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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 7 janvier 2014, n° 12-00838

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Selexia (Sté)

Défendeur :

Confédération nationale du logement

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes André, Guéroult

Avocats :

Mes Bazille, Hébert, d'Aboville, Catoni

TGI Rennes, prés., du 20 déc. 2012

20 décembre 2012

I - EXPOSE DU LITIGE

Dans son hebdomadaire à diffusion nationale n° 2090 du jeudi 4 octobre 2012, (tiré à plus de 498 000 exemplaires selon la Confédération Nationale du Logement), le magazine Le Point, a diffusé une publicité en pleine page commandée par la société Selexia faisant état d'offres privilégiées d'acquisition de biens immobiliers intitulée "un mois pour devenir propriétaire".

Saisi par la Confédération Nationale du Logement, association de consommateurs régulièrement agrée au plan national suivant arrêté du 28 novembre 2011, se fondant sur les dispositions du Code de la consommation réprimant la publicité illicite ou de nature à induire en erreur à propos de prêts immobiliers, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Rennes a par ordonnance en date du 20 décembre 2012, statué de la façon suivante :

"Renvoyons au principal les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, mais dès à présent, tous droits et moyens des parties réservés;

Rejetons comme non fondées les exceptions fondées sur l'incompétence territoriale du juge des référés et sur l'irrecevabilité de la demande:

Constatons le caractère illicite de la publicité au sens des articles L. 312-4, L. 312-5 et L. 121-1 du Code de la consommation et ordonnons la cessation immédiate de sa diffusion, sur tous supports y compris sur le réseau Internet, à compter de la signification de l'ordonnance, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée;

Condamnons la société Selexia à faire publier dans la prochaine édition du magazine Le Point, sur une pleine page intérieure, le communiqué suivant:

"Par ordonnance du 20 décembre 2012 rendue par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Rennes, à la demande de la Confédération Nationale du Logement, la société Selexia a vu déclarer illicite et de nature à induire en erreur la publicité diffusée notamment dans le magazine Le Point du 4 octobre 2012 intitulée "un mois pour devenir propriétaire - Credit Agricole Immobilier" en ce qu'elle ne respecte pas les mentions imposées par le Code de la consommation pour l'information du consommateur sur les opérations de crédit."

Disons que cette publication devra être réalisée dans la prochaine édition du magazine Le Point, un mois après la signification de la présente ordonnance, sous astreinte de 3 000 euro par semaine de retard, pendant un délai de 4 mois, délai à l'issue duquel il sera à nouveau statué;

Réservons au juge des référés du Tribunal de grande instance de Rennes le contentieux de la liquidation;

Condamnons la société Selexia à payer à la Confédération Nationale du Logement les sommes de :

- 15 000 euro (quinze mille euro) à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi par les consommateurs.

- 1 500 euro (mille cinq cents euro) en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamnons la société Selexia aux dépens."

La société Selexia a déclaré faire appel de cette décision le 9 janvier 2013.

L'appelant demande à la cour de :

Vu l'article 31 du Code de procédure civile,

Vu les articles 808 et 809 du Code de procédure civile,

Vu les articles L. 312-2 et suivants du Code de la consommation,

Vu la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

Vu le principe de proportionnalité,

- Réformer intégralement l'ordonnance de référé rendue le 20 décembre 2012

Et, statuant à nouveau;

In limine Litis :

Sur la compétence,

- Dire et juger incompétent le juge des référés du Tribunal de grande instance de Rennes;

- Se déclarer incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Bobigny,

Subsidiairement:

- Dire et juger l'obligation de la société Selexia sérieusement contestable;

- Dire et juger que la publicité litigieuse n'est pas soumise aux dispositions des articles L. 312-2 et L. 312-4 du Code de la consommation,

- Dire et juger que la publicité litigieuse n'est pas constitutive d'un trouble manifestement illicite;

Dire et juger que la demande de la CNL est donc non seulement mal fondée mais dépourvue d'objet, la publicité litigieuse ayant d'ores et déjà pris fin

- Dire et juger que le juge des référés n'est pas compétent pour accorder des dommages et intérêts ;

Plus subsidiairement:

- Dire et juger que la mesure ordonnée par le juge des référés ne respecte pas le principe de proportionnalité des peines et sanctions,

En tout état de cause,

- Débouter la CNL de toutes ses demandes, fins et conclusions;

- Condamner la CNL à verser à la société Selexia la somme de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par la Selarl Bazille, avocat, par application de l'article 699 du CPC

La Confédération Nationale du Logement, intimée demande à la cour de :

Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Rennes du 29 décembre 2012

Condamner la société Selexia à verser à la Confédération Nationale du Logement la somme de 4 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la Société Selexia aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 25 septembre 2013

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties la cour se réfère aux énonciations de la décision déférée et aux dernières conclusions signifiées des parties :

- du 9 avril 2013 pour l'appelante

- du 19 avril 2013 pour l'intimée

II- MOTIFS

Sur la compétence territoriale

L'action engagée en cessation d'agissements illicites et notamment de publicité illicite, est de nature délictuelle.

L'article 46 du Code de procédure civile dispose que :

Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, (...) en matière délictuelle la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle dommage a été subi (...)

Il est à cet égard inopérant pour l'appelant d'indiquer que le dommage collectif ne pourrait avoir été subi par la Confédération Nationale du Logement que sur le lieu de son siège social à Montreuil et que le fait qui aurait causé le dommage, soit la publication, a été commis à Paris et que le choix de la juridiction de Rennes est artificiel, déloyal et de nature à exploiter un contexte local judiciaire qui lui a été déjà favorable.

Le juge des référés a justement retenu par une motivation que la cour d'appel adopte que la diffusion de la publicité a été commise, entre autres sur le ressort de la juridiction de Rennes, alors que le magazine Le Point, est distribué sur le ressort du Tribunal de grande instance de Rennes et que l'exemplaire de ce magazine contenant la publicité litigieuse est une édition régionale de ce magazine national au titre de "Architecture. Design. Rennes. Ces projets qui en mettent plein la vue". Le dommage a donc été subi, notamment sur le ressort du TGI de Rennes.

Le juge des référés du Tribunal de grande instance de Rennes était territorialement compétent.

L'article 808 du Code de procédure civile dispose :

Dans tous les cas d'urgence, le président du Tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 809 dispose :

Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Par application des articles L. 312-2 et L. 312-4 du Code de la consommation, dans l'hypothèse où des prêts sont consentis de manière habituelle par toute personne physique ou morale en vue de financer les opérations d'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage professionnel d'habitation, la publicité doit "préciser l'identité du prêteur, la nature et l'objet du prêt, préciser, si elle comporte un ou plusieurs éléments chiffrés, la durée de l'opération proposée ainsi que le coût total et le taux effectif global annuel du crédit, à l'exclusion de tout autre taux. Toutes les mentions obligatoires doivent être présentées de manière parfaitement lisible et compréhensible par le consommateur".

La publicité incriminée est rédigée de la façon suivante : du 20 septembre au 20 octobre 2001, Les offres privilèges : un mois pour devenir propriétaire, frais de notaire offerts + jusqu'à 6 000 euro de reprise + cuisine meublée et équipée et parking inclus. Loi scellier 2012, derniers jours pour en profiter.

Les renseignements peuvent être obtenus soit par téléphone soit par Internet auprès du Crédit Agricole Immobilier.

La mention des frais de notaire offerts jusqu'à 6 000 euro renvoie à la mention suivante, écrite en blanc sur un fond vert clair en police minuscule "pour toute réservation portant sur l'un des programmes de la présente offre, effectuée du 20-09 au 20-10-2012 la société venderesse prendra en charge les frais de notaire liés à l'acquisition du bien, hors frais liés à l'emprunt et hors frais d'hypothèque de caution ou de privilège de prêteur de deniers ou tous autres frais de garantie liés au financement de l'acquisition."

Rien dans la publicité et notamment le texte précité ne fait référence directe à aucun prêt. Il est seulement exposé que les frais relatifs à un prêt éventuel auquel pourrait recourir l'acheteur ne seraient alors pas pris en charge, précision au demeurant apportée que dans telle hypothèse, l'acquéreur pourrait s'adresser à n'importe quelle banque. Le fait que les frais liés à l'emprunt ne soient pas pris en charge, ne permet pas de retenir que recours à un emprunt était nécessaire pour bénéficier de cette opération. Il ne s'agit pas d'une publicité, même indirecte pour un prêt immobilier soumis dès lors aux dispositions des articles L. 312-4, L. 312-5 et L. 121-1 du Code de la consommation. La banque Crédit Agricole n'est pas citée et rien ne permet de conclure à l'existence d'une offre de prêt, même indirecte auprès du Crédit Agricole ou de n'importe quelle autre banque.

Ce faisant il existe une contestation sérieuse sur le point de savoir si la publicité était soumise aux dispositions du Code de la consommation visées supra.

L'article L. 121-1 du Code de la consommation, d'application générale et ne visant pas d'activité particulière, dispose que :

I. - Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes:

1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d'un concurrent;

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants:

a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service;

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir: ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service;

c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service;

d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation ;

e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services;

f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel;

g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur;

3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n'est pas clairement identifiable.

II. - Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.

Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l'achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :

1° Les caractéristiques principales du bien ou du service;

2° L'adresse et l'identité du professionnel ;

3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s'ils ne peuvent être établis à l'avance;

4° Les modalités de paiement, de livraison, d'exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors qu'elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d'activité professionnelle concerné;

5° l'existence d'un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi.

III. Le I est applicable aux pratiques qui visent les professionnels.

S'agissant de l'identité de la personne pour le compte de laquelle la publicité est émise, il convient de relever que seule la référence au Crédit Agricole Immobilier avec un numéro de téléphone et une adresse Internet, http://offres.ca-immobilier.fr, figure de façon évidente, sans permettre ainsi une détermination suffisante de la personne morale, faute de l'indication de son siège social, de sa forme et de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés. La société Selexia n'est quant à elle identifiable que dans les mentions de la publicité écrites dans des caractères qui par leur taille et leur contraste sont délibérément à la limite de la lisibilité. Elle n'est même pas identifiée dans l'intitulé de l'adresse Internet à laquelle la publicité renvoie. La référence en caractères de taille plus importante au Crédit Agricole, nom connu du public avant tout pour ses activités de banque, est de nature à induire le consommateur en erreur sur l'auteur de la publicité. La société Selexia n'apparaît pas de prime abord comme l'auteur de la publicité qui est construite pour que la consommateur comprenne qu'elle est issue du Crédit Agricole, c'est-à-dire dans l'esprit le plus commun, d'un établissement bancaire, ou à la rigueur qu'elle est issue de la société Crédit Agricole Immobilier. Même une lecture attentive, qui permet de lire que la société Selexia est la société de commercialisation, ne permet pas de déterminer si l'offre émane de cette société ou de la société Crédit Agricole et avec qui les contrats seraient le cas échéant conclus.

La publicité apparaît ainsi trompeuse.

Sur la publication de la décision à intervenir :

La publicité litigieuse a été diffusée à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Il est nécessaire d'assurer à la décision la même publicité. Le fait que la campagne de publicité ait pris fin n'est pas de nature à rendre sans effet la publication de la décision de justice.

Il y a lieu de confirmer l'ordonnance de référé sur ce point, sauf à modifier le contenu de la publication pour qu'il soit précisé qu'il s'agit d'une décision de la Cour d'appel de Rennes et que seul le caractère trompeur de la publicité a été retenu.

Sur les dommages-intérêts :

Compte tenu du caractère délibéré de la rédaction de la publicité, destiné à induire le consommateur en erreur, et de l'importance de la diffusion de cette publicité, il y a lieu de condamner la société Selexia à verser à la CNL la somme de 15 000 euro à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi par les consommateurs.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Selexia qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens et ne peut de ce fait prétendre aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. L'équité commande en revanche de faire droit à la demande de la CNL sur le fondement de ce texte. Il lui sera alloué de ce chef une somme de 3 000 euro qui s'ajoutera à celle déjà fixée à ce titre par les premiers juges.

Par ces motifs, LA COUR : Confirme l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle dit que la publicité litigieuse est contraire aux dispositions des articles L. 312-4 et L. 312-5 du Code de la consommation, Dit que le communiqué que la société Selexia devra faire publier sera rédigé dans les termes suivants : "Par arrêt du 7 janvier 2014 la Cour d'appel de Rennes statuant en matière de référés à la demande de la Confédération Nationale du Logement dit que : La publicité diffusée pour le compte de la société Selexia notamment dans le magazine Le Point du 4 octobre 2012 intitulé "un mois pour devenir propriétaire - Credit Agricole Immobilier" a été déclarée illicite en ce qu'elle ne respecte pas les dispositions du Code de la consommation interdisant toute publicité de nature à induire le consommateur en erreur." Condamne la société Selexia à verser à la Confédération Nationale du Logement la somme de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Selexia aux entiers dépens.