CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 8 janvier 2014, n° 12-05338
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Geoconcept (SA)
Défendeur :
Asterop (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Chokron, Gaber
Avocats :
Mes Naboudet-Vogel, Sauvage, Gerigny, Berbinau
Vu l'arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) du 20 septembre 2011 ;
Vu la déclaration de saisine après renvoi devant la Cour d'appel de Paris remise au greffe le 15 mars 2012 par la société Geo Concept (SA) ;
Vu les dernières conclusions de la société Geo Concept (SA), demanderesse à la saisine, signifiées le 4 novembre 2013 ;
Vu les dernières conclusions de la société Asterop (SA), défenderesse à la saisine, signifiées le 28 octobre 2013 ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 5 novembre 2013 ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu'il est expressément référé aux écritures précédemment visées des parties pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure antérieure ;
Qu'il suffit de rappeler que la société Geo Concept, créée le 28 juin 1990 avec pour activité l'édition de logiciels dans le domaine du géomarketing, ayant découvert que la société Asterop, constituée le 29 janvier 1999 par trois de ses anciens salariés, avait entrepris de développer et de commercialiser le logiciel Business Géo Intelligence, concurrent de ses produits, a fait procéder le 16 avril 1999, dûment autorisée par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Nanterre, à des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société à Saint-Cloud (92) ;
Que la société Asterop, dûment autorisée par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris, a fait diligenter à son tour, le 19 mai 1999, une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Geo Concept à Paris ;
Que dans ces circonstances, le 3 juin 1999, la société Asterop et Christophe Girardier, son président-directeur général et ancien directeur commercial de la société Geo Concept, ont assigné devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de logiciel et pour divers griefs au fondement de l'article 1382 la société Geo Concept, laquelle a formé reconventionnellement une demande en concurrence déloyale tant à l'encontre de la société Asterop qu'à l'encontre de Christophe Girardier à titre personnel ;
Que le Tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 6 juin 2000, a débouté la société Asterop de ses demandes, a rejeté la demande en concurrence déloyale dirigée contre la société Asterop, s'est déclaré incompétent au profit du Conseil des prud'hommes de Paris pour connaître de la demande formée par la société Geo Concept à l'égard de son ancien salarié ;
Que la Cour d'appel de Paris, par un arrêt partiellement confirmatif du 30 avril 2003, a condamné la société Geo Concept à payer 50 000 euro de dommages-intérêts à la société Asterop au fondement de l'article 1382 du Code civil, a ordonné avant-dire-droit sur la demande en concurrence déloyale de la société Geo Concept une mesure d'expertise, et, au vu du rapport déposé par l'expert Hubert BITAN, a rendu le 28 juin 2006 un arrêt aux termes duquel des actes de concurrence déloyale et parasitaire ont été retenus à la charge de la société Asterop qui a été condamnée à payer à la société Geo Concept 80 000 euro de dommages-intérêts au titre du préjudice moral ainsi qu'une provision de 250 000 euro à valoir sur la réparation du préjudice matériel pour l'estimation duquel était ordonnée une mesure d'instruction confiée à l'expert François Bouchon ;
Que la Cour de cassation, par un arrêt du 29 janvier 2008, a cassé l'arrêt précité "mais seulement en ce qu'il a dit que la société Asterop a commis un acte de concurrence déloyale en désorganisant par débauchage le fonctionnement de la société Geo Concept et en ce qu'il a dit que le débauchage par Asterop des deux salariés liés par une clause de non concurrence à la société Geo Concept caractérisait un comportement déloyal";
Que selon les motifs de l'arrêt de cassation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision d'une part, "en n'établissant pas en quoi les recrutements litigieux de salariés de la société Geo Concept avaient eu pour effet de désorganiser la société Geo Concept" d'autre part, "en ne recherchant pas, comme il lui avait été demandé, si la clause de non concurrence qui liait deux salariés n'était pas nulle" ;
