste des objectifs de ventes invoqués ; la concurrence déloyale est contestée, en l'absence de concurrence effective entre les produits Dark Dog et Rockstar qui étaient complémentaires ; Pepsico a poursuivi la commercialisation des produits Rockstar pour améliorer la synergie des produits ; elle a cessé cette commercialisation à compter du mois de juillet 2012 sans que les ventes des produits Dark Dog augmentent ; suite au jugement, elle a cessé cette exploitation en raison du rejet de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement malgré l'accord de Dark Dog sur ce point ; en ce qui concerne les ventes à l'export il avait été convenu de les exclure de la base de calcul ; Pepsico a procédé seules à des investissements ; subsidiairement, la redevance n'est due que sur les produits vendus, soit 245 093,04 euro HT et non 644 680,89 euro HT ; en ce qui concerne le solde sur la facture du 31 mars 2011 (226 222,51 euro TTC), il avait été réglé dès le 4 août 2011 avant assignation ; Dark Dog a abandonné cette demande dans ses conclusions ; la perte de valeur de la marque, chiffrée à 6 750 000 euro est également contestée, à la fois en ce qui concerne la valeur d'achat et l'imputation à Pepsico d'une diminution de celle-ci ; en ce qui concerne la demande de Brasserie Licorne portant sur une somme de 2 600 968 euro, le contrat ne prévoyait pas de quantités minimum à acquérir ; il en résulte que les hectolitres manquants ne sont pas justifiés ; sur demande reconventionnelle, l'inexécution du contrat est imputable à Dark Dog et justifie sa résolution à ses torts ; Dark Dog devra donc restituer à Pepsico les sommes payées, soit 9 767 558,58 euro TTC pour les redevances de 2010 à 2012 ; un préjudice supplémentaire a été subi par Pepsico du fait de l'augmentation de la force de vente qu'elle a dû mettre en place et affectée à Dark Dog à hauteur de 4 738 526 euro ; en ce qui concerne la facture du 31 décembre 2011, il existe un trop payé par erreur qui est réclamé à hauteur de 381 851,10 euro.
Sur ce, LA COUR :
Sur l'obligation de Pepsico :
Le litige déféré à la cour porte sur l'exécution du sous-contrat de distribution exclusive conclu entre les parties le 30 mars 2009 dans le cadre des relations commerciales établies par un contrat de distribution conclu antérieurement entre Dark Dog et Brasserie Licorne le 20 avril 2007 et un premier contrat de sous-distribution exclusive conclu entre Dark Dog Brasserie Licorne et Pepsico le 22 septembre 2008 pour la distribution CHD sur les circuits entrepositaires et pétroliers. Le contrat litigieux concerne la distribution des produits Dark Dog dans un second circuit GMS et Cash & Carry. Il prévoyait l'approvisionnement de Pepsico auprès de Brasserie Licorne, distributeur exclusif de Dark Dog. Un budget marketing de 4 millions euro était prévu à la charge de Dark Dog pour la première période du 1er avril 2008 au 31 mars 2009, déterminé de manière fixe pour trois ans et un budget équivalent à celui de cette année " pour la durée du contrat ". Pepsico devait verser de son côté une redevance calculée sur les volumes vendus. Par ailleurs, les parties avaient validé pour les 12 premiers mois de collaboration des prévisionnels de vente pour les deux circuits GMS et Cash & Carry. Enfin, ce qui fait l'objet du différend, les parties ont fixé des objectifs de vente : " A compter du 1er juillet 2009, les parties conviennent d'une progression moyenne annuelle des ventes et du chiffre d'affaire égale à 30 % dans les conditions suivantes, tout format des produits confondu:
Circuit GMS :
année 2008 : 29 300 hl (+ 27 %)
deuxième semestre 2009 : 17 000 hl, + 30 % par rapport au premier semestre 2008
année 2010 : 44 000 hl, + 30 % par rapport à 2009
année 2011 : 57 000 hl, + 30 % par rapport à 2010 ;
Circuit Cash & Carry :
année 2008 : 5 750 hl (- 5 %)
deuxième semestre 2009 : 2 600 hl, + 30 % par rapport au premier semestre 2008
année 2010 : 6 700 hl, + 30 % par rapport à 2009
année 2011 : 8 700 hl, +30 % par rapport à 2010". (art. 13).