Que par arrêt du 11 juin 2010, la Cour d'appel de Paris autrement composée, observant à titre liminaire que la cassation ne portait que sur l'appréciation de la validité de la clause de non concurrence et ses conséquences ainsi que sur la relation entre le débauchage et la désorganisation de l'entreprise et qu'elle n'affectait pas en revanche les autres fautes retenues par la cour pour caractériser la concurrence déloyale et parasitaire, a constaté la nullité de la clause de non concurrence invoquée par la société Geo Concept et jugé en conséquence que l'emploi de salariés liés par cette clause ne pouvait être imputé à faute à la société Asterop, a retenu par contre à la charge de celle-ci la désorganisation causée à la société Geo Concept par suite du débauchage de ses salariés et, statuant en ouverture du rapport de l'expert Bouchon sur l'ensemble des chefs de préjudice subis par la société Geo Concept au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, a condamné la société Asterop à lui verser les sommes de :
*400 000 euro en réparation de l'appropriation indue d'un savoir-faire,
*150 000 euro en réparation de l'exploitation de ce savoir-faire,
*131 176 euro en réparation de la perte d'une chance d'obtenir une aide de l'Anvar,
*110 000 euro en réparation des conséquences financières du débauchage,
*60 000 euro en réparation du préjudice moral,
outre, enfin, la somme de 10 000 euro au motif que les opérations de saisie-contrefaçon menées dans les locaux de la société Geo Concept présentaient un caractère abusif, et ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil ;
Que la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique), par arrêt du 20 septembre 2011, a cassé et annulé, "mais seulement en ce qu'il a condamné la société Asterop à verser à la société Geo Concept la somme de 110 000 euro en réparation des conséquences financières du débauchage et 10 000 euro en réparation des opérations de saisie-contrefaçon, l'arrêt rendu le 11 juin 2010, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris", et remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt ;
Considérant, ceci ayant été rappelé, qu'il revient à la présente juridiction de renvoi de statuer à nouveau, en fait et en droit, sur les chefs atteints par la cassation à savoir les chefs de condamnation de la société Asterop d'une part, au titre des conséquences financières du débauchage d'autre part, au titre des opérations de saisie-contrefaçon ;
Sur le débauchage,
Considérant que selon les motifs de l'arrêt de cassation partielle du 20 septembre 2011, pour condamner la société Asterop pour débauchage fautif, l'arrêt retient que parmi les transfuges de la société Geo Concept vers la société Asterop, quatre d'entre eux étaient membres du département recherche de la société Geo Concept et les autres étaient membres de la structure commerciale et, donc, en contact avec la clientèle de leur employeur et que, si les départs litigieux sont intervenus dans un contexte délicat de difficultés d'organisation et de communication de la société Geo Concept, il demeure que ces départs concernent des ingénieurs hautement qualifiés du département de recherche et développement, dont Asterop louera la compétence dans le dossier qu'elle présentera à l'Anvar, ainsi que le directeur et son adjoint du secteur commercial, en sorte qu'ils n'ont pu qu'affecter aussi le fonctionnement de l'entreprise ; qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier de façon concrète si le transfert des employés vers la société Asterop avait entraîné une véritable désorganisation de la société Geo Concept et non une simple perturbation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Considérant qu'il est constant que la société Asterop a été constituée le 29 janvier 1999 par trois anciens salariés de la société Geo Concept :
Christophe Girardier, qui était entré au service de la société Geo Concept le 16 décembre 1994 et qui occupait le poste de directeur commercial lors de son départ le 31 décembre 1998,
Gérard Dahan, adjoint de Christophe Girardier et directeur des ventes France du 16 janvier 1995 jusqu'à son départ le 21 octobre 1998,
Luc Coiffier, directeur de l'équipe de Recherche et Développement de la société Geo Concept, qui a quitté cette société le 24 octobre 1998 après 85 mois de présence ;
Et que les fondateurs de la société Asterop ont été rejoints par quatre autres salariés de la société Geo Concept :
Christophe Smagghe, ingénieur au sein de l'équipe de R&D, dont le départ est intervenu le 30 septembre 1998 après 38 mois de présence,
Patrice Dardoise, ingénieur au sein de l'équipe de R&D, ayant quitté la société le 18 décembre 1998 après 58 mois d'ancienneté,
Pierre-Yves Baranger, ingénieur au sein de l'équipe de R&D, parti le 13 janvier 1999 après 58 mois de présence,
Marc Maisonneuve, embauché le 21 juillet 1997 et affecté à la structure commerciale jusqu'à son départ le 30 novembre 1998 ;
Considérant que la société Geo Concept soutient que le recrutement par la société Asterop, dans un laps de temps extrêmement réduit, de ses ingénieurs et de ses commerciaux les plus expérimentés qui constituaient respectivement l'ossature de son département de Recherche et Développement et de son service commercial, a entraîné une désorganisation très importante de son fonctionnement ;
Qu'elle observe, pour souligner le caractère prémédité du débauchage, que la société Asterop avait soumis à l'Anvar son "projet technologique" en septembre 1998 en vue d'une demande d'aide au financement, alors que les sept membres de l'équipe étaient encore sous contrat avec la société Geo Concept;
Qu'elle relève, pour justifier du lien de causalité entre le débauchage et la désorganisation qu'elle a eu à subir dans son fonctionnement, que la très haute qualification professionnelle des quatre ingénieurs et leur esprit d'équipe avaient été particulièrement loués par la société Asterop auprès de l'Anvar, qu'elle ajoute, en ce qui concerne son service commercial, qu'il est resté sans direction suite au départ simultané du directeur commercial et du directeur commercial adjoint, qu'elle indique avoir été en définitive privée brutalement d'équipes stables et expérimentées travaillant ensemble et sous la même direction depuis trois ans au moins ;
Qu'elle prétend enfin avoir souffert d'une véritable désorganisation attestée par l'ampleur de l'écart enregistré au cours de l'exercice 1998 entre le chiffre d'affaires prévisionnel, qui devait être de 34 millions de francs au 31 mai 1998, et le chiffre d'affaires réalisé à cette date, qui a été de 23 millions de francs avec un résultat déficitaire et avoir manqué ainsi des moyens financiers pour recruter du personnel et reconstituer ses équipes à telle enseigne qu'elle n'a compté que 35 salariés entre septembre 1998 et octobre 1999, contre 55 salariés en juillet 1998 ;
Qu'elle estime au total le préjudice financier lié au débauchage à 913 064, 92 euro incluant les coûts exposés pour le recrutement et la formation de nouveaux salariés ainsi que pour maintenir en son sein le personnel existant ;
Qu'elle indique toutefois se satisfaire de la somme de 110 000 euro retenue par l'arrêt de la cour d'appel du 11 juin 2010 à titre de dommages-intérêts et prie la cour de céans de 'confirmer ce montant' ;
Considérant ceci, ayant été exposé, que la présente cour de renvoi est invitée par l'arrêt de cassation partielle du 20 septembre 2011 à vérifier de façon concrète si le transfert des employés vers la société Asterop avait entraîné une véritable désorganisation de la société Geo Concept et non une simple perturbation ;
Considérant que le périmètre de la cassation est dès lors circonscrit à la relation de cause à effet, qu'il importe d'établir, entre les recrutements litigieux de salariés de la société Geo Concept et la désorganisation de cette société ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de revenir, en revanche, sur les dispositions des arrêts précédemment rendus par la Cour d'appel de Paris le 28 juin 2006 et le 11 juin 2010 relatives au parasitisme et plus spécialement à l'appropriation indue d'un savoir-faire, désormais définitives, ni sur la constatation, nullement affectée par la cassation, selon laquelle des fondateurs de la société Asterop avaient déployé une activité réelle au profit de cette société en formation alors qu'ils étaient toujours salariés de Geo Concept ;
Considérant qu'il est constant au vu des conclusions non démenties de l'expert Bouchon que la société Geo Concept a eu à faire face à compter de la fin de l'année 1997 à des difficultés d'organisation et de communication qui ont généré des problèmes sérieux de démotivation et de perte de confiance du personnel ainsi qu'il est montré par le compte-rendu établi à la date du 21 décembre 1997 par Marc Bannelier, dirigeant et fondateur avec Eric Lanzi de la société Geo Concept, au terme de plusieurs réunions organisées avec des cadres de la société au cours du dernier trimestre 1997 en vue de redresser la situation ;
Considérant qu'aucun élément de la procédure ne permet d'accréditer l'allégation de la société Geo Concept selon laquelle la démotivation du personnel aurait été ourdie par Christophe Girardier dans le cadre d'un plan de déstabilisation de la société Geo Concept ;
Que force est à cet égard de relever à la lecture du compte-rendu du 21 décembre 1997 que le personnel d'encadrement a dénoncé auprès de Marc Bannelier et Eric Lanzi, co-dirigeants et co-fondateurs de la société Geo Concept, des difficultés structurelles très précises dont Christophe Girardier, directeur commercial, ne saurait être regardé comme responsable : les missions des personnes et l'organigramme ne sont pas clairs, les rôles de chacun ne sont pas connus dans la société, problème de traçabilité des décisions et des objectifs, responsabilités données sans véritables moyens de les exercer, absence de culture d'entreprise, absence de projet d'entreprise autour duquel organiser une solidarité ;
Qu'en outre, dans le contexte économique de l'époque, pertinemment souligné par l'expert Bouchon, caractérisé par le développement des sociétés Internet, la peur du 'bug de l'an 2000" et la préparation du passage à l'euro, le personnel des sociétés informatiques était très volatile car très demandé sur le marché du travail et assuré en quittant son emploi d'en retrouver un autre, mieux payé ;
Considérant que la perte de confiance dans l'avenir de la société Geo Concept alors que la conjoncture était par ailleurs très favorable dans le secteur économique concerné, devait inéluctablement conduire à un départ massif de personnel ;
Considérant que ce mouvement s'est amorcé à la fin de l'année 1997 ainsi qu'il a été noté dans le compte-rendu du 21 décembre 1997, "alsoft (désormais Geo Concept) fait face à un problème de démotivation certain, le nombre de départs en est la preuve" et s'est accéléré ensuite, ainsi qu'il a été constaté par l'expert Bouchon qui a compté, entre le 14 novembre 1997 et le 13 janvier 1999, 37 démissions de salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) ;
Considérant que l'expert Bouchon a par ailleurs observé que la société Geo Concept avait procédé en juillet 1998 à 7 licenciements de salariés en CDI et que ces licenciements, dont la société Geo Concept ne dément pas la cause économique, intervenant après 14 démissions enregistrées les sept mois précédents, et concernant des cadres importants dont Luc Coiffier, directeur du département Recherche et Développement, Gérard Dahan, directeur commercial adjoint et directeur des ventes France, M. Dijoux, responsable des opérations marketing, n'ont fait que renforcer l'inquiétude du personnel sur le devenir de la société et susciter de nouveaux départs ;
Considérant qu'au total, 44 salariés ont quitté la société Geo Concept entre le 14 novembre 1997 et le 13 janvier 1999 : 37 démissions et 7 licenciements ;
Considérant que force est de constater, pour apprécier la responsabilité de la société Asterop dans la désorganisation de la société Geo Concept, que sur ces 44 salariés, la société Asterop n'en a recruté que 7 en ce compris M. Maisonneuve dont il y a lieu de préciser qu'il avait démissionné de la société Geo Concept pour la société Kapt avant de rejoindre dans un deuxième temps la société Asterop de sorte que les transferts de personnel de la société Geo Concept vers la société Asterop doivent être ramenés au nombre de 6 ;
Considérant que figurent parmi les 6 salariés recrutés par la société Asterop, Luc Coiffier, directeur du département Recherche et Développement et Gérard Dahan, directeur commercial adjoint, dont la société Geo Concept avait fait le choix de se séparer par licenciement économique ;
Considérant que la société Geo Concept, qui avait dans le même temps licencié M. Dijoux, responsable des opérations marketing, est dès lors mal fondée à imputer à la société Asterop une quelconque responsabilité dans la désorganisation observée dans le fonctionnement de l'entreprise après le départ de ces trois éléments importants du personnel d'encadrement respectivement à la tête des activités essentielles à la bonne marche de l'entreprise à savoir, la Recherche et le Développement, la Vente, le Marketing ;
Considérant qu'il importe de relever en outre que la société Geo Concept a licencié en juillet 1998, avec Luc Coiffier, quatre autres ingénieurs du département Recherche et Développement ;
Que l'expert Bouchon a constaté que ce département avait enregistré 7 démissions entre novembre 1997 et fin juin 1998 puis 5 démissions après les licenciements opérés et perdu au total 18 salariés, que l'expert a en outre relevé que l'ancienneté moyenne dans l'entreprise des ingénieurs licenciés était de 40 mois, chiffre nettement supérieur à l'ancienneté moyenne des démissionnaires, de 32 mois ;
Considérant qu'il s'évince de l'ensemble de ces observations que la société Asterop, qui a recruté en définitive 4 salariés démissionnaires de la société Geo Concept sur un total de 37 démissions, ne saurait être tenue pour responsable de la dislocation de ses équipes ni de la perte de son personnel le plus expérimenté, qu'il apparaît au contraire que la société Geo Concept en procédant, alors qu'elle avait déjà subi plusieurs démissions, à des licenciements touchant au personnel de direction et aux ingénieurs les plus anciens du département Recherche et Développement, a pris une responsabilité importante dans la déstabilisation de son personnel et la vague de démissions qui s'est ensuivie ;
Considérant qu'il avait été au demeurant pris acte de cette responsabilité dans le Message de la Direction du 8 octobre 1998 qui énonçait : la réduction d'effectif de notre société effectuée en juillet et les départs qui s'y sont ajoutés récemment créent aujourd'hui, à l'intérieur de Geo Concept, un sentiment de confusion et d'incertitude sur l'avenir ;
Considérant que la société Geo Concept fait valoir que les licenciements décidés en juillet 1998 ont été rendus nécessaires par le déficit constaté au terme de l'exercice clos le 31 mai 1998, déficit dont serait responsable Christophe Girardier qui aurait délibérément ralenti les ventes en vue d'aggraver les difficultés de la société ;
Or considérant que la société Geo Concept ne produit la moindre preuve au soutien de son grief qui ne repose sur aucun fondement l'expert Bouchon ayant à cet égard relevé que les commerciaux étaient rémunérés pour une large part à la commission et qu'il était inconcevable que ce personnel ait renoncé à finaliser des ventes et se soit privé de revenus dans le seul intérêt du futur fondateur de la société Asterop, étant encore précisé que la quasi-totalité des commerciaux ayant démissionné de la société Geo Concept n'a eu ensuite aucun contact avec la société Asterop et n'a pas été embauchée par cette société ;
Considérant enfin que la responsabilité de la société Asterop dans la désorganisation de la société Geo Concept est d'autant moins plausible que les 3 ingénieurs qu'elle a recrutés, comptent parmi les derniers démissionnaires, Christophe Smagghe, Patrice Dardoise et Pierre-Yves Baranger ayant respectivement quitté le département Recherche et Développement de la société Geo Concept le 30 septembre 1998, le 18 décembre 1998 et le 13 janvier 1999 alors qu'un rythme constant de démissions avait été enregistré sur toute l'année 1998 ;
Considérant qu'il n'est pas établi, au regard de ces éléments, que le transfert de salariés vers la société Asterop soit la cause d'une désorganisation dans le fonctionnement de la société Geo Concept ;
Que celle-ci, par voie de conséquence, n'est pas justifiée en sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice financier résultant d'une désorganisation par débauchage et sera déboutée de ce chef ;
Sur les opérations de saisie-contrefaçon,
Considérant que la Cour de cassation fait grief sur ce point à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du du 11 juin 2010 d'avoir retenu, en violation de l'article 1382 du Code civil , que la société Asterop a cru pouvoir faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de Geo Concept, alors que les droits dont elle pouvait se prévaloir ne légitimaient pas ces opérations et que leur caractère abusif appelait la condamnation de la société Asterop, (...) alors qu'une saisie-contrefaçon ne fait pas peser sur son auteur une responsabilité objective du seul fait qu'elle se révèle injustifiée ;
Considérant que la société Geo Concept maintient que la saisie-contrefaçon opérée le 19 mai 1999 sur les diligences de la société Asterop présentait un caractère abusif justifiant la condamnation de celle-ci à dommages-intérêts ;
Qu'elle souligne à cet égard que la société Asterop n'ayant pas encore développé à la date de la saisie-contrefaçon son propre logiciel, c'est sans aucune utilité et par pure malveillance qu'elle a fait procéder à une telle mesure ;
Or considérant que la société Geo Concept est mal fondée à arguer pour les besoins de la cause du fait que la société Asterop n'avait pas développé son propre logiciel alors qu'elle-même avait avancé, pour être autorisée par le président du Tribunal de grande instance de Nanterre à pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon le 16 avril 1999 dans les locaux de la société Asterop, que celle-ci avait entrepris de développer et de commercialiser à son préjudice le logiciel Business Géo Intelligence ;
Considérant que force est d'observer, en toute hypothèse, que la société Asterop a fait pratiquer la saisie-contrefaçon querellée sur autorisation judiciaire et que la société Geo Concept s'est gardée de demander, selon les voies de droit ouvertes en la matière, la rétractation de l'ordonnance sur requête du 7 mai 1999 autorisant la saisie-contrefaçon pratiquée dans ses locaux ;
Considérant enfin que la société Geo Concept ne démontre pas avoir subi un préjudice économique des suites de ces opérations, le procès-verbal de l'huissier de justice instrumentaire, faisant foi jusqu'à inscription de faux, indiquant que le personnel n'a cessé son activité (sur ordinateurs et téléphones) que durant une demi-heure et non pas une journée entière ainsi qu'il est prétendu ;
Qu'elle ne justifie pas davantage du préjudice d'image dont elle aurait souffert en raison de la présence sur les lieux, non établie, d'un client de la société ;
Considérant que la demande en dommages-intérêts à raison du caractère abusif de la saisie-contrefaçon n'est pas fondée et sera rejetée ;
Sur le préjudice moral,
Considérant qu'il a été précédemment souligné que les dispositions de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du du 11 juin 2010 relatives au parasitisme et portant condamnation de la société Asterop à payer de ce chef à la société Geo Concept :
*400 000 euro en réparation de l'appropriation indue d'un savoir-faire,
*150 000 euro en réparation de l'exploitation de ce savoir-faire,
*131 176 euro en réparation de la perte d'une chance d'obtenir une aide de l'Anvar,
ne sont pas affectées par la cassation et sont en conséquence définitives ;
Considérant, par contre, que le préjudice moral subi par la société Geo Concept par suite des agissements de la société Asterop ne saurait être lié à des faits de débauchage fautif et de contrefaçon abusive qui ne sont pas retenus à la charge de la société Asterop ;
Considérant qu'il s'ensuit que la condamnation pour préjudice moral prononcée par la Cour d'appel de Paris aux termes de l'arrêt du 11 juin 2010 est nécessairement affectée par la cassation et qu'il y a lieu de revenir sur l'estimation qui en a été faite en prenant en compte le sens du présent arrêt ;
Considérant qu'au regard de l'ensemble des éléments soumis à l'appréciation de la cour, le préjudice moral de la société Geo Concept sera suffisamment réparé par l'octroi d'une indemnité de 30 000 euro qui doit être inscrite au passif de la société Asterop objet d'une procédure de sauvegarde judiciaire ;
Sur la demande nouvelle de la société Geo Concept,
Considérant que la société Geo Concept fait grief à la société Asterop, objet d'une procédure de sauvegarde ouverte à son encontre par jugement du Tribunal de commerce de Paris du du 23 juin 2010, d'avoir contesté par mauvaise foi l'inscription au passif des créances non affectées par l'arrêt de cassation partielle du 20 septembre 2011 et d'avoir ainsi délibérément retardé le règlement de ces créances ;
Considérant qu'il résulte des éléments de la procédure que le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 23 juin 2010 a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Asterop, que le juge-commissaire a rendu les 3 et 4 avril 2010 des ordonnances prononçant le sursis à statuer sur l'admission des créances de la société Geo Concept dans l'attente de l'issue du pourvoi en cassation formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 juin 2010, que le plan de sauvegarde a été arrêté le 2 mai 2011 ;
Considérant qu'il n'est pas démenti que la société Geo Concept s'est abstenue d'attaquer par les voies de droit les décisions, dont elle prétend qu'elles lui sont préjudiciables, rendues par la juridiction consulaire dans le cadre de la sauvegarde de la société Asterop ;
Considérant que faute par la société Geo Concept de démontrer que la société Asterop aurait agi devant le Tribunal de commerce par légèreté blâmable et dans la seule intention de lui nuire et aurait ainsi abusivement usé, à son préjudice, des procédures légales, les demandes en réparation formées de ce chef ne sauraient prospérer ;
Sur les autres demandes,
Considérant que les demandes de la société Geo Concept au titre des intérêts de retard et des intérêts capitalisés relèvent du juge de l'exécution et ne sont pas de la compétence de la présente cour de renvoi ;
Sur les frais irrépétibles et les dépens,
Considérant que le jugement dont appel du 6 juin 2000 a débouté des demandes formées en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant qu'il y a lieu d'infirmer le jugement sur ce point et, en équité, d'allouer à la société Geo Concept au titre des frais irrépétibles exposés pour les procédures devant le Tribunal de grande instance et devant la cour d'appel, une indemnité globale de 100 000 euro;
Considérant que la société Asterop succombant au procès sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût des deux expertises judiciaires dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant dans les limites de l'arrêt de cassation partielle du 20 septembre 2011, Déboute la société Geo Concept de sa demande de dommages-intérêts au titre de la désorganisation par débauchage, Déboute la société Geo Concept de sa demande de dommages-intérêts au titre de la saisie-contrefaçon opérée le 19 mai 1999, Fixe le préjudice moral de la société Geo Concept à la somme de 30 000 euro et dit que cette somme sera inscrite au passif de la société Asterop placée sous sauvegarde judiciaire, Rejette toutes autres demandes contraires aux motifs de l'arrêt, Condamne la société Asterop aux entiers dépens de première instance et d'appel en ce compris le coût des deux expertises judiciaires dont recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile , et à verser à la société Geo Concept au titre des frais irrépétibles exposés pour les procédures devant le Tribunal de grande instance de Paris et devant la cour d'appel, une indemnité globale de 100 000 euro.