À cette clause, s'ajoutent des dispositions complémentaires intitulées : " clause de résiliation " prévoyant notamment : " En cas de non-réalisation des volumes contractuels (...) et en admettant une tolérance de 20 %, et après mise en demeure notifiée par (Dark Dog), les parties s'engagent à se rencontrer dans le délai d'un mois à compter de cette notification et définir ensemble des actions correctives que le sous-distributeur alimentaire (Pepsico) s'engage à réaliser dans les délais impartis afin d'atteindre rapidement les volumes contractuels initialement prévus. En tout état de cause, à défaut de réalisation des volumes contractuels au plus tard dans un délai de 9 mois à compter de la mise en demeure (...) en admettant une tolérance de 20 % comme indiqué ci-dessus et sauf force majeure démontrée par le sous-distributeur alimentaire, le contrat sera résilié de plein droit, si bon semble au propriétaire " (art. 15).
Il est constant que les ventes n'ont pas progressé comme prévu, ce qui a conduit les parties à conclure un avenant le 30 mars 2010 pour modifier le contrat du 30 mars 2009 " par des actions correctives à mener afin de renouer rapidement avec une croissance conforme aux objectifs initiaux ". Elles ont ainsi modifié le conditionnement du produit, prévu une participation financière exceptionnelle d'un million euro par Pepsico pour 2009 " pour réinstaurer un équilibre ventes/dépenses marketing ", décidé d'avoir une réunion trimestrielle " pour réaliser un business review intermédiaire notamment par rapport aux objectifs contractuels réciproques ". Elles ont également convenu de permettre la commercialisation par Pepsico de ses propres produits Rockstar provisoirement du 1er avril 2010 au 31 mars 2011 dans les circuits GMS et Cash & Carry uniquement en évitant tout acte au détriment de la commercialisation des produits Dark Dog. Elles ont aussi fixé à 1 million euro le budget marketing pour la période du 1er avril au 31 décembre 2010 et une enveloppe de 300 000 euro allouée à Pepsico pour renforcer les budgets globaux de Pepsico et une réduction " exceptionnelle " à compter du deuxième trimestre 2010 de la redevance marketing due par Pepsico. Elles ont enfin convenu de réviser à la baisse les objectifs de vente pour les années 2010 et 2011 notamment pour 2010 : 34 000 hl (GMS) et 3 000 hl (Cash & Carry).
Il est surprenant sans doute que des objectifs de vente soient considérés comme une obligation de résultat compte tenu du caractère aléatoire des ventes escomptées et Pepsico a vraisemblablement conclu dans ces termes dans un esprit commercial sans mesurer véritablement les conséquences juridiques des termes utilisés. Mais Pepsico étant un professionnel de la distribution, Dark Dog est fondée à lui opposer les conditions contractuelles prévues de manière expresse pour la réalisation des objectifs annoncés et pour la sanction d'une non-réalisation sauf cas de force majeure.
La cour doit analyser cette clause, avant comme après la modification quant aux objectifs, comme une obligation de résultat en raison notamment de l'article 15, toujours applicable, prévoyant sous réserve d'une tolérance de 20 %, la résiliation du contrat " à défaut de réalisation des volumes contractuels (...) sauf force majeure " et de la limite fixée par la clause de tolérance de 20 % insérée au contrat.
Dès lors, il appartient à Pepsico de démontrer qu'elle était dans l'impossibilité d'atteindre les résultats escomptés.
Par une lettre adressée à Dark Dog le 11 février 2011, Pepsico a imputé la diminution des ventes de Dark Dog à l'arrivée sur le marché français de la marque Red Bull le 1er juillet 2008 qui a " implicitement modifié la structure du marché en faisant passer Dark Dog, leader sur le marché des energy drinks depuis son lancement à une position de challenger. De nombreux concurrents de marque nationale ont ensuite investi ce marché, si bien qu'en 2010, 4 marques nationales sont présentes avec plus de 80 points de vente (Dark Dog, Red Bull, Monster et Burn). Plus récemment, les distributeurs ont souhaité lancer leurs propres energy drinks qui représentent en 2010 12 % de l'offre et du linéaire en magasin ".
Dans cette même lettre, Pepsico a également reproché à Dark Dog " l'absence d'actions marketing au niveau national en vue de la promotion de la marque en 2010 incombant à votre société " et " le passage tardif en octobre 2009 à une recette à la taurine un an après la concurrence ".
En parallèle, Pepsico a entrepris de commercialiser ses produits Rockstar, conformément à l'avenant du 30 mars 2010 qui l'autorisait et a maintenu cette commercialisation au-delà du terme de l'autorisation provisoire valable jusqu'au 31 décembre 2010. Aux termes de l'avenant, il était pourtant prévu que les parties se réuniraient au terme de cette période. Ceci n'a été apparemment possible, d'abord que par téléphone le 28 janvier 2011 puis par une réunion effective le 22 février 2011, sans qu'un accord soit conclu pour une prolongation de cette autorisation, comme cela ressort d'une lettre de Dark Dog du 1er février 2011 et d'un mail du 25 février suivant.
Il s'agit à partir de ce constat de déterminer si la non-réalisation des ventes peut être imputée à un cas de force majeure extérieur.
La commercialisation de Red Bull est certes un élément concurrentiel certain, mais il se situe au mois de juillet 2008 avant la conclusion du contrat et de l'avenant, et il était nécessairement connu de Pepsico, même si sa commercialisation a été favorisée par l'autorisation accordée ultérieurement pour l'utilisation de la taurine dans sa composition.
Le deuxième argument invoqué par Pepsico est l'absence d'investissements suffisants de Dark Dog dans le marketing de ses produits. Aux termes du contrat litigieux, Dark Dog devait investir chaque année 4 millions euro, somme ramenée par l'avenant à 1 million euro pour la période du 1er avril 2010 au 31 décembre 2010. A cette diminution s'ajoute une réduction exceptionnelle de la redevance marketing due par Pepsico à Dark Dog, passant de 0,27 euro par unité de 0,25 l à 0,18 euro. Cette diminution convenue entre les parties par l'avenant avait sans doute pour contrepartie une prestation supplémentaire de Pepsico à hauteur d'un million euro, et l'autorisation de commercialisation provisoire des produits Rockstar par Pepsico, dans la perspective d'une complémentarité des produits pour " créer une dynamique Dark Dog/Rockstar à l'image de celle mise en place par Coca-Cola avec Burn/Monster " selon les termes de l'avenant.
Mais ces différents éléments en particulier la diminution significative du budget marketing incombant à Dark Dog ne pouvaient qu'entraîner une perte de visibilité des produits Dark Dog, dans la mesure où l'essentiel de l'effort publicitaire reposait sur le propriétaire et distributeur de la marque, en particulier pour un produit relativement récent et déjà concurrencé par d'autres boissons similaires. Dans ce contexte économique et commercial difficile, la vente des produits Rockstar pouvait apparaître comme une démarche positive, c'était du moins l'intention affichée des parties, même si elle s'est avérée contre-productive, Pepsico diffusant ses propres produits naturellement dans les mêmes secteurs par priorité.
Il a été de plus établi que les professionnels du secteur ont considéré au début de l'année 2012 que Pepsico se désengageait de la commercialisation de Dark Dog et privilégiait sa marque d'energy drinks.
Il apparaît ainsi que Pepsico n'a pas rempli les objectifs annoncés et acceptés, et qu'elle a méconnu l'obligation de résultat à laquelle elle avait souscrit, mais que cette inexécution n'est pas la seule cause de la non-réalisation des ventes escomptées.
Il est constant que les ventes réalisées par Pepsico n'ont pas été à la hauteur des prévisions contractuelles, ainsi que cela ressort des achats effectués auprès du distributeur exclusif Brasserie Licorne. Elle a acquis :
En 2009 : 17 855 hl au lieu des 29 600 hl prévus
En 2010 : 24 259 hl au lieu des 51 500 hl prévus
En 2011 : 17 617 hl au lieu des 88 200 hl prévus
En 2012 : 10 588 hl seulement au lieu des 119 160 hl prévus, mais la rupture du contrat intervenue au mois de septembre 2012 ne permet pas de prendre cette année en considération.
De plus les chiffres énoncés étaient limités à 2011, car aucun objectif chiffré n'avait été fixé au-delà, les prévisions pour 2011 étant suivies de " '. ".
On ne peut en déduire ni la poursuite de l'évolution 30 % ni la nécessité d'un maintien du chiffre de 2011. Au surplus, l'article 10 du contrat prévoyait en réalité une révision des objectifs et une évolution de la redevance marketing qui était " fixe pendant 3 ans en fonction des volumes de vente effectivement réalisés, des augmentations de prix décidées par (Pepsico) des évolutions du marché et des budgets marketing fixés par (Dark Dog) " : la durée limitée du contrat était donc voulue par les parties.
La réparation du dommage telle qu'elle résulte des dispositions de l'article 1147 du Code civil ne peut être équivalente aux ventes non réalisées pour plusieurs raisons.
Malgré le caractère impératif des objectifs de vente, il existait par nature un aléa dans l'accomplissement de ceux-ci, dû au marché et à la concurrence, comme en l'espèce l'arrivée de produits similaires bénéficiant d'un budget marketing supérieur, ainsi qu'en l'espèce à une réduction de l'effort publicitaire de Dark Dog.
Par ailleurs, Dark Dog n'a pas dénoncé le contrat dès la constatation des résultats inférieurs aux prévisions ni considéré PepsiCo comme fautive ainsi que cela résulte de l'avenant conclu entre les parties après un an d'exécution le 30 mars 2010.
C'est en raison de ce constat des difficultés rencontrées que les parties ont ainsi convenu de réduire les objectifs de vente de façon significative et parallèlement de réduire la durée du préavis de rupture de 9 mois à 6 mois.
Dark Dog prétend contre toute vraisemblance que Pepsico aurait " exigé et obtenu " un budget marketing et promotionnel minimum annuel de 4 millions euro et soutient avoir consenti un budget conforme à ses obligations.
Elle indique ainsi avoir consenti un investissement marketing à hauteur d'une somme de 13 868 691 euro confirmée par son commissaire aux comptes en invoquant le sérieux des vérifications opérées par ce dernier.
Cette affirmation est contestable au vu des éléments suivants.
Rien n'indique d'abord que certains frais de personnel notamment de Brasserie Licorne puissent être rattachés à ce budget de marketing.
De plus, Dark Dog admet avoir revu à la baisse son budget " pour ne pas creuser les pertes accumulées" par les méventes en 2010 (- 1 000 512 euro), en 2011 (- 957 462 euro) et en 2012 (- 656 235 euro) tout en affirmant de manière vague qu'elle a fait son maximum pour soutenir sa marque.
En 2011 en outre, elle indique elle-même qu'elle aurait investi 2 150 146 euro pour soutenir sa marque, ce qui, même si le chiffre était exact, serait deux fois moindre que le budget marketing initialement prévu.
Elle a également intégré dans ce " budget marketing " le montant de la redevance réduite de 108 euro à 72 euro convenue par avenant, en qualifiant cette diminution de " budget marketing indirect ". Cette affirmation n'est pas sérieuse. Une telle réduction, de nature commerciale, ne peut être assimilée à un investissement destiné à promouvoir effectivement sa marque auprès du public. La seule certification du commissaire aux comptes est notoirement insuffisante à cet égard.
La non-réalisation des ventes provient ainsi également ainsi du désengagement de Dark Dog lorsqu'elle a voulu réduire ses dépenses pour équilibrer son budget.
Il est peu compréhensible dans ces conditions que Dark Dog ait opté initialement pour une exécution forcée du contrat dont les résultats s'avéraient en deçà de ses attentes, avant de se résoudre à mettre fin au contrat en septembre 2012. Il est aussi peu compréhensible qu'elle ait autorisé Pepsico à parasiter son réseau de distribution en l'autorisant à commercialiser ses propres produits. Le contrat comme l'avenant ont été ainsi manifestement mal conçus puisque tout en mettant formellement à la charge de Pepsico une obligation de résultat ils n'écartaient pas tout aléa commercial exprimé notamment par la tolérance prévue de 20 %, et faisaient dépendre la réalisation des quantités prévues de l'effort financier de Dark Dog elle-même, tout en prévoyant dès l'origine les conséquences de résultats inférieurs aux prévisions.
Au vu de ces éléments, le manque à gagner subi par Dark Dog n'est imputable que partiellement à Pepsico.
Le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a qualifié les engagements souscrits par Pepsico de simple obligation de moyens mais il convient de considérer que Pepsico était tenue d'une obligation de résultat dont l'inexécution est atténuée par le fait de Dark Dog elle-même.
Sur les montants :
Dark Dog est fondée à réclamer réparation à Pepsico. Son préjudice peut être évalué en fonction des quantités escomptées mais en tenant compte des éléments ci-dessus : l'aléa manifeste des objectifs énoncés, l'arrivée d'autres boissons similaires sur le même marché et enfin l'effort financier insuffisant de Dark Dog pour promouvoir sa marque. Ces éléments excluent une réparation à la hauteur des quantités escomptées.
Dark Dog met en compte les montants suivants :
27 767 386 euro TTC pour les redevances non encaissées arrêtées au 31 décembre 2012,
6 750 000 euro TTC au titre de la perte de valeur de la marque,
22 213 908 euro TTC au titre de la perte de chance de réaliser les volumes convenus par la concurrence des produits Rockstar,
et, par confirmation :
771 038,27 euro TTC représentant la redevance marketing sur les écarts de volumes non justifiés.
Le détail des prétentions de Dark Dog au titre de la redevance marketing se base sur les objectifs non réalisés de 2009 à 2011 et du déficit sur les redevances marketing non encaissées selon les conclusions de Dark Dog.
Les montants réclamés s'établissent comme suit :
2009 : 1 268 491 euro
2010 : 684 720 euro et 1 914 886 euro
2011 : 7 623 004 euro
2012 : 11 725 776 euro.
Seules les années 2009 à 2011 peuvent être prises en compte faute d'objectifs fixés pour 2012.
Le montant du préjudice dû aux redevances non encaissées s'établit donc à 11 491 102 euro HT ou 13 513 535, 95 euro TTC.
S'agissant de dommages et intérêts, seul le montant hors taxe peut être pris en compte soit 11 491 102 euro.
Sur ce montant, s'impute la part due à l'aléa du marché et à la diminution du budget marketing décidée par Dark Dog et que la cour fixe à la moitié du manque à gagner soit 5 745 551euro.
Sur la perte de valeur de la marque :
Dark Dog soutient que la marque dont elle titulaire aurait subi un préjudice du fait de la carence PepsiCo dans l'exécution de son obligation de résultat, avec comme seul argument que depuis la reprise par Pepsico de la distribution des produits Dark Dog les ventes n'ont cessé de chuter sans raison sérieuse, alors que le marché enregistrait des augmentations record, tant en valeur (+ 38,7 %) qu'en volume (+ 44,7 %). Indiquant une valeur de la marque à l'achat en 2005 à 2 763 492 euro, Dark Dog invoque une augmentation de cette valeur à 6 750 000 euro en fonction de l'augmentation des ventes réalisées en trois ans de 2005 à 2008, pour estimer à cette somme la valeur de la marque.
La cour ne peut suivre le raisonnement hasardeux présenté par Dark Dog dans sa démonstration : d'une part le prix d'acquisition en 2005 n'est pas probant dans la mesure où en 2007, date d'un apport scission documenté par Pepsico au 31 octobre 2007, cette marque était chiffrée à l'actif apporté à 1 950 000 euro ; d'autre part, il n'est pas établi que la marque aurait perdu la totalité de sa valeur actualisée par Dark Dog en 2008 à 6 750 000 euro, alors qu'elle ne démontre pas avoir cessé la vente de son produit ni porté sa valeur dans ses comptes à une somme inférieure. Enfin, l'évolution de la valeur de la marque est affectée par des éléments externes comme la commercialisation sur le même marché d'autres produits, indépendamment des méventes imputées à Pepsico.
Sur la redevance de 2011 :
Les premiers juges ont alloué à Dark Dog le montant d'une facture du 30 juin 2011 pour 771 038,34 euro correspondant aux volumes manquant à l'export au vu d'un écart de volumes dont Pepsico n'avait pas justifié. Pepsico prétend aujourd'hui sans le démontrer que ces écarts correspondaient à des gratuités que l'article 7 du contrat excluait de la base des redevances. Cet argument présenté devant la cour n'apparaît pas crédible au vu des quantités en cause, notamment 9 800 l à 0,7 euro par litre et 552 906 381 l à 1,08 euro par litre.
Pepsico se réfère également dans ses dernières conclusions à un accord conclu entre Dark Dog (M. Baudendistel) et Pepsico (M. Balavoine) qui auraient convenu d'écarter les ventes export mais ne justifie pas d'un tel accord. Au surplus, cela dérogerait aux dispositions expresses détaillées du contrat de sous-distribution exclusive, sans qu'aucun acte contractuel ni courrier contemporain ne vienne confirmer une telle modification. L'écart de stocks est par ailleurs justifié par Dark Dog dans un état de synthèse approuvé par son commissaire aux comptes. Le jugement est donc à confirmer de ce chef.
Sur la concurrence déloyale :
L'avenant du 30 mars 2010 a autorisé temporairement Pepsico à commercialiser ses produits sous la marque Rockstar pour un an, du 1er avril 2010 au 31 mars 2011, pour créer une dynamique Dark Dog/Rockstar. Il était prévu que cette autorisation serait reconduite si, au 31 octobre 2010, Pepsico avait réalisé un nombre minimum de ventes de 32 500 hl en produits Dark Dog, ou dénoncé dans le cas contraire, dans un délai de 6 mois. Il est constant que Pepsico n'a pas réalisé les chiffres prévus puisque seulement 16 122 hl ont été vendus. Il est également constant qu'elle a néanmoins poursuivi la vente de son propre produit malgré un courrier express de Dark Dog du 1er février 2011 refusant de manière explicite la poursuite des ventes des produits Rockstar par Pepsico. L'activité commerciale poursuivie par Pepsico était un acte de concurrence contraire aux stipulations de l'avenant. Pepsico soutient contre toute vraisemblance que les deux produits n'étaient pas concurrents, l'un étant pour les consommateurs de nuit, l'autre pour les consommateurs de jour : il s'agit dans les deux cas de boissons énergisantes sur un marché en essor pour un même public ciblé. De plus l'avenant lui-même a, par des précautions multiples, mentionné que les parties étaient conscientes du risque de concurrence : Pepsico s'engageait à ne pas " parasiter " les volumes et marchés de Dark Dog, l'autorisation préalable de Dark Dog était requise pour tout changement dans le format des boîtes de boissons, Pepsico s'engageait à s'abstenir de tous actes susceptibles de porter atteinte directement ou indirectement aux intérêts de Dark Dog, enfin le lien entre l'autorisation donnée à Pepsico et la réalisation d'un objectif de ventes déterminée pour les produits Dark Dog signifiait bien que cette activité n'était conçue comme un soutien à l'essor des ventes de Dark Dog.
Le seul fait de poursuivre la commercialisation des boissons Rockstar malgré les termes de l'avenant et malgré le refus de Dark Dog d'y consentir constitue ainsi une faute contractuelle qui justifiait la demande de Dark Dog tendant à l'interdiction de poursuivre la distribution de ces produits sous peine d'astreinte.
Quant à la réparation du préjudice résultant de cette concurrence, Dark Dog invoque la concurrence déloyale de Pepsico, mais aucune demande précise et chiffrée n'est faite dans le dispositif des conclusions qu'elle développe ce sujet. Les considérations de Dark Dog, malgré leur longueur et la répétition des griefs multiples réitérés contre Pepsico, ne contiennent aucune indication quant au préjudice occasionné par cette concurrence déloyale. Tout au plus peut-on trouver au détour de sa demande subsidiaire relative à l'obligation de moyen l'allégation d'une perte de chance de réaliser des volumes convenus et qu'elle chiffre à 22 213 908 euro TTC.
Le dispositif de ses conclusions évoque également l'allégation d'un lien entre l'atteinte à la marque et la commercialisation du produit concurrent.
Il n'est pas non plus démontré que la commercialisation des produits Rockstar ait porté atteinte à la marque elle-même, ayant été initialement autorisée par Dark Dog elle-même.
La poursuite de cette commercialisation constitue néanmoins une violation des engagements contractuels, qui est source de préjudice commercial, mais aucun effet direct ou indirect sur la valeur de la marque n'est démontré sérieusement.
En ce qui concerne la perte de chance, elle est à considérer comme un préjudice commercial, que la cour peut admettre, puisque indépendamment de la non-réalisation des objectifs convenus, la vente des produits Rockstar a eu nécessairement pour effet de porter atteinte à celle des produits Dark Dog.
Une réparation à hauteur de 300 000 euro apparaît justifiée à ce titre au vu des volumes escomptés entre la fin de l'autorisation de commercialisation et son interruption effective.
Sur les prétentions de Brasserie Licorne :
Brasserie Licorne met en compte une somme de 2 608 968 euro pour la perte de marge de production sur les objectifs sur la base d'une obligation de résultat de Pepsico et différents montants au titre d'un manque à gagner et d'une perte de chance si la cour considérait que Pepsico n'était tenue que d'une obligation de moyens, et, en cas de résolution du contrat les sommes de 9 386 408 euro HT (ou 11 226 143 euro TTC) au titre de la marge commerciale qu'elle aurait réalisée si la distribution n'avait pas été confiée à Pepsico.
Seul le premier poste peut être examiné dans la mesure où la cour retient la violation d'une obligation de résultat et qu'elle n'est pas saisie d'une demande expresse de résolution du contrat aux torts de Pepsico.
Brasserie Licorne invoque une marge de production moyenne minimale de 10 euro HT par hl et chiffre son préjudice pour les hectolitres manquants comme suit :
2009 : 117 453 euro
2010 : 272 404 euro
2011 : 705 834 euro
2012 : 1 085 720 euro
soit 2 181 411 euro HT ou 2 608 967 euro TTC.
La marge minimum fixée à 10 euro est justifiée par le relevé des achats faisant état d'une marge de production entre 12,4 euro et 20,2 euro. La marge mise en compte peut donc être admise comme le minimum.
La non-réalisation des objectifs de vente est imputable pour partie à Pepsico. Elle a incontestablement privé Brasserie Licorne de la marge escomptée. Même si le contrat ne contenait pas d'engagement exclusif à son égard, l'économie du contrat de sous-distribution exclusive faisait bien de Brasserie Licorne le distributeur exclusif des produits Dark Dog. Elle a donc nécessairement pâti des ventes non réalisées.
Pour les motifs indiqués plus haut, seules les années 2009 à 2011 sont à prendre en compte et l'obligation de Pepsico de réparer le préjudice de Brasserie Licorne est à limiter puisqu'elle ne peut se voir imputer la non-réalisation des objectifs que pour une part.
Dans ces conditions, le préjudice subi par Brasserie Licorne s'établit comme suit :
1 095 691/2 = 547 845,50 euro, son préjudice étant pour le surplus imputable à Dark Dog.
Sur la demande de Pepsico aux fins de résolution du contrat :
Pepsico réclame reconventionnellement la résolution du contrat aux torts de Dark Dog en se prévalant de l'inexécution par elle de ses obligations. Il est constant que Dark Dog a diminué son budget marketing mais elle l'a fait d'abord dans le cadre de l'avenant et jusqu'au début de 2011 après que Pepsico ait manifesté sa volonté de poursuivre le contrat en révisant les conditions contractuelles.
Les prestations marketing de Dark Dog n'ont pas suscité de critique de Pepsico avant la constatation de la non-réalisation des objectifs et les parties ont précisément conclu un avenant au bout d'un an d'activité pour modifier tant les objectifs de ventes que les prestations réciproques. Jusque là Pepsico ne s'était pas prévalue d'une inexécution des obligations incombant à Dark Dog pour mettre fin au contrat de sous-distribution exclusive. Elle ne saurait donc invoquer aujourd'hui sa résolution.
Il s'agit en outre d'obligations synallagmatiques échelonnées dans le temps et qui ne sont pas susceptibles de restitution intégrale. Seule la résiliation pourrait donc être envisagée pour l'avenir.
A cet égard, Pepsico demande avec une grande imprécision que la résolution des deux contrats soit prononcée " avec effet rétroactif à compter du jour où lesdits contrats n'ont pas été régulièrement exécutés par Dark Dog " sans indiquer autrement à quelle date situer celle-ci. Elle ne justifie pas non plus avoir mis en demeure le fournisseur de s'y conformer.
Le tribunal a débouté Pepsico de sa demande de résolution en considérant que Pepsico supportait une part de responsabilité dans la baisse des ventes. Il y a lieu d'ajouter à ce motif que Dark Dog a diminué son budget marketing pour éviter de déséquilibrer l'économie du marché au vu des méventes constatées, sans que cette décision puisse être considérée comme de nature à justifier la résolution du contrat à ses torts.
Le jugement mérite donc confirmation de ce chef et les demandes de restitution présentées comme une conséquence de la résolution seront nécessairement rejetées.
Sur la restitution d'une somme de 381 851,10 euro :
Pepsico a réclamé devant les premiers juges la restitution de la somme de 381 851,10 euro pour un trop-perçu de redevance sur l'année 2011. Dark Dog a reconnu l'erreur en indiquant avoir compensé ce trop perçu avec sa propre facture du 30 juin 2011 portant sur une somme de 771 038,34 euro, ce que les premiers juges ont considéré comme non justifiée.
Pepsico demande la confirmation du jugement sur ce point. Dark Dog reprend l'argument d'une erreur de facturation et précise qu'elle a déjà déduit le trop-perçu sur la facture de redevance du premier trimestre 2012. Pepsico a reconnu cette compensation tout en estimant qu'elle n'était pas possible car elle contestait la propre créance de Dark Dog à son égard. La cour validant celle-ci, la compensation effectuée peut s'opérer valablement entre les créances réciproques à due concurrence. Il y a lieu d'infirmer le jugement sur ce point, de rejeter la prétention de Pepsico et de prononcer la compensation judiciaire des créances réciproques des parties.
Les parties ont conclu un contrat de sous-distribution mettant à la charge de Pepsico une obligation de résultat que celle-ci n'a pas respectée et qu'elle a méconnue, en poursuivant la vente de ses propres produits dans les circuits de distribution dont elle avait bénéficié par l'appelante.
Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l'action engagée par Dark Dog était en grande partie justifiée, et de mettre les deux tiers des dépens à sa charge. Eu égard aux responsabilités des parties, il n'y a pas lieu d'y ajouter une indemnité pour les frais irrépétibles engagés par les appelantes.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré du chef des sommes de 771 038,34 euro au titre de la facture de redevance du 30 juin 2011 et de 13 407,85 euro et non discutée en appel, allouée à la société Dark Dog France, Le confirme du chef de la cessation de la commercialisation des produits Rockstar sous astreinte et de la demande de résolution du contrat aux torts de la société Dark Dog France, Infirme le jugement déféré pour le surplus, Et, statuant à nouveau, Dit et juge que la société Pepsico France était tenue d'une obligation de résultat, Dit et juge que la société Pepsico France encourt une part de responsabilité dans la non-réalisation des objectifs de vente des produits Dark Dog, En conséquence, Condamne la société Pepsico France à payer à la société Dark Dog France les sommes de : - 5 745 551 euro à titre de dommages et intérêts pour les redevances non perçues, - 300 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, Déboute la société Pepsico France de sa demande de restitution d'une somme de 381 851,10 euro, Condamne la société Pepsico France à payer la société Brasserie Licorne la somme de 547 845,50 euro à titre de dommages et intérêts pour perte de marge, Déboute les parties de leurs plus amples prétentions, Partage les dépens, Condamne la société Pepsico France aux entiers frais et dépens pour deux tiers, Condamne les sociétés Dark Dog France et Brasserie Licorne pour un tiers